CHAPITRE
XVII
L’ex-entrepreneur assassin de sa femme
ressemblait à un retraité bien sage, avec sa crinière blanche bien
coiffée, sa fine moustache et son visage rubicond.
Il rejoignit la table de Malko et, aussitôt,
commanda une bière, glissant à Malko :
– Vous voyez la brune sur le tabouret. C’est
le « mari » de la grande blonde. Ça fait onze ans
qu’elles sont ensemble. Un beau couple, non... Baissant la voix, il
ajouta, d’une voix gourmande.
– Je crois que j’ai bien avancé.
Du coup, Malko commanda une bière
aussi.
Après avoir commandé des salades et des
steaks, « Papa Marseille » attaqua ses confidences.
– On a de la chance ! annonça-t-il. Le
gardien qui dirige l’équipe de nuit est un ami. Je lui ai rendu
déjà pas mal de services et il a très besoin d’argent...
– Pour quoi faire ?
– Il veut s’acheter une nouvelle épouse et il
n’a pas les moyens avec ses 70000 ouguiyas mensuels. Une fille de
quinze ans. Et puis, il voudrait aussi une petite maison pas trop
loin de la prison. Bref, il est OK pour fermer
les yeux. On le paiera à la journée, ou plutôt, à la nuit. 50000
ouguiyas. Réglés chaque matin, je lui apporterai l’argent à la
mosquée, juste en face de la prison.
– Il ne risque pas gros ?
« Papa Marseille » eut une moue
dubitative.
– Au pire, il se fera virer. Il dira qu’il
n’a rien vu, qu’il dormait. Ou qu’on l’a convaincu parce qu’il
avait un cousin parmi les trois. Ici, c’est courant. Avec son
pécule, il montera un petit commerce d’eau.
Malko n’en croyait pas ses oreilles : il
avait beau savoir que la corruption était omniprésente en Afrique,
là, il la touchait du doigt.
– Bien, approuva-t-il. Vous savez où ils vont
creuser et combien de temps cela va prendre ?
« Papa Marseille » était si heureux
qu’il termina sa première bière d’un coup.
– C’est là qu’on a peut-être encore de la
chance ! exulta-t-il. Il y a deux ans, en 2008, il y a déjà eu
une tentative d’évasion. Elle a raté parce qu’un douanier a marché
sur l’endroit où aboutissait le tunnel et qui n’était pas étayé. Il
est tombé dedans. Évidemment, ils sont remontés jusqu’à la cellule
d’où partait le boyau.
– C’était déjà un Salafiste ?
– Non, un trafiquant de cocaïne,
franco-guinéen, qui avait beaucoup d’argent.
– Et alors ?
– Alors, comme ce sont des gros flemmards,
les Mauritaniens ont seulement rebouché le trou dans la cellule et,
à l’autre bout, dans le bâtiment des douanes. Entre les deux, le
tunnel est resté intact... Ce qui fait que
désormais, il y a beaucoup moins à creuser : juste au départ
et à l’arrivée.
– Ils sont dans cette cellule ?
– Non, mais je vais en faire transférer un.
Cela ne pose pas de problème.
Malko commençait à y croire.
– Même s’il n’y a pas beaucoup de gravats,
objecta-t-il, cela tient de la place. Où vont-ils les
mettre ?
– Il y a des toilettes désaffectées, avec une
fosse septique dessous, ajouta « Papa Marseille ». J’ai
toujours la clef, ils mettront les gravats dedans.
– Et les outils ?
– Je les fournis. On me laisse entrer avec
dans la prison. Il faut juste une pioche, une pelle et des sacs
pour mettre la terre. Une lampe électrique aussi. Je vais vous
facturer tout ça...
Cynisme joyeux. Il attaqua sa salade avec
appétit. Malko continuait à chercher les pièges de ce plan
mirifique.
– Les trois condamnés sont dans la même
cellule ? objecta-t-il.
« Papa Marseille » abandonna sa
salade quelques secondes et assura avec un clin d’œil
rassurant.
– J’ai un passe pour toutes les cellules.
C’est moi qui les avais changées quand j’étais dedans. En plus, la
nuit, les gardiens en service, se retirent au premier étage, où ils
ont leurs logements. Déjà, en temps ordinaire, ils ne font pas
beaucoup de rondes. Là, bien « graissés », ils n’en
feront pas du tout.
Malko n’avait même plus faim, tant il était
excité. À la fin du repas, il n’avait trouvé aucune objection.
« Papa Marseille », qui décidément,
était consciencieux, pointa une difficulté possible.
– Peut-être qu’entre-temps, le vieux tunnel
s’est effondré. Il n’était pas étayé. Si c’est le cas, cela va
demander une semaine pour déblayer. Au minimum...
Comme pour contrebalancer cette éventuelle
mauvaise nouvelle, il commanda une autre bière, la but d’un trait
et se tourna vers Malko.
– Cela vous va ?
– Évidemment.
– Alors, voilà ce que vous devrez me donner
demain matin.
Il plongea la main dans sa poche et en sortit
un papier qu’il tendit à Malko. Tout était griffonné au revers
d’une vieille enveloppe. Les prix exprimés en ouguiyas. Rien ne
manquait : l’argent pour les gardiens, la
« location » du matériel à un prix prohibitif. Et un
budget spécial pour quarante bières...
– C’est pour vous ?
– Non, pour les gardiens. Cela les aidera à
penser à autre chose.
Il y en avait quand même pour 100 000
ouguiyas. Par jour... En plus de ce qu’il prenait à titre
personnel.
– On va fêter ça !
Il leva la main et une des barmaids
accourut.
– Tu as encore du champagne zaïrois ?
demanda « Papa Marseille ».
– Oui, chef.
– Amènes-en une bouteille.
La Noire ravissante, avec ses cheveux tressés
et son visage triangulaire retourna au bar pour revenir avec une bouteille de Taittinger. Le champagne
« zaïrois ».
– J’y ai repris goût, lança « Papa
Marseille », épanoui.
Ils trinquèrent sous l’œil envieux des
occupants des tables voisines qui n’avaient pas les moyens de se
payer ce champagne facturé à prix d’or.
« Papa Marseille » soupira.
– Je voudrais bien être plus vieux de
quelques jours ! J’en ai assez de végéter à Nouakchott, à
faire le larbin.
Il buvait le champagne Taittinger avec la
même célérité que la bière...
Quand la bouteille fut vide, Malko paya une
addition monstrueuse pour le pays, sous le regard émerveillé de la
barmaid, qui lui aurait volontiers abandonné ce qui lui restait de
vertu. En Afrique, l’argent était respecté.
Lui et « Papa Marseille » se
séparèrent devant le restaurant.
– Demain, onze heures, devant le El Amane,
fixa « Papa Marseille » avant de s’éloigner à pied dans
l’obscurité.

Au volant du Hilux, Malko remontait l’avenue
Charles de Gaulle, plutôt euphorique. Malgré l’épisode de
l’attentat, l’avenir était presque souriant. Il donna un coup de
frein, ayant vu l’entrée du Tfeila trop tard. Il était obligé de
faire demi-tour. Il continua un pau plus loin et repartit sur
l’autre voie. Arrivant en face du chemin
conduisant à la Maison d’Hôtes.
Presque sans réfléchir, il prit à droite et
arrêta le Hilux en face du portail de la Maison d’Hôtes, puis
pénétra dans le jardin.
Personne, sauf un « chouf ».
Il traversa, entra et monta au premier. La
porte de la chambre de Fatimata n’était pas fermée à clef, mais
elle grinça. La jeune femme, entendant du bruit, sursauta et alluma
la lampe de chevet.
Arborant un sourire ravi en voyant
Malko.
– Tu dois être fatigué ! lança-t-elle.
Viens te coucher.
Lorsqu’il la rejoignit, elle était couchée en
chien de fusil, sa merveilleuse croupe tournée vers lui. À peine
fut-il dans le lit, qu’elle vint se visser au ventre de Malko,
commençant un mouvement tournant extrêmement érotique. Sans se
retourner. Elle savait ce qu’elle faisait. Malko l’enlaça et prit
ses seins à pleines mains ; il les tenait toujours lorsque son
membre, désormais dur comme du bois de fer, trouva naturellement le
sexe de Fatimata.
D’un léger coup de rein, elle l’aida à s’y
enfoncer. Accroché à ses seins comme à des bouées de sauvetage, il
se mit à lui donner de violents coups de reins jusqu’à ce qu’il
explose.
Ils restèrent ainsi, emboîtés comme des
petites cuillères.
Après ce qu’il avait vécu dans la journée,
c’était exquis. D’autant, que l’avenir n’était pas totalement
rose : poursuivre son entreprise avec l’ombre du colonel Abu
Khader, c’était comme courir un cent mètres
avec un sac de cinquante kilos sur les épaules.
Fatimata semblait s’être rendormie, son sexe
toujours fiché en elle. Il en fit autant.

Ira Medavoy avait écouté le compte rendu de
la dernière rencontre avec « Papa Marseille », avec une
excitation grandissante.
– Donc, conclut-il, vous pensez avoir une
chance de réussir à faire sortir ces trois salopards..
– Oui, confirma Malko. S’il n’y a pas de
problèmes.
– C’est-à-dire ?
– Des tas de choses peuvent arriver. Un
gardien peut changer d’avis, le tunnel peut s’effondrer. Mais
surtout, il y a la menace algérienne...
Le chef de Station se rembrunit.
– Je sais. J’ai envoyé un très long rapport à
Langley. C’est eux qui doivent décider. Ils ont le choix entre
plusieurs solutions. Soit intervenir auprès des autorités
algériennes, soit trouver une solution pour neutraliser ce
colonel...
– Comment ?
Ira Medavoy eut un geste évasif.
– Je ne sais pas. Attendons leur réponse.
J’ai assez d’argent ici pour les 100 000 ouguiyas. Ça commence à
faire beaucoup...
– Vous savez ce que coûte une journée de
guerre en Afghanistan ? ne put s’empêcher de remarquer Malko.
Même si vous lui donnez encore beaucoup d’ouguiyas et à moi, assez pour refaire entièrement
mon château, ce sera encore un cadeau...

Malko vit surgir la haute silhouette de
« Papa Marseille » qui arrivait à pied de l’autre côté de
l’avenue Nasser. Il se glissa à côté de Malko, qui aussitôt, lui
tendit une lourde enveloppe.
– Voilà les 100 000 ouguiyas.
« Papa Marseille » ouvrit
l’enveloppe et entreprit de compter les liasses de billets de 2 000
ouguiyas avec un soin méticuleux. Il se tourna ensuite vers
Malko.
– OK, vous êtes un type sérieux. Je vais aux
« Cent Mètres » et ça démarre. Je vous rappelle qu’il
faut payer les gardiens tous les matins.
» Donc, on se donne rendez-vous ici demain, à
la même heure. Même montant. Des questions ?
– Oui, lequel allez-vous changer de cellule
pour le mettre dans la « bonne » ?
– Cela m’est égal. Ils vont décider entre
eux. De toute façon, la nuit, ils creuseront ensemble. Les autres
regagneront leur cellule avant l’appel du matin.
– Je voudrais que ce soit Maarouf Ould Haiba
qui soit mis dans cette cellule.
– Pas de problème. Je vais transmettre.
C’était celui à qui Malko avait fait parvenir
le portable.
Visiblement satisfait, « Papa
Marseille » enfouit l’enveloppe dans une vieille sacoche
d’officier et se tourna vers Malko.
– Une précision : mon boulot se termine
lorsqu’ils émergent hors de la prison. Après, vous les prenez en
charge. D’ailleurs, je ne serai plus là.
– Où serez-vous ?
– Sur la route d’Atar. L’évasion risque de
faire du bruit. Ils n’iront pas me chercher là-bas. Donc, vous me
donnez le solde de ce que vous me devez le soir précédent la nuit
de l’évasion. Quand il ne restera presque plus rien à
creuser.
Malko tiqua intérieurement, de nouveau pris
par le doute.
Le « plan » mirifique de
« Papa Marseille » pouvait n’être qu’une magnifique
arnaque. Après tout, il n’avait aucune preuve de ce qui se passait
réellement à l’intérieur de la prison. Tout reposait sur la parole
de « Papa Marseille »...
Il fallait à tout prix trouver une
« sécurité », pour s’assurer, avant de lui remettre
l’argent, que le tunnel avait été réellement creusé. Pour cela, il
ne voyait qu’un moyen : que celui à qui il avait donné le
portable le prévienne avant qu’il ne remette l’argent à « Papa
Marseille ».
Juste avant de s’évader.
Il fallait transmettre le message par
l’intermédiaire du « cousin » de la mosquée Budah.
Malko se dit qu’il allait vivre dans
l’angoisse jusqu’à la dernière minute.

Lorsque Malko pénétra dans le bureau d’Ira
Medavoy, il remarqua tout de suite l’expression grave de
l’Américain. Ils ne s’étaient pas revus depuis
la veille et Malko venait seulement chercher les 100 000 ouguiyas
quotidiens.
– Il y a un problème ? demanda
Malko.
Le chef de Station lui adressa un sourire un
peu crispé.
– Non, mais j’ai reçu la réponse de Langley
concernant le colonel Abu Khader.
– Et alors ?
– C’est remonté jusqu’à la Maison-Blanche.
Cette histoire d’otages est traitée au plus haut niveau. Il y a eu
un meeting entre les gens de la Maison-Blanche, le DG Ted Boteler
et Tony Motley, le responsable de la cellule qui gère l’opération
« Blackbird ». À la suite de ce meeting, le président a
signé un « executive order » pour
que soit réglé le cas, autorisant les mesures à prendre.
Il tendit à Malko un document portant le
sceau de la Maison-Blanche et la signature du président Barack
Obama.
Il le parcourut et quatre mots lui sautèrent
aux yeux : « terminate with extreme
prejudice ».
Il s’agissait du colonel Smain Abu Khader...
Le Président des États-Unis autorisait donc son élimination
physique.