CINQ
Abattu / Suivez le Firebird / Le temple des excès
L’escadron d’oiseaux d’assaut et de Thunderhawks qui prit les airs pour attaquer le dernier atoll laer faisait partie des plus grandes armadas aériennes à avoir été lancées jusqu’à présent durant la Grande Croisade. Alors que les derniers rayons du jour s’estompaient, neuf cents appareils décollèrent depuis une vingtaine d’atolls capturés. Le primarque avait calculé le minutage de leurs vecteurs d’approche pour s’assurer que chaque vague arriverait précisément quand il l’escomptait.
Des intercepteurs hurlants et des canonnières s’envolèrent dans des nuages de poudre de corail soufflés par la poussée de leurs réacteurs, suivis par les Warhawks et les Thunderhawks. En quelques minutes, au-dessus de chaque atoll, le ciel s’emplit de formes sombres qui tournaient en cercle, comme des vols de corbeaux prêts à partir vers un champ de mort. Au signal donné depuis l’orbite, les nuées d’appareils inclinèrent leur course et filèrent vers leur proie dans les cieux sans nuages, poussés par des volutes de flammes bleues.
Fulgrim s’élança du Pride of the Emperor à bord du Firebird, un appareil qu’il avait personnellement dessiné et fait construire dans l’armorium de son vaisseau-amiral. Ses ailes, d’une envergure plus grande que celles d’un Warhawk, étaient arquées vers l’arrière en une courbe pleine de grâce, et sa proue busquée lui donnait un visage effrayant qui frappait de terreur les ennemis du primarque.
Le Firebird pénétra dans l’atmosphère de Laeran, dont le frottement enveloppa ses ailes et son fuselage de flammes spectrales qui éclairèrent la nuit comme le passage d’une comète.
Les aménagements de l’oiseau d’assaut qu’occupait Solomon Demeter étaient recouverts d’or, et ses surfaces intérieures décorées de mosaïques qui dépeignaient les conquêtes de la légion aux côtés des Luna Wolves. Des guerriers en armures grises y avançaient au milieu du violet des Emperor’s Children, et tandis qu’il regardait ces scènes tressauter devant lui, Solomon ressentit un regret soudain de ne plus combattre avec les loups du Maître de Guerre.
— Ça ne va faire que s’empirer, dit Gaius Caphen, ayant cru sentir le malaise de Solomon.
— Merci, répondit-il en parlant fort. J’essaie de ne pas penser au mur de tirs antiaériens que nous allons devoir traverser pour arriver là-bas.
Même étouffé par les sens de son casque, le rugissement des moteurs restait assourdissant. Au-delà des parois blindées de l’oiseau d’assaut, le claquement des explosions résonnait d’une manière creuse, presque inoffensive. Solomon connaissait pourtant le danger mortel qu’elles représentaient.
— Je n’aime pas ça, cria-t-il. Je déteste l’idée de devoir m’abandonner au destin et de rejoindre une zone de combat d’une façon que je ne peux pas contrôler.
— Vous dites la même chose à chaque fois, fit remarquer Caphen, que nous y allions par Warhawk, par module ou par Rhino. La seule autre façon de rejoindre la bataille serait de marcher sur l’eau.
— Et rappelez-vous de ce qui est arrivé au fer de lance sur l’atoll 19 ! Notre appareil a failli ne jamais y arriver ! Trop de bons éléments vont mourir sous ce tir avant d’avoir eu une chance d’accomplir leur destinée de guerrier.
— Leur destinée de guerrier ? Caphen se mit à rire. Parfois, vous mériteriez vraiment que je vous dénonce au chapelain Charmosian pour tous vos propos sur des destinées et des dieux de la guerre. Je n’aime pas ça plus que vous, mais nous sommes aussi bien protégés qu’il est possible de l’être, non ?
Solomon hocha la tête, en se disant que Gaius avait raison. Ayant senti que le reste de la flotte devait partager l’honneur d’avoir conquis Vingt-Huit Trois, Fulgrim avait autorisé les intercepteurs à lancer plusieurs raids pour anéantir le plus gros des défenses aériennes laers.
Une majeure partie du potentiel défensif des xenos avait été détruit, et il n’en restait pas moins une grande quantité de tirs à essuyer. Solomon regarda dans la longueur du compartiment de transport pour observer quel effet leur trajet agité avait sur ses hommes, et fut satisfait de les voir paraître aussi calmes que s’ils étaient en mission d’entraînement.
Ses guerriers étaient peut-être calmes, mais lui ne l’était pas, et malgré les paroles rassurantes de Caphen, il savait que rien ne pourrait le tranquilliser avant d’être allé observer les pilotes. Solomon était lui-même entraîné à faire voler un oiseau d’assaut, et avait même passé du temps aux commandes des nouveaux Thunderhawks, mais était le premier à reconnaître qu’il n’était au mieux qu’un pilote moyen.
D’autres plus doués que lui devaient les amener au combat, et puisque les plans du primarque requéraient une précision absolue pour que cette offensive fonctionnât, il avait gardé ses appréhensions pour lui, jusqu’à ce qu’il fût trop tard pour changer quoi que ce fut.
Du plat de la main, il pressa sur la boucle de son harnais de sécurité, puis se redressa en agrippant le rail de laiton qui courait sur la longueur du plafond.
— Je vais à la cabine de pilotage, annonça-t-il.
— Vous voulez vous charger de l’approche finale ? demanda Caphen. Je me sens moins rassuré, tout d’un coup.
— Non, je veux seulement aller voir ce qu’il se passe.
Caphen n’ajouta rien. Solomon se tourna vers le cockpit alors que l’appareil se cabrait, et ressentit le choc d’une explosion proche. Il remonta l’allée centrale et ouvrit la porte du compartiment de vol.
— Combien de temps avant d’atteindre la zone d’atterrissage ? cria-t-il par-dessus le vacarme.
Le copilote lui accorda un regard.
— Deux minutes !
Solomon hocha la tête ; il aurait aimé parler, mais ne voulait pas distraire les deux hommes de leurs impératifs. Derrière les vitres blindées du poste de pilotage, les tirs traçants et les obus antiaériens éclairaient comme en plein jour le ciel nocturne, où les intercepteurs de la flotte livraient leur duel contre les dernières unités volantes des laers afin d’ouvrir un chemin à la légion. Devant eux, Solomon apercevait une île de lumière flottant sur le ciel. L’atoll du temple était comme un phare au milieu des ténèbres.
— Quels imbéciles, se dit-il. À leur place, nous aurions décrété une extinction totale.
Un éclairage d’un rouge sinistre emplissait la cabine et Solomon se prit à penser à du sang. Il se demanda s’il s’agissait d’un présage concernant la bataille à venir, puis chassa une idée aussi lugubre. Les présages et les auspices n’étaient que pour les esprits faibles qui ne connaissaient pas la vérité de la galaxie, et les barbares à qui il fallait une raison pour que le soleil se levât, ou que la pluie tombât.
Solomon était au-dessus de telles superstitions. Il sourit néanmoins en réalisant que son habitude obsessionnelle de rectifier son équipement avant une bataille et d’espérer qu’il le protègerait pouvait être considérée comme de la superstition. Non, trancha-t-il : honorer son attirail de bataille était simplement sensé.
Il resta tapi dans le cadre de la porte, réticent à retourner à sa place, et fasciné d’une façon perverse par la trame de lumière et d’explosions dessinée sur le ciel. Alors qu’il surveillait le ballet compliqué au milieu duquel ils évoluaient, une lumière ardente emplit le cockpit : le Firebird passait au-dessus de leurs têtes, et sa vitesse supérieure signifiait qu’il serait parmi les premiers appareils de l’offensive à atteindre l’atoll.
Des traînées de flammes étaient toujours accrochées à ses ailes, et Solomon sourit. Ça n’était pas par hasard que le primarque avait décrété une offensive de nuit. L’éclat rouge des flammes se reflétait sur les visages de l’équipage. Solomon fut à nouveau assailli par la certitude que quelque chose de terrible allait se produire.
Pas seulement lui arriver à lui, mais à la légion entière.
Son estomac se contracta quand le Warhawk s’inclina brusquement pour virer de côté et qu’il entendit le pilote jurer. Un impact vibrant frappa le flanc de l’engin, et Solomon sentit qu’ils perdaient de l’altitude.
Défilèrent dans son esprit des images de l’abysse béant qu’ils survolaient. Solomon se souvint des batailles qu’il avait livrées dans les profondeurs de cette mer planétaire, et n’avait aucun désir de revisiter ce décor froid et obscur.
— Incendie du moteur bâbord ! criait le pilote. Augmentez la puissance du moteur droit !
— Les stabilisateurs sont H.S., il va falloir compenser !
— Larguez les citernes de carburant et redressez-nous !
Solomon s’agrippa au cadre de la porte lorsque l’appareil s’inclina violemment vers la gauche. Les deux pilotes continuaient de se crier des instructions l’un à l’autre et tentaient de stabiliser leur assiette. Des voyants s’allumèrent sur toute la console des commandes. Solomon entendit la sirène d’avertissement de l’altimètre, et perçut la nervosité dans la voix des pilotes, mais aussi leur entraînement et leur discipline tandis qu’ils obéissaient avec efficacité aux procédures d’urgence.
L’appareil commença finalement à redevenir stable, même si des voyants continuaient de clignoter et que l’alarme de l’altimètre retentissait toujours.
Un soulagement palpable emplit le compartiment de vol, et Solomon relâcha sa prise sur le cadre de la porte.
— Bien joué, dit le pilote. Nous sommes toujours en l’air.
À peine un instant plus tard, toute la portion gauche de l’oiseau d’assaut explosa dans une éruption de flammes. Solomon fut jeté sur le pont. Le verre du cockpit vola en éclats. Les flammes se répandirent à l’intérieur de l’appareil.
Solomon sentit la chaleur lécher son armure, mais n’en souffrit pas, même si une grande quantité de carburant embrasé lui collait sur les plaques des bras et des jambes. Le rugissement du vent emplit ses sens : l’air froid traversait la carlingue et lui hurlait aux oreilles alors que le Warhawk penchait.
Incroyablement, le pilote était encore en vie, bien que sa chair fût horriblement brûlée et sa peau en feu. Il n’y avait plus rien à faire pour lui, et ses cris de souffrance se mêlaient à celui du vent tandis que son appareil décrochait et filait vers sa destruction.
Solomon vit le mur noir de l’océan se ruer à leur rencontre. Les ténèbres froides et humides l’avalèrent quand l’oiseau d’assaut s’abîma dans la mer.
Les notes que poussaient les tours de corail emplissaient l’air, plus stridentes que dans le souvenir de Julius, et il fut frappé par l’impression que l’atoll hurlait de colère. Les laers qui défendaient cet endroit avaient beau être les derniers de leur espèce, ils ne montraient aucun signe de désespoir ou de peur. Ces xenos se battaient avec la même âpreté que tous ceux qu’ils avaient déjà tués durant cette campagne.
L’oiseau d’assaut avait à peine touché le sol que Julius et Lycaon en avaient fait sortir les guerriers de la 1re compagnie. Les feux de la bataille se reflétaient sur les plaques monstrueusement épaisses de leurs armures Terminator.
Même si sa propre armure l’en isolait pour l’essentiel, son ouïe était emplie du son des hurlements, des échanges de tirs et des explosions. Les Emperor’s Children se déployèrent autour de lui sans qu’aucun ordre ne fut nécessaire, et Julius s’imaginait que la même scène se jouait en une centaine d’autres points sur tout l’atoll.
Des tirs extraterrestres leur furent adressés, mais ce qui avait pu traverser les plaques MkIV griffait à peine les armures Terminator.
Si seulement ils en avaient eu davantage, cette guerre aurait été terminée depuis longtemps, mais l’attribution systématisée d’armures tactiques Dreadnought n’avait que récemment débuté, et très peu d’escouades avaient reçu l’entraînement approprié pour pouvoir en faire usage.
— Allons-y, ordonna Julius alors que ses guerriers se rangeaient en formation derrière lui. Les Terminators avancèrent en phalange, leurs bolters et leurs armes lourdes intégrées abattant tous les laers qui se dressaient devant eux, dans une tempête de corps rompus et de corail pulvérisé.
Les effectifs des Emperor’s Children avaient encerclé le temple. En se refermant, ce poing allait écraser les derniers de ses défenseurs.
Des flammes s’élancèrent vers le ciel quand certains appareils, passant à ras de l’atoll, scièrent les tours à coups de projectiles explosifs et fournirent aux troupes un tir d’appui. Des transports lourds étaient en route avec leur chargement d’unités blindées, Land Raiders, Predators et Vindicators.
Des pas lourds résonnèrent au milieu de la bataille. Julius vit Rylanor l’Ancien traverser un muret de corail qui avait servi de barricade à des laers groupés autour d’une arme suralimentée. Un javelot d’énergie verte frappa le sarcophage du Dreadnought et Julius ne put réprimer un cri en apercevant les dégâts, mais l’impact n’arrêta pas la puissante machine. Rylanor ramassa le laer le plus proche et le broya dans son poing colossal, tandis que les gerbes jaunes du lance-flammes accroché sous son bras embrasaient les autres derrière leur couvert.
Julius et ses hommes parachevèrent la tâche en envoyant une grêle de tirs cribler les corps enflammés des extraterrestres.
— Je vous remercie de votre assistance, dit le Dreadnought. Mais elle n’était pas nécessaire.
Soudain, une lumière orange baigna le champ de bataille de son éclat infernal quand le Firebird passa au-dessus d’eux. L’appareil d’assaut de Fulgrim l’emmenait au cœur même de la bataille, vers le temple des laers.
— Lycaon, venez ! exulta Julius. Suivez le Firebird !
Sur les éperons sud de l’atoll, Marius Vairosean trouvait la situation beaucoup plus dure que le capitaine de la 1re compagnie. Beaucoup de ses Warhawks avaient été abattus, et il se savait tombé dangereusement en dessous de l’effectif que le primarque avait jugé indispensable pour prendre ses objectifs. Les laers luttaient avec une férocité encore inédite, leurs moitiés serpentines se chevauchant presque les unes les autres tandis qu’ils se ruaient vers ses guerriers.
Un brouillard musqué enveloppa les abords des terriers de corail, et Marius crut lui trouver une légère teinte rougeâtre. Était-ce une sorte de gaz de combat ? Auquel cas l’employer contre des Astartes était une perte de temps, car leur armure les protégeait de moyens aussi primitifs.
Le hurlement des tours était plus calme dans cette partie de l’atoll, ce dont Marius se réjouissait. La façon dont les laers pouvaient vivre dans de telles conditions, entourés d’un excès de bruit et de couleurs, le confondait. Comprendre les mœurs des xenos était un chemin sombre sur lequel il n’avait pas l’intention de s’aventurer.
— Escouades de soutien à l’avant ! ordonna-t-il. Nous devons vite nous ouvrir une route. Nos frères comptent sur nous, et la 3e compagnie ne leur fera pas défaut !
Les Astartes porteurs d’armes lourdes prirent des positions dans les ruines de tours de corail et un tir appuyé transperça le brouillard. Les détonations des projectiles de gros calibre se combinèrent en un rugissement dense à l’intérieur du crâne de Marius.
À présent qu’un tir de suppression avait été opéré, il était temps de lancer un assaut tant que leurs ennemis baissaient encore la tête. Bien qu’il désapprouvât les méthodes de Solomon, parfois, la tournure des combats ne vous laissait d’autre choix que de foncer droit au centre.
— Escouade Kollanus ! Escouade Euidicus ! Suivez-moi !
Julius cloua au sol un guerrier laer, dont l’armure argentée fut traversée et le corps serpentin brisé en deux par le champ d’énergie qui entourait son gantelet massif. Lui et ses Terminators ouvraient une percée nette dans les défenses des laers, en n’ayant laissé qu’un seul des leurs aux soins des apothicaires. Bien que les combats fussent sévères, la protection accordée par les armures Terminator était prodigieuse, et Julius se délectait du sentiment de puissance qu’elle lui conférait. Avancer au travers du feu sans en souffrir : être un dieu devait ressembler à cela. Une pensée aussi ridicule le fit se réprimander lui-même.
Le Firebird s’était posé à un kilomètre devant eux, mais d’après les rapports qu’il recevait par fréquence radio, il semblait que les xenos opposaient une résistance féroce autour du temple. Les hommes de la 1re compagnie n’étaient pas rapides, mais leur progression était implacable, et avec le support du Rylanor l’Ancien, ils parvenaient à progresser sans difficulté.
En vérité, du sentiment général, la résistance des laers fondait un peu trop rapidement à mesure qu’ils approchaient du centre de l’atoll. Le sol y devenait plus accidenté et escarpé, un terrain parfait pour se défendre de l’invasion, alors pourquoi n’en faisaient-ils pas bon usage ?
— Lycaon, quelle est votre impression ? demanda Julius en s’arrêtant alors qu’ils gravissaient le corail abrupt, pour tenter de discerner leur chemin. Les pentes se dressaient devant lui en une barrière impénétrable ; mais les laers étaient parvenus à battre en retraite, il devait donc y avoir un passage.
— On dirait qu’ils ne font pas beaucoup d’efforts pour nous arrêter, lui répondit Lycaon ; je n’ai pas tiré depuis plusieurs minutes.
— Précisément.
— Notez bien que je ne m’en plains pas.
— Il se passe quelque chose, dit Julius. Ça n’est pas normal.
— Quels sont vos ordres, dans ce cas ?
Le bruit des tours hurlantes s’était amplifié alors qu’ils approchaient du centre de l’atoll, et Julius s’aperçut que les passages incurvés qui gravissaient le corail vers leur objectif devenaient de plus en plus étroits.
Plus adaptés aux corps serpentins, réalisa-t-il.
Les sifflements des tirs, les hurlements et le bruit de la bataille étaient proches, et se fondaient en une telle cacophonie que Julius se demanda comment les laers n’en avaient pas perdu l’esprit.
— Le Firebird doit être dans les environs, quelque part, dit-il. Dispersez-vous et trouvez un passage pour franchir ce corail. Notre primarque a besoin de nous.
Les sons de la bataille étaient comme ceux décrits dans les poèmes de l’ancienne Terra, des œuvres hyperboliques, remplies de descriptions sophistiquées des combats, et manifestement écrites par des personnes qui n’avaient jamais vu la guerre.
Même au milieu du désordre d’une bataille, Julius pensait à la poésie et à la littérature. Il décida de raccourcir la bride à ses pensées. Peut-être Solomon avait-il raison. Peut-être passait-il trop de temps avec les commémorateurs.
— Mon capitaine ! l’appela Lycaon. Par ici !
Julius tourna son attention vers son écuyer. Celui-ci avait découvert un trou dissimulé, qui semblait mener au travers de la masse poreuse du corail. Le passage qui s’étendait derrière était large, mais resterait exigu pour des guerriers en armures Terminator, et Julius espérait qu’il les conduirait bien vers leur objectif.
— Allons-y, ordonna-t-il, et il se mit à marcher à l’allure la plus vive que lui permettait son armure.
En gardant son bolter levé, Julius précéda ses hommes le long de la galerie sombre qui traversait le corail. Les parois déformaient de façon étrange les échos de la bataille, et une humidité luisante donnait l’impression à Julius de remonter les entrailles de quelque énorme créature.
L’idée l’inquiéta brusquement. Les atolls des laers n’étaient-ils pas des organismes vivants ? Quelqu’un avait-il pensé à le vérifier ?
Il chassa cette pensée de son esprit quand il réalisa qu’il était trop tard pour remédier à cette situation, et continua d’avancer, guidé par le son des combats et la lueur des flammes.
Devant lui finit par apparaître une tache sombre, traversée de projectiles traçants. Il espéra seulement que cette issue donnait bien sur l’endroit qu’ils étaient supposés rejoindre. Le tunnel se rétrécit ; Julius dut employer la masse de son armure et la puissance de son gantelet énergétique pour se forcer un passage vers l’intérieur de l’atoll.
Il émergea au bout d’une large vallée de corail rose. À l’autre extrémité se dressait un temple monstrueux, surmontés de deux flèches qui disparaissaient dans les nuages. Les contreforts de la vallée étaient coiffés de centaines de spires hurlantes, qui s’incurvaient vers l’intérieur, lui donnant l’aspect d’une plaie ouverte et hérissée de dents.
Des nuées de laers volants tournaient en cercles autour des étages supérieurs du temple, et au centre de la vallée, Julius aperçut la silhouette héroïque du primarque s’ouvrir un passage à grands coups de son épée d’or, Lame de Feu. Le casque à ailes d’aigle de Fulgrim brillait dans les ténèbres. Julius ressentit une immense fierté à la vue de son maître.
Les lames crépitantes de la garde phénicienne entouraient le primarque. Leurs longues hallebardes maintenaient les laers à distance tandis qu’ils se forgeaient un chemin vers le temple de l’autre côté de la vallée. Il aperçut auprès du primarque la forme massive de frère Thestis, qui brandissait bien haut le grand étendard de la légion. L’aigle qui ornait le sommet de la hampe luisait comme de l’or blanc sous l’éclat de la lune, et l’étoffe violette de la bannière ondulait dans le vent comme de la soie.
Julius avait immédiatement réalisé que son primarque était encerclé, et cria :
— 1re compagnie, ralliez le Phénicien !
Le seigneur des Emperor’s Children abattait sur ses ennemis de terribles coups d’épée dont chacun tuait un nouveau laer. Nul ne pouvait lui faire obstacle et espérer survivre ; de ce fait, quand l’idée traîtresse lui vint que ce combat ne se déroulait pas comme prévu, elle frappa par surprise, comme un assassin dans la nuit.
Ses gardes phéniciens combattaient tels les héros qu’ils étaient, les lames dorées de leurs hallebardes massacrant tous ceux qui osaient approcher à portée, et le brave Thestis levait vaillamment les couleurs de la légion tout en abattant sa longue lame sur ses adversaires. Tout autour d’eux, des laers mouraient, fauchés par les coups funestes, ou abattus par des tirs de bolters disciplinés et précis. Un étrange musc rose flottait sur le champ de bataille en s’accrochant autour de ses chevilles, et son odeur capiteuse était loin d’être déplaisante. Les hurlements des tours couvraient les piaillements des laers. Fulgrim n’arrivait pas à se rappeler bataille plus frénétique.
Jamais encore il n’avait fait l’expérience d’une pareille profusion de couleurs et de bruit. Le temple semblait se dresser au centre de ce tintamarre : des déchirures ouvertes dans sa matière étaient la source des hurlements les plus sonores, et c’était de ces espèces de fenêtres que davantage de musc rose se déversait dans l’air. La structure ne devait plus être qu’à trois cents mètres, mais faute d’avoir un plus grand nombre de ses guerriers autour de lui, Fulgrim aurait aussi bien pu se trouver à trois cents années-lumière d’elle.
Une autre pensée perfide lui vint alors que son épée fendait un guerrier laer de la tête à la queue. Peut-être avait-il été délibérément attiré dans cette vallée infernale. Le corail rose de ses parois, les pointes qui en bordaient les hauteurs lui rappelaient une plante qu’il avait vue dans les marais humides de Vingt-Huit Deux, et qui se nourrissait des grands insectes bourdonnants en les attirant entre ses mâchoires végétales avant de se refermer pour les digérer.
Seuls les guerriers qui se trouvaient à bord du Firebird combattaient avec lui, et ils combattaient hardiment, mais finissaient par céder sous le nombre un à un. Un tel combat à l’usure ne pouvait connaître qu’une seule issue. Fulgrim scruta les pentes de la vallée, en quête du moindre signe de ses compagnies. Il leva le poing quand il vit Julius Kaesoron et ses guerriers se frayer un chemin vers lui, parmi la masse de laers ondulants et piaillants.
Leurs armures Terminator donnaient à chacun de ses guerriers la force d’un char, et bien que Fulgrim les eut détestées dès le premier jour pour leur inélégance, il se réjouissait à présent de les voir.
— Regardez, la 1re compagnie arrive ! cria Fulgrim. Nous devons nous remettre en route !
Frère Thestis s’élança, levant d’une main la bannière de la légion et se taillant à coups d’épée un chemin à travers les laers. Fulgrim se précipita pour le suivre, et protégea le flanc de son fidèle porte-étendard autour de qui la garde phénicienne se ralliait.
— Suivez le Phénicien ! cria Julius Kaesoron derrière lui, et Fulgrim se mit à rire, pris de la joie pure des combats, alors que la 1re compagnie percutait la multitude ennemie. Même si l’apothicaire Fabius avait affirmé que les laers modifiaient chimiquement leurs organismes pour se rapprocher de la perfection, leur perfection n’était que l’ombre de celle qu’incarnait sa légion.
Alors que son poing passait au travers du crâne d’un laer, Fulgrim essaya de s’imaginer quels sommets lui et ses guerriers pourraient atteindre en s’engageant sur une voie similaire, et combien son père serait fier de lui quand il verrait les merveilles génétiques qu’ils auraient accomplies.
Un guerrier laer abattit sa lame, dont le tranchant mordit dans l’épaulière de Fulgrim ; l’arme se libéra en griffant de la pointe son casque doré. Fulgrim cria, de surprise plus que de douleur, et plongea son épée entre les mandibules de l’extraterrestre.
Il se força à se concentrer sur le combat, et non sur la gloire que lui promettait l’avenir. Davantage de ses guerriers arrivaient à l’intérieur de la vallée par les galeries creusées dans le corail. Leur retard le fit froncer les sourcils, car son plan impliquait une frappe écrasante délivrée de concert contre ce temple. L’offensive avait dû mal tourner en certains endroits. Ses hommes avaient été retenus. Cette pensée le troubla considérablement et son humeur s’assombrit.
Tandis que toujours plus d’Emperor’s Children se déversaient dans la vallée, Fulgrim et la bannière de la légion s’enfoncèrent plus loin dans les rangs des laers furibonds. Le temple était désormais tout proche. Un tir d’énergie verte partit et Fulgrim se jeta de côté. Il ressentit tout de même la chaleur de la décharge, mais ignora la souffrance, et se tourna face à la menace. La garde phénicienne avait déjà massacré son attaquant.
— La bannière va tomber ! cria quelqu’un, et Fulgrim vit frère Thestis à genoux, son corps devenu une statue de flammes, consumé par le tir xenos. L’étendard de la légion glissa de la main morte de Thestis et bascula vers le sol. Le tissu de la bannière avait lui aussi commencé à prendre feu.
Fulgrim s’élança vers Thestis et rattrapa la bannière avant qu’elle ne fût tombée à terre, puis la leva bien haut d’une main pour que toute la légion puisse la voir flotter. Dans sa voracité aveugle, le feu se répandait sur le tissu, détruisant ce qu’une centaine de femmes émues aux larmes avaient brodé pour le sublime primarque de la 3e légion. L’héraldique de la serre d’aigle disparut sous les flammes, et Fulgrim se sentit pris de fureur devant cette nouvelle insulte faite à son honneur. Les lambeaux du tissu brûlé flottaient autour de lui, mais l’aigle qui surmontait la hampe était resté intact comme si une puissance supérieure le protégeait.
— L’aigle vole toujours ! cria-t-il. L’aigle ne tombera jamais !
Les guerriers de Fulgrim rugirent de colère devant cet outrage porté à leur bannière et redoublèrent d’ardeur dans leurs efforts pour détruire l’ennemi. Les détonations sèches de coups de bolter retentirent à côté de Fulgrim, qui se tourna pour voir Julius Kaesoron abattre deux laers ailés qui fondaient en direction de l’étendard noirci. La garde phénicienne forma un cordon protecteur autour de Fulgrim lorsque celui-ci alla vers le capitaine des Terminators, l’aigle brillant toujours brandi.
— Capitaine Kaesoron ! cria-t-il. Vous êtes en retard.
— Mes excuses, monseigneur, dit Kaesoron d’un air contrit. Trouver un chemin pour franchir le corail s’est avéré plus difficile que nous l’imaginions.
— La difficulté n’excuse rien, l’avertit Fulgrim. La perfection se doit de surmonter la difficulté.
— Oui, monseigneur, reconnut Julius. Cela n’arrivera plus.
Fulgrim hocha la tête.
— Où est la compagnie du capitaine Demeter ?
— Je n’en sais rien, monseigneur. Il n’a répondu à aucun de mes appels radio.
Fulgrim se détourna de lui et reporta son attention sur la bataille.
— Je vais avoir besoin de vous et de vos guerriers pour forcer l’accès à ce temple. Suivez-moi.
Sans attendre de réponse, Fulgrim traversa d’une course rapide le périmètre délimité par sa garde phénicienne, qui se reforma autour de lui alors qu’il portait à nouveau la hampe de l’aigle au contact de l’ennemi. Des missiles et des obus frappèrent le temple, et des morceaux massifs de corail s’écrasèrent dans la vallée, aplatissant les laers rassemblés à sa base.
Avec Fulgrim à leur tête, les Emperor’s Children formèrent une pointe d’attaque qui s’enfonça au milieu des xenos. Plus près du temple, ceux-ci se mirent à résister avec une violence confinant à la folie furieuse ; le musc rose enveloppait leurs corps d’une brume cotonneuse, et leurs cris évoquaient ceux des banshee des mythes anciens. Ils attaquaient maintenant sans plus se préoccuper de leur sécurité, et Fulgrim aurait pu jurer que certains ne faisaient que se jeter sur sa lame. Chacun de ses coups leur arrachait un sang sombre, et ce qu’il jurerait plus tard avoir été des hululements de plaisir.
Les flèches noueuses du temple hurlant se dressaient au-dessus de lui. La grande arche d’entrée lui évoquait la bouche d’une grotte sous-marine. D’énormes blocs de corail éclaté, arrachés à la façade, étaient dispersés alentour, et des dizaines de guerriers serpentins les contournaient, leurs bras multiples armés de lames courbes dont les crépitations brillaient intensément dans la brume que déversait le temple.
Les Emperor’s Children les percutèrent et le combat fut aussi sanglant qu’il fut bref. Les laers se battirent en portant des coups de leurs lames mortelles à une vitesse inhumaine. Même les armures Terminator ne protégeaient pas de telles armes, et plus d’un guerrier parmi ceux de Kaesoron perdit un membre ou la vie.
À présent que toujours plus d’Emperor’s Children descendaient dans la vallée, rien ne pouvait encore endiguer leur avance, et ils laminèrent les guerriers xenos qui se tenaient entre eux et la bouche béante de l’entrée.
— Nous allons les vaincre, mes enfants ! cria Fulgrim.
La hampe de l’aigle serrée dans une main et son épée dorée dans l’autre, il se fraya un chemin jusque dans le temple des laers.
Julius Kaesoron avait tué avec la fureur d’un guerrier d’Angron. La honte d’avoir été sermonné par le primarque l’avait porté vers des sommets inouïs d’intrépidité pour qu’il pût à nouveau prouver sa valeur. Il avait perdu le compte des laers tombés sous ses coups, et à présent, les ténèbres du temple l’enveloppaient tandis qu’il suivait l’aigle d’or brandi par son primarque, vers le cœur de la structure de corail noir.
L’obscurité était comme une chose vivante, qui avalait les sons et la lumière, comme pour en préserver jalousement le temple. Julius continuait d’entendre à l’extérieur les explosions sourdes, les détonations, le choc des lames, et les hurlements des tours à vous glacer les nerfs, mais ces bruits diminuaient à chaque pas comme s’il descendait dans un puits infiniment profond.
Devant lui, Fulgrim avançait à grands pas, sans avoir conscience ou sans se soucier de l’effet que les ténèbres du temple avaient sur ses guerriers. Julius, lui, se rendait compte que même la garde phénicienne d’ordinaire inébranlable se sentait mal à l’aise dans cet endroit. Et cela n’avait rien d’étonnant, puisque le primarque lui-même avait déclaré qu’il s’agissait d’un lieu de culte.
Une telle idée répugnait tout autant Julius que l’idée de l’échec. Le seul fait de penser qu’il se trouvait dans un temple, où ces méprisables créatures extraterrestres avaient vénéré de faux dieux, attisait encore la flamme de son exécration. Les guerriers qui avaient pénétré dans le temple suivirent leur meneur en adoptant une formation dispersée, leurs épées levées, leurs bolters prêts à faire feu au cas où une nouvelle menace les guettait dans l’édifice que les laers avaient tant lutté pour défendre.
— Je ressens comme une grande puissance ici, dit Fulgrim, dont la voix paraissait incroyablement distante.
La garde phénicienne resserra ses rangs autour du primarque, mais il leur fit signe de s’écarter, remit Lame de Feu au fourreau et leva les mains pour retirer son casque à ailes d’aigle avant de le tendre au plus proche de ses protecteurs. Les gardes phéniciens conservèrent leurs casques, mais beaucoup d’autres guerriers suivirent l’exemple de leur primarque.
Julius fit de même, détacha les loquets au niveau de son gorgerin et souleva de sa tête le casque très ajusté. La sueur lui rendait la peau moite, et il prit une profonde inspiration pour nettoyer ses poumons de l’oxygène rance que recyclait son armure. L’air était chaud et parfumé ; le même musc écœurant se répandait depuis des trous ouverts dans les murs, et il fut surpris de se sentir comme un peu enivré.
Les ténèbres du temple commencèrent à se lever à mesure qu’ils y pénétraient plus profondément, et Julius se mit à entendre ce qui ressemblait à une musique forcenée, venue de devant eux, comme si un million d’orchestres déments jouaient un million d’airs différents. Une lueur vacillante, multicolore, perçait la pénombre là où Julius situait la source de cette musique. Même à cette distance, il sentait déjà le souffle d’air froid qui suggérait un espace beaucoup plus grand ouvert devant eux, et il força l’allure, avançant à grands pas lourds pour rattraper son primarque.
Lorsque Julius entra dans la caverne, il eut l’impression qu’un voile dont il ignorait l’existence lui était retiré du cerveau, et plaqua ses mains contre ses oreilles alors qu’un torrent de sensations l’assaillait, dans un grand élan de lumière et de bruit.
Une lumière brûlante emplit l’espace immense à l’intérieur du temple en sautant d’un mur à l’autre, et des bruits discordants retentirent dans une tempête de son. Des couleurs fantasmagoriques tourbillonnaient en l’air, comme si la lumière était prisonnière des volutes aromatiques qui emplissaient la salle. Des statues monstrueuses de ce que Julius supposait être les dieux des laers se succédaient sur la circonférence du temple ; des êtres massifs aux bras multiples, à tête de taureau et aux cornes incurvées. De nombreux anneaux dentelés perçaient leur peau de pierre, et le poitrail de chaque dieu était pris dans des plaques d’armure segmentée qui lui laissait nu le sein droit.
Des fresques bestiales couvraient chaque centimètre carré des murs. Julius se raidit en s’apercevant que des centaines de laers se tortillaient sur le sol de la salle. Le frottement de leurs corps était le son le plus hideux qu’il put s’imaginer ; il voulut crier un avertissement, mais comprit alors que cela n’était pas nécessaire. Les corps serpentins étaient hideusement entremêlés, dans ce qui ressemblait à une sorte de grand rassemblement sexuel grotesque.
De toute évidence, l’énergie qui avait engendré une telle frénésie démente à l’extérieur du temple ne s’était pas étendue aux laers qui se trouvaient à l’intérieur. Ils étaient étendus là, dans un repos langoureux, leurs corps luisants aux multiples teintes percés des mêmes bijoux que ceux des statues. Leurs mouvements lents suggéraient l’influence d’un puissant narcotique.
— Que leur arrive-t-il ? demanda Julius au milieu de la cacophonie. Ils sont en train de mourir ?
— Si c’est le cas, on dirait que cette mort leur est très agréable, dit Fulgrim, les yeux avidement fixés sur quelque chose au centre de la salle. Julius suivit son regard, et vit que les laers entouraient un bloc circulaire de pierre noire veinée, dans lequel était planté une longue épée à la lame doucement incurvée.
Le manche en était long et argenté, sa surface gravée d’un motif d’écailles de serpent. La pierre violette sertie dans le pommeau jetait des reflets éblouissants.
— C’est elle qu’ils protégeaient, dit Fulgrim. Sa voix parut distante et ténue aux oreilles de Julius. La fumée lui piquait les yeux, et il sentait les prémices d’une forte migraine alors que la lumière et les bruits continuaient de marteler ses sens.
— Non, murmura-t-il ; il savait, sans savoir comment, que les laers n’étaient pas ici pour offrir leurs louanges, mais qu’ils étaient les esclaves de ce temple. Ça n’est pas un lieu de culte. C’est cet endroit qui les domine.
En tenant toujours la hampe de la bannière, Fulgrim avança parmi la masse des laers entortillés. Sa garde phénicienne voulut le suivre, mais il leur fit signe de rester en arrière. Julius voulut crier à son primarque qu’il se passait ici quelque chose de très anormal, mais la fumée odorante sembla se précipiter pour emplir ses poumons, et il ne trouva pas le souffle qu’il lui fallait, cependant qu’un murmure strident lui parla à l’oreille.
Laisse-le me prendre, Julius.
Les mots s’évaporèrent de son esprit aussitôt qu’ils eurent été prononcés, et il sentit une étrange torpeur se répandre à l’intérieur de lui. Le bout de ses doigts se mit à le picoter de façon plaisante tandis qu’il regardait Fulgrim marcher au milieu des laers étendus.
À chaque pas que faisait le primarque, ces derniers s’écartaient devant lui, lui dégageant un chemin vers le bloc de pierre, et quand il eut atteint l’épée, Julius se souvint des paroles de Fulgrim quand ils étaient entrés dans le temple. Je ressens comme une grande puissance ici.
Il sentit une tension flotter dans l’air, un souffle être porté par le vent qui hurlait à l’intérieur du temple, une pulsation dans les murs vivants, et… Et… Le cri de libération poussé lorsqu’une lame lacérait un globe oculaire, la caresse de la soie sur la peau, le hurlement arraché à la bouche d’une chair violée, l’ivresse de qui prenait plaisir à sa propre mutilation.
Julius cria alors que les sensations d’horreur et d’extase lui emplissaient la tête. Un rire délirant emplit la salle, bien que nul autre que lui ne semblait l’entendre. Il releva les yeux au milieu de sa souffrance, pour voir les doigts de Fulgrim se refermer souplement autour du manche de l’épée. Un soupir emplit le temple, comme celui du vent sur les déserts les plus vides. Julius sentit un tremblement courir dans la structure, un frisson de délivrance et d’accomplissement, alors qu’il regardait Fulgrim retirer la lame de son bloc de pierre.
Le primarque des Emperor’s Children leva la lame à son visage pour l’admirer. Une lueur spectrale fut jetée sur ses traits pâles par les couleurs qui dansaient dans la salle. Les laers continuaient de se tortiller à terre, pris d’une ondulation obscène, alors que le primarque levait la hampe de la bannière pour la planter dans la pierre, là où il venait de retirer l’épée.
L’aigle accrocha la lumière. Ses ailes en projetèrent des centaines de reflets fracturés. Pour Julius, le spectacle fut hideux : sous cette lumière, l’aigle semblait se tordre de douleur.
Fulgrim fit tourner l’épée dans sa main, testa son équilibre, et sourit en posant les yeux sur les centaines de laers avachis autour de lui.
— Exterminez-les tous, dit-il. Ne laissez aucun survivant.