Je me souviens qu’alors il n’était plus question que de la campagne du Nord, des batailles de Courtrai, de Pont-à-Chin, de Fleuras ; Jourdan et Pichegru se trouvaient en première ligne au dehors, sur nos frontières. À l’intérieur, Robespierre s’élevait de plus en plus. Il avait fait décréter la reconnaissance de l’Être suprême et la croyance du peuple à l’immortalité de l’âme. Le bruit courait que bientôt tout serait en ordre, que les guillotinades cesseraient après la punition des grands coupables, et que nous aurions enfin le règne de la vertu. La principale affaire c’était de ressembler aux anciens Romains ; on disait que les Jacobins en approchaient, mais qu’ils ne montaient pourtant pas encore à leur hauteur. Beaucoup de citoyens, qui s’appelaient dans le temps Joseph, Jean, Claude ou Nicolas, avaient changé de nom ; le nouveau calendrier ne reconnaissait plus que Brutus, Cincinnatus, Gracchus ; et ceux qui n’avaient pas une grande instruction ne savaient pas ce que cela voulait dire. Aux fêtes patriotiques, les déesses allaient presques nues ; voilà des choses malhonnêtes et véritablement dégoûtantes.
C’était même contraire au bon sens, de vouloir ressembler à des gens que les trois quarts de la nation ne connaissaient pas, et de nous réformer sur le modèle des anciens païens, à demi-sauvages ; mais on se gardait bien de s’indigner contre ces bêtises, parce que les dénonciations pleuvaient, et qu’on était empoigné, jugé et guillotiné dans les quarante-huit heures. Chaque fois que Robespierre parlait à la Convention, on votait l’impression de ce qu’il avait dit ; tous les clubs, toutes les municipalités recevaient ses discours, qu’on affichait partout, comme aujourd’hui les mandements des évêques. On aurait cru que le bon Dieu venait de parler.
Et tout à coup, en juin et juillet, cet homme se tut ; il n’alla plus dans les Comités de surveillance et de salut public. Moi, je crois en mon âme et conscience qu’il se figurait qu’on ne pouvait plus se passer de lui ; qu’il faudrait absolument le supplier à genoux de revenir, et qu’alors il ferait ses conditions au pays. J’ai toujours eu cette idée, d’autant plus que son ami Saint-Just, qui rentrait d’une mission à l’armée, voyant que rien ne bougeait, que tout marchait très bien sans eux, déclara qu’il fallait un dictateur, et que ce dictateur ne pouvait être que le vertueux Robespierre. Il fit cette déclaration au Comité de salut public ; mais les autres membres du Comité virent où ces êtres vertueux voulaient nous mener : ils refusèrent ! et l’homme incorruptible, indigné contre ceux qui se permettaient de lui résister, résolut de s’en débarrasser. Tout ce que j’ai lu depuis me porte à croire ce que je vous dis. Robespierre était un dénonciateur ; avec ses dénonciations il avait épouvanté le monde ; il voulut dénoncer les membres du Comité eux-mêmes, et les envoyer rejoindre Danton.
En ce temps, vers la fin de juillet, les chefs de notre club, qui recevaient les ordres des Jacobins, Élof Collin en tête, se rendirent à Paris pour la fête de thermidor, et les gens eurent peur ; on pensa qu’il se préparait un grand coup. C’étaient tous des robespierristes, principalement Élof ; depuis leur départ on n’osait plus se parler.
Cela dura huit ou dix jours ; et voilà qu’un beau matin des courriers apportèrent la nouvelle que Robespierre, Couthon, Saint-Just, avec tous leurs amis, avaient été ramassés d’un coup de filet et guillotinés du jour au lendemain. Ce fut quelque chose de terrible en ville ; les femmes, les enfants de nos patriotes crurent que leur père, leurs frères, leur mari se trouvaient dans le nombre. Qu’on se représente la position de ces gens, qui n’osaient crier ni se désoler, car Saint-Just lui-même avait fait décréter que ceux qui plaignaient les coupables étaient suspects, et que s’ils recevaient chez eux, quand ce serait leur propre mère, ils méritaient la mort ; qu’on s’imagine un serrement de cœur pareil.
Nous en frémissions tous lorsque, le 1er août au soir, étant seul avec Marguerite dans notre petite chambre donnant sur la place de la Halle, au moment de nous coucher, nous entendîmes deux coups au volet. Je pensais qu’un citoyen avait oublié quelque chose, de l’huile, une chandelle, n’importe quoi ; j’ouvris donc : Élof Collin était là !
– C’est moi, dit-il, ouvre.
Aussitôt je sortis ouvrir la porte de l’allée, tout inquiet ; ce n’était pas une petite affaire de recevoir alors des robespierristes qui revenaient de Paris, mais pour un vieux camarade de Chauvel j’aurais risqué ma tête.
Collin entra ; je poussai le verrou de l’allée et je le suivis. Dans notre chambre, la chandelle sur la table, Élof un instant regarda de tous côtés, en écoutant. Je le vois encore, avec son grand chapeau à cornes, son habit de drap gris bleu ; sa grosse perruque nouée sur le dos, les joues tirées et son gros nez camard tout blanc.
– Vous êtes seuls ? dit-il en s’asseyant.
Je m’assis en face de lui sans répondre. Marguerite resta debout.
– Tout est perdu ! fit-il au bout d’une minute, les fricoteurs, les voleurs, les filous ont le dessus, la république est à bas. C’est un grand hasard que nous en soyons réchappés.
Il jeta son chapeau sur la table, continuant de nous regarder, pour savoir ce que nous pensions.
– Quel malheur ! dit Marguerite, depuis votre départ nous étions tous en méfiance.
Et lui, baissant encore la voix dans ce grand silence de la nuit, nous raconta que les principaux jacobins de la province, les chefs de clubs avaient reçu l’avis d’être à Paris pour la fête de thermidor, parce qu’il se préparait une épuration générale. Mais qu’en arrivant là-bas, sauf les jacobins, qui restaient toujours fermes dans leurs bonnes idées, ils avaient trouvé tout gangrené : la Convention et les Comités ; qu’alors Robespierre avait risqué son rapport contre les Comités, et que la Convention, bien à contre-cœur, par habitude et par crainte, avait voté l’impression du rapport ; mais que les fricoteurs, qui se sentaient menacés, avaient fait retirer le décret d’impression et renvoyer le rapport à l’examen des Comités eux-mêmes ; chose abominable, puisque c’étaient des Comités de salut public et de sûreté générale que Robespierre venait de dénoncer et qu’il voulait purifier : ces gens ne pouvaient se juger eux-mêmes ! Qu’ensuite Robespierre avait lu son rapport le même soir au club des Jacobins, et que tous les patriotes s’étaient déclarés pour lui ; qu’on pensait même à soulever les sections contre la Convention ; que Payan, Fleuriot-Lescot, le maire de Paris, Henriot, le commandant de la garde nationale, enfin tous les bons sans-culottes ne demandaient qu’à mettre la main sur les Comités, dans la nuit, et bousculer tout de suite la faction des corrompus.
Mais que Robespierre, trop vertueux, s’opposait à l’insurrection contre la Convention, qui pouvait vous mettre hors la loi ; qu’il aimait mieux renverser la Montagne et les Comités, en appelant la droite et le centre de l’assemblée à son secours, les hommes vertueux du centre, qu’on appelait autrefois les crapauds du marais ; que ces êtres sans caractère, ne sachant pas lesquels d’entre eux étaient sur la liste d’épuration, et qui se sentaient tous véreux plus ou moins, s’étaient laissé gagner par les fricoteurs dans cette même nuit, de sorte que le lendemain dimanche, 9 thermidor, Saint-Just ayant voulu parler à l’ouverture de la Convention, Tallien, le plus grand scélérat de l’ancienne Montagne, avait coupé la parole à cet homme vertueux ; que les autres s’en étaient mêlés, et que Robespierre lui-même n’avait pu dire un mot, parce que tous les membres de l’Assemblée, à gauche, à droite, en haut, en bas, ensemble et l’un après l’autre le forçaient de se taire, en l’appelant Cromwell, tyran, despote, triumvir, et finalement en le décrétant d’accusation, lui Robespierre, Auguste-Bon-Joseph son frère, Couthon, Saint-Just, Lebas, en les faisant empoigner et conduire dans les prisons de Paris.
Voilà ce que nous raconta Collin ; nous l’écoutions bien étonnés, comme on pense.
Il nous dit ensuite que pendant cette séance le peuple attendait ; que vers le soir, ayant appris ce qui s’était passé, il s’était soulevé pour la délivrance de ces grands patriotes ; que la brave Commune avait fait sonner le tocsin, et que les officiers municipaux avaient été délivrer les prisonniers, en les emmenant à l’hôtel de ville ; mais que Henriot, un peu gris, selon son habitude, s’était fait arrêter en courant les rues à cheval pour soulever le peuple, et que les corrompus l’avaient emmené prisonnier au Comité de sûreté générale.
Ces choses se passaient entre cinq et sept heures du soir. À sept heures, la Convention devait se réunir encore une fois ; on le savait ; Coffinhal courut aux Tuileries délivrer Henriot avec une centaine de canonniers patriotes, qui braquèrent aussitôt leurs canons sur la porte de la Convention, pour empêcher les représentants d’entrer. Malheureusement, dit Collin, Henriot, au lieu de rester là tranquillement, eut la bêtise d’aller demander des ordres à l’hôtel de ville ; pendant ce temps, les représentants arrivèrent, les canonniers se dispersèrent, et la Convention, malgré le tocsin, malgré les cris du dehors et le danger de l’insurrection, mit Henriot, les deux Robespierre, Couthon, Saint-Just, Lebas, tous les conspirateurs de la Commune et les principaux Jacobins hors la loi. Elle envoya des commissaires lire ce décret dans toutes les sections, et nomma Barras commandant de la force armée contre les rebelles.
– Tout cela, nous dit Collin avec indignation, retombe sur Henriot : le malheureux s’était grisé dès le matin, il criait, il levait son sabre et ne donnait pas d’ordres.
Moi je pensai tout de suite à Santerre, à Léchelle, à Rossignol : ces braillards se ressemblaient tous ; ceux qui les suivaient allaient à la déroute ou bien à la guillotine.
Le grand Élof, désolé, nous dit qu’alors les sans-culottes en masse avaient eu peur d’être compris dans le décret de mise hors la loi, et qu’au lieu d’aller soutenir Robespierre et les hommes purs à l’hôtel de ville, le plus grand nombre étaient allés rejoindre Barras aux Tuileries en criant : « Vive la Convention ! » et qu’entre une et deux heures du matin, avant le jour, toute la garde nationale était descendue des deux côtés de la Seine, malgré la fusillade d’une poignée de patriotes qui voulaient résister le long de la rivière ; qu’elle avait envahi la maison commune, où se trouvaient les vrais représentants du peuple ; que Henriot avait été jeté par les fenêtres ; que Robespierre avait reçu un coup de pistolet à la figure ; qu’on avait traîné Couthon dans un égoût ; que Lebas s’était tué ; que Saint-Just, Robespierre jeune, enfin tous les soutiens de la république, à travers les coups de pied, les coups de crosse, les soufflets et les crachats, avaient été ramenés en prison, et Robespierre transporté sur une planche à la Convention, où l’on n’avait pas même voulu le voir, soi-disant parce que sa vue aurait souillé les regards des fricoteurs ; – et que finalement ces martyrs, avec une quantité d’autres jacobins, officiers municipaux, etc., tous hors la loi, avaient été traînés à la guillotine, place de la Révolution, au milieu des cris, des tas de boue et des affronts de toute sorte, tellement humiliés et maltraités qu’ils ne pouvaient plus se tenir debout, et que le pauvre Couthon, aux trois quarts mort, roulait sous les pieds des autres, dans la charrette, demandant pour seule grâce d’être achevé ; qu’en face de l’échafaud on avait gardé Maximilien Robespierre le dernier, pour voir guillotiner ses amis ; que le bourreau, un royaliste, lui avait arraché son bandeau et l’avait exposé tout vivant, la figure mâchurée, aux yeux du peuple furieux, et puis qu’il l’avait tué comme les autres.
C’est ce que nous dit Élof Collin en frémissant ; et je me rappelai Danton, Camille Desmoulins, Westermann ; je vis que les mouchards avaient fait pour ceux-ci comme pour les premiers. J’écoutais cette histoire avec dégoût. Collin, tout pâle, ayant fini par se taire, je lui dis :
– Écoute, citoyen Élof, ce que tu viens de nous raconter ne m’étonne pas ; ce qui m’étonne, c’est que la chose ait duré si longtemps. Dans un temps, lorsque nous avions toute l’Europe et la Vendée sur les bras, il a fallu suspendre l’application de la constitution de 93 ; il a fallu établir le Comité de salut public, le Comité de surveillance générale et le tribunal révolutionnaire ; il a fallu la terreur contre les aristocrates, contre les égoïstes, contre les conspirateurs et les traîtres qui livraient nos places et montraient le chemin du pays à l’étranger ; mais voilà plusieurs mois que la guillotine marche contre les meilleurs patriotes ! N’est-ce pas une véritable abomination que des hommes comme Danton, comme Desmoulins, Hérault-Séchelles, Lacroix, Bazire, Philippeaux, Westermann, etc., qu’on avait vus à la tête de toutes les grandes journées de la révolution, aient été guillotinés sans jugement, par des êtres qui tremblaient dans leur peau et se cachaient les jours de bataille ; par des êtres qui se tenaient en embuscade dans leur bureau de police, comme les araignées au milieu de leur toile ? N’est-ce pas une honte pour la France et la république ? Est-ce que cela pouvait nous faire du bien de guillotiner Danton ? Est-ce que les despotes n’ont pas dû rire ce jour-là ? Est-ce que nos plus grands ennemis auraient pu nous faire un pareil tort ? Est-ce que tous les citoyens de cœur et de bon sens n’ont pas frémi d’indignation ?
Collin me regardait, le poing sur la table et les lèvres serrées.
– Tu ne crois donc pas à la vertu de Robespierre, toi ? fit-il.
– À la vertu de Robespierre et de Saint-Just ! lui dis-je en levant les épaules. Est-ce qu’on peut croire à la vertu des scélérats qui ont assassiné Danton parce qu’il était plus grand, plus fort, plus généreux qu’eux tous ensemble ; parce qu’il voulait mettre la liberté et la miséricorde à la place de la guillotine, et que, lui vivant, les dictateurs n’étaient pas possibles ?… Où donc était leur vertu extraordinaire ? Qu’est-ce qu’ils ont donc fait qui les élève tant au-dessus des autres ? Quels dangers ont-ils donc courus de plus que sept ou huit cent mille citoyens partis en sabots à la frontière ? Est-ce qu’ils ont manqué de pain, de feu et de chaussures en hiver, comme nous autres en Vendée ? Non, ils ont fait de longs discours, prononcé des sentences, donné des ordres, proscrit ceux qui gênaient leur ambition, et finalement essayé de se faire nommer dictateurs. Eh bien ! moi je ne veux pas de dictateurs, et j’aime mieux la liberté que la guillotine ; c’est trop commode de tuer ceux qui ne pensent pas comme vous, le dernier brigand peut faire la même chose. C’est pour la liberté que je me suis battu ; pour avoir le droit de dire et d’écrire ce que je pense ; pour avoir des biens à moi, des champs, des prés, des maisons, sans dîmes, sans champart, sans privilèges, quand je les aurai gagnés honnêtement par mon travail ; c’est pour manger mon bien ou pour l’entasser, si cela me convient, sans que des êtres purs, des êtres incorruptibles, tirés à quatre épingles comme des femmes, puissent mettre le nez dedans et me dire : « Tes habits sont trop beaux, tes dîners sont trop bons, tu ne ressembles pas aux Romains, il faut te couper le cou. » Quels abominables despotes !… C’était l’égoïsme et l’orgueil incarnés !… Des gens qui n’avaient jamais vécu que devant leur écritoire, et qui se figuraient qu’on change les hommes avec des sentences et des décrets d’accusation, la guillotine en permanence pour se faire obéir !… Ah ! pouah ! quand j’y pense, ça me tourne le cœur.
L’indignation me possédait. Collin, ne trouvant rien à me répondre, se leva tout à coup, prit son chapeau et sortit en allongeant le pas. Marguerite, derrière lui, poussa le verrou de l’allée et revint. Je croyais qu’elle allait me faire des reproches, mais au contraire en rentrant elle me dit :
– Tu as raison, Michel, c’étaient des malheureux remplis d’orgueil. J’ai vu Saint-Just ici ; c’est à peine s’il répondait à ceux qui lui parlaient, tant il se faisait une haute idée de lui-même. Ah ! que le pauvre Danton et Camille Desmoulins valaient bien mieux ! On n’aurait jamais cru que ces patriotes étaient les premiers hommes de la république ; la bonté et le courage se voyaient peints sur leur figure. Les autres ; secs, raides, vous regardaient du haut de leur grandeur ; ils se croyaient, bien sûr, d’un autre sang que nous. Mais c’est égal, la république vient de recevoir un coup terrible ; les filous qui restent maîtres nous vendront.
– Bah ! bah ! Marguerite, lui dis-je, ne te figure donc pas que cinq ou six hommes sont la France. Le peuple c’est tout ; le peuple qui travaille, le peuple qui se bat, qui se défend, et qui fait des économies pour lui et non pour les autres. Ce qu’il a gagné, sois tranquille, quand tous les despotes et les esclaves s’entendraient ensemble, il ne leur en lâchera plus rien ; il faudrait nous hacher tous jusqu’au dernier, pour nous ôter seulement un brin d’herbe. Le reste viendra tout seul ; nos enfants seront instruits, ils sauront ce que chaque pouce de terre nous a coûté ; je ne pense pas qu’ils seront plus bêtes ou plus lâches que nous, et qu’ils se laisseront dépouiller.
Ainsi se passa ce jour. Le lendemain, ce qu’Élof Collin nous avait raconté se répandit dans la ville. Toutes les figures furent changées ; les unes semblaient sortir de dessous terre et les autres y rentrer. Il ne faut pourtant pas croire que la terreur finit alors ; sans doute des quantités de prisonniers revinrent de Nancy, de Metz, des ponts couverts de Strasbourg : des gens à demi-morts d’épouvante, qui s’étaient attendus chaque jour à s’entendre appeler devant le tribunal révolutionnaire et puis à monter sur la charrette ! J’en ai connu plus de cinquante de notre pays, et tous ont répété jusqu’à la fin que le 9 thermidor les avait sauvés. Mais ces gens, au lieu d’être contents, auraient voulu se venger et faire guillotiner les autres, et c’est dans ce temps que la haine contre les jacobins commença. On appelait jacobins, non seulement les partisans de Robespierre, mais encore les dantonistes, les hébertistes, tous les républicains ensemble. Les vrais patriotes comprirent d’où cela venait ; ils se réunirent !… C’est pourquoi tous encore aujourd’hui ne sont pas fâchés de s’entendre appeler jacobins, quoique Robespierre ne soit plus leur patron. S’ils avaient le bonheur d’avoir des Danton, des Camille Desmoulins, des Westermann, l’idée ne leur viendrait plus de les faire guillotiner.
La mort de Robespierre fondit donc tous les patriotes ensemble ; et les Tallien, les Fouché, les Barras, les Fréron, ceux qu’on appelait thermidoriens, parce qu’ils avaient renversé Robespierre en thermidor, ayant montré que ce n’était pas dans l’intérêt de la république, mais dans leur intérêt particulier qu’ils avaient fait le coup, furent méprisés. Leur véritable nom était « le parti des fricoteurs », ce que vous reconnaîtrez par la suite, car, en vous racontant mon histoire, j’aurai toujours soin de dire aussi ce qui regarde le pays. On ne vit pas pour soi seulement, on vit pour tous les honnêtes gens, et ceux qui ne s’intéressent qu’à leurs propres affaires ne méritent pas de faire partie d’une nation civilisée.