QUINZE
Le ver au cœur du fruit / L’appel de la guerre / Kaela Mensha Khaine
Fulgrim crut d’abord avoir mal entendu. Cet extraterrestre ne pouvait pas suggérer qu’Horus, le plus loyal des fils de l’Empereur, allait trahir leur père et mener ses armées à la guerre civile ? Cette seule idée était risible, car jamais l’Empereur n’aurait fait d’Horus son Maître de Guerre s’il n’avait été parfaitement sûr de sa loyauté.
Il chercha sur le visage d’Eldrad Ulthran le moindre indice d’une plaisanterie, ou indiquant que tout cela n’était qu’une atroce méprise, car une telle insulte ne pouvait rester sans réparation. Alors même qu’il cherchait à trouver une autre logique à cet échange, la voix dans sa tête tonitrua de colère.
Ce xenos infâme essaie de semer la dissension parmi vous !
— C’est absurde ! gronda Fulgrim. Pourquoi Horus ferait-il une chose pareille ?
Eldrad se releva du sol, tandis que derrière lui le seigneur fantôme élargissait sa posture, et que les guerrières portaient la main à leur épée. Le grand prophète leva son bâton pour calmer leurs attitudes belliqueuses.
— Les dieux du Chaos sont en train de tenter son âme en lui offrant des visions de puissance et de gloire. C’est une bataille qu’il ne gagnera pas.
Mensonges, mensonges, mensonges, mensonges, mensonges !
— Les dieux du Chaos ? cria Fulgrim tandis qu’une brume de rage écarlate se répandait dans son corps. Mais de quoi êtes-vous en train de parler, par Terra ?
Le masque implacable glissa des traits d’Eldrad et se mua en expression d’horreur.
— Vous voyagez par le Warp et vous ne savez rien du Chaos ? Par le sang de Khaine… Je comprends pourquoi ils ont choisi de frapper votre race.
— Arrêtez de parler par énigmes, s’emporta Fulgrim. Je vous l’interdis.
— Vous devez m’écouter, plaida Eldrad. Le Warp abrite les entités les plus malveillantes qu’il puisse s’imaginer. Ces dieux sont des énergies élémentaires terribles qui ont existé depuis l’aube des temps et qui survivront à cette étincelle fragile qu’est notre univers. Le Chaos est le ver au cœur du fruit, le cancer qui dévore l’âme de l’intérieur, il est l’ennemi mortel de toute chose qui vit.
— Alors Horus saura se détourner d’un tel mal, dit Fulgrim, la main attirée vers la poignée de son épée d’argent. Le cristal violet de son pommeau scintillait d’un éclat attirant. La voix de ses désirs inexprimés lui hurlait :
Tue-le ! Il veut t’infecter par ses mensonges ! Tue-le !
— Non, dit Eldrad, Horus ne s’en détournera
pas, car ce mal lui promet exactement ce qu’il veut entendre. Il
croira prendre la meilleure décision pour le genre humain, mais il
sera devenu aveugle à la réalité de ce qu’il commettra. Les dieux
du Chaos ont tissé leurs
tromperies autour de lui, mais ce ne sont que des vétilles dont les
esprits simples useront pour expliquer sa trahison. La vérité est
que la flamme de son ambition a grandi pour devenir un brasier
ravageur, et c’est lui qui va condamner la galaxie à une ère de
conflits et de sang.
— Je devrais vous tuer pour oser parler de lui de la sorte, grogna Fulgrim.
— Je ne cherche pas à provoquer votre colère, cria Eldrad, j’essaie de vous mettre en garde. Vous devez m’écouter. Il n’est pas trop tard pour remédier à cela, mais vous devez agir maintenant. Avertissez votre Empereur qu’il va être trahi et vous sauverez des milliards de vies ! Le futur de la galaxie repose entre vos mains !
— Je refuse de vous écouter ! rugit Fulgrim en tirant son épée. Eldrad tituba comme si une force soudaine l’avait assailli. Le regard du grand prophète se braqua sur la lame, et ses traits se tordirent en une expression d’horreur et d’angoisse.
— Non ! cria-t-il, alors qu’un grand vent qui semblait s’être levé de nulle part se mettait à hurler autour des spectateurs de la scène. La lame de Fulgrim frappa vers le cou d’Eldrad et fendit l’air en un arc argenté.
Une fraction de seconde avant que l’épée n’emportât la tête du prescient, une lame immense en intercepta le tranchant. Une explosion d’étincelles crépita devant Eldrad, qui chancela à l’opposé de Fulgrim. Le seigneur fantôme se dressait au-dessus de lui, et leva son énorme épée pour l’abattre sur le primarque.
— Ils sont corrompus ! cria Eldrad. Tuez-les !
En tirant son épée, Fulgrim avait senti affluer en lui une puissance massive ; autour de la lame dansaient comme des persistances de son image faites d’une énergie violette. Non loin de sa garde phénicienne, ses capitaines s’étaient relevés lorsqu’il avait porté son coup au grand prophète, et une féroce fusillade à portée courte avait éclaté.
Les guerrières en armures d’os chargèrent dans un braillement qui leur crispa les nerfs. Une grêle de bolts en abattit quelques-unes avant qu’elles ne les eussent atteints ; Fulgrim les laissa à ses capitaines, alors que la garde phénicienne chargeait le puissant seigneur fantôme à tête d’or.
Tu dois le tuer ! Le grand prophète doit mourir avant qu’il ne ruine tout !
Fulgrim s’élança en rugissant derrière le grand prophète. L’épée monstrueuse du seigneur fantôme s’abattit vers lui alors que la garde phénicienne le frappait de ses hallebardes dorées ; il roula sous le coup et se releva pour poursuivre l’architecte de cette effusion de sang. Eldrad Ulthran et les guerriers sinistres en armures noires reculaient vers la structure incurvée, au pied de laquelle un nimbe de lumière pâle commençait à briller.
— J’ai voulu vous sauver, lança Eldrad, mais vous êtes déjà le jouet involontaire du Chaos.
Le primarque des Emperor’s Children abattit son épée vers le grand prophète, mais celui-ci disparut dans un éclair de lumière et son arme ne fit que fendre l’air. Il rugit de frustration en réalisant que ces structures étaient des outils de téléportation.
Il se retourna vers la bataille qui faisait rage alors que les canons du plus proche des tanks antigrav crachaient une rafale de projectiles à énergie. Les premiers tirs du véhicule avaient été hésitants du fait de la présence du prophète, mais la prudence ne le retenait plus. Sa proue frôla l’herbe lorsque son pilote le fit fondre vers Fulgrim en s’attendant à le voir fuir, mais Fulgrim n’avait jamais fui devant un ennemi de toute sa vie, et n’allait pas commencer maintenant.
Il bondit en l’air au moment précis où le pilote eldar sentit venir le danger et tenta de reprendre de la hauteur. Il était déjà trop tard. L’épée du primarque mordit dans le flanc du véhicule et poursuivit sur sa lancée, traversant sa coque de part en part, accompagnée d’un beuglement de haine.
L’une des sections avant du char volant tomba au sol. Le véhicule s’affaissa de côté, son arête biseautée mordit dans le sol, et il se retourna sur le flanc dans un craquement horrible qui ressemblait à celui des os brisés.
Une explosion d’énergie se propagea depuis l’épave dans un grand bouquet de lumière. Fulgrim éclata d’un rire triomphal ; son attention se reporta vers le choc des deux camps, où il vit l’immense seigneur fantôme ramasser un des gardes phéniciens pour l’écraser dans son poing. L’armure de l’Astartes se rompit et le sang en coula comme une pluie écarlate. Le primarque gronda de colère. Les corps brisés de trois de ses prétoriens gisaient déjà aux pieds de la machine.
Ses capitaines combattaient les guerrières en armure couleur d’os, dont les mouvements d’épée semblaient flous, et dont les braillements de guerre couvraient le bruit de l’acier frappant leurs armures. Fulgrim s’éloigna de l’épave du char en flammes, son épée dirigée vers la machine à tête d’or.
Comme s’il l’avait senti, le seigneur fantôme tourna la tête vers lui et jeta de côté le guerrier mort dans sa poigne. Fulgrim pouvait sentir une faim ardente de vengeance chez le fantôme présent dans la machine, et sut que cette chose le voulait mort autant que lui désirait la détruire.
À une vitesse qui le surprit, et avec une agilité terrifiante, le seigneur fantôme bondit vers lui. Fulgrim s’arrêta pour recevoir la charge et se baissa sous un coup latéral de la lame crépitante, puis se releva aussitôt pour abattre son épée sur le bras grêle. Elle n’y mordit que d’une largeur de doigt, et il sentit la vibration de l’impact se répercuter dans tout son corps. Le poing du seigneur fantôme lui frappa la poitrine et le jeta à terre. L’aigle de son plastron se fendit sous le coup foudroyant. Fulgrim grogna de douleur, et goûta sur ses lèvres à son propre sang.
La douleur était extrême, mais elle le stimula au lieu de le clouer à terre, et il se releva d’un bond dans un cri d’exultation. Sa couronne de lauriers brisée pendait à ses oreilles ; il l’arracha, et du plat de la main, étala la poudre, les couleurs et les huiles sur son visage.
Fulgrim, qui
ressemblait maintenant davantage à un homme sauvage qu’au primarque
des Emperor’s Children, s’élança une nouvelle fois sur le seigneur
fantôme, dont l’arme immense frappa vers lui, mais il leva sa
propre épée et les deux lames se rencontrèrent dans un coup de
tonnerre métallique. La gemme pourpre
s’embrasa sur le pommeau de l’épée de Fulgrim, et celle du seigneur
fantôme éclata en une grêle de fragments de moelle.
Fulgrim poursuivit son assaut alors que le seigneur fantôme reculait sous la surprise et porta vers sa jambe un coup meurtrier à deux mains. La lame percuta le genou, et Fulgrim poussa un hululement d’allégresse quand il la sentit traverser l’articulation. Des enroulements d’énergie s’échappèrent de la blessure. La grande machine oscilla un bref instant avant de s’écraser à terre.
Maintenant, achève-le ! Détruis ce qui se trouve à l’intérieur de sa tête et il connaîtra un sort pire que la mort !
Dans un cri de guerre assourdissant, Fulgrim sauta sur la machine qui se débattait et écrasa son poing sur la patine lisse de son visage. La surface dorée se fissura sous la force du coup ; du sang lui coula des phalanges, Fulgrim ignora la douleur et recommença à frapper du poing encore et encore, en sentant la carapace du crâne céder sous ses assauts furibonds. Le seigneur fantôme voulut l’arracher de sur lui, mais il riposta d’un coup d’épée, dont le tranchant sectionna l’énorme main avec une facilité déconcertante qui paraissait encore impossible quelques instants plus tôt.
Enfin le heaume d’or se fissura et Fulgrim termina à deux mains d’ouvrir la tête du seigneur fantôme, découvrant une plaque de céramique lisse, percée d’un lacis de câblages dorés et gravée de runes. Sa surface était constellée de gemmes brillantes, et au centre de leur arrangement se trouvait une pierre d’un rouge palpitant. Fulgrim sentait la peur émaner de cette pierre et tendit la main pour l’arracher à sa monture. Plus qu’il ne l’entendit, il ressentit dans son âme un hurlement de panique. La pierre était chaude au toucher, des lignes ardentes dansaient à l’intérieur, des formes spectrales et des traits de visages.
Il ressentait la colère et la haine dirigées vers lui, mais plus que tout, il ressentait cette peur dévastatrice de tomber dans les limbes de l’oubli.
Fulgrim écrasa la pierre dans son poing en riant. Un piaillement de souffrance monta de ses débris. Il sentit son épée devenir chaude, et baissa les yeux pour voir la gemme de son pommeau brûler telle une étoile d’améthyste, nourrie de l’esprit libéré par la pierre.
Il ignorait comment il pouvait le savoir, mais cela ne lui sembla être qu’un mystère mineur comparé à l’exaltation qu’il ressentait dans la victoire, et à peine cette idée lui fut-elle venue qu’il l’avait déjà oubliée.
Alors que ce merveilleux sentiment de puissance s’estompait, Fulgrim se retourna face à la bataille que livraient ses capitaines. Ceux-ci résistaient face aux guerrières en armure d’os, et croisaient le fer en un ballet mortel contre ces combattantes à l’habileté suprême. Derrière eux, le deuxième tank ennemi attendait de pouvoir soutenir les eldars, ses canons inutiles tant que le corps à corps faisait rage.
Fulgrim leva son épée et chargea.
Eldrad cria de détresse quand il sentit l’âme de Khiraen Heaume d’Or être arrachée de sa pierre-esprit et jetée dans le vide, seule, sans protection. Il sentit l’appétit terrible de la Grande Ennemie dévorer cette âme puissante, et versa des larmes amères de reproche envers lui-même. Vouloir parlementer avec les mon-keigh barbares avait été une folie. Jamais plus il n’accepterait de croire que leurs intentions pouvaient être autres qu’hostiles, et il se jura se retenir à jamais la leçon que Khiraen lui avait enseignée en y perdant l’existence.
L’air vibrait encore autour de lui après sa transition par le portail de la Toile depuis la surface de Tarsus. Un grondement psychique agressif courait dans les armatures du squelette de moelle du vaisseau-monde. Il sentait le désir de violence gagner chacun des eldars présents à bord, et le battement d’un cœur bouillonnant, celui de l’avatar du Dieu à la Main Sanglante, qui s’éveillait dans sa chambre scellée au centre du vaisseau.
Comment avait-il pu ne pas le voir ? Ce Fulgrim était déjà engagé sur une sombre voie. Son âme était impliquée dans une lutte secrète qu’il n’avait pas conscience de livrer. Une force obscure et terrible cherchait à le dominer, et bien que Fulgrim y résistât, une telle bataille ne pouvait se conclure que d’une seule façon.
L’épée… Eldrad aurait dû le sentir au moment où il avait posé les yeux sur elle, mais les duperies de la Grande Ennemie l’avaient entouré de subtiles illusions, et rendu aveugle à sa présence. Il savait maintenant que l’essence d’une puissante créature d’au-delà des frontières de l’Empyrean était enfermée à l’intérieur de l’épée, et son influence corrompait inexorablement la conscience du primarque des Emperor’s Children.
Un seul chemin s’ouvrait désormais à lui. Fulgrim devait être tué avant qu’il pût s’échapper de Tarsus, et Eldrad cria :
— Aux armes !
En réponse, un grondement d’ardeur guerrière retentit dans les os du vaisseau-monde.
Le cœur bat… La colère monte… La mort arrive… C’est la guerre !
La dernière des eldars était morte, découpée par les coups ravageurs de l’épée de Fulgrim, et Lucius sentait encore l’allégresse des combats résonner en lui comme une musique. Le sang des xenos coulait sur sa lame et ses muscles étaient enflammés par le savoir-faire qu’il avait fallu pour les vaincre. Les arachnides avaient été des tueurs terriblement rapides dans leurs mouvements, qui combattaient avec un instinct aveugle, mais ces adversaires hurlantes avaient été presque aussi talentueuses que lui.
Leurs passes d’armes étaient exquises. L’une d’entre elles, armée d’une hache et d’une épée, était d’ailleurs parvenue à lui infliger quelques coups ; son armure était ouverte en plusieurs endroits, et sans sa vitesse surhumaine, ce serait lui qui serait tombé, aussi mort que la femme à ses pieds.
Il se baissa pour ramasser une de ses lames et tester son équilibre. L’arme était plus légère qu’il ne s’y était attendu, et sa poignée était trop courte, mais son tranchant était vif et sa forme admirable.
— Vous n’avez rien retenu de la leçon sur Meurtre ? l’apostropha Saul Tarvitz. Reposez cette arme avant qu’Eidolon ne vous voie avec.
— Je ne faisais que la regarder, répondit-il en se tournant vers lui. Je ne comptais pas m’en servir.
— Mieux vaut pour vous, dit Tarvitz. Lucius constata que son compagnon capitaine était presque épuisé. Son souffle était court, son armure tachée de sang extraterrestre mêlé au sien. Malgré le rappel de Saul, il conserva l’épée de la xenos à la main.
— Êtes-vous tous encore en vie ? s’enquit Fulgrim avec un sourire. Le sang formait une croûte sur son plastron là où le seigneur fantôme l’avait frappé, et l’apparence du primarque était bien loin de la splendeur majestueuse que Lucius avait l’habitude de lui trouver. Même dépenaillé et sale, Fulgrim n’avait jamais paru plus vivant : l’excitation de combattre faisait luire ses yeux, et son poing serrait toujours fermement son épée.
Lucius ne vérifia qu’alors qui était encore debout, en observant autour de lui le terrain de la bataille. Les deux seigneurs commandeurs étaient vivants, tout comme Julius Kaesoron, Marius Vairosean et cet imbécile suffisant de Solomon Demeter. De la garde phénicienne ne restait aucun survivant. Leur adresse et leur force n’avaient pas été de taille face au seigneur fantôme.
— C’est terminé, dit Vespasian, en essuyant son épée sur le panache d’une des eldars. Nous devrions partir d’ici avant qu’ils ne reviennent en plus grand nombre. Cet autre véhicule garde ses distances après ce qui est arrivé au premier, mais il ne faudra pas longtemps avant que le pilote ne retrouve son courage.
— Vous voulez partir ? l’admonesta Julius Kaesoron. Je dis que nous devrions détruire ce char ! Ces xenos ont trahi la trêve des pourparlers, l’honneur exige que nous leur fassions payer !
— Vous parlez sans réfléchir, dit Solomon ; nous n’avons pas d’armes pour nous occuper de lui à distance, et après ce qui est arrivé à l’autre, il est peu probable qu’il nous laisse l’approcher. Nous devons nous en aller.
Lucius se gaussa intérieurement : qu’il ressemblait bien à Solomon Demeter de fuir le combat ! Il démangeait visiblement Eidolon de rester se battre ; Marius Vairosean, de son côté, gardait son avis pour lui-même et attendait la décision du primarque, sans doute pour mieux s’y rallier. Lui-même implorait Fulgrim en silence de leur ordonner d’attaquer le véhicule.
Les yeux de Fulgrim se tournèrent vers lui, comme s’ils avaient senti son besoin d’user de violence encore un peu plus. Il lui sourit ; la blancheur de ses dents contrastait avec les encres qui barbouillaient son visage.
— Je crois qu’ils sont en train de décider pour nous, dit Solomon. La même lumière intense réapparaissait à la base de la structure incurvée, à l’endroit où le grand prophète avait disparu.
— Ça n’annonce rien de bon, estima Tarvitz.
— Oiseau d’assaut un ! appela Vespasian par radio. Démarrez les moteurs, nous arrivons vers vous tout de suite. Monseigneur, nous devons partir.
— Partir, répéta Fulgrim. Sa voix donnait l’impression qu’il venait d’émerger d’un profond sommeil. Partir où ?
— Nous devons quitter cette planète, monseigneur, insista Vespasian. Les eldars reviennent et ils ne s’y risqueraient qu’en nombre écrasant.
Fulgrim secoua la tête, comme sous l’effet d’une douleur, et porta la main à sa tempe. Les premiers guerriers eldars émergeaient d’une ondulation de lumière suspendue à la verticale du point culminant du portail. Le primarque leva les yeux, et les vit s’élancer depuis cette lumière, d’abord par un ou deux, puis par escouades. Comme ceux morts à leurs pieds, ces eldars portaient des armures de plaques très ajustées, mais les leurs étaient bleues, et leurs casques coiffés de crêtes jaunes. Chacun était armé d’une sorte de fusil au canon étiré, et ils avançaient vers les Astartes avec une grâce prudente. Derrière eux arrivaient deux de ces eldars en armures noires ; leurs armes à long fût étaient pointées au-dessus d’eux, vers le Warhawk.
Lucius s’assouplit le cou, et étira les muscles de ses épaules en préparation du combat, mais Fulgrim secoua à nouveau la tête.
— Repliez-vous tous vers l’oiseau d’assaut. Nous reviendrons chercher nos morts quand nous aurons détruit leur vaisseau-monde et qu’ils n’auront plus nulle part où se replier.
Lucius ravala sa déception. Il avait conservé l’épée eldar à la main, et suivit son primarque vers l’appareil dont le hurlement des turbines gagnait en force.
Des tirs aveuglants passèrent au-dessus de leurs têtes. Lucius fut jeté au sol par la vague pressurisée d’une terrible explosion. D’autres décharges sifflantes suivirent les premières, et des détonations secondaires emplirent l’air de débris et de fumée. Il recracha de la terre et leva les yeux pour s’apercevoir que les ruines du sommet de la butte étaient baignées de flammes. Ses ailes arrachées, la carcasse embrasée du Warhawk s’était affaissée comme le cadavre d’un oiseau abattu.
— Courez ! cria Vespasian.
Une fois de plus les eldars étaient repoussés du sommet de la butte et abandonnaient leurs morts empilés au pied des ruines. Depuis le couvert qu’elles offraient, la fusillade rendait comme un staccato musical. Les stries rutilantes des rayons d’énergie éclairaient le jour déclinant. Derrière eux, l’épave de l’oiseau d’assaut continuait de brûler, et la chaleur provoquait de temps à autre la pétarade de munitions embarquées.
Alors qu’il insérait un chargeur neuf dans son bolter, Marius inspira profondément, dans l’attente de la prochaine vague. Jusqu’ici, chacun d’entre eux avait traversé vivant la violence des assauts, bien que tous fussent couverts de lacérations infligées par les rafales de disques coupants que tiraient les armes eldars. Un de ces petits disques se trouvait par terre à côté de lui ; Marius le ramassa et le fit tourner entre ses doigts. Il semblait ridicule qu’un tel objet pût les blesser, mais ses bords étaient mortellement tranchants, et capables de pénétrer même les armures MkIV s’ils en atteignaient un point faible comme leurs jointures.
L’affrontement avait vu des actes d’héroïsme désespéré et d’incroyables faits d’armes. Marius avait vu Lucius résister face à trois des guerrières hurlantes à la fois ; en combattant avec deux armes, sa propre épée et une lame eldar, il les avait tuées dans une démonstration incroyable de ses talents.
Vespasian avait combattu comme un véritable héros de la Galerie des Épées. Sa perfection et sa pureté rayonnaient comme la lueur d’un phare lorsqu’il avait repoussé des eldars aux armures vertes, dont les casques renflés crachaient des projectiles bleutés. Solomon et Julius avaient résisté dos à dos, tuant avec une vigueur brutale, tandis que Saul Tarvitz, montrant une précision mécanique, avait prêté son bras à de nombreux combats.
Mais Eidolon… Que l’avait-il vu faire ?
Au beau milieu des corps à corps, Marius s’était retourné en entendant un hululement d’une férocité déchirante, et en s’attendant à être chargé par de nouvelles guerrières eldars. Il avait en fait vu le seigneur commandeur Eidolon en train de disperser un trio d’adversaires : deux étaient à genoux, les mains serrées sur leurs casques fendus, tandis que le troisième chancelait comme sous l’effet d’une grave apoplexie. Eidolon s’était approché d’eux pour les achever, laissant Marius incapable de se défaire du sentiment que le cri était venu du seigneur commandeur.
— Combien de temps avant l’arrivée du Firebird ? lui demanda Julius, qui rampait vers lui au milieu des décombres fumants, et la question tira Marius de ses considérations.
— Je n’en sais rien, dit-il. Le seigneur Fulgrim a essayé de le contacter, mais je pense que les eldars doivent brouiller nos systèmes de communication.
— Saloperies de xenos, s’emporta Julius. Je savais qu’il ne fallait pas leur faire confiance.
Marius ne répondit pas, mais se rappelait que Julius avait défendu avec autant de ferveur que lui la décision du primarque de descendre sur Tarsus. Seul Solomon s’y était opposé, et il semblait finalement avoir eu raison.
— Nous risquons de tous mourir ici, dit amèrement Marius.
— De mourir ? dit Julius. Ne soyez pas ridicule. Même si nous n’arrivons pas à contacter la flotte, il ne faudra pas longtemps pour que des croiseurs arrivent en renfort. Les eldars le savent, c’est pour cela qu’ils se jettent sur nous sans répit. Il paraît qu’ils sont au bord de l’extinction, ça ne vous dit pas de les y pousser avec moi ?
L’enthousiasme de Julius était contagieux. Il était difficile de ne pas être gagné par sa confiance inébranlable en la victoire. Marius lui sourit.
— Tant que vous voudrez.
— Il se passe quelque chose en bas ! cria Saul Tarvitz. Avec Julius, Marius gagna le bord des ruines et regarda en contrebas vers le portail, dont il supposait qu’il devait mener au vaisseau-monde, ce qui aurait expliqué pourquoi ils n’avaient détecté le mouvement d’aucune navette et comment l’ambassade des eldars avait rejoint la surface.
Un rassemblement de guerriers entourait la lumière, laquelle vacillait et dansait comme la flamme d’une bougie. Leurs armes étaient levées, et ils psalmodiaient dans une langue qui ressemblait davantage à un chant qu’à un mode de communication.
— Que font-ils, à votre avis ? s’interrogea Tarvitz.
Julius secoua la tête.
— Je ne sais pas, mais ça ne peut pas être bon pour nous.
Soudain, la lumière s’accrut et ses bords s’auréolèrent de flammes, comme si une force incandescente s’y forçait un passage. Une silhouette commença à y prendre forme, massive et sombre, humanoïde, mais bien trop grande pour un guerrier eldar. Marius se demanda s’ils allaient devoir faire face à un autre de leurs seigneurs fantômes.
La pointe d’une lance émergea la première ; des symboles runiques embrasés se tordaient sur son large fer. Un bras la suivit, qui répandait dans l’air une lumière de roche fondue. Le membre ronflait comme du métal chaud, et le corps auquel il appartenait émergea bientôt du passage.
Solomon laissa échapper un souffle devant l’horreur primordiale du géant qui se tenait au pied de la colline. Dominant tous les guerriers eldars, le corps de la créature paraissait fait de fer noir, à la surface duquel le tracé de ses veines semblait onduler comme des rivières de lave. Des volutes de fumée et de cendres s’échappaient de sa peau et encadraient sa tête comme une couronne vivante.
Cette tête grondante avait une expression horrible, et des yeux qui luisaient comme des lingots de minerai tout juste chauffés à la forge. L’incarnation vivante de la mort beugla sa promesse de carnage vers le ciel, et leva ses bras puissants, entre les doigts desquels suintait un épais sang rouge.
— Par le Trône ! s’écria Lucius. Qu’est-ce c’est que ça ?
Marius chercha une réponse en se tournant vers Fulgrim, mais le primarque se contentait d’observer l’arrivée de l’être monstrueux avec une apparente satisfaction. Il défit les attaches de sa cape d’or, lacérée par les tirs et les lames, et apprêta son épée d’argent, dont la gemme du pommeau clignait dans le crépuscule.
— Monseigneur ?
— Oui ? répondit Fulgrim comme s’il avait à peine entendu Vespasian.
— Savez-vous ce qu’est ce… Cette chose ?
— Leur cœur et leur âme, dit Fulgrim, ses mots semblant venir d’un endroit distant à l’intérieur de lui. C’est leur désir de guerre et de mort qui bat dans sa poitrine.
Alors que le primarque parlait, Marius regarda la figure de métal faire un pas en avant, et autour de son pied l’herbe noircit et fut flétrie par la chaleur. La psalmodie des guerriers eldars se fit plus stridente, et ils se mirent à avancer lentement derrière le dieu ardent, calquant le rythme de leur chanson sur celui de ses pas. Par dizaines, les guerrières qu’ils avaient affrontées précédemment partirent se fondre dans le soir, et Marius entendit leurs cris perçants retentir tout autour d’eux.
— Tenez-vous prêts, les prévint Vespasian, encadré par la lueur des flammes du Warhawk.
Même si d’après Marius les ruines et la carcasse de l’appareil valaient n’importe quelle autre position à défendre, il était impossible qu’ils parvinssent à repousser les eldars beaucoup plus longtemps, et cela bien que le primarque comptât parmi eux huit.
Le dieu à la main sanglante accéléra son allure. Marius regarda ses compagnons, en voyant sur leurs visages la même crainte irraisonnée du monstre qui arrivait sur eux. La puissance dont était investie cette idole sombre et flamboyante s’adressait directement à leur âme, leur parlait des tourments qui leur seraient infligés et des flammes que sa colère libèrerait sur ceux qui l’auraient défiée.
Fulgrim, en faisant tourner son épée dans sa main, s’avança depuis le couvert des ruines. Les cris inquiets de ses capitaines l’accompagnèrent lorsqu’il marcha au-devant de la terrible apparition. Bien que les traits de celle-ci fussent faits de métal sculpté, Marius vit la bouche se tordre en une grimace d’impatience alors que le primarque approchait d’elle.
Deux puissants dieux se faisaient face, et l’univers sembla interrompre sa marche, par crainte de perturber le drame qui se jouait à la surface de ce monde.
Dans un beuglement de rage tonitruant, le dieu des eldars attaqua.
Fulgrim vit venir la lance enflammée projetée vers lui, s’écarta et en sentit la chaleur passer à côté de sa tête. Il se mit à rire, pensant que le dieu eldar s’était désarmé de son propre fait, mais le rire mourut dans sa gorge quand il entendit hurler sa voix intérieure.
Imbécile ! Crois-tu qu’il soit si simple de déjouer les actes des eldars ?
Il se retourna à temps pour voir la lance se tordre en l’air tel un serpent et revenir vers lui en décrivant un arc gracieux. L’arme volait dans un grondement semblable à l’éruption d’un millier de volcans. Fulgrim leva son épée et la détourna ; la chaleur de son passage lui roussit la peau du visage et certaines de ses tresses prirent feu.
Il tapa sur sa tête du plat de sa main libre, éteignit les flammes dans ses cheveux et leva sa lame dans un geste de défi.
— Tu refuses de m’affronter en combat honorable ? Crois-tu vraiment pouvoir me tuer de loin ?
La monstrueuse créature de fer rattrapa la lance au vol. Une fumée noire lui sortit des yeux et de la bouche lorsqu’elle retourna l’arme entre ses mains pour la pointer vers Fulgrim.
Fulgrim sourit en sentant le frisson du combat traverser chaque fibre de son corps. Voilà un adversaire qui allait réellement mettre son talent à l’épreuve, car lequel de ses ennemis précédents avait représenté un véritable défi pour lui ? Les laers ? Le diasporex, les peaux-vertes ?
Non. Mais la puissance de cette créature était capable d’égaler la sienne : un terrible avatar divin, dans la poitrine duquel battait le cœur de toute sa race déclinante. Il ne réagirait pas aux échanges verbaux et aux insultes. Cette entité guerrière n’avait qu’un but et un seul : le tuer.
Une telle rigidité écœurait Fulgrim. Qu’étaient la vie et la mort, sinon une diversité de sensations dont faire l’expérience les unes après les autres ? Sans sensations, la vie n’était rien.
Une exultation sauvage le gagna, ses perceptions lui donnèrent l’impression d’affleurer à la surface de sa peau. Il sentait chaque infime souffle de vent frôler son corps, la chaleur de la créature devant lui, la fraîcheur de toute l’atmosphère de la planète et la douceur de l’herbe sous ses pieds.
Il se sentait vraiment vivant, et au sommet de ses capacités.
— Viens, grogna Fulgrim. Viens et je te tuerai.
Les deux adversaires se précipitèrent l’un sur l’autre, l’arme de Fulgrim s’abaissant pour parer celle de la créature, qui avait été une lance et avait maintenant pris la forme d’une épée. Les deux lames se rencontrèrent dans un bruit déchirant dont l’écho retentit au-delà des cinq sens, et dans une explosion de non-lumière qui aveugla ceux qui la virent. Le dieu eldar rugissant récupéra du choc le premier et dirigea son épée vers la tête de Fulgrim.
Celui-ci se baissa et le frappa du poing en plein ventre, sentant l’impact sur le métal et la chaleur lui brûler la peau des articulations. Cette douleur fit sourire Fulgrim, qui baissa son épée pour bloquer un revers de taille vers son entrejambe.
Le dieu eldar attaquait avec une fureur sauvage, atavique ; derrière ses coups pesaient la haine des autres espèces et la jubilation d’une férocité sans retenue. Ses membres étaient maintenant enveloppés de flammes, et des volutes de fumée sombre entouraient la lutte des deux adversaires. Les coups échangés par l’épée argentée et la lame flamboyante résonnaient sans qu’aucune ne pût pénétrer la garde de l’autre.
Fulgrim sentait croître dans ses veines son irritation envers cette monstruosité ardente, dont l’incapacité à faire plus que combattre et tuer offensait sa sensibilité raffinée : où était son appréciation de l’art, de la culture et de la beauté ? Un tel être ne méritait pas le bienfait d’exister. Une énergie nouvelle gagna les membres du primarque, comme échappée de son épée pour se répandre dans sa chair.
Les sons du reste de la bataille montaient autour de lui : les tirs de bolter, les cris de souffrance, le sifflement des disques tranchants que tiraient les armes des xenos, et les hurlements perçants, comme ceux des banshee de la légende. Il ne leur prêta pas attention, trop concentré sur son propre combat à mort. Son épée palpitait d’un éclat argenté ; des bandes d’énergie et de lumière jouaient sur sa longueur alors qu’il la maniait et délivrait chaque coup avec un grognement d’extase. La lueur violacée de la pierre sertie dans le pommeau était forte, et il constata que le regard ardent de son adversaire était attiré par elle.
Une idée saugrenue prit racine dans son esprit, et bien qu’une part de lui le conjurât de n’en rien faire, il sut qu’il tenait peut-être là la seule façon de vaincre rapidement son ennemi. Il s’approcha du dieu enflammé en jetant son épée en l’air.
Instantanément, le regard brûlant de l’avatar se porta vers le haut ; les charbons de ses yeux se fixèrent sur la lame tournoyante et il ramena son bras en arrière, pour jeter vers elle son arme redevenue une lance. Avant qu’il ne pût la projeter, Fulgrim se précipita sur lui et lui décocha au visage un violent crochet du droit.
Le coup portait en lui le moindre iota de sa force et de sa rage, et il le délivra avec un cri de haine tonitruant. Le métal se tordit. Une détonation de lumière rouge jaillit de la tête du monstre eldar. Le poing lui avait traversé le casque, s’était enfoncé dans le métal fondu au centre de son crâne, et Fulgrim cria de douleur et de plaisir en sentant sa main percuter le fond de la tête.
La créature blessée chancela. Son visage n’était plus qu’un agrégat informe de métal et de flammes. Des filets de lumière rouge s’écoulaient de son casque : les rivières de son sang en fusion, dont l’éclat phosphorescent tranchait sur sa peau sombre. Le poing de Fulgrim le brûlait, mais il réprima cette souffrance pour s’approcher de nouveau de l’entité et lui enserrer le cou de ses doigts.
La chaleur de cette peau lui consumait les chairs, mais Fulgrim paraissait insensible à la douleur, trop focalisé sur la mort de cet ennemi. Des arabesques de vapeurs rouges s’échappaient du visage du dieu eldar dans un bruit où se manifestait la rage combinée de ceux qui l’avaient engendré. Les regrets et les pulsions de toute une ère d’existence s’échappaient de la créature. Alors que s’enfuyait du monstre agonisant la triste nécessité de son existence, Fulgrim la sentait passer en lui.
Ses mains commençaient à noircir alors qu’il comprimait le souffle de son ennemi, dont le métal se craquelait en rendant un bruit d’âme mourante. En riant comme un dément, Fulgrim força la créature à s’agenouiller. La douleur qu’il ressentait rivalisait avec la puissante exaltation de se sentir écraser à mains nues la vie d’un autre être, et de la voir s’éteindre dans ses yeux.
Un son s’amplifiait, comme celui d’un terrible grondement de tonnerre ; Fulgrim leva les yeux du meurtre qu’il commettait pour apercevoir un splendide rapace de feu descendant du firmament. La créature eldar paraissait avoir expiré. Il desserra sa prise et leva le poing au ciel. Suivi d’une escadre d’oiseaux d’assaut et de Thunderhawks, le Firebird fit un passage au-dessus d’eux.
Fulgrim ramena son regard sur son ennemi, dont la dépouille vaincue commençait à déverser une lumière violente comme celle du feu nucléaire au cœur d’une étoile. La mort de la créature la fit briller d’une clarté grandissante, et son corps éclata dans un ouragan de fer surchauffé et de métal fondu. Fulgrim fut projeté dans les airs par l’explosion retentissante, en sentant le contact de cette énergie dispersée lui griller l’armure et la peau.
L’essence libérée d’une divinité flotta autour de lui. Un court instant, il entrevit un cosmos d’étoiles tourbillonnantes, la mort d’une race et la naissance d’un nouveau dieu sublime, d’un sombre prince des plaisirs et des douleurs.
Dans le bruit tumultueux des âges passés, un mot se forma. Un cri de sensations inarticulées et le cantique d’une naissance meurtrière se confondirent dans un puissant rugissement qui était un nom et un concept tout à la fois…
Slaanesh !
Slaanesh ! Slaanesh ! Slaanesh ! Slaanesh ! Slaanesh ! Slaanesh ! Slaanesh ! Slaanesh !
Le nom avait pris forme, et Fulgrim retomba violemment au sol en riant, alors même que les Emperor’s Children descendaient sur Tarsus, portés par des ailes de feu. Il gisait immobile, brisé et brûlé, mais vivant ; oh oui, comme il se sentait vivant ! Il sentait des mains se poser sur lui, entendait des voix tenter de le faire parler, mais sentait plus que tout une langueur lancinante s’emparer de lui et réalisa qu’il n’était plus armé.
Fulgrim se remit debout d’une façon hésitante, en sachant que ses guerriers l’entouraient toujours, mais sans plus les voir ni entendre leurs voix. La douleur lui palpitait dans les mains, dont il sentait l’odeur de chair calcinée. Toute son attention était cependant fixée sur l’éclat d’argent qui déchirait la pénombre du soir.
Son épée était plantée dans l’herbe, sa lame retombée la pointe la première après qu’il l’eut lancée en l’air. C’était elle qui scintillait dans les ténèbres, reflétant la lumière du Firebird et des appareils en phase de descente. Fulgrim brûlait maintenant du besoin de s’en saisir à nouveau, mais une part de son esprit le supplia en hurlant de ne pas s’en approcher.
Il fit vers l’arme un pas hésitant, les mains tendues, sans avoir eu conscience de lever volontairement les bras. Ses doigts noircis tremblaient, et ses muscles se contractèrent, comme s’il se forçait un passage au travers d’une barrière invisible. Le chant de sirène de l’épée était fort, mais sa volonté l’était elle aussi, et ce qu’il se souvenait avoir vu de la naissance du dieu sombre retenait sa main.
Tu n’atteindras la perfection qu’à travers moi !
Les mots retentirent dans sa tête et les souvenirs de la bataille affluèrent brutalement dans son esprit. La faim ardente de tuer, la merveilleuse exaltation d’avoir étranglé un dieu de ses mains.
En un instant, les ultimes vestiges de sa résistance s’effondrèrent et ses doigts glissèrent sur le manche de l’épée, dont la puissance afflua en lui et fit disparaître la douleur de ses blessures comme le plus puissant des baumes guérisseurs.
Fulgrim se tint plus droit. Sa faiblesse passagère avait disparu comme si une vague d’énergie s’était diffusée dans chaque atome de son corps. Il remarqua que les eldars s’enfuyaient par leur portail miroitant, jusqu’à ce que seul demeurât le prophète perfide, Eldrad Ulthran, près de la structure arquée.
L’eldar secoua la tête et pénétra dans la lumière, qui disparut avec lui aussi soudainement qu’elle était apparue.
— Monseigneur, le sollicitait Vespasian, le visage maculé de sang. Quels sont vos ordres ?
La colère de Fulgrim envers les xenos atteignit des hauteurs nouvelles, inimaginables, et il se tourna face à ses guerriers rassemblés en remettant son épée au fourreau.
Il n’y avait qu’une seule façon de s’assurer que la fourberie des eldars fût anéantie à jamais.
— Nous retournons à bord du Pride of the Emperor, dit-il. Transmettez à tous les vaisseaux l’instruction de se tenir prêts à larguer un tapis de bombes virales.
— De bombes virales ? s’inquiéta Vespasian. Mais il n’y a que le Maître de Guerre qui…
— Faites-le immédiatement ! cria Fulgrim.
Un tel ordre troubla Vespasian, qui hocha néanmoins la tête avec raideur et s’éloigna.
Le regard de Fulgrim contempla la planète recouverte par la nuit.
— Je jure sur le feu que les mondes des eldars brûleront jusqu’au dernier.