DEUX

La porte du Phénix / L’Aigle régnera / Sur le feu

De tous les vaisseaux de la 28e expédition, le Pride of the Emperor était le plus admirable. Des incrustations d’or couraient le long de sa coque blindée, sur ses plaques d’une riche couleur lie-de-vin. Il flottait en orbite du saphir qu’était Laeran, comme le vaisseau-amiral de quelque ancien roi, entouré d’une suite d’escorteurs, de cuirassés, de transports, de vaisseaux d’approvisionnement et de convoyeurs de masse.

Les chantiers navals de Jupiter lui avaient fixé sa quille cent soixante ans plus tôt. Le fabricator général de Mars en personne avait supervisé ses plans et sa création, et chacun de ses composants avait été réalisé à la main selon des spécifications incroyablement astreignantes. Le processus de construction avait pris deux fois plus de temps que celui de tout autre vaisseau de capacité comparable, mais on ne pouvait en attendre moins du vaisseau-amiral du primarque de la 3e légion, celle des Emperor’s Children.

La formation qu’adoptait la 28e expédition était d’une parfaite beauté martiale, ancrée au-dessus de Laeran selon un schéma typique de patrouille et d’arraisonnement, qui assurait qu’aucun écho hostile ne pouvait rejoindre ou quitter la planète sans être intercepté par les Raptors de la flotte. Les vaisseaux des laers qui s’étaient avérés si dangereux pour le groupe de reconnaissance n’étaient plus que des débris dérivant autour des anneaux de la sixième planète du système, détruits par l’usage précis d’une force écrasante, et par la maîtrise de Fulgrim en matière de combat naval.

Bien que le monde en dessous d’eux fût connu comme Laeran, sa désignation officielle était Vingt-Huit Trois, le troisième soumis par la 28e expédition. Une telle appellation était peut-être prématurée au vu de la férocité de la bataille d’ouverture, mais l’usage la considérait comme appropriée, puisque sa soumission finale était tenue pour une certitude.

L’Andronius et le Fulgrim’s Virtue, aux couleurs pourpres et or des Emperor’s Children, veillaient comme deux sentinelles sur le vaisseau-amiral, chacun traînant derrière lui une succession exemplaire de victoires. Des nuées de Raptors effectuaient des allers-retours pour escorter les sommités de la 28e expédition jusqu’au Pride of the Emperor. À présent que la flotte laer était anéantie, le primarque devait y dévoiler ses plans quant à la conduite de cette guerre.

Le premier capitaine Julius Kaesoron n’était pas accoutumé aux émotions conflictuelles, ce qui lui rendait sa situation présente hautement inconfortable. Le violet triomphant de sa toga picta et le rouge martial de sa cape faisaient de lui une figure imposante tandis qu’il marchait d’un pas rapide vers l’Héliopole, suivi de son écuyer, Lycaon, et d’un cortège de porteurs chargés de son épée, de son casque, et de la traîne de sa cape.

Un pendentif d’ambre était accroché à son cou, niché entre les pectoraux sculptés de son plastron d’or. Son malaise ne transparaissait pas sur ses traits patriciens, car afficher une telle émotion aurait suggéré qu’il doutait du chemin que son primarque avait tracé, et cela était inconcevable.

Ils remontaient une large voie processionnelle aux murs de marbre pâle, bordée de hautes colonnes d’onyx, dont les surfaces gravées de lettres d’or évoquaient les victoires et les gloires obtenues durant la Grande Croisade. Le Pride of the Emperor serait l’héritage que laisserait Fulgrim, et ses cloisons portaient l’histoire de l’Imperium gravée dans leur chair.

Des statues des héros de la légion bordaient le processionnal. Dans leurs cadres dorés, des tableaux commandés aux commémorateurs de l’expédition apportaient une touche de couleur bienvenue dans ce décor froid.

— Sommes-nous pressés ? demanda Lycaon, à l’armure lustrée et brillante, mais bien moins ostentatoire que celle du premier capitaine. Il me semblait que le seigneur Fulgrim avait promis d’attendre votre arrivée avant de présenter ses plans à l’expédition.

— En effet, lâcha Julius, bien qu’il forçât encore l’allure au plus grand désarroi de ses porteurs, mais si nous devons réussir ce qu’il exige, plus tôt je serai redescendu sur Vingt-Huit Trois, mieux cela vaudra. Un mois, Lycaon ! Il veut que Laeran soit soumise dans un mois !

— Les hommes sont prêts, lui assura Lycaon. Nous pouvons y arriver.

— Je n’ai aucun doute là-dessus, mais les pertes risquent d’être élevées. Peut-être trop élevées.

— Les oiseaux d’assaut sont sur leurs rails de lancement. Nous n’attendons que votre ordre pour les lancer contre les laers.

— Je sais, approuva Julius, mais nous devons attendre l’instruction du primarque.

— Même si le fer de lance du capitaine Demeter est déjà parti ? demanda Lycaon tandis qu’ils passaient entre des Emperor’s Children armés de pilum d’or, postés à intervalles réguliers le long de la voie triomphale. Malgré leur totale immobilité, il se lisait chez eux le potentiel de violence sans retenue qui battait dans la poitrine de chaque Astartes.

— Il serait peu judicieux de démarrer la campagne sans que les autres officiers de l’expédition aient été consultés. Le fer de lance va être présenté comme un groupe de reconnaissance en masse plutôt que comme une frappe d’ouverture.

Lycaon haussa les épaules.

— Devons-nous vraiment nous soucier de ménager le reste de l’expédition ? Le primarque ordonne, et eux sont là pour obéir comme il le juge bon. C’est ainsi qu’il convient de faire.

Bien qu’il fût de l’avis de Lycaon, Julius ne répondit pas, et rongeait son frein de ne pas être en train de mener ses guerriers sur la planète. Il avait écouté les rapports initiaux de Solomon et de Marius, qui à l’heure actuelle étaient impliqués dans des combats sévères pour s’approprier la masse flottante désignée comme l’atoll 19, et sa colère avait monté à mesure qu’affluaient les pertes signalées.

Mais son primarque avait ordonné sa présence au conseil qui annoncerait la façon dont la 28e expédition ferait la guerre à cette espèce, et un tel ordre ne pouvait être discuté.

Julius savait déjà ce que le seigneur Fulgrim allait présenter aux officiers supérieurs de la flotte. L’audace et l’ampleur de son projet continuaient de l’époustoufler. Il n’était pas nécessaire d’être premier capitaine pour imaginer quelle serait la réaction générale.

— Assez parlé, Lycaon. Nous sommes arrivés, dit-il quand la porte du Phénix se dressa devant eux, un gigantesque portail de bronze, sur lequel l’Empereur offrait métaphoriquement à Fulgrim le symbole de l’aigle impérial. L’aigle qui était son propre symbole, et dont il avait décrété que la légion de Fulgrim serait la seule à l’arborer sur ses armures, comme marque de la considération dont ils jouissaient. L’honneur fait aux Emperor’s Children était incommensurable. En voyant la porte, Julius sentit un immense orgueil lui gonfler la poitrine, et il leva la main pour effleurer l’aigle moulé sur son plastron.

D’autres gardes se tenaient devant la porte du Phénix, et s’inclinèrent à son approche, la hampe de leurs lances fermement plantée au sol tandis que les grands battants de bronze s’écartaient lentement devant lui. De derrière lui parvinrent une tranche de lumière crue et la rumeur des voix.

Il salua respectueusement d’un signe de tête les guerriers de la porte et pénétra dans l’Héliopole.

Solomon fit pivoter son bolter face à la créature qui fendait l’air dans sa direction, les griffes tendues pour le déchirer en deux. Son doigt pressa la détente. Une rafale de bolts partit du canon de l’arme ; des étincelles et du sang jaune éclaboussèrent son armure violette et or alors que la créature éclatait et s’effondrait près de lui en une pile dévastée. D’autres la suivaient, et bientôt l’esplanade s’anima de la lutte entre leurs corps sinueux et les Astartes.

Par leur apparence, les laers pouvaient se montrer très divers : leurs silhouettes différaient selon les zones de conflits et étaient apparemment adaptées à chaque théâtre particulier. Durant le peu de temps qu’il avait déjà passé sur ce monde océanique, Solomon en avait déjà vu des variations ailées, aquatiques, et toutes sortes d’autres basées sur le même aspect de départ. Qu’elles fussent des branches divergentes nées de la mutation génétique ou des créatures guerrières délibérément modifiées, Solomon n’en savait rien et s’en souciait aussi peu.

Celles-ci en particulier étaient de grands monstres sinueux, avec le bas du corps serpentin commun à tous les laers, et un thorax noueux, pris dans une armure d’argent d’où poussaient deux paires de membres. Les bras supérieurs arboraient deux longues lames baignées d’électricité, aux formes élégantes, incurvées comme des cimeterres, tandis que ceux du bas portaient des gantelets crépitants qui tiraient ces projectiles verts d’énergie meurtrière.

Leurs têtes bulbeuses évoquaient celles d’insectes, avec leurs yeux luisants à facettes, et leurs mandibules qui produisaient un crissement aigu quand les laers attaquaient. Solomon se retourna sur place en tirant sur les corps ondoyants qui émergeaient des tanières creusées dans le corail de l’atoll. Les vétérans qui l’accompagnaient formaient une ligne incurvée dont il occupait le centre ; chacun d’eux tenait sa place allouée et avançait lentement pour repousser un peu plus à chaque pas les laers vers la concentration d’énergie crépitante au milieu de la place.

Les bolts emplissaient l’air, et les explosions faisaient voler des fragments de corail à mesure que l’avance des Emperor’s Children s’enfonçait davantage dans les ruines de la cité flottante. Privé de liaisons inter-armures, Solomon n’avait aucune idée de la façon dont Caphen ou Thelonius s’en sortaient, mais faisait confiance à leur courage et à leur expertise. Solomon avait personnellement approuvé leurs deux prises de commandement, et le destin qui les attendait relèverait pour une part de sa responsabilité.

Des décharges vertes partirent depuis une entrée de terrier qu’ils ne voyaient pas auparavant ; trois Astartes tombèrent, leurs armures et leurs chairs désintégrées par les énergies électrochimiques.

— Ennemi sur le flanc ! cria Solomon, et ses guerriers réagirent avec une précision fluide. Alors que les laers émergeaient de leur tanière, des volées disciplinées de tirs de bolters leur furent opposées, et les premiers Emperor’s Children à avoir contré la menace se décalèrent pour permettre à leurs camarades de faire feu tandis qu’eux-mêmes rechargeaient.

Avec fierté, Solomon les regarda faire preuve d’une discipline martiale sans faille, qu’aucune autre légion n’égalait. Les rages frénétiques des Space Wolves de Russ, ou les chevauchées sauvages des motards du Khan n’étaient pas la façon de faire des Emperor’s Children. La légion de Fulgrim œuvrait en appliquant froidement sa force, de façon clinique.

Le champignon d’une énorme explosion s’éleva dans le ciel sur sa droite et Solomon entendit gronder des éboulis de corail, alors qu’une des tours-conques s’effondrait dans un gonflement de feu et de poussière, ses maudites cornes braillardes réduites au silence par leur désintégration. Les Emperor’s Children s’étaient enfoncés de quelque quarante mètres sur la place, leur ligne de progression incurvée les amenant au centre de cette cuvette jonchée de décombres.

Le pylône d’énergie était maintenant assez près pour qu’il pût en sentir la chaleur, et tandis qu’il donnait l’ordre de l’encercler, les laers renouvelèrent leur assaut, leurs corps sinueux glissant au milieu des ruines de leurs demeures avec une célérité surnaturelle. Les projectiles de lumière verte et les rafales de bolters quadrillaient l’esplanade. Des explosions occasionnelles se produisaient dans l’air là où deux tirs se percutaient l’un l’autre.

Une vague de xenos se rua vers les Emperor’s Children, la moitié serpentine de leurs corps les propulsant sur le sol inégal. Solomon comprit que l’heure de la fusillade était révolue. Il posa son bolter au sol avec un soin empli de déférence et sortit sa lame tronçonneuse du fourreau qu’il portait en travers du dos.

Tout comme son bolter, Solomon avait considérablement modifié son épée dans les armureries du Pride of the Emperor, sous le regard austère de Marius Vairosean. La lame et le manche avaient été modifiés pour accroître son allonge et lui permettre d’employer l’arme à deux mains. Les quillons avaient été reforgés en forme d’ailes dressées et le pommeau portait une auguste tête d’aigle.

Il enfonça du pouce le bouton d’activation et cria :

— Vos lames !

Une centaine d’épées luirent au soleil lorsque le cercle d’Emperor’s Children les sortit en un mouvement synchrone.

Les laers se jetèrent sur eux en un front indistinct d’armures argentées et d’appendices crépitants. Les Astartes s’avancèrent pour les rencontrer de front. Le vacarme dans lequel l’acier de Mars rencontra les lames extraterrestres retentit sur toute la ville.

Solomon passa sous un coup dirigé vers sa tête et pivota à l’intérieur de la seconde lame de son adversaire, en lui enfonçant la sienne sous le bord du plastron. Les dents peinèrent à traverser l’épaisse colonne vertébrale, mais il força sur son arme et terrassa la créature qui s’écroula en deux moitiés inertes.

Ses guerriers combattaient avec calme et sérénité, confiants en leur supériorité et confortés de savoir que leur commandant était parmi eux. Solomon libéra sa lame de l’extraterrestre qu’il avait tué et se remit à avancer, ses Astartes suivant son exemple en n’assénant que des attaques fatales.

Le premier signe que quelque chose n’allait pas survint quand une grande secousse se propagea dans un grondement sourd. Soudain, tout son monde bascula alors que le sol penchait violemment de côté. Jeté à terre, Solomon roula sur la place en pente, et tomba dans l’un des nombreux cratères profonds qui parsemaient le terrain des combats.

Il se redressa rapidement et observa ses environs immédiats à la recherche de menaces, mais ne vit rien. Le son de la bataille s’élevait au-dessus de lui. Des tirs se rapprochaient de la place depuis chaque côté. Si les présomptions du Mechanicum étaient correctes et si les piliers d’énergie étaient ce qui maintenait les atolls en l’air, il semblait probable que l’un d’entre eux ou même plus avaient été détruits.

Solomon se remit sur ses pieds et rengaina son épée dans son dos pour commencer à remonter la pente rocheuse du cratère. Alors qu’il approchait du sommet, il sentit les poils de sa nuque se dresser au garde-à-vous, et leva les yeux à temps pour voir la silhouette d’un guerrier laer se présenter au bord du cratère.

Il tendit le bras en arrière vers son épée, mais le laer fut sur lui avant qu’il ne put la sortir.

Même si Julius Kaesoron s’était déjà trouvé dans l’Héliopole plusieurs centaines de fois, sa beauté et sa majesté avaient encore le don de le laisser sans voix, avec ses murs immenses de pierre claire et ses rangées successives de statues qui, dressées sur des piédestaux d’or, soutenaient le vaste dôme. Des mosaïques compliquées, trop hautes pour en discerner les détails, habillaient les caissons de la voûte, et de longues bannières de soie violette pendaient entre les pilastres flûtés de marbre vert.

Un rayon de lumière stellaire concentrée tombait depuis le centre du dôme et se reflétait sur les motifs noirs du sol en terrazzo. Les éclats de marbre et de quartz polis, sertis dans le mortier, transformaient le sol en miroir luisant, qui scintillait comme scintillait l’espace au-delà. De fines particules de poussière dansaient dans la clarté, et l’odeur des brûleurs d’huiles parfumées emplissait l’air.

Des rangées de bancs de marbre couraient sur la circonférence de la chambre du conseil, et s’élevaient en gradins serrés vers les murs. Ils suffisaient à asseoir deux mille hommes, bien qu’à peine le quart de ce nombre fût présent pour ce conseil de guerre. Un siège de marbre noir poli était posé au centre du pilier de lumière, et c’était de là que le seigneur Fulgrim entendait les requêtes de ses guerriers ou accordait ses audiences. Même si le primarque n’avait pas encore fait l’honneur de sa venue à cette assemblée, son fauteuil vide possédait une présence à lui seul.

Julius vit sur ces gradins des officiers de toutes les branches militaires de la 28e expédition, et alla prendre sa place sur le banc le plus proche du centre, saluant de la tête les hommes dont il connaissait le visage, remarquant les regards prudents jetés sur sa lacerna rouge. Ceux qui servaient depuis un certain temps auprès des Emperor’s Children savaient que le port d’une telle cape signifiait un départ prochain au combat.

Julius ignora leurs regards, et récupéra son casque et son épée auprès de ses porteurs avant de s’asseoir. Ses yeux balayèrent la chambre, où il vit l’uniforme rouge et argent des officiers de l’Armée Impériale remplir les gradins inférieurs de l’Héliopole, leur proximité du centre traduisant leurs grades élevés.

Le seigneur commandant Fayle était assis au milieu d’une cohorte de subalternes. Le visage sévère de cet homme était horriblement scarifié, agrémenté d’une plaque de métal qui cachait tout le côté gauche de sa tête. Julius ne lui avait jamais parlé mais le connaissait de réputation : celle d’un général compétent, à la parole acerbe, et d’un soldat impitoyable.

Derrière les officiers de l’Armée, occupant les places à mi-niveau, les adeptes du Mechanicum paraissaient mal à l’aise dans la lumière vive de l’Héliopole. Leurs robes à capuchons cachaient l’essentiel de leurs traits, et Julius ne se rappelait pas s’il avait déjà vu l’un d’eux avec sa capuche relevée. Cette chape de secret et de rituel dont ils s’entouraient lui parut une nouvelle fois ridicule.

Aux côtés du Mechanicum se trouvaient des commémorateurs, des hommes et femmes en robes beiges, qui prenaient des notes sur de vieux calepins, des plaques de données, ou griffonnaient des esquisses au fusain sur papier cartouche. Les plus grands artistes, écrivains et poètes de l’Imperium s’étaient répartis par milliers entre les diverses flottes expéditionnaires afin de documenter les exploits monumentaux de la Grande Croisade, et avaient rencontré différents degrés de bienvenue. Les légions étaient peu nombreuses à apprécier leur présence, mais Fulgrim avait déclaré que celle-ci était une bénédiction, et leur avait accordé un accès sans réserve à ses convocations les plus privées et les plus protégées.

Ayant suivi son regard, Lycaon se rembrunit.

— Des commémorateurs, cracha-t-il sur le ton du mépris. Quelle utilité pourraient bien avoir ces scribouillards à un conseil de guerre ? Regardez, l’un d’entre eux a même amené un chevalet !

Julius sourit.

— Peut-être tente-t-il de capturer la gloire de l’Héliopole pour les générations futures, mon ami.

— C’est Russ qui est dans le vrai, jugea Lycaon. Nous sommes des guerriers, pas des sujets de poésie ou des modèles de portraits.

— La recherche de perfection s’étend au-delà des disciplines martiales, Lycaon. Elle englobe les beaux-arts, la littérature et la musique ; j’ai récemment eu le privilège d’entendre un récital de Bequa Kynska, et d’entendre une aussi belle musique m’a transporté l’esprit.

— Vous avez recommencé à lire de la poésie, avouez ?

— Lorsque j’en ai l’opportunité, j’aime me plonger dans l’un des Cantos impériaux d’Ignace Karkasy, reconnut Julius. Vous devriez essayer, un jour ou l’autre. Un peu de culture ne vous ferait pas de mal. Fulgrim a lui-même dans ses appartements une sculpture qu’il a commandée à Ostian Delafour, et il se prétend qu’Eidolon aurait un paysage de Chemos peint par Keland Roget accroché au-dessus de son lit.

— Impossible. Eidolon ?

— À ce qu’il paraît, confirma Julius.

— Qui l’aurait cru ? médita Lycaon. Quoi qu’il en soit, je préfère me limiter à la perfection au combat, si ça ne vous fait rien.

— Tant pis pour vous, dit Julius alors que les gradins supérieurs de l’Héliopole s’emplissaient de gens : les scribes, assesseurs et fonctionnaires au service des individus plus proches du centre.

— Quelle affluence, nota Lycaon.

— Le primarque doit parler, dit Julius. Cela attire toujours quelques adorateurs.

Comme s’il avait suffi de parler de lui pour le faire apparaître, la porte du Phénix s’ouvrit et le primarque de la 3e légion entra dans l’Héliopole.

Fulgrim était flanqué de ses seigneurs commandeurs de plus haut rang, et l’assemblée des guerriers, des adeptes et des scribes se leva immédiatement pour s’incliner, émerveillés par la magnificence de celui qui arrivait devant eux.

Julius se leva avec eux, son malaise antérieur balayé par l’excitation de revoir son cher primarque. Une vague d’applaudissements emplit l’Héliopole, au cri de « Phénicien ! », et l’ovation grondante ne termina que lorsque Fulgrim leva les deux paumes pour calmer la déférence de ses hommes.

Le primarque portait une longue toge crème au drapé flottant, et la garde de fer noir de son épée, Lame de Feu, se voyait à sa hanche, la lame elle-même rangée dans son fourreau de cuir violet. Les ailes déployées d’un aigle étaient brodées au fil d’or en travers de sa poitrine, et un bandeau serti de lapis-lazuli empêchait ses cheveux de lui tomber sur le visage. Deux des plus grands guerriers de la légion, les seigneurs commandeurs Vespasian et Eidolon, arrivaient avec le primarque. Tous deux étaient vêtus de simples toges blanches sans ornement, à l’exception d’un petit motif d’aigle sur le pectoral. Leur port de tête martial était comme une source d’inspiration pour Julius, que leur présence fit se tenir un peu plus droit.

Eidolon ne parut pas impressionné par le rassemblement, tandis que l’humeur de Vespasian était proprement insondable sous ses traits classiques et sans défaut. Les deux seigneurs commandeurs étaient armés ; l’épée de Vespasian pendait à son côté, et le marteau d’Eidolon reposait sur son épaule.

Julius sentait la tension se propager dans l’air, alors que l’expédition attendait les paroles du primarque.

— Mes amis, commença Fulgrim en prenant son siège devant ses combattants, sa peau pâle irradiant la lumière tombée du dessus. Il me réjouit de vous voir tous rassemblés ici. Cela fait trop longtemps que nous n’avons pas fait la guerre, mais quelle chance extraordinaire nous est aujourd’hui donnée d’y remédier !

Bien qu’il sût ce qui allait venir, Julius sentit une ferveur irraisonnée monter en lui, et se rendit compte que Lycaon, d’ordinaire si sarcastique, arborait un large sourire en entendant le primarque parler.

— Nous sommes en orbite autour de la planète d’une espèce se désignant elle-même comme celle des laers, continua Fulgrim. Sa voix avait perdu l’âpreté chtonienne dont elle s’était teintée lorsque les Emperor’s Children combattaient aux côtés de Luna Wolves. Chacune de ses syllabes embaumait à nouveau les accents cultivés de l’ancienne Terra, et Julius se retrouva subjugué par leur timbre et leur cadence.

— Et quelle planète ! Les honorables représentants du Mechanicum m’ont fait savoir quelle serait sa valeur incommensurable pour la croisade de l’Empereur aimé de tous.

— Aimé de tous, reprit la salle en écho.

Fulgrim hocha la tête et continua.

— Bien qu’un monde comme celui-ci serait d’une immense valeur pour nous, ses habitants ne souhaitent pas partager avec nous le savoir que la fortune leur a aveuglément accordé. Ils refusent de reconnaître la destinée manifeste qui nous guide parmi les étoiles, et nous ont abondamment fait comprendre qu’ils n’avaient que mépris pour nous. Nos avances pacifiques ont été rejetées par la violence, et l’honneur réclame que nous répondions de la sorte !

Des cris promettant la violence emplirent l’Héliopole. Fulgrim sourit, en joignant ses mains contre sa poitrine pour les remercier de leur dévotion. Alors que les vivats et la clameur s’atténuaient, Julius vit le seigneur commandant Fayle se lever et s’incliner bien bas devant le primarque.

— Si je puis me permettre ? risqua l’officier, la voix profonde et chargée d’expérience.

— Bien sûr, Thaddeus. Vous êtes mon allié le plus précieux, lui dit Fulgrim, et le masque impassible de Fayle frémit de satisfaction en l’entendant faire usage de son prénom.

Julius sourit de se souvenir à quel point Fulgrim savait flatter ceux à qui il parlait, en sachant parfaitement que le primarque allait bientôt confronter son interlocuteur à des faits bruts et des vérités difficiles à entendre.

— Merci, monseigneur, débuta Fayle, en posant ses deux mains noueuses sur le muret qui le séparait du sol sombre de l’Héliopole. Alors qu’il parlait, de microscopiques grains de cristal qui flottaient dans la colonne de lumière s’orientèrent vers le commandant de l’Armée, le baignant d’une lueur diffuse. Peut-être pouvez-vous m’éclairer sur un point précis ?

Fulgrim sourit et ses yeux sombres pétillèrent de malice.

— Je m’efforcerai d’amener l’illumination sur votre ignorance.

L’offense implicite hérissa Fayle, qui poursuivit néanmoins.

— Vous nous avez appelés ici pour un conseil de guerre concernant ce qu’il doit advenir de Vingt-Huit Trois, est-ce exact ?

— En effet, répondit Fulgrim. Car je ne pouvais concevoir de prendre une telle décision sans avoir votre avis.

— Alors pourquoi avez-vous déjà envoyé des guerriers à la surface de la planète ? le questionna Fayle, en faisant preuve d’une impressionnante force d’esprit. Du simple fait qu’un primarque fût présent devant eux, la plupart des mortels semblaient devenir imbéciles, mais Thaddeus Fayle lui parlait comme à un membre de son état-major, et Julius se sentit perdre son flegme devant un comportement aussi impertinent.

— D’après ce qui m’est parvenu, le Conseil de Terra estime que soumettre les laers nous coûterait trop de vies et prendrait trop de temps. Le chiffre que j’ai entendu était de dix ans, continua Fayle sans s’interrompre. N’était-il d’ailleurs pas question de faire d’eux un protectorat de l’Imperium ?

Julius remarqua les signes ténus mais immanquables, témoignant qu’il contrariait Fulgrim d’être ainsi questionné, bien que le primarque eût dû savoir que pratiquement toute l’expédition serait au fait de l’assaut sur l’atoll 19 et que de telles questions lui seraient posées.

Voilà le prix qu’il fallait payer pour avoir cultivé l’ouverture avec le reste de l’expédition, songea-t-il.

— Une telle suggestion a bien été émise, dit Fulgrim, mais elle était mal fondée, et manquait d’apprécier la valeur de cette planète pour l’Imperium. L’attaque en cours est une tentative d’obtenir une meilleure appréciation du potentiel de guerre des laers.

— La destruction de nos vaisseaux éclaireurs suffisait amplement à le mesurer, monseigneur, estima Fayle. Il me semble plutôt que vous ayez déjà résolu de livrer une guerre sans nous consulter.

— Et ensuite, seigneur commandant ? demanda Fulgrim, dont une lueur inquiétante faisait briller les yeux. Auriez-vous reculé devant l’effronterie d’une espèce xenos ? Auriez-vous souhaité que je compromette mon honneur en évitant ce combat simplement parce qu’il pouvait être dangereux ?

Le ton de Fulgrim fit pâlir le seigneur commandant, lequel réalisa qu’il l’avait poussé trop loin.

— Non, monseigneur. Mes forces sont à votre disposition, comme toujours.

L’expression de Fulgrim passa en un instant de l’agacement à la conciliation, et Julius sut que ce coup de sang avait été savamment orchestré pour manipuler Fayle et faire cesser son interrogatoire. Les plans pour cette guerre étaient déjà parfaitement tracés, et Fulgrim n’allait pas s’en laisser détourner par les tergiversations d’hommes ordinaires.

— Je vous en remercie, seigneur commandant, dit-il, et je vous prie de pardonner mes manières abruptes. Vous avez raison de poser de telles questions, car elles témoignent mieux du caractère d’un homme que ses réponses.

— Il n’est nul besoin de vous excuser devant moi, protesta Fayle, mal à l’aise à l’idée d’avoir pu mettre le primarque en colère. C’est moi qui ai parlé hors de propos.

Fulgrim inclina la tête en direction du seigneur commandant pour accepter ses excuses.

— Vous êtes si affable, Thaddeus. L’affaire est déjà oubliée. Nous sommes ici pour discuter des questions de guerre, n’est-ce pas ? La campagne que j’ai conçue nous livrera Laeran, et bien que j’apprécie les avis que vous tous savez m’apporter, cette guerre est du genre pour lequel les Astartes ont été créés. Je vais vous en donner le détail dans quelques minutes, mais puisque le temps nous est précieux, vous me pardonnerez de devoir d’abord lâcher mes chiens de combat.

Le primarque tourna le regard vers lui, et en dépit de lui-même, Julius sentit son pouls s’accélérer lorsque les yeux d’encre de Fulgrim se plongèrent dans les siens. Il savait quelle question allait lui être posée, et espérait seulement que ses hommes réussiraient à satisfaire les attentes de Fulgrim.

— Premier capitaine Kaesoron, vos guerriers sont-ils prêts à porter la vérité impériale sur Vingt-Huit Trois ?

Julius se leva, en sentant la lumière du dôme le baigner de sa radiance.

— Je le jure sur le feu, monseigneur. Nous n’attendons que votre ordre.

— Alors cet ordre vous est donné, capitaine, dit Fulgrim, en écartant ses robes pour révéler sa magnifique armure de bataille polie. D’ici un mois, l’Aigle régnera sur Laeran !

Les bras du laer déchiraient l’armure de Solomon, traçant de grands sillons sur ses surfaces inaltérées, ses griffes lacérant l’aigle d’or de son plastron. Les deux combattants retombèrent au bas du cratère quand le sol bougea de nouveau et Solomon se retrouva coincé sous le poids de la créature. Celle-ci ouvrit en grand ses mandibules, et lui poussa au visage un piaillement assourdissement en l’éclaboussant de salive.

Solomon secoua la tête pour dégager le mucus chaud de ses yeux, et porta vers le haut un coup de poing qui fit craquer les os sous la peau rougeaude du guerrier xenos, lequel piailla de plus belle. Un éclair de lumière verte lui jaillit du poing alors qu’il abattait l’un de ses bras inférieurs ; Solomon roula de côté et le gantelet argenté traversa la roche comme si elle n’avait pas été plus solide que du sable.

Il s’éloigna de son adversaire, le dos collé à la pente du cratère. Le laer hurla ; la puissance de son cri était une force bien physique qui le plaquait en arrière, les oreilles bourdonnantes et la vision brouillée. Il essaya à nouveau de tirer son épée tronçonneuse, mais le xenos se jeta sur lui avant que l’arme n’eût glissé de moitié hors de son fourreau. Les deux combattants s’écrasèrent à terre dans un maelström de membres en armure et de griffes segmentées.

Dans les yeux horribles du laer, Solomon vit le reflet déformé de son visage, et il sentit monter sa colère et sa frustration à l’idée d’être coincé dans ce cratère tandis que ses hommes continuaient de lutter autour de lui. Une douleur aiguë le lança au côté quand le laer lui passa son arme verte en travers du flanc, mais il s’écarta avant qu’elle ne lui remontât dans les viscères. Il n’avait plus nulle part où reculer, et son dos était toujours collé à la paroi.

Un chapelet de piaillements inintelligibles émergea d’entre les mandibules de la créature, et bien que son langage lui fût tout à fait étranger, Solomon aurait pu jurer que le monstre prenait plaisir à leur empoignade.

— Alors viens voir un peu, grogna-t-il en se calant contre le côté du cratère. Le laer replia sous lui sa forme serpentine et lui sauta dessus, bras et griffes tendus.

Lui aussi bondit et ils se percutèrent dans un choc de plaques d’armure, pour retomber au sol une nouvelle fois. Alors qu’ils tombaient, Solomon agrippa l’un des bras luisants du laer, et écrasa son autre coude à la jonction du membre et du torse.

Le bras de la créature lui fut arraché dans une gerbe de sang puant, et Solomon pivota pour lui enfoncer l’arme nimbée d’énergie au milieu du torse. Le bord lumineux traversa aisément le plastron d’argent, et le laer s’effondra, recroquevillé sur sa chair perforée. Un hululement monta de sa gorge quand il rendit son dernier souffle, et à nouveau Solomon fut répugné par le plaisir qu’il crut entendre dans ce cri.

Avec dégoût, il jeta le bras arraché, dont la lueur s’estompait déjà autour de l’arme. Il se hissa une seconde fois jusqu’au bord du cratère, et en franchit le rebord à temps pour voir ses Astartes se démener contre de nouveaux laers qui se déversaient sur l’esplanade.

Isolé des combats depuis un moment, Solomon se rendit compte que ses guerriers étaient pris au piège et résistaient désespérément contre cette vague. Son œil exercé constatait qu’à défaut de renforts, il leur serait impossible de tenir tête à un tel nombre. Des dizaines d’Astartes étaient déjà tombés, leurs corps pris de spasmes nerveux involontaires, que les armes des xenos provoquaient dans leur chair meurtrie.

Son sens de la bataille lui disait que ses hommes étaient conscients d’être sur le point de se faire submerger. Et il le révulsa de songer que ces créatures pourraient souiller les dépouilles de la 2e compagnie.

— Enfants de l’Empereur ! beugla-t-il en marchant depuis le cratère jusqu’à la ligne des Astartes en pleine lutte. Tenez la ligne ! J’ai juré sur le feu au premier capitaine Kaesoron que nous allions prendre cet endroit, et nous ne connaîtrons pas l’infamie de manquer à cette promesse !

Les dos se raidirent de manière presque imperceptible. Il sut que ses guerriers lui feraient honneur. La 2e compagnie n’avait encore jamais tourné les talons face à l’ennemi, et il ne s’attendait pas à ce que cela arrivât maintenant.

En des temps anciens, quand des guerriers de certains peuples avaient fui le combat, leurs rangs étaient décimés au sens premier du terme : un homme sur dix était battu à mort par ses anciens frères d’armes, en guise d’avertissement macabre pour les survivants. Un tel châtiment était trop indulgent de l’avis de Solomon. Les soldats qui s’enfuyaient une fois finiraient par recommencer, et il se réjouissait qu’aucune de ses escouades n’eut jamais eu besoin d’une leçon aussi brutale. En toute chose, ils tiraient leur exemple de lui, et Solomon préférait mourir que de faire honte à sa légion par de la couardise.

La clameur de la bataille était assourdissante, et si la ligne des Emperor’s Children ployait sous la poussée des laers, elle ne brisait pas. Solomon récupéra son bolter sur le sol inégal et y glissa un chargeur neuf. Il approcha du centre de la ligne, vint prendre sa place au milieu du combat, où il tua avec une précision méthodique jusqu’à tomber à court de munitions, et il ressortit son épée du fourreau.

Solomon combattit à deux mains, passant les dents de sa lame dans la chair xenos, et hurlant à ses guerriers de tenir bon alors qu’une masse grouillante de laers les encerclait.