VINGT-CINQ

Massacre / Démon / Le dernier phénix

Des troupes moins exemplaires auraient abandonné et accepté leur sort face à une telle opposition écrasante, mais les guerriers des Salamanders et de la Raven Guard étaient des Astartes. Ils résistèrent donc comme jamais auparavant, sachant leur fin proche, et désirant faire payer les traîtres de leur vie pour chacun d’entre eux qui tomberait.

Prise entre deux armées, la première vague loyaliste fut massacrée d’une manière méthodique. Le tir implacable des Iron Warriors du site d’atterrissage et le retour des troupes renégates le long de la dépression d’Urgall prirent les Salamanders et la Raven Guard dans un terrible étau, sous une tornade assassine de feu et de projectiles.

Les guerriers de l’Alpha Legion et des Word Bearers suivirent leurs meneurs sur les plaines noires d’Istvaan V, leurs bolters levés, leurs épées tronçonneuses au clair, et ils foulèrent du pied les derniers vestiges de leur loyauté à l’Empereur en tournant leurs armes contre leurs anciens frères.

Le Dies Irae arpentait le sombre carnage tel un démon géant. Le plasma surchauffé tombait sur les loyalistes, et ses flammes tueuses grêlaient le désert noir, vaporisant les hommes et changeant le sable en verre. Des chars renégats arrivèrent depuis les collines d’Urgall, leurs armes crachant la mort, en écrasant les blessés sous leurs chenilles. Les Iron Hands étaient perdus ; le sort de leur primarque demeurait inconnu, alors que sur sa dernière position passaient des hordes d’ennemis hurlants.

Revenu de cette retraite simulée, Angron vint se frayer un chemin sanglant au milieu des loyalistes, ses épées taillant sans merci dans les rangs de ses ennemis. L’Ange Rouge se battait avec une frénésie barbare, l’esprit fermé à tout, sauf à la rage meurtrière qui animait ses lames. Ses guerriers équarrissaient leurs adversaires comme des bouchers, en étalant le sang des vaincus sur le blanc de leurs armures.

Si le bruit de la bataille avait auparavant été incroyable, il devint assourdissant. Les seules voix à se faire entendre hurlaient de haine ou de souffrance. Les sons individuels se perdaient dans le rugissement constant de la fusillade et le grondement des explosions. Ce qui avait commencé comme une bataille était devenu un massacre, où chaque poche de résistance loyaliste était laminée par une puissance de feu supérieure avant que les survivants meurtris ne fussent démembrés à l’épée tronçonneuse.

Mortarion couchait les loyalistes à grands coups de faux, sa cape déchirée flottant dans les vents chauds soufflés par les flammes, tandis que la Death Guard écrasait ses victimes sous son pas implacable et ses volées de tir disciplinées.

À l’avant des Emperor’s Children, le seigneur commandeur Eidolon et le capitaine Lucius, déployant de merveilleuses passes d’épée et des hurlements d’une puissance sonique brute, emmenaient un contingent de leurs guerriers au cœur des rangs ennemis. Lucius virevoltait au milieu de la bataille, où sa lame de Terra lui frayait un passage au tempo d’une musique que lui seul entendait.

Les gammes abominables que tiraient Marius Vairosean et son orchestre de la damnation retournaient le sable imbibé de sang, en écorchant la chair et le métal sous des notes aiguës et des accordes hurlants. Par contraste, Julius Kaesoron ne prenait qu’une part infime aux combats, préférant consacrer son énergie à mutiler et à souiller les cadavres que son frère laissait dans son sillage. Divers trophées charnels pendaient de son armure, et chaque profanation des dépouilles de ses ennemis devenait plus atroce que la précédente.

L’apothicaire Fabius traversait le carnage avec le soin d’un vautour, en s’arrêtant ici et là pour quelques extractions macabres. Un groupe de guerriers le protégeait, et des homoncules hideux l’assistaient dans ses activités répugnantes, dont le fruit était confié derrière eux à une procession sanguinolente de porteurs d’organes.

Fulgrim n’était nulle part. Le somptueux primarque avait été aperçu pour la dernière fois au milieu de la destruction des Morlocks, mais même sans lui, ses guerriers combattaient avec une jouissance sauvage.

La victoire à portée de main, le Maître de Guerre apparut sur le théâtre de la bataille, entouré de Falkus Kibre et des Terminators de l’escouade Justaerin. Les derniers membres de son Mournival se joignirent à lui. Sa magnifique armure noire aux ornements ambrés prit une teinte sanglante au milieu des lueurs des feux.

Les champs de mort d’Istvaan V rougissaient eux aussi, du sang des loyalistes, dont la brave tentative de mettre fin à la rébellion d’Horus ne se résumait plus qu’à quelques Astartes blessés, luttant pour leurs derniers lambeaux d’honneur.

Ici et là, une résistance farouche réussit cependant à prendre le dessus sur les forces des traîtres, et quelques groupes de héros parvinrent à s’extraire du piège, en traînant leurs blessés avec eux vers les quelques navettes de descente restées en l’état de voler.

Une bande de Raven Guards traversa un cordon d’Emperor’s Children qui hurlèrent de plaisir lorsqu’ils furent abattus, trop immergés dans les sensations de leur douleur et de leur mort pour riposter. Un capitaine en armure noire emmenait cette percée, et lui ouvrit un chemin vers un Thunderhawk miraculeusement intact, ses guerriers transportant le corps grièvement blessé de leur primarque.

Il n’y avait aucun signe de Vulkan, dont les guerriers étaient cernés par les Night Lords et l’Alpha Legion. Une tempête de tirs de bolters s’abattait sur les braves combattants de Nocturne et les annihilait. Tous les Salamanders ne périrent pas de cette façon cruelle ; d’autres suivirent l’exemple de la Raven Guard et se frayèrent un couloir vers leurs appareils dans l’espoir de prendre la fuite.

Les quelques survivants des Iron Hands, privés du commandement de leur primarque, se rallièrent aux Salamanders, et une poignée des plus braves parvint à forcer le périmètre de ce massacre atroce. Mais de tels succès ne représentaient qu’une fraction infime de la bataille.

En quelques heures, la tuerie fut achevée, et l’effectif presque entier de trois légions complètes gisait en silence sur les sables torturés.

Les cieux autrefois gris de la planète étaient teintés d’orange par le reflet d’un millier de bûchers. Leur chaleur rayonnait sur le désert, et l’air était empli par les colonnes de fumée noire montant de la combustion des corps. Lucius regardait le blizzard de cendres tomber comme de la neige, et sortit la langue pour goûter à la saveur de ces flocons desséchés.

À côté de lui, le seigneur commandeur Eidolon, la peau cireuse et tendue sur ses traits, contemplait la crémation avec des yeux vitreux.

— Nous devons repartir bientôt, dit-il. Nous n’avons pas de temps à perdre avec ces rituels inutiles.

En son for intérieur, Lucius lui donnait raison, mais il garda son avis pour lui-même. Les milliers d’Astartes dévoués à Horus s’étaient rangés sur le désert de la dépression d’Urgall, rassemblés devant une grande estrade que les prêtres du Mechanicum avaient dressée incroyablement vite. Alors que le soleil commençait à s’enfouir derrière l’horizon, les plaques noires et lisses brillaient d’un reflet rouge.

La structure consistait en une série de disques de diamètre décroissant, empilés les uns sur les autres. Sa base faisait peut-être un kilomètre de large, conçue comme une tribune d’honneur où se tenaient les Sons of Horus, qui affirmaient ainsi leur position prééminente de légion du Maître de Guerre après cette grande victoire. Chacune d’eux portait une torche, dont la lumière jouait sur leurs armures.

Sur ce piédestal de flammes était posée une autre plate-forme occupée par les officiers supérieurs de la légion. Lucius apercevait la silhouette familière d’Abaddon à côté de celle d’Horus Aximand. Il ne reconnaissait pas les autres, mais son attention se focalisa plus haut avant de s’être interrogée sur leurs identités.

Au-dessus des officiers des Sons of Horus se tenaient les primarques.

Malgré la distance qui le rendait minuscule, la majesté d’un tel rassemblement était à couper le souffle. Sept personnages d’une puissance phénoménale étaient groupés sur l’avant-dernier niveau de l’estrade, leurs armures encore tachées du sang de leurs adversaires, leurs capes gonflées par le vent qui balayaient la dépression.

Lucius connaissait l’apparence d’Angron et de Mortarion depuis les jours sanglants d’Istvaan III, au cours desquels ils avaient démontré leur puissance à maintes reprises. Son propre primarque avait été pour Lucius une source d’inspiration depuis des décennies ; sur le podium, Fulgrim se tenait curieusement à l’écart de ses frères, comme par dédain envers eux.

Mais les autres… Il n’avait jamais vu les autres jusqu’à présent, et leur présence combinée projetait sur la plaine une admiration révérencieuse.

Lorgar des Word Bearers, qui n’était que récemment arrivé, se dressait fièrement de toute sa taille, sa cape rouge enroulée comme un linceul autour de son armure couleur granite. Alpharius lui aussi se tenait très droit, comme pour tenter d’égaler la stature de ceux qui l’entouraient. Perturabo, le visage austère, se tenait seul d’un côté, la lumière des feux se reflétant en rouge sur les plaques patinées de son armure. Celle de Night Haunter, striée d’éclairs, paraissait néanmoins plus sombre encore que le podium ; le crâne qui ornait le devant de son casque faisait une tache blanche au milieu des ombres qui l’enveloppaient.

L’étage supérieur de l’estrade, un haut cylindre écarlate, s’élevait enfin d’une centaine de mètres au-dessus des primarques. Le Maître de Guerre se tenait à son sommet, les gantelets levés en signe de salut. La fourrure de quelque grand animal lui pendait des épaules, et la lueur des bûchers se reflétait sur l’œil ambré de son plastron.

Une autre source de lumière cachée l’éclairait par le dessous : son éclat rouge lui donnait l’apparence d’une statue de héros légendaire, cependant qu’il contemplait la mer de ses fidèles du haut de cette plate-forme.

Quand le soleil finit par disparaître à l’horizon, un groupe d’appareils d’assaut survola les collines d’Urgall, en faisant osciller leurs ailes pour saluer leur puissant chef en dessous d’eux. Des vagues d’acclamations vinrent s’écraser contre l’estrade, des cris enthousiastes, montés de dizaines de milliers de gorges.

Lucius se sentit porté dans cet élan et ajouta sa voix au glorieux tumulte ; ses sens améliorés hurlaient de plaisir sous le volume de cette ovation. Les voix braillardes des Emperor’s Children retentissaient sur la plaine d’une manière curieuse, comme aucun cri que n’auraient dû pouvoir pousser des êtres de chair.

Les appareils volants étaient à peine passés au-dessus de leurs têtes que les Astartes se mirent à parader en cercle autour de l’estrade, leurs bras se levant et revenant frapper leur plastron en salut au Maître de Guerre. Un signal muet fit s’allumer une flamme sur la pente nord de la dépression, et une ligne phosphorescente se mit à serpenter, décrivant le contour d’un grand œil lumineux au flanc des collines.

L’adulation atteignit de nouveaux sommets alors que l’Œil d’Horus s’imprimait sur les sables d’Istvaan V. Les forces du Maître de Guerre s’enrouèrent la voix dans leur louange. Les chars superlourds tirèrent en l’honneur d’Horus, et la structure gigantesque du Dies Irae inclina la tête en signe de respect.

Les cendres des morts tombaient comme des confettis sur la grande armée du Maître de Guerre. Lucius sentit une immense détermination lui emplir la poitrine, et fit le vœu de ne jamais connaître de repos au service de la puissance qu’Horus représentait. Il serra fermement le manche de son épée, alors que les haut-parleurs mis en place dans le désert s’allumaient, et la voix de stentor du Maître de Guerre passa sur les Astartes.

— Mes braves guerriers ! lança Horus. Nous avons beaucoup fait, mais nous avons encore beaucoup à faire. Avec courage, force et clairvoyance, nous avons vaincu ceux qui comptaient nous empêcher de réaliser mon grand rêve, mais la victoire que nous avons obtenue ici comptera pour peu de chose si nous ne poursuivons pas sur cette lancée.

Horus leva au ciel les griffes de son gantelet et cria :

— La route de Terra nous est ouverte. Le moment est venu pour nous de porter la guerre jusqu’à l’Empereur dans sa forteresse la plus imprenable ! Nous allons immédiatement commencer les préparatifs pour l’invasion de Terra et l’offensive contre le palais impérial. Ne commettez pas d’erreur et il sera bientôt à nous, mes frères ! Ce ne sera pas une tâche facile, car l’Empereur et ses défenseurs aveuglés feront tout pour nous empêcher d’interférer avec ses projets d’accéder au rang d’une divinité. Nous devrons encore verser beaucoup de sang, le leur comme le nôtre, mais le prix à gagner est la galaxie entière.

Horus laissa le poids de cet enjeu imprégner pleinement l’esprit de ses Astartes avant de crier sur les étendues d’Istvaan V :

— Êtes-vous avec moi ?

Lucius se joignit aux acclamations qui s’élevèrent, et le cri de « Gloire à Horus ! Gloire à Horus ! » retentit longtemps sous le ciel éclairé.

À l’intérieur du donjon de la forteresse en ruine, les ombres jetées par la lumière des bûchers s’étendaient sur les dalles de basalte lisse. Des particules de poussière étaient suspendues dans l’air, décrochées du plafond et des murs par la vibration des réacteurs. L’armée du Maître de Guerre quittait la cinquième planète. Satisfait que tout se fût passé comme il le désirait, Horus regarda un nouvel escadron d’oiseaux d’assaut décoller dans un nuage de sable éclairé de bleu.

Ses frères primarques mobilisaient leurs forces pour l’invasion de l’espace impérial, et Horus avait maintenant la certitude que chacun d’entre eux comprenait la nécessité d’obéir sans question à ses ordres. En tant que Maître de Guerre, les forces de l’Imperium avaient été sous son contrôle absolu, de la plus grande flotte de cuirassés au dernier fantassin de l’Armée Impériale, mais d’avoir vu une telle puissance Astartes rassemblée devant lui avait été une vraie source d’inspiration.

Il n’avait pas assisté à un tel regroupement de héros depuis Ullanor, et son humeur s’envenima quand il repensa à nouveau à ce monde peau-verte dévasté et à la dernière fois qu’il avait vu son père. Le temps avait passé, et lui avait révélé beaucoup de choses qui lui étaient cachées. Néanmoins, l’impression que les choses allaient trop vite pour qu’il pût réellement les contrôler le tourmentait dans un recoin de son esprit.

Il se détourna de la fenêtre et se versa une coupe de vin en levant le pichet de bronze posé sur une table proche. Il draina le vin d’une seule gorgée et remplit une seconde fois sa coupe alors quelques coups rapides étaient frappés à l’entrée de la salle.

Horus releva les yeux. Son humeur s’aigrit davantage quand il vit Fulgrim se tenir sur le seuil, tenant devant lui une boîte incrustée d’or.

Lui et son frère avaient autrefois partagé un lien de fraternité aussi resserré qu’il pouvait l’être, mais au fil des années écoulées depuis qu’ils avaient combattu ensemble, quelque chose avait changé. Fulgrim avait été un parangon de perfection. Il semblait maintenant se contenter de savourer les sensations de la bataille et de ses poussées d’adrénaline, plutôt que d’appliquer son talent avec toute la précision qui avait été la sienne.

Son frère portait son armure de bataille dont les plaques étaient redevenues luisantes, comme neuves, comme s’il n’avait jamais posé le pied sur un champ de bataille. Une longue cape d’écailles dorées lui pendait des épaules, et son plastron recouvrait une chemise de mailles scintillantes. Ce qui avait jadis été une magnifique armure complète ressemblait maintenant à un costume d’acteur.

— Maître de Guerre, dit Fulgrim.

Horus décela une subtile différence dans le ton de son frère, une nuance si légère qu’elle aurait échappé à tout autre que lui. Il leva la coupe à ses lèvres et but une gorgée de vin, en faisant signe à Fulgrim d’entrer.

— Tu m’as demandé une audience privée, dit-il. Qu’y avait-il de si important pour que tu ne puisses pas me le dire devant nos frères ?

Fulgrim sourit et s’inclina avant d’ouvrir la boîte qu’il avait avec lui.

— Très estimé seigneur et maître d’Istvaan, je t’ai amené une prise de guerre.

Il plongea la main dans la boîte et souleva son trophée récupéré sur le champ de bataille. Horus ressentit un frisson d’horreur fugace en découvrant la tête tranchée de Ferrus Manus.

La peau était grise et morte. Les yeux argentés de son frère d’antan lui avaient été arrachés de ses orbites à vif, sa mâchoire pendait, et quelques éclisses d’os dépassaient de l’endroit où le côté de son crâne avait été enfoncé.

Ferrus était devenu un ennemi, mais de voir sa chair profanée d’une façon si brutale était répugnant. Horus prit cependant soin de dissimuler ses impressions.

D’un geste désinvolte du poignet, Fulgrim jeta la chose sanglante aux pieds d’Horus. La tête de Ferrus Manus roula sur le sol noir, et s’arrêta le visage tourné en l’air, ses orbites ravagées jetant leur accusation aveugle vers le Maître de Guerre.

Horus releva les yeux et posa son regard sur Fulgrim. Il retrouva chez lui l’insouciance qui l’avait rendu furieux quand son frère était revenu sans avoir réussi à rallier à eux le primarque des Iron Hands.

Pour autant qu’il lui en coutât, il savait devoir le congratuler.

— Je te félicite. Tu as tué un de nos plus grands ennemis, comme tu as dit que tu le ferais, mais je ne vois toujours pas pourquoi il te fallait une audience privée pour me présenter ceci. Tu aurais sûrement préféré que nos frères profitent de ton triomphe.

Fulgrim commença à s’esclaffer. Mais le rire de son frère avait une tonalité qui inquiéta Horus quand il se rappela où il avait déjà entendu une telle malveillance sans âge… Dans la voix de Sarr’kell, l’entité qu’Erebus avait invoquée à bord du Vengeful Spirit.

— Fulgrim, explique-toi, lui réclama-t-il.

Le primarque des Emperor’s Children fit « non » de l’index.

— Avec tout mon plus grand respect, puissant Horus, tu ne t’adresses plus à Fulgrim.

Horus fixa les yeux sombres de son frère, en regardant au-delà de l’arrogance et de la supériorité. Des ténèbres avaient empli son âme. Des ténèbres anciennes, qui s’étaient extraites de l’agonie d’une race mourante pour naître dans un grand cri.

Leur existence était aussi vieille que l’espace et aussi fraîche que le lever du jour. Leur essence était immortelle, et leur potentiel de malveillance infini.

— Vous n’êtes pas Fulgrim, lâcha Horus, soudain inquiet de la présence de cet intrus.

— Non, reconnut la chose qui portait le visage de son frère.

— Alors qui êtes-vous, un espion ? Un assassin ? Si vous êtes là pour me tuer, je vous avertis que je ne suis pas aussi faible que Fulgrim. Je vous briserai avant que vous ayez pu poser la main sur moi !

Fulgrim haussa les épaules et jeta la boîte, qui fit du bruit en tombant au sol près de la tête de Ferrus. En signe d’avertissement, Horus laissa les griffes énergétiques glisser hors de son gantelet.

— Peut-être parviendrais-tu à me vaincre, dit Fulgrim en traversant la salle pour se servir une coupe de vin, mais je n’ai aucunement le désir de nous imposer l’épreuve d’un combat aussi stérile et inutile. Au contraire, je suis venu pour prêter allégeance à ta cause.

Horus jeta un regard à la hanche de Fulgrim, et se détendit en constatant que cette chose qui avait l’apparence de son frère était venue sans arme. Quel que fut le but de ce déguisement, elle n’était pas venue pour faire œuvre de violence.

— Vous n’avez toujours pas répondu à ma question, dit Horus. Qui êtes-vous ?

Fulgrim sourit et se lécha les lèvres d’un long mouvement de langue.

— Qui suis-je ? Je croyais que cela paraîtrait évident à quelqu’un qui a déjà eu affaire à d’autres créatures de ma sorte.

À nouveau, Horus fut pris du même frisson qu’il avait ressenti quand le seigneur des Ombres s’était manifesté entre les murs de pierre de la loge, au cœur de son vaisseau-amiral.

— Vous êtes une créature du Warp ? demanda-t-il.

— Oui. Ce que ton langage déficient pourrait appeler un « démon » ; le terme est inexact, mais il suffira bien. Je suis un humble serviteur du Prince du Chaos, un émissaire venu t’aider dans ta petite guerre.

Horus sentait sa colère s’accroître à chaque syllabe condescendante qui franchissait les lèvres de cette impudente créature, qui avait usurpé le corps d’un de ses lieutenants. Le destin de la galaxie était en jeu, et l’entité osait qualifier cette guerre de « petite ».

La chose-Fulgrim se détourna de lui et arpenta la longueur de la salle, comme si jamais elle n’en avait vu de semblable.

— Je me suis accaparé cette enveloppe mortelle et je dois admettre qu’elle me plait énormément. Les sensations que l’on peut éprouver en revêtant une chair sont passablement uniques, même si j’ose dire qu’il faudra que je procède à quelques altérations de ce corps en temps voulu.

Horus sentit sa peau se hérisser à l’idée d’une chose aussi révoltante.

— Et Fulgrim, où est-il ?

— Ne crains rien, s’amusa la créature du Warp. Nous avons une longue histoire commune, Fulgrim et moi, et je ne souhaite certainement pas qu’il lui arrive de mal. Pendant un certain temps, j’ai été sa conscience, je l’ai calmement conseillé aux petites heures de la nuit ; je l’ai enjôlé, réconforté, et j’ai dirigé le cours de ses actes.

Horus regardait le démon faire courir ses mains sur les murs de la salle, en fermant les yeux pour apprécier la texture rugueuse de la pierre.

— Vous avez dirigé le cours de ses actes ? l’incita-t-il à poursuivre.

— Oh, oui ! s’exclama la créature du Warp. Je l’ai convaincu qu’il ne devait pas douter de tes actions. Il a résisté, bien sûr, mais je peux me montrer très persuasif.

— C’est vous qui l’avez poussé à me rejoindre ?

— Bien entendu ! Crois-tu vraiment que tu sois si bon orateur ? gloussa le démon. C’est moi que tu dois remercier pour avoir biaisé sa perception et pour avoir joint ses forces aux tiennes. Sans moi, il se serait précipité vers l’Empereur pour lui révéler ta trahison imminente.

— Et vous estimez que je vous dois quelque chose en retour, n’est-ce pas ? demanda Horus.

— Pas du tout. Car en fin de compte, Fulgrim était faible, trop faible pour terminer ce que ses propres désirs l’avaient fait commencer, expliqua la créature. C’est son obsession qui l’a fait porter le coup de grâce à son frère, mais ce coup n’aurait jamais terminé sa course sans mon aide. Je n’ai fait que lui donner la force de faire ce qu’il voulait.

— Mais où est-il, maintenant ?

— Je t’ai déjà répondu, Horus. La douleur de ce qu’il avait fait s’est avérée trop grande pour que Fulgrim la supporte. Il m’a supplié de l’aider à mettre un terme à son existence. Mais je ne pouvais pas le détruire, cela aurait été trop vulgaire. Au lieu de cela, je lui ai offert la paix éternelle, mais pas de la façon dont il la souhaitait, j’en ai peur.

— Est-ce que Fulgrim est mort ? Répondez-moi !

— Oh, non, sourit le démon. Il posa contre sa tempe l’ongle pointu d’un long doigt étiré. Il est ici, à l’intérieur de moi, parfaitement conscient de tout ce qui arrive, même si je suppose qu’il ne doit pas être très heureux d’être confiné dans les profondeurs de son âme.

— Vous vous êtes déjà emparé de sa chair, grogna Horus en faisant un pas menaçant vers le démon-Fulgrim. S’il ne vous est plus utile, laissez-le mourir.

Le démon secoua la tête avec un sourire amusé.

— Non, Horus, je ne vais pas le faire, car ses cris me sont une grande distraction. Mes discussions avec lui me procurent beaucoup d’amusement, et je ne crois pas que je pourrais m’en lasser un jour.

Horus ne ressentait rien d’autre que de la révulsion devant le destin qu’avait connu son frère, mais se força à mettre son dégoût de côté. Après tout, le démon ne lui avait-il pas déjà juré allégeance ? Ces créatures possédaient une grande puissance, et de leur révéler que leur primarque était comme mort lui aurait certainement coûté la loyauté des Emperor’s Children.

— Vous pouvez disposer de Fulgrim pour le moment, dit Horus. Mais votre identité doit rester un secret pour tous les autres, ou je jure que je vous détruirai.

— Comme tu le souhaites, puissant Maître de Guerre, dit le démon-Fulgrim en s’inclinant d’une façon inutilement ostentatoire. Je n’avais pas particulièrement l’intention de révéler ma nature aux autres. Ce sera notre petit secret.

Horus acquiesça, mais en se jurant en silence de libérer son frère aussitôt qu’il le pourrait. Personne ne méritait de connaître un tel sort.

Mais quel genre de pouvoir pourrait détruire un démon ?

L’espace orbital d’Istvaan V était aussi encombré que les installations d’amarrage autour des bases de Luna. Les flottes de huit légions se rangeaient en formation avant de transiter vers le point de saut du système. Plus de trois mille vaisseaux se bousculaient au-dessus de la planète assombrie, leurs soutes chargées de guerriers dévoués au Maître de Guerre. Les chars et les machines de guerre avaient été remontés de la planète avec une incroyable efficacité. Une armada plus grande que toutes celles de l’histoire de la Grande Croisade allait porter les flammes de la guerre vers le cœur de l’Imperium.

Les flottes d’Angron, de Fulgrim, de Mortarion, de Lorgar et la propre légion du Maître de Guerre se rejoindraient autour de Mars, à présent que la nouvelle de la chute de la planète entre les mains des partisans d’Horus leur était parvenue par l’intermédiaire de Regulus. Les manufactures de Mondus Gamma et de Mondus Occullum ayant été soustraites au contrôle des forces de l’Empereur, les forges de Mars étaient désormais libres d’approvisionner l’armée du Maître de Guerre.

Les guerriers de l’Alpha Legion avaient été désignés par Horus pour une mission vitale, de laquelle pouvait dépendre le succès de toute l’entreprise. L’information leur était parvenue que les Space Wolves opéraient dans la région de Prospero après leur attaque contre les Thousand Sons. À proximité, dans le système de Chondax, les White Scars de Jaghatai Khan avaient certainement été informés de la rébellion d’Horus et chercheraient sans doute à rallier les Space Wolves. Horus ne pouvait permettre l’apparition d’une telle menace. Les troupes d’Alpharius allaient donc traquer et attaquer ces légions avant qu’elles ne pussent joindre leurs forces.

La flotte de Night Haunter était déjà partie, pour la planète de Tsagualsa, un monde isolé de la Bordure Orientale, dans l’ombre d’une grande ceinture d’astéroïdes. De là, les unités des Night Lords pourraient mener une campagne génocide contre les bastions impériaux de Heroldar et Thramas, des systèmes qui, s’ils n’étaient pas pris, laisseraient la frappe contre Terra vulnérable à une attaque de flanc. Le système de Thramas revêtait une importance particulière, car il s’y trouvait un certain nombre de mondes-forges du Mechanicum demeurés loyaux à l’Empereur.

Les croiseurs des Iron Warriors se préparaient à accomplir le périple jusqu’au système de Phall, où une large flotte de vaisseaux Imperial Fists se regroupait après une tentative ratée de rejoindre Istvaan V. Les guerriers de Dorn n’avaient de fait pas été présents lors du massacre de leurs alliés, et le Maître de Guerre ne pouvait laisser une force aussi puissante libre de ses mouvements. L’inimitié entre Perturabo le taciturne et Dorn le fier était bien connue, et c’était avec une grande satisfaction que les Iron Warriors partaient pour cette bataille.

Ses flancs étaient protégés, et les forces susceptibles d’arriver en renfort au cœur de l’Imperium seraient bientôt trop occupées à se défendre. Les portes de Terra lui étaient grandes ouvertes.

Une par une, les flottes de la coalition du Maître de Guerre s’élancèrent dans le long voyage qui s’achèverait devant la planète d’où la Grande Croisade était partie. Les vaisseaux de chaque légion rétrécirent jusqu’à ne plus être que de petits points argentés dans l’espace, avant de disparaître totalement.

Bientôt, seuls les Sons of Horus demeurèrent en orbite au-dessus d’Istvaan V.

Depuis le strategium du Vengeful Spirit, le Maître de Guerre contemplait le globe sombre, par la baie vitrée circulaire qui dominait son trône. Son expression resta impénétrable lorsque recula la courbure elliptique de la planète.

Un bruit de pas le fit se retourner. Maloghurst arrivait vers lui de sa démarche boiteuse, une plaque de données à la main.

— Que m’amènes-tu, Mal ? demanda Horus.

— Une transmission, monseigneur, répondit son écuyer.

— De qui ?

Maloghurst sourit.

— Elle nous vient de Magnus le Rouge.

La Fenice était dévastée. Le démon qui s’était emparé du corps du Fulgrim marchait au milieu des décombres de la dernière et plus grande représentation de Bequa Kynska, en souriant au souvenir des scènes de destruction et de luxure qui s’étaient jouées ici. La lumière d’une poignée d’ampoules de la rampe vacillait dans la pénombre à l’avant du proscenium. L’air sentait le sang et la débauche. Les fluides avaient rendu collant le sol parsemé d’ossements.

La puissance du Prince du Chaos s’était déversée dans ce théâtre, avait pénétré chaque être vivant qui s’y trouvait, et brisé les barrières d’inhibition entre leurs désirs et leurs actes.

En vérité, cela avait bien été une représentation formidable. Les incarnations mineures de son maître avaient festoyé dans cet excès de sensations avant d’abandonner leur chair d’emprunt et de s’en retourner dans le Warp.

Tout autour de lui se trouvaient les signes que la puissance de son maître avait été libérée : les restes d’une dépouille outragée, un chef-d’œuvre de sang et d’immondice étalés sur le mur, une sculpture charnelle formée d’une multitude de morceaux humains.

Extérieurement, le démon ressemblait toujours au corps qu’il avait volé, mais des indices laissaient déjà entendre que cette chair se remodèlerait bientôt pour adopter une forme qui lui conviendrait mieux. Une aura de pouvoir faisait vibrer l’air autour de lui, et sa peau brillait doucement d’une vague luminosité intérieure.

Le démon fredonna les quelques notes d’ouverture de la Maraviglia et tira l’épée qu’il portait au côté. La garde dorée brillait sous l’éclat tremblotant des ampoules. Il avait récupéré l’anathame dans l’atelier d’Ostian Delafour, surpris et amusé de trouver un autre corps empalé sur la pointe redoutable. L’enveloppe de chair flétrie était à peine reconnaissable comme ayant été Serena d’Angelus, mais le démon avait honoré son cadavre des indignités les plus sublimes avant de rejoindre la Fenice.

Il leva l’épée devant son visage. L’âme torturée de Fulgrim, prisonnière derrière ses yeux, se reflétait sur la surface miroitante de la lame. Le démon entendait ses cris pitoyables résonner à l’intérieur de son crâne. Le désespoir de chacun de ses hurlements tourmentés était la plus douce musique qui fut.

Il s’en délecta, et resta un moment à savourer les fruits de son influence sur Fulgrim. Les fous qui servaient au sein de la 3e légion ne se doutaient pas que leur commandant bien-aimé griffait devant leurs yeux les murs de la prison qui le retenait.

Seul cet épéiste, Lucius, semblait avoir réalisé quelque chose d’anormal, mais sans rien en dire. Le démon avait senti le contact du Warp commencer à bourgeonner à l’intérieur de ce guerrier. Il lui avait donc offert la lame d’argent à laquelle les laers avaient lié un fragment de son essence. Bien que son esprit eût maintenant quitté l’arme, une certaine puissance y était restée, une puissance qui rendrait Lucius plus fort dans les années de tueries à venir.

La perspective de ces tueries fit sourire le démon. Il s’imagina ce que ce corps volé lui permettrait d’accomplir. Des sensations qu’il ne pouvait jadis que s’imaginer allaient devenir bien réelles dans ce royaume de la matière. Toute une galaxie de sang, de lasciveté, de colère, de peur, d’extase et de désespoir l’attendait sur la route de Terra. Une profusion d’âmes était aux ordres du Maître de Guerre ; et lui, qui disposait du commandement de toute une légion, de quels sommets de sensations allait-il faire l’expérience ?

Le démon approcha de l’avant de la scène, et leva les yeux vers le grand portrait suspendu au-dessus des gravats qui recouvraient les planches. Malgré la faible lumière, la majesté de ce tableau était palpable.

Un glorieux cadre d’or retenait la toile, et le démon admira la merveilleuse perfection de l’œuvre. Alors que cette image avait été auparavant une émeute de couleurs criardes, dont l’aspect frappait d’horreur les mortels qui osaient la contempler, elle traduisait à présent la beauté la plus pure.

Dans sa merveilleuse armure de pourpre et d’or, Fulgrim était représenté devant les grandes portes de l’Héliopole, les ailes embrasées d’un grand phénix déployées derrière lui. La lueur de l’oiseau légendaire tombait sur son armure, dont chaque plaque polie
semblait briller à la chaleur du feu, et sa chevelure avait l’apparence d’une cascade d’or.

Le primarque des Emperor’s Children avait été peint avec amour, dans le plus parfait détail, le travail de l’artiste ayant su capturer toute la grandeur et l’éclat qui faisait sa beauté. Le démon savait qu’aucun guerrier d’une plus grande prestance n’avait jamais existé ou n’existerait jamais. Un seul regard posé sur un tel échantillon de talent pictural suffisait à convaincre que le merveilleux existait toujours dans cette galaxie.

Le Fulgrim du tableau regardait vers les ruines du théâtre et vers le monstre qui l’avait dépossédé de son enveloppe mortelle. Le démon se délecta de lire l’horreur dans ses yeux, une horreur qu’aucun artiste ne serait parvenu à reproduire. Une souffrance parfaite, exquise, brûlait dans le regard du portrait. Alors que le démon rangeait l’anathame à sa ceinture et s’inclinait devant la scène silencieuse, les puits sombres des yeux peints semblaient suivre le moindre de ses mouvements.

Le démon tourna le dos au portrait pour regagner la porte du théâtre. Les dernières ampoules de la rampe grésillèrent et moururent, laissant le dernier phénix à jamais dans l’obscurité.