VINGT-TROIS

La bataille d’Istvaan V

Le capitaine Balhaan se tenait immobile à son lutrin de commandement, en s’efforçant de contenir sa respiration malgré la présence des trois figures majestueuses rassemblées sur le pont du Ferrum. Le révérend de fer Diederik se tenait au poste de timonerie, lui aussi subjugué par les silhouettes des trois primarques qui débattaient de la meilleure façon de détruire les forces présentes sur Istvaan V. Ses lectures d’anciens ouvrages historiques lui permettaient de connaître le charisme supposé d’anciens personnages de légende, Hektor le brave, le puissant Alexendr et le sublime Torquil.

Certains récits évoquaient comment les hommes avaient été frappés par leur majesté ; ces héros étaient alors décrits en termes hyperboliques, clairement exagérés afin d’amplifier leur réputation. Balhaan avait considéré la plupart de ces témoignages comme des fabrications ampoulées, jusqu’à ce que la vue d’un primarque lui eût fait comprendre qu’ils contenaient peut-être un fond de vérité. Mais de voir trois d’entre eux rassemblés devenait indescriptible. Les seuls mots ne pouvaient espérer transcrire l’admiration qu’il ressentait devant des guerriers si parfaits, qui se trouvaient présentement sur le pont de son vaisseau.

Dans son armure d’un noir fuligineux, Ferrus Manus dépassait ses frères d’une tête. Il faisait les cent pas, tel un lion méduséen en cage, dans l’attente des nouvelles de sa légion ; l’un de ses poings argentés frappait dans son autre paume, et dans le moindre de ses gestes, Balhaan percevait son besoin urgent de partir affronter les traîtres.

À côté du premier primarque, large et puissamment musclé, Corax de la Raven Guard était plus élancé. Son armure était elle aussi noire, mais semblait parfaitement mate, avalant toute lumière qui osait se poser sur elle. La bordure blanche de ses épaulières était faite d’ivoire pâle, et de grandes ailes de plumes sombres se dressaient de part et d’autre de ses traits aquilins. Ses yeux étaient deux charbons meurtriers. De longues serres d’argent brillant prolongeaient ses gantelets. Jusqu’à présent, le primarque de la Raven Guard n’avait rien dit, mais Balhaan avait entendu dire de Corax qu’il était un guerrier taciturne, préférant garder son opinion pour lui tant qu’il n’avait pas d’avis important à donner.

Le troisième primarque était Vulkan, des Salamanders, un frère avec lequel Ferrus Manus partageait une grande amitié, car tous deux étaient des artisans autant que des guerriers. Vulkan avait la peau noire, et la sagesse que convoyait son regard forçait à l’humilité les plus grands érudits de l’Imperium. Son armure était d’un vert marin, bien que chaque plaque de céramite fût embellie par des représentations de flammes formées d’une profusion d’éclats de quartz colorés. L’une de ses épaulières était faite du crâne d’une salamandre géante, supposée être celle que Vulkan avait traquée lors du concours qui l’avait opposé à l’Empereur des centaines d’années plus tôt, tandis que sur l’autre était drapée un long manteau d’écailles dures comme le fer, prises sur le cuir d’un autre des grands reptiles de Nocturne.

Vulkan portait une arme magnifiquement réalisée, à chargement par le haut, et dont le canon perforé avait la forme d’une tête de dragon. Balhaan avait entendu parler de cette arme, son coffrage d’or et d’argent ayant été façonné par Ferrus Manus pour son frère bien des années plus tôt. Balhaan avait vu son primarque l’offrir de nouveau à Vulkan, et avait partagé sa grande fierté quand le surhomme à la peau noire l’avait acceptée en promettant de s’en servir lors de la bataille à venir.

Se tenir aussi près de tels parangons guerriers était pour Balhaan un honneur que jamais rien n’égalerait. Il se résolut à retenir tous les détails de cet instant, et à les consigner du mieux qu’il le pourrait, afin de faire savoir aux futurs capitaines du Ferrum quelle gloire avait été accordée à leur vaisseau en des temps passés.

Balhaan avait poussé son équipage jusqu’à ses limites pour atteindre le système d’Istvaan avec une telle célérité. Ils étaient arrivés pour s’apercevoir que s’y trouvaient déjà les flottes de la Raven Guard et des Salamanders. Une reconnaissance discrète avait identifié les positions ennemies, et les primarques avaient cartographié les zones d’atterrissage ainsi que les schémas d’attaques optimaux. Néanmoins, sans les autres légions chargées de mater la rébellion d’Horus, rien ne pouvait encore être accompli.

Avoir atteint leur destination et ne pas pouvoir accomplir la volonté de l’Empereur constituait une frustration suprême, mais même Ferrus Manus, dans sa rage, avait accepté de reconnaître qu’ils ne pouvaient pas vaincre les forces du Maître de Guerre sans soutien.

Le Ferrum hébergeait dix compagnies des Morlocks, les guerriers les plus redoutables et les plus expérimentés de la légion, et Balhaan savait que les troupes qui se retrouvaient face aux Terminators, quelles qu’elles fussent, n’y survivraient pas. Les Iron Hands enverraient les vétérans de leur légion livrer les assauts initiaux ; pour Balhaan, une telle décision n’était que juste. Emmenés par Gabriel Santar, les Morlocks avaient hâte de mettre la main sur les Emperor’s Children, et de leur faire payer le meurtre déshonorable des leurs dans l’Enclumarium du Fist of Iron.

Le reste de la 52e expédition allait rejoindre le Ferrum, mais la date de leur arrivée dans le système était inconnue, et chaque seconde de retard que prenait leur offensive offrait du temps aux traîtres pour fortifier leurs positions.

Les légions de Corax et Vulkan étaient prêtes à commencer leur attaque sur Istvaan V. Le maître astropathe Cistor n’avait toutefois reçu aucune nouvelle des frères de Ferrus Manus à la tête des Word Bearers, des Night Lords, des Iron Warriors et de l’Alpha Legion.

— Toutes les unités sont-elles parées et en place ? demanda Ferrus Manus sans détourner les yeux de l’écran d’affichage. Balhaan hocha la tête.

— Oui, monseigneur.

— Toujours pas de nouvelle du reste des légions ?

— Aucune, monseigneur, répondit Balhaan en vérifiant néanmoins la ligne de liaison avec les chœurs des quelques astropathes survivants. Le même rituel se répétait toutes les quelques minutes, alors que Ferrus Manus piaffait d’impatience de donner l’ordre d’offensive. L’attente paraissait interminable pour tous les guerriers qui brûlaient de riposter contre ceux dont la trahison avait terni l’honneur de leurs frères.

L’écoutille du pont glissa sur son rail, et une paire de Terminators morlocks entra, suivie par la silhouette frêle de l’astropathe Cistor.

À peine eut-il mis le pied sur la passerelle de commandement que Ferrus Manus le rejoignit, et ses mains saisirent les épaules de l’astropathe dans leur poigne accablante.

— Quelles nouvelles des autres légions ? lui réclama-t-il en tenant ses traits anguleux et ses yeux argentés à quelques centimètres de ceux de Cistor.

— Monseigneur, j’ai personnellement reçu les communications de vos frères, dit celui-ci, en se tortillant sous les mains du primarque.

— Et ? Dites-moi s’ils sont en route ! Pouvons-nous commencer l’attaque ?

— Ferrus, l’interpella Corax. Sa voix était douce mais chargée d’autorité. Tu vas l’écraser avant qu’il n’ait dit quoi que ce soit. Lâche-le.

Ferrus expira lentement, et s’écarta de l’astropathe tremblant alors que Vulkan s’approchait.

— Dites-nous ce que vous avez entendu.

— Les Word Bearers, l’Alpha Legion, les Iron Warriors et les Night Lords ne sont plus qu’à quelques heures de nous, seigneur Vulkan, dit calmement Cistor. Ils quitteront le Warp à proximité de la cinquième planète.

— Oui ! se réjouit Ferrus en serrant le poing, et il se tourna vers les autres primarques. L’honneur de verser le premier sang nous appartient, mes frères. Offensive planétaire totale.

L’enthousiasme de Ferrus était communicatif, et Balhaan sentit son sang s’échauffer de savoir que le châtiment de l’Empereur frapperait bientôt les traîtres. Son primarque se remit à arpenter le pont en donnant des instructions à ses frères.

— Les Morlocks et moi allons assurer l’avant-garde, dit Ferrus. Corax, ta légion doit s’emparer du flanc droit de la dépression d’Urgall puis pousser vers le centre. Vulkan, le flanc gauche est à toi.

Les primarques acquiescèrent à ses paroles, et Balhaan se rendit compte que Corax, malgré sa nature stoïque, chérissait la perspective d’aller détruire l’ennemi qui les attendait en bas.

— Les autres légions devront nous rejoindre dès leur sortie du Warp. Elles sécuriseront le site d’atterrissage et viendront nous soutenir.

Les yeux de Ferrus luisaient d’une flamme magnésique. Il serra la main à ses frères et se tourna pour s’adresser à l’équipage.

— Les traîtres ne s’attendent pas à nous voir attaquer si tôt. Nous avons l’avantage de la surprise ; que l’Empereur nous maudisse si nous n’en tirons pas profit !

Les forces du Maître de Guerre n’avaient pas gaspillé le temps d’inaction imposé à Ferrus Manus. Depuis leur arrivée sur Istvaan V, huit jours plus tôt, les guerriers des World Eaters, de la Death Guard, des Sons of Horus et des Emperor’s Children étaient déployés dans les défenses édifiées le long de la crête de la dépression d’Urgall, et se tenaient prêts pour la tourmente qui devait bientôt s’abattre sur eux. Derrière eux, les escouades de soutien à longue portée occupaient les remparts de la forteresse, et les pièces d’artillerie de l’Armée attendaient de faire pleuvoir une mort explosive sur les assaillants.

Le Dies Irae se tenait devant le mur, ses canons colossaux armés, parés à anéantir les ennemis du Maître de Guerre, le princeps Turret ayant personnellement fait serment de s’amender pour la trahison d’une partie de son équipe de pilotage pendant la bataille d’Istvaan III.

Près de trente mille Astartes étaient postés sur le bord nord de l’Urgall, leurs armes au côté, leurs cœurs préparés à la nécessité de ce qui devait advenir.

Les cieux formaient toujours la même voûte continue de nuages gris ardoise, et le seul son à briser le mugissement spectral du vent était le grattement du métal sur le métal. Une impression de solennité historique flottait sur le désert noir, comme si tous ceux rassemblés savaient que ces instants de calme étaient les derniers sur ce qui serait bientôt un champ de bataille sanglant.

Le premier signe d’alerte vint quand un éclat d’un orange terne s’intensifia derrière les nuages, baignant l’Urgall d’une lumière ardente. Puis vint le bruit : un grondement sourd, qui passa d’une note basse et vibrante à un sifflement aigu.

Les alarmes retentirent et les nuages furent crevés par des traits de lumière qui tombèrent au travers en une cascade de feu. Des explosions tonitruantes frappèrent le long de la crête, et sur toute sa longueur, les troupes du Maître de Guerre furent prises dans un bombardement brûlant.

Pendant de longues minutes, les forces de l’Empereur pilonnèrent l’Urgall depuis l’orbite. Un orage de tirs d’une férocité inimaginable martela la surface d’Istvaan V avec la puissance d’un cataclysme. Enfin, le bombardement cessa et l’écho de sa violence s’éteignit, en même temps que se dissipait la fumée âcre des explosions. Les Emperor’s Children s’étaient impeccablement chargés de constituer un réseau de défenses depuis lequel faire face à leurs frères de naguère. Les forces du Maître de Guerre avaient été bien protégées.

Depuis sa position culminante à l’intérieur du donjon, celui-ci souriait, et regardait le ciel s’assombrir à nouveau, alors que des milliers et des milliers de modules d’atterrissage traversaient l’atmosphère vers la surface de la planète.

Il se tourna vers la figure belliqueuse d’Angron et celle, glorieuse, de Fulgrim.

— Retenez bien ce jour, mes amis. Les loyalistes courent vers leur perte.

Le bruit était effroyable, un grondement de flammes sans fin qui changea l’intérieur du module d’atterrissage en un four d’une chaleur étouffante. Seules les plaques de céramite de leurs armures permettaient aux Astartes de lancer une attaque de cette manière, et Santar savait que leur offensive éclair surprendrait les traîtres au moment où ceux-ci étaient les plus vulnérables, tant qu’ils se remettaient encore du tir de barrage orbital.

Ferrus Manus était assis en face de lui, une épée encore peu familière posée en travers des genoux, et les feux de leur descente se reflétaient dans l’argent de ses yeux. Le reste du module était occupé par trois autres des Morlocks, les meilleurs guerriers de la légion, et le fer sanglant de la lance qui serait enfoncée dans les organes vitaux de l’ennemi.

Le ciel devait être saturé de modules au-dessus de la dépression d’Urgall. Les forces combinées de trois légions fendaient les airs pour exercer leur vengeance sur leurs frères de jadis. Santar ressentait le puissant désir d’exterminer les traîtres du Maître de Guerre à chaque souffle que prenait le châssis respiratoire bionique de son torse.

— Dix secondes avant impact, cria l’unité vocale automatisée.

Santar se raidit et s’adossa fortement contre l’axe central du module. Les servomoteurs de son armure Terminator se verrouillèrent en préparation du choc colossal. Au-dehors des pétales blindés du module, il entendait les explosions qu’il reconnut comme le tir des batteries ennemies. Il paraissait pourtant inconcevable qu’un quelconque adversaire eut survécu au bombardement initial.

La secousse des rétropropulseurs, suivie du coup de marteau de l’atterrissage, tendit son harnais de maintien, mais Santar était rompu à ce mode d’assaut et habitué à la violence d’une telle décélération. À peine le module eut-il touché terre que ses rivets explosifs éclatèrent, et les panneaux calcinés basculèrent vers l’extérieur. Le harnais s’ouvrit et Santar s’élança à la surface d’Istvaan V.

La première vue qui s’offrit à lui fut celle d’un brasier gigantesque, les flammes des milliers de modules transformant le ciel gris en un tissu de stries et de fumée. Les explosions des obus d’artillerie remontaient la plaine, et des corps en armure étaient réduits en pulpe par leurs ondes de choc. La crête qui lui faisait face était baignée de tirs, dont les trajectoires croisées se répondaient alors que les milliers d’Astartes se livraient à une fusillade intense.

— En avant ! cria Ferrus Manus, et il partit vers la crête. Santar et les Morlocks le suivirent dans le tourbillon dément de la bataille, en s’apercevant que l’essentiel de l’effectif des Iron Hands était tombé en plein cœur des défenses ennemies. Le désert noir brûlait des conséquences du bombardement. Les vestiges des bunkers éventrés, des redoutes, et les tranchées effondrées témoignaient encore de sa puissance.

Près de quarante mille Astartes loyalistes luttaient le long de l’arête d’une crête, devant les murs d’une ancienne forteresse, la vitesse et la férocité de leur assaut ayant pris les renégats au dépourvu. Malgré les filtres sensoriels de son armure, le bruit de la bataille était effarant : échanges de feu, explosions et cris de haine.

Les flammes de la guerre éclairaient les nuages au-dessus d’elles, et les décharges de lasers à haute énergie traversaient le champ de bataille. Le sol tremblait sous le pas d’un léviathan furieux, à mesure que le Dies Irae traversait les salves de missiles et de tirs, ses batteries ouvrant de grands sillons parmi les rangs des loyalistes. Des soleils miniatures éclatèrent sur le désert : l’armement à plasma du Titan y creusait des cratères de centaines de mètres de diamètre, pulvérisant d’un seul tir des centaines d’Astartes et vitrifiant le sable noir.

Jetant des renégats au sol à l’aide de ses poings luisants, ou les abattant sous les projectiles énormes de son pistolet ornementé, Ferrus Manus ressemblait à un dieu de la guerre. L’épée qu’il avait amenée était encore à sa ceinture, et Santar se demanda presque pourquoi le primarque s’était donné la peine de l’emporter.

Une centaine de traîtres émergèrent d’un complexe de tranchées dévastées, un mélange de Death Guards et de Sons of Horus. Ses griffes parcourues d’étincelles glissèrent hors de ses gantelets ; au milieu de la confusion de la bataille, Santar voulait saisir cette chance de faire couler le sang. Les traîtres tinrent leur terrain, le bolter plaqué à la hanche, et furent bientôt percutés par les Iron Hands. Santar étripa son premier adversaire et se jeta sur les autres à une vitesse qui aurait fait la fierté de n’importe quel guerrier en armure MkIV. Les bolts et les lames rugissantes d’épées tronçonneuses le frappèrent, mais son armure n’avait pas à les craindre.

Ferrus Manus massacrait les Astartes ennemis à la douzaine, et leur aplomb de parjures s’estompa devant une telle incarnation de la guerre.

Dans les tranchées et les bunkers, une foule de combattants étaient aux prises les uns contre les autres, sur un fond d’explosions et de bruit incommensurable. Des ordres, et des cris de victoire ou de douleur fusaient sur les fréquences radio de son casque. Santar ne leur prêtait pas attention, trop absorbé dans cette tuerie cathartique.

Même au milieu de ce désordre, Santar percevait que la bataille pour la dépression d’Urgall se déroulait bien. Des centaines, peut-être des milliers de traîtres avaient été massacrés dans la phase d’ouverture. Des chapitres entiers des Salamanders capitalisaient sur l’élan de leur attaque, grâce à des unités dont les lance-flammes purgeaient les retranchements de l’ennemi à grands renforts de langues de prométhéum. Des rayons horizontaux de feu solaire transperçaient la pénombre baignée de fumée. Santar reconnut cette lumière comme les tirs de l’arme que son primarque avait offerte à Vulkan.

Et comme il s’y attendait, la silhouette imposante de Vulkan traversa les torrents de bolts, tuant à chaque revers de son épée, à chaque tir de l’arme que son frère avait forgée en son nom. Une explosion monumentale éclata aux pieds du primarque, le baignant d’un feu tueur ; des dizaines de ses Salamanders furent projetés en l’air, leurs armures fondues, la chair arrachée de leurs os. Vulkan traversa les flammes sain et sauf, et continua de tuer les traîtres sans marquer un seul temps d’arrêt.

Ferrus Manus s’enfonça plus encore dans les rangs des renégats. Leur entraînement ne les avait jamais préparés à affronter la colère d’un primarque. Les Morlocks s’engagèrent derrière leur seigneur et maître ; chaque coup, chaque tir leur forgea un chemin sanglant au milieu des traîtres infâmes.

Dans le sillage de l’assaut foudroyant, les navettes porteuses des flottes loyalistes bravèrent l’orage de tirs antiaériens monté depuis l’intérieur de l’antique forteresse. Des appareils touchés tombèrent en spirale jusqu’au sol, furent parfois déchiquetés par les rafales de projectiles traçants ou pulvérisés par des torpilles à masse réactive. Dans une grande bousculade aérienne, des centaines d’engins descendirent sur le site d’atterrissage pour déposer leurs équipements lourds, l’artillerie, les chars et les machines de guerre à la surface d’Istvaan V.

Des gonflements de poussière granuleuse masquaient l’essentiel des zones de débarquement tandis que les soutes caverneuses dégorgeaient leurs Land Raiders et leurs Predators par dizaines. Des compagnies entières de véhicules blindés s’élancèrent sur la planète, retournant le sable sous leurs chenilles pour aller rejoindre la bataille de la crête.

Des Whirlwinds et des pièces d’artillerie mobile de l’Armée se dispersèrent sur l’étendue plate, resserrèrent leur visée sur les emplacements ennemis, et joignirent leurs propres salves au vacarme constant de la bataille. Des appareils volants plus massifs encore descendirent sur des colonnes de feu, et les chars superlourds de l’Armée en sortirent, dressant les fûts de leurs canons massifs pour projeter d’immenses obus contre les remparts de la forteresse.

Ce qui avait commencé comme une frappe localisée sur la position des traîtres se transformait rapidement en l’un des plus grands engagements de forces de la Grande Croisade tout entière. Un total de plus de soixante mille combattants Astartes s’affrontait sur le terrain crépusculaire d’Istvaan V, et pour toutes les plus mauvaises raisons, cette bataille allait bientôt entrer dans les annales de l’histoire impériale comme l’une des plus épiques jamais livrées.

L’attaque des loyalistes enfonçait vers l’arrière la ligne des traîtres, un arc incurvé au centre duquel se battait Ferrus Manus. La Raven Guard, elle, fauchait le flanc droit de l’ennemi, ses effroyables formations d’assaut s’abattant depuis le ciel, et massacrant leurs adversaires à coups de lames incurvées et sifflantes. Corax se battait comme un oiseau de proie, traversant l’air, porté par les grandes ailes de ses réacteurs dorsaux, et tuant à chacun de ses puissants coups de serres. Les Salamanders calcinaient le flanc gauche où des volutes de flammes marquaient leur progression.

Mais pour chacun de ces succès, les traîtres avaient jusque-là possédé une riposte. La silhouette angoissante du primarque Angron massacrait des centaines d’Astartes loyalistes, qui s’efforçaient de traverser le champ de tir établi par les escouades de soutien des World Eaters. Angron beuglait comme une incarnation élémentaire de la bataille, et ses épées jumelles tailladaient tous ceux qui osaient se tenir devant elles. Aussi sûrement que les traîtres mouraient sous les lames de Corax, de Ferrus Manus et de Vulkan, les Astartes restés fidèles succombaient sous celles de l’Ange Rouge.

Par contraste avec la sauvagerie brute d’Angron, Mortarion, le Seigneur de la Mort, tuait avec une efficacité lugubre, moissonnant des dizaines de vies loyalistes sur le passage de sa faux. Sa Death Guard combattait avec ténacité. Aux endroits où se tenaient les primarques renégats, l’assaut loyaliste se brisait contre eux comme la vague au pied de la falaise immuable.

Sur toute la longueur de leurs lignes, les Sons of Horus se battaient avec une haine amère dans leurs cœurs. L’élite de la légion du Maître de Guerre était menée à la bataille par le premier capitaine Abaddon, pris d’une colère terrible à contempler, tuant avec une brutalité sans rémission, et Horus Aximand avançait à ses côtés, assénant des coups mécaniques et tristes, tandis que son regard hanté contemplait l’échelle de cette tuerie.

Au centre de la ligne renégate, les Emperor’s Children combattaient avec une cruauté inlassable, en poussant des cris d’une joie sauvage. Des actes de mutilation et d’humiliation atroces étaient infligés aux vivants comme aux morts. La légion de Fulgrim repoussait chaque attaque, bien que leur primarque n’eût pas encore fait son apparition.

Bizarrement protégés par des armures MkIV aux plaques tendues de peaux humaines, certains de ses guerriers se pavanaient au milieu des combats les plus âpres, combattant sans casque, leurs mâchoires grand ouvertes par des grilles métalliques pour mieux pousser leurs hurlements hideux. Leur armement était mystérieux, et les salves d’harmonies atonales qu’il projetait ouvraient des fossés sanglants dans les rangs serrés des Iron Hands. De grands tuyaux et des haut-parleurs fixés à leurs armures amplifiaient les vibrations de leur musique tueuse ; leurs vagues de sons assourdissants démembraient les guerriers et les véhicules blindés.

À mesure que des équipements plus lourds étaient amenés derrière la bataille féroce, de plus en plus d’explosions ravagèrent les lignes des traîtres, et même Angron et Mortarion furent contraints de reculer hors de portée de l’artillerie loyaliste. Au centre de l’affrontement, Ferrus Manus poursuivit sa poussée, ses Iron Hands s’enfonçant de plus en plus loin au cœur des défenses adverses, afin de punir les traîtres et de libérer leur colère sur les Emperor’s Children.

Des centaines de combattants mouraient à chaque minute dans cette boucherie terrible à contempler. Le sang s’écoulait en ruisseaux au bas de la dépression d’Urgall, en se ménageant des lits poisseux dans le sable noir. Une telle destruction n’avait jamais été concentrée sur un espace aussi confiné : suffisamment de puissance martiale pour conquérir un système planétaire entier, libérée sur une ligne d’à peine vingt kilomètres.

Des escadrons entiers de véhicules blindés se démenaient pour atteindre les lignes de front, mais la mêlée des corps en armures était si serrée que les commandants de chars furent spoliés dans leur désir d’écraser les traîtres sous la masse de leurs coques. Des rangs de Land Raiders se formèrent alors, et des faisceaux focalisés de lasers rubiconds partirent vers la forteresse et la carrure monumentale du Dies Irae.

Ses boucliers tressaillirent ; réalisant le danger, le Titan cessa de harceler l’infanterie pour s’en prendre aux blindés. Des décharges de plasma s’abattirent le long de la ligne de tanks, dont une dizaine explosèrent quand la chaleur incandescente surchauffa leurs accumulateurs d’énergie.

Le massacre se poursuivit sans répit, à une échelle encore sans précédent, aucun des deux camps ne parvenant à faire jouer ses avantages d’une façon décisive. Les renégats s’étaient installés dans des retranchements facilement défendables, mais les loyalistes leur avaient pratiquement atterri dessus, en disposant d’une vaste supériorité numérique.

Le spectacle était véritablement horrifiant. Des guerriers qui s’étaient autrefois juré de grands serments de fidélité affrontaient leurs frères sans rien d’autre que la haine à l’esprit. Aucune légion ne s’en tirait mieux qu’une autre, l’ampleur de l’affrontement rendant toute stratégie inefficace. Les deux armées se contentaient maintenant de se saigner l’une l’autre, dans un conflit sans remords qui menaçait de les détruire toutes deux.

Julius avait la sensation de danser au travers des combats, les images et les sons lui procurant des accès de plaisir physique, dont les spasmes lui parcouraient le corps tandis qu’il luttait avec une délectation sauvage. Son armure avait été éraflée et tailladée en une dizaine d’endroits, mais les blessures reçues ne faisaient qu’entretenir son ballet de mort frénétique. En préparation des combats, Julius en avait repeint toutes les plaques dans une kyrielle de couleurs qui stimulaient sa vision récemment modifiée.

Il avait de même amélioré ses armes. Les regards de dégoût et d’horreur que suscitait chacun de ses coups lui enflammaient les sens.

— Regardez-moi ! Rendez-vous compte à quel point vos vies sont ternes ! hurlait-il, en proie au délire au milieu de ce massacre. Julius avait depuis longtemps jeté son casque pour mieux faire l’expérience du chaos de la bataille, du grondement des armes, du vrombissement des épées mordant la chair, des explosions, et des trajectoires vives que traçaient les obus en travers du ciel.

Il regrettait de ne pas être au côté de Fulgrim pour cette bataille des plus exquises, mais le Maître de Guerre avait d’autres projets pour son frère primarque. Une moue chagrine plissa les traits extatiques de Julius ; il pivota pour délivrer le coup parfait qui décapita un guerrier des Iron Hands en armure noire. Horus et ses plans ! Incluaient-ils le temps de se délecter de la victoire ? Les énergies et les désirs que la Maraviglia avait éveillés en lui étaient faits pour être satisfaits. Les renier revenait à renier sa nature.

Julius ramassa la tête qu’il venait de trancher et la sortit du casque de son ennemi, en s’accordant un instant pour savourer l’odeur du sang et de la chair brûlée cautérisée par sa lame.

— Nous avons été frères, autrefois, dit-il avec une gravité feinte. Mais toi, maintenant, tu es mort !

Il souleva la tête vers la sienne pour embrasser les lèvres froides de l’Iron Hand, éclata de rire, et la lança en l’air où elle fut mise en pièces par l’échange de bolts presque constant. D’autres cris d’une hilarité maniaque lui parvinrent, précédant une éruption de notes basses, et il se jeta à plat ventre alors qu’une vague de son assassine passait au-dessus de sa tête. L’onde musicale était atrocement forte, mais Julius hurla de plaisir alors que le bruit lui coulait à l’intérieur du corps.

Il se remit sur ses pieds à temps pour voir un groupe de Terminators arriver vers lui de leur pas pesant, et il lui vint un sourire de jubilation bestiale quand il reconnut à leur tête Gabriel Santar, dont les marquages de premier capitaine soulignaient sa présence comme un phare dans la nuit.

Un souffle de bruits discordants ouvrit près de lui un grand sillon dans le sol et souleva le sable noir comme une éruption volcanique. Julius aperçut derrière lui la silhouette de Marius, enveloppée de peaux, et rugit du plaisir de voir l’autre capitaine encore vivant.

Marius Vairosean avait garni son armure de pointes métalliques, et écorché les morts de la Fenice pour en orner les plaques. Tout comme Julius, il n’avait pas entendu la Maraviglia sans connaître quelques changements : la monstrueuse distension de ses mâchoires lui bloquait la bouche dans un hurlement constant. Là où se trouvaient ses oreilles, il s’était ouvert deux grands trous dans la chair, et s’était agrafé les paupières pour empêcher à jamais ses yeux de se fermer.

Il portait toujours le grand instrument de musique récupéré dans l’orchestre de Bequa Kynska, auquel des poignées avaient été fixées pour en faire une terrible arme sonique. Ensemble, lui et ses compagnons libérèrent une rafale de gammes discordantes qui jetèrent au sol une dizaine de Morlocks pris de convulsions. Julius lui témoigna son appréciation en se ruant sur Gabriel Santar, l’épée dirigée vers sa gorge.

L’horreur de ce qu’il voyait manqua de lui coûter la vie. Les Emperor’s Children qui se trouvaient devant Gabriel Santar ne ressemblaient à rien de ce qu’il aurait pu s’imaginer dans ses pires cauchemars. Les adversaires qu’il avait affrontés plus tôt avaient beau être des traîtres, ils demeuraient reconnaissables comme étant des Astartes. Ceux-ci étaient une dégénérescence perverse de cet idéal, des combattants dévoyés affichant ouvertement leur obscénité.

Un monstre en armure énergétique couverte de morceaux de peaux braillait en pointant de droite et de gauche une arme bizarre, dont les décharges soniques abattaient ses guerriers dans des explosions de chairs liquéfiées.

Alors même que Santar levait son gantelet énergisé pour parer un coup de lame vers sa tête, il reconnut les traits déformés de Julius Kaesoron. L’Emperor’s Children était devenu un derviche gesticulant, qui piaillait de rire comme un dément en lui tournant autour, et l’attaquait à grands gestes furieux. L’arme de Kaesoron était un glaive énergétique qui aurait aisément pu traverser son armure, et Santar pivotait aussi vite qu’il le pouvait pour bloquer chacun des féroces coups de lame, mais même un guerrier aussi rapide que lui ne pouvait espérer égaler la vivacité de son adversaire.

Il attrapa entre les doigts de son gantelet la lame qui s’abattait sur lui. Une explosion violente se produisit à la rencontre des énergies. Santar tordit le poignet et la lame de Julius cassa, une longueur d’avant-bras au-dessus de la garde.

Santar grogna de douleur en sentant la peau de sa main rester collée au métal fondu des plaques de son gantelet. Julius était sur le dos, la céramite de son plastron cloquée par l’explosion. Son visage n’était plus qu’une masse hurlante de chair brûlée et d’os à nu.

Malgré la douleur dans sa main, Santar sourit sous son casque et s’approcha pour délivrer le coup de grâce vengeur à ce traître exécrable. Il leva le pied pour écraser le torse de Julius avec toute la puissance de son armure Terminator.

Et il s’aperçut alors que Julius ne hurlait pas de douleur, mais d’un plaisir orgasmique.

De révulsion, il retint son geste le temps d’une infime seconde, mais cette seconde était tout ce dont Julius eut besoin. Levant la lame brisée de son glaive, toujours parcourue d’énergie, il l’enfonça dans l’entrejambe de Santar.

La douleur fut inimaginable, et se propagea d’un coup dans tout son corps. Julius Kaesoron prolongea son geste vers le haut, des gouttelettes d’armure fondue tombant sur le sable noir au milieu d’un torrent de sang. Le court tranchant brisé remonta le pubis de
Santar et lui ouvrit l’abdomen jusqu’au plastron, à mesure que Julius se releva pour accompagner son mouvement.

Le corps tout entier de Santar se tétanisa. L’injection obstinée de substances analgésiques que lui procurait son armure était incapable de calmer la souffrance terrifiante de se sentir ouvert de bas en haut. Il essaya de bouger, mais son armure resta figée. Julius se tenait devant lui, le visage éclairé par les lueurs de la bataille, la peau se décrochant de ses muscles faciaux, et l’éclat blanc des os de ses pommettes lui traversant les joues.

Même au milieu du grondement de la bataille, et malgré ses lèvres brûlées, les paroles que prononça Julius semblèrent parfaitement distinctes à Santar, qui sentait sa vie s’échapper.

— Merci, gargouilla Julius. C’était fabuleux.

Le théâtre d’Istvaan V devenait un abattoir aux proportions épiques. Des félons animés par la haine livraient contre leurs frères de jadis une bataille d’une tristesse sans précédent. De puissants dieux du combat foulaient la surface de la planète et la mort suivait dans leur sillage. Le sang des héros et des traîtres coulait à flots. Des adeptes encapuchonnés et pervertis du Mechanicum tournaient vers les loyalistes une technologie volée à la Technocratie aurétienne pour semer la désolation parmi leurs rangs.

Sur toute la dépression d’Urgall, des dizaines de guerriers succombaient à chaque seconde, et la promesse de mourir devint comme un voile noir suspendu au-dessus de chacun. Les forces renégates tenaient bon, mais leur ligne pliait sous la fureur de l’assaut loyaliste. Le plus infime sursaut du destin suffirait à la faire plier.

Et ce fut alors qu’ils arrivèrent.

Comme des météores tombés des cieux, d’innombrables modules, navettes et appareils d’attaque traversèrent les nuages injectés de lueurs d’incendie et descendirent sur la zone d’atterrissage loyaliste, dans la portion nord de la dépression. Les fuselages luisants de centaines d’oiseaux d’assaut et de Thunderhawks fondirent vers la surface. Quatre nouvelles légions allaient débarquer sur Istvaan V. Leurs noms héroïques étaient légendaires et leurs exploits connus aux quatre coins de la galaxie ; l’Alpha Legion, les Word Bearers, les Night Lords, les Iron Warriors.