21.
Le commissariat était à peu près aussi désert que le reste de la Suède urbaine à cette heure-là. Winter entendait résonner ses pas à travers les couloirs. Un phénomène jamais aussi flagrant que durant les week-ends prolongés. Ce n’était pas la première fois qu’il se retrouvait coincé sur place, tandis que le reste de l’humanité passait décemment ses loisirs en famille. Mais il était parmi les siens d’une façon, cette grande famille unie autour du crime, des deux côtés de la frontière de la légalité. Une frontière de plus en plus difficile à discerner : elle avait glissé de plusieurs dizaines de kilomètres depuis le début de sa carrière. Existait-elle encore ? Jusqu’où allait-elle ? Peut-être vivaient-ils maintenant dans une société sans frontières. Amour, haine sans frontières.
Les couloirs de brique rouge lui renvoyaient l’écho de ses pas, mais il n’y prêtait plus aucune attention. Un raclement de gorge, assez désagréable, lui parvint alors d’une porte grande ouverte. Un bruit familier.
– Toujours là ? lança-t-il depuis le seuil.
– Déjà là plutôt, je viens d’arriver, lui répondit Ringmar, assis à son bureau.
– Je te pensais à la maison en train de te faire beau.
– Vraiment ?
– Non.
– Il me faudrait des heures pour arriver à me faire beau, sourit l’« ancien ».
Winter consulta l’horloge.
– 14 h 30.
– Ça nous laisse du temps.
– Pour faire quoi ?
Ringmar désigna d’un geste les documents et photos qui s’étalaient sur sa table :
– Un vrai puzzle.
– Tu crois ?
– Comment t’appelles ça ?
– Je ne sais pas, Bertil. Un massacre.
– Sans compter le meurtre de la femme à Ranneberg.
– Tu crois qu’il pourrait y en avoir d’autres ?
– Si l’on considère tous les paramètres qui nous échappent… oui.
– Pourquoi ?
– Parce qu’on n’arrive pas à récolter un seul tuyau.
– Et pourquoi ?
– Ils ont la trouille. Tous ceux qui sont mêlés à ça crèvent de trouille.
– Pourquoi cette trouille ?
– Parce qu’ils sont au courant.
– De quoi ?
– De ce qu’on cherche à savoir.
– C’est peut-être l’inverse, avança Winter.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Ils ont peut-être peur parce qu’ils ne savent pas.
Ringmar ne répondit pas. Après toutes ces années de collaboration… Ces échanges éclairs pouvaient renfermer des réponses à des questions plus importantes. Que ce soit au début de leurs élucubrations, ou bien au milieu, ou à la fin, quelque chose apparaissait, surgissait, qui leur permettait de poursuivre plus loin. Il n’était pas dans les traditions de la police qu’on enregistre ces tête-à-tête, mais ce qui avait de la valeur, ils le gardaient en mémoire… et ils allaient peut-être tomber sur un nouveau filon ce jour-là. À moins que ce petit jeu ne soit qu’une perte de temps quand ils avaient autre chose à faire, comme de fêter la Saint-Jean.
– Apparemment, ça les a pas mal secoués, dans le quartier, constata Ringmar.
– C’est large comme quartier.
– Mais ça les a bien secoués.
– Tous ?
– Plus ou moins tout le monde d’après la police locale. À propos, j’ai parlé avec Sivertsson, ajouta Ringmar en désignant le téléphone.
– Qu’est-ce qu’il en dit ?
– Comme je te le disais. Les gens sont secoués. Les gangs sont inquiets. D’habitude ils sont au parfum et là, ils ne savent pas grand-chose, pour ne pas dire rien. Avec un peu de chance, ça va se terminer en guerre civile, selon lui.
– Il a employé cette expression ?
– Sivertsson a le goût de la plaisanterie. D’après moi, il pensait à quelque chose du style « que le meilleur gagne ». Ensuite, il n’en restera plus beaucoup à coffrer.
– Mais ce seront les plus costauds.
– C’est sûr.
– Darwin est incontournable, soupira Winter.
– Tu crois que tout marche comme ça, Erik ?
– Il a dit quelque chose sur l’indic du Frangin ?
– Il n’était pas au courant. Il nous renvoie au Frangin. C’est comme ça qu’ils bossent.
– J’attends son coup de fil. Depuis un moment.
– L’indic n’a pas dû réapparaître.
– Ce qui nous fait un tonton disparu en plus du suspect, résuma Winter.
– Et si c’était la même personne ?
– Non. Même le Frangin ne nous ferait pas des cachotteries pareilles.
– Et s’il n’en savait rien ? Il ne le connaît peut-être pas, ce type-là. L’important c’est ce qu’il peut lui rapporter, non ? (Ringmar se leva.) Tu lui as demandé ?
– Il y a sûrement pensé tout seul.
– Il raisonne aussi bien que nous ?
– Aussi bien que toi, Bertil. Parle pour toi.
Winter eut un sourire. Ça faisait du bien. Il avait la peau qui tirait, comme s’il ne s’était pas déridé depuis longtemps. Les derniers jours avaient été pénibles, tendus. Il avait l’impression de n’avoir pas dormi de toute la semaine. Effectivement. Les journées de dix-sept, dix-huit heures, pendant des semaines d’affilée, c’était le lot de ce métier. Prétendre que les policiers en étaient quittes avec leur travail une fois refermée derrière eux la porte de leur bureau, c’était se foutre du monde. Par ailleurs, il y était rarement, dans son bureau. Son bureau à lui, c’était la rue, les visites chez des innocents, des coupables, à la morgue ou dans la salle d’autopsie, les champs, les lacs, les fossés et les bois, les cités ou les belles villas, les autoroutes, la mer ou le sommet d’une montagne. Il était partout.
– J’ai parlé d’autre chose avec Sivertsson, reprit Ringmar. Ou plutôt c’est lui qui m’en a parlé.
– C’est OK du moment que tu sais que vous vous êtes parlé tous les deux, Bertil. Alors, à quel sujet ?
– Prostitution.
– La prostitution ?
– Oui, ou plutôt la traite des femmes. Traite des femmes et prostitution. Bien sûr, ça existe dans toute la ville. Et c’est très difficile à combattre, tu en sais quelque chose.
– Traite des femmes dans les quartiers nord ? s’étonna Winter. Là-haut, vraiment ?
– Ils ont essayé de démanteler une bande organisée, mais ils ont du mal. Les filles sont trimballées d’un appart à un autre, ils en changent tout le temps.
– Ils savent qui se cache derrière ? C’est quoi cette bande ?
– Ils croyaient savoir.
– C’est-à-dire ?
– Apparemment il y a eu des fuites, de plusieurs côtés à la fois. Il n’en savait pas beaucoup encore, mais quelqu’un, dans un gang de jeunes, a intercepté quelque chose à propos des filles qu’ils utilisent. Des filles très jeunes. Des lycéennes.
– Des lycéennes ? De quel âge exactement ?
– Il ne savait pas.
– Elles viennent de l’étranger ? On les a fait entrer clandestinement ?
– Il n’en savait rien non plus.
– Qu’est-ce qu’il savait finalement ?
– C’était surtout une rumeur apparemment. Il en arrive tout le temps, comme il dit. Surtout sur la prostitution. La différence, c’est qu’ils n’ont pas pu mettre de visage là-dessus.
– Il a employé ces mots ? Mettre un visage là-dessus ?
– Oui…
Winter secoua la tête.
– Qu’est-ce qu’ils comptent faire ?
– Il voulait se donner le temps d’y réfléchir pour essayer d’en savoir plus.
– Mais ça n’a rien à voir avec cette bande de maquereaux sur laquelle ils enquêtaient dernièrement ?
– Apparemment.
– Ils étaient de quelle nationalité, ceux-là ?
– Je crois qu’il parlait d’Albanais, et de Baltes bien sûr.
– Albanais et Baltes ? Les deux pôles de l’Europe. Quelle union ! c’est plus étendu que la Communauté européenne elle-même.
– Les criminels ont souvent un temps d’avance sur les autres, constata Ringmar.
– Mais là, il s’agissait d’autre chose que la canaille habituelle ?
– Sans doute.
– Comment il a récupéré le tuyau ?
– Un indic, je crois.
– Ces foutus indics. J’aimerais quelque chose de plus solide que des approximations anonymes.
– Mmm.
– Mais il faut qu’on regarde ça de près. Qu’on interroge les gens là-dessus.
– Oui.
– Qui est-ce qu’on peut interroger, tu crois ?
– J’aimerais poser la question à Hussein Hussein, déclara Ringmar. J’ai beaucoup de questions à lui poser.

Faute de visite, son bureau sentait le renfermé. Quelques années auparavant, il avait décidé de passer le moins de temps possible dans cette pièce sinistre qui donnait sur la rivière de l’Hospice. Les gens auxquels il avait à parler, il allait les retrouver ailleurs, dans des lieux où ils pouvaient se sentir chez eux, en sécurité, ou bien, au contraire, se retrouver déstabilisés. Il lui arrivait d’interroger quelqu’un, ou plutôt de s’entretenir avec cette personne dans son bureau, mais la plupart du temps, il travaillait n’importe où, en free lance pour ainsi dire. Il lisait mieux chez lui qu’au commissariat, surtout la nuit, quand tout était silencieux. Il avait établi son QG dans un bar près de Kungstorget et là, il arrivait à réfléchir correctement. Dans les bars de la Costa del Sol, il avait pu réfléchir aussi, sur des sujets différents. Il ne se rappelait plus lesquels, mais il avait médité sous le soleil, ou plutôt réfugié à l’ombre des terrasses. Des méditations profondes, de celles qui vous soulagent et vous guérissent. Il était obligé à de tout autres pensées maintenant. Elles ne soulageraient pas, sauf peut-être les familles, à long terme, les survivants, s’il pouvait trouver les coupables, mais il savait qu’il ne leur apporterait qu’une piètre consolation, quelle que soit sa sagacité. S’il s’appliquait à réfléchir, c’était pour autre chose. C’était pour lui-même.
Winter ouvrit la fenêtre et respira une bouffée d’air frais. La vue était détestable, mais l’air faisait du bien, tiède et doux car la façade était à l’ombre. C’était une belle journée. Un tramway cliquetait de l’autre côté de la rivière, en route vers les quartiers nord. Winter ne distinguait personne à l’intérieur. Ceux qui devaient y être, dans ces quartiers, s’y trouvaient déjà.
Il appuya sur la touche démarrage du lecteur de CD sans savoir ce qu’il avait écouté la dernière fois. Ça remontait à une semaine... six mois peut-être. Il tomba, quelle surprise ! sur John Coltrane, dans un duo exceptionnel avec le chanteur Johnny Hartman, un des plus grands, des plus sous-estimés. They say falling in love is wonderful, chantait Hartman, ils disent que c’est merveilleux de tomber amoureux, mais voici que le téléphone se mit à sonner sur le bureau du commissaire.
– Oui ?
– Un appel pour Erik Winter, lui dit la voix de la standardiste.
Elle était nouvelle, une intérimaire pour l’été sans doute. Il ne connaissait pas son nom mais il lui avait adressé un signe de tête en passant devant le comptoir de l’accueil et elle lui avait répondu de même, tout en poursuivant sa conversation au téléphone.
– C’est lui-même. De la part de qui ?
– Un certain le Frangin. Il appelle d’Angered. Vous le prenez ?
– Oui.
Winter attendit un instant avant d’entendre hurler la voix du Frangin. Ce n’était pas la première fois qu’il l’avait au bout du fil : le Frangin ne devait pas faire confiance aux câbles téléphoniques pour couvrir la distance entre Angered et Skånegatan.
– Winter ? C’est bien toi ?
– C’est moi, le Frangin.
Il écarta le combiné de vingt centimètres, avant de le rapprocher de nouveau pour parler.
– Comment va Marko ?
– Marko ? C’est qui celui-là ?
– Marko, ton cousin. C’est toi qui m’as proposé ce nom.
– C’est ça, Marko. C’est pour ça que j’appelle. Toujours en vadrouille.
– Et ça te surprend ?
– Quoi ? Oui, je peux te le dire.
– La situation a bougé chez vous ?
– Non. Sa petite copine fait la gueule. Elle met tout sur mon dos. Alors qu’elle n’est même pas censée me connaître.
– Qu’est-ce qui a bien pu se passer ?
– Soit il est mort, soit il est déjà à Kirkuk à l’heure qu’il est.
– Kirkuk ?
– Ou je ne sais où dans le Kurdistan. C’est une ville du coin, j’en sais pas plus.
– Il est kurde, Marko ?
– Oui.
– Hiwa Aziz aussi.
– Y en a beaucoup des Kurdes, Winter, surtout à Göteborg.
– Et pourquoi il serait mort ?
– Parce qu’il m’a pas donné de nouvelles.
– C’est si grave que ça ?
– Je crois te l’avoir déjà expliqué, Winter. Et je pense aussi que c’est un accident, tout ça, si on peut dire. La disparition de mon indic n’a peut-être aucun rapport avec ton affaire.
– Je ne veux négliger aucune piste, le Frangin.
– Rien entendu de ce côté. Rien du tout.
– Dans cette affaire, on n’entend rien, le Frangin.
– Alors, qu’est-ce qu’on fout maintenant ?

Avant de quitter le commissariat, Winter passa par la brigade technique. Il était sûr qu’Öberg serait là. Il abandonnait Johnny Hartman à son Autumn Serenade, même s’il restait encore du temps d’ici l’automne.
– On doit être les derniers dans la maison, lui dit l’expert en accueillant Winter dans le Saint des Saints.
– Oui, Bertil est parti il y a un quart d’heure.
– Tu ne rentres pas fêter la Saint-Jean ?
– Si, on est invités chez Fredrik et Aneta.
– Chez Halders ? Vous êtes si proches que ça ?
– Il m’adore plus que jamais. Depuis mes six mois d’absence.
– Imagine ce que ce serait si tu partais un an.
– Oui. Ou plus longtemps.
– Je prends ma retraite dans cinq ans, soupira Öberg. Cinq ans, ça passe comme rien. Et Birgersson, au fait ? C’est pas pour bientôt ?
– Dans un mois, répondit Winter.
Dans un bon mois, il serait temps pour le patron de la brigade, Sture Birgersson, de laisser le commissariat et de disparaître dans le secret de sa vie privée. Personne n’en savait rien, n’aurait pu la situer ni la décrire, pas même Winter, qui était pourtant le plus proche de ses collaborateurs. Ils n’étaient jamais allés plus loin dans l’intimité que cette unique fois, l’année précédente, où Birgersson s’était mis à pleurer à la fenêtre de son bureau pour ensuite essuyer ses larmes avec Winter dans un bar. Ç’avait été une circonstance très particulière : Birgersson avait laissé paraître une forme de fragilité. Winter aurait souhaité voir cet événement se produire dix-huit ans auparavant, il en aurait tiré du réconfort en tant que jeune enquêteur.
Öberg désigna la table lumineuse qui présentait les agrandissements d’une carcasse de voiture calcinée :
– Une épave intéressante.
– Je l’espère.
– On a retrouvé un chausson de protection qui n’avait pas entièrement brûlé.
– Bien.
– Par contre, je ne peux pas dire grand-chose sur les traces de pas tout autour.
– Je comprends
– Le labo central doit nous rappeler ce week-end.
– J’attends également des nouvelles de Borås, signala Winter.
– Et moi donc.
– Il faut espérer que les empreintes ont tenu.
– Je n’ai jamais beaucoup d’espoir.
– Je peux te demander encore une chose, Torsten ?
– Du moment que ça reste d’ordre professionnel, Erik.
– Combien de personnes sont impliquées là-dedans ? Combien de meurtriers avons-nous à chercher ?
– Tu commences par la question la plus difficile.
– Je sais.
– C’est ce qu’ils voulaient : nous compliquer la tâche. Regarde les différentes munitions, les armes utilisées. Les chaussons de protection. Les victimes. Sans compter la femme de Ranneberg.
– Nous devons trouver un lien, insista Winter. Un lien entre Hjällbo et Ranneberg.
– Mais il existe : c’est le couple Rezaï.
– Ça ne suffit pas. Il faudrait comprendre. Il nous faut une piste d’interprétation.
– On y travaille.
– Mais pourquoi faire une fixette sur cette bagnole ?
– Je ne sais pas, Erik.
– Ça ne colle pas, comme manière d’agir. Beaucoup trop balourd. Le reste était violent, brutal, comme dans un règlement de comptes, mais n’avait rien de maladroit.
– Il s’est peut-être passé quelque chose. Ils ont dû paniquer.
– Longtemps après ?
– Sur le trajet du retour. Ils ont été obligés de se débarrasser de la voiture alors que ce n’était pas prévu.
– Je pense qu’ils savaient ce qu’ils faisaient, répondit Winter. C’était dans leur plan.
– Du coup, il devient inutile de chercher des empreintes ici, c’est ça que tu veux dire ?
– Absolument pas.
– Alors ?
– Ils se doutent sûrement que nous cherchons des empreintes, mais ils ne savent pas comment nous les utiliserons.
– J’espère que toi, tu le sais, Erik.
– Je le saurai quand je les verrai.
– Les objets retrouvés dans l’appart de Jimmy Foro ne nous ont pas vraiment avancés, objecta Öberg. Ce bouton, par exemple.
– J’avais fini par l’oublier.
– À propos d’oubli, tu m’as demandé combien ils pouvaient être, les meurtriers.
Winter hocha la tête. Elle lui faisait mal. Il venait de ressentir à nouveau cette douleur au-dessus de l’œil, l’espace de deux secondes. Le soleil se réfléchissait un peu partout sur les tables en acier du labo, ce qui n’arrangeait rien. Il fut pris d’une envie subite de partir, de se réfugier à l’ombre, de se réfugier dans la danse. Il en avait tout à coup plus qu’assez de la mort.
– Deux, continua l’expert.
Le mot sonna comme un coup de cloche, deux coups, lourds, pour un moment que Winter avait longtemps attendu.
– Comment es-tu arrivé à cette conclusion ?
– Attention, ça reste de l’ordre de la supposition, OK ?
– Naturellement.
– Plusieurs facteurs. Les empreintes dans le sang par terre. D’après les marques de talons venant des chaussons de protection. Regarde ça.
Öberg se pencha pour sortir d’autres clichés rangés sur l’étagère inférieure. Puis il alla les exposer sur une autre table. Winter l’avait suivi pas à pas. Il avait devant les yeux la mer rouge. Striée de blanc à coups de crayon feutre, comme autant de brûlures. Les traits partaient dans tous les sens.
– Je ne suis pas sûr de la taille, pour les chaussures. Impossible à évaluer avec des chaussons comme ça. Mais on dirait que des deux personnes, il y en avait une bien plus grande que l’autre.
– Et cela signifie ?
– Comme je te dis. Il y en avait un grand et un petit.
Mon Dieu, pourquoi se disputer là-dessus ? Et ce mal de crâne qui ne veut pas me lâcher.
– Plus grande, ou plus petite, de combien ?
– Je ne sais pas. Pas encore.
– Mais ils étaient deux ?
– On dirait. (L’expert désigna d’un signe de tête les images macabres.) Tu peux suivre toi-même la direction de leurs pas. On distingue deux paires de pieds dessinant un cercle comme on pourrait en faire à ski nautique, le diable sait pourquoi !
– Et les victimes ?
– Elles étaient chaussées. On n’a pas pu suivre leurs empreintes. Et puis, ils ne sont pas allés très loin…
– Mmm.
– Ensuite il y a les tirs, les angles de tir, qui semblent suivre les traces des chaussons de protection : deux tireurs.
– Tu as trouvé d’autres traces de chaussures ? s’enquit Winter. Je suppose que tu me l’aurais déjà dit mais… maintenant qu’on a recensé les victimes et les meurtriers… est-ce qu’il y a encore d’autres empreintes de pieds ou de chaussures ?
– Tu penses à Hussein Hussein ?
– Par exemple.
– Non. On n’a rien trouvé de plus.
Winter se pencha de nouveau sur la table lumineuse. Ces lignes pouvaient représenter n’importe quoi et ne lui inspiraient aucune association d’idées.
– D’autres indices montrant qu’ils étaient deux ? demanda-t-il en pointant du menton vers les photos. Ce schéma me paraît étrange. Ils étaient vraiment obligés de bouger autant ? Est-ce qu’il n’aurait pas été plus… économique de rester immobiles et de tirer, un point c’est tout ?
– Un indice ? Oui… la position des corps… nous ignorons, c’est vrai, qui a été touché le premier, mais je pense qu’ils étaient étendus au sol dans l’ordre où ils sont morts. (Öberg regarda Winter.) C’est allé très vite.
– Les meurtriers savaient-ils qui ils tueraient en premier ? Je pense tout haut. Ils avaient décidé de ça à l’avance ?
Le technicien ne répondit pas. Il avait les yeux rivés sur les photos. Comme s’il les voyait pour la première fois.
Il se redressa.
– Tu parlais d’un schéma… étrange. Et la position des corps des victimes… je n’y avais pas pensé avant, pas comme ça. Rapproche-toi un peu. (Il fixa de nouveau les images.) On en parlera après.
– Parler de quoi exactement ?
– Des déplacements de ces bonshommes en chaussons. (Il pointa l’index.) Ici. Là. Et là. Au pied du comptoir, c’est là qu’Aziz est étendu. Tu vois ça ? Comme une forme de croix.
– Oui, c’est à ça que je pensais tout à l’heure. Qu’est-ce que ça signifie ?
– C’est comme s’ils s’étaient écartés l’un de l’autre. Les meurtriers.