Avant-propos

Un usage de la philosophie

L’essai qui suit entend dépeindre un état d’esprit, glaner quelques outils spirituels pour s’avancer dans la joie. Je me plais à y convoquer les philosophes qui, en élargissant mon rapport au monde, jalonnent déjà ma vie. La philosophie antique proposait tout un attirail d’exercices pour se former, revenir à soi, se rejoindre. Cette conception de la philosophie comme thérapeutique de l’âme, heureusement ambitieuse, me séduit. Loin des gloses et du jargon, elle esquisse un art de vivre et nous aide à tenir debout.

La fréquentation des penseurs qui me nourrissent a fait naître La Construction de soi, une sorte de manuel d’après guerre qui essaie de délivrer l’esprit de ses entraves. L’auteur de ces lignes, plus accoutumé à l’adversité, peine à s’ouvrir à la douceur de vivre, à goûter la gratuité de l’existence. Souvent, le poids du passé, la culpabilité, la peur et les esclavages quotidiens l’empêchent de cheminer librement. C’est cette impuissance qui m’incline à m’interroger et à faire le point sur ce que la philosophie m’apporte, ce qu’elle représente à mes yeux.

L’après-guerre

Une vie peut très bien ne se justifier que par le combat. J’ai consacré la mienne à livrer bataille contre les séquelles d’une infirmité qui a fini par occuper le centre de mon existence. Aujourd’hui, celles-ci me laissent quelque répit, mais, à ma grande surprise, la lutte me manque. Plus largement, mon désarroi révèle un danger inattendu : se bâtir contre l’adversité, se lancer constamment des défis pour échapper au présent, n’est-ce pas différer les occasions de joie ? Il me plaît de rejoindre les philosophes pour quitter cette logique de guerre qui toujours prépare au bonheur sans qu’il soit cependant jamais vécu, qui forge des idéaux pour fuir le réel mais s’enferme dans les regrets. J’entends la voix de Montaigne me rappeler que « chacun court ailleurs et à l’avenir, d’autant que nul n’est arrivé à soi ».

Contre la réduction

Ce livre se veut aussi une tentative de tourner une page, de quitter le témoignage dans lequel je me suis emmuré. Je l’avoue d’emblée, j’en ai marre de ressasser mon histoire, qui débute avec un satané cordon ombilical et se poursuit par dix-sept ans d’internat dans un centre spécialisé… Si le handicap fut la porte ouverte à une réflexion, je souhaite désormais, sans le nier, la franchir, aller plus loin. Une chose est de refuser sa singularité, une autre est de s’y complaire, s’y claquemurer. Je tenterai à partir de la tradition philosophique de dessiner un art de la joie.

Le chemin des dames

À mes yeux, la lecture des philosophes s’apparente à une conversion de soi. J’ouvre un livre et une voix me parle, me délivre son enseignement. Je souhaite pour ma part vivre avec le lecteur cet échange intime. D’où ces lettres qui consignent l’itinéraire suivi en compagnie de mes guides. Pour permettre une libre circulation dans ce dialogue intérieur, j’ai ajouté des sous-titres.

Si jadis, dans sa prison, Boèce a imaginé recevoir la visite de Dame Philosophie, j’ai eu à cœur de donner corps à celle à qui je dois tant.

Ce livre lui est adressé. Avec elle, je me suis confronté à ces philosophes qui m’ont tour à tour enchanté, dérouté et nourri. Chemin faisant, je me suis avisé que, malgré moi, la vie m’avait donné d’importunes maîtresses. Aussi ai-je fini par écrire à Dame Frayeur et à la Mort. Je ne pouvais pas les écarter de cette Construction de soi.



Je livre ici l’ébauche de cette correspondance.