CHAPITRE PREMIER
« Mayday, Mayday November 187 Lima Bravo, Flight Tamanrasset Bamako Level 120, incontrolled fire. Forced landing. Last position GPS 20 47 North 16 00 East1».
L’appel de détresse éclata dans le haut-parleur du cockpit d’un Boeing 737 de la Royal Air Maroc reliant Abidjan à Casablanca. Sur la fréquence 121,5, réservée aux appels de détresse, prenant l’équipage du long-courrier par surprise.
Le co-pilote chercha aussitôt fiévreusement de quoi écrire et lança dans son micro.
– November 187 Lima Bravo, répétez coordonnées. Combien de personnes à bord. Précisez nature de la panne. Communiquez prochaine intersection.
De nouveau, le haut-parleur cracha quelques mots, presque incompréhensibles à cause du bruit de fond.
– Coordonnées GPS 2047 North 16...
Le reste se perdit. Aussitôt, le co-pilote marocain reprit son micro.
C’est-à-dire la fréquence utilisée entre avions en vol.
Aucune réponse : le November 187 Lima Bravo s’était déjà crashé, ou il avait des problèmes de radio. Dans cette partie de l’Afrique, les communications radio étaient très mauvaises : la V.H.F.2 ne portait pas loin, et la H.F. 3 était presque toujours brouillée car plusieurs conversations se tenaient en même temps sur la même fréquence.
Le co-pilote répéta son message plusieurs fois, puis n’ayant aucune réponse de November 187 Lima Bravo, répercuta immédiatement le Mayday sur le VHF.
Sans être certain qu’il serait capté.
Il déplia sur ses genoux une carte de la zone afin de localiser la dernière position de l’appareil en détresse. Cela se situait au nord-est du Mali, non loin du massif des Adrars, une zone totalement désertique.
Le vol de la R.A.M. se trouvait à l’ouest de ce point, au niveau 350, remontant vers le nord.
Le co-pilote décida alors de répercuter l’appel de détresse directement sur la tour de contrôle de Tamanrasset en V.H.F. et en H.F.
L’immatriculation de l’appareil en détresse indiquait un appareil américain. Sûrement un vol privé.
Il reprit son micro et cala la radio d’abord sur 118.100 puis sur H.F.8894, puis appela.
C’est tout ce qu’il pouvait faire. Ensuite, il fit de même avec la tour de contrôle de Bamako, sur 126 10, la fréquence V.H.F étant la même... Les deux messages étaient similaires.
– Sierra November Romeo Oscar Kilo, en route pour Casablanca niveau 350, je vous relais Mayday, reçu il y a six minutes de November 187 Lima Bravo, volant au niveau 120. Dernière position 2047 North 1600 East. Over.
C’est tout ce qu’il pouvait faire. Pendant plusieurs minutes, il guetta un appel, sur 121,5, mais il n’y en eut pas. Il n’y avait plus qu’à prier pour que November 187 Lima Bravo ait pu se poser quelque part dans le désert. Un feu à bord ne laisse pas beaucoup de choix.
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Le Sergent Ralph Mitchell entra en coup de vent dans le baraquement affecté à la CIA sur l’immense base de Tamanrasset, créée par l’armée algérienne afin de surveiller les confins du Sahara, mais qui abritait aussi une antenne américaine importante : une station d’écoute, des « Special Forces » et un petit groupe d’agents de la CIA naviguant entre les diverses « stations » de la région.
– Bob ! lança-t-il à l’homme assis derrière le bureau, en train de rédiger un message sur son PC. Nous avons un problème !
Robert Vigan, responsable de la CIA à Tamanrasset, leva là tête.
– Qu’est-ce qu’il y a ? Les Algériens nous emmerdent encore ?
La co-habitation avec les Services algériens, extrêmement pointilleux sur leurs prérogatives, n’était pas toujours harmonieuse.
– Non, le King Air vient d’envoyer un mayday, relayé par un vol de Royal Air Maroc. Incendie à bord. Apparemment, ils ont été obligés de se poser, ou pire...
Robert Vigan se figea.
Shit ! Où ?
Le Sergent Mitchell qui ne quittait pas la tour de contrôle chaque fois qu’un appareil américain décollait de Tamanrasset ou était attendu, déroula la carte qu’il avait à la main et la posa sur le bureau.
– Quand ils ont envoyé le mayday, ils étaient là.
Il désignait un point à mi-chemin entre Tamanrasset au nord et Tombouctou, au sud.
Au milieu de nulle part, au pied du massif des Iforhas se prolongeant jusqu’au Niger voisin.
– Il a peut-être pu arriver à Tombouctou ? avança l’agent de la CIA.
– J’ai vérifié. Ils ne sont au courant de rien. En plus, il y a un vent de sable jusqu’à 10 000 pieds qui interdit tout atterrissage.
Robert Vigan demeura silencieux. Le Beechcraft « King Air » en difficulté était un bi-turbines sans problème, fréquemment utilisé sous la référence US Army de RC 12. Un appareil très fiable, avec un rayon d’action de 2 000 kilomètres et une altitude de croisière de 20 000 pieds.
Il ouvrit son tiroir et y prit l’ordre de mission de l’appareil, clippé à son plan de vol.
Il y avait six personnes à bord. Deux pilotes civils sous contrat avec la CIA, Paul Redmond, un type athlétique de près de deux mètres, qui volait en Afrique depuis plusieurs années et son co-pilote, Rodney Carlson, lui aussi pilote chevronné. En plus, ce vol ne présentait pas de difficultés particulières. Lorsqu’ils avaient décollé de Tamanrasset, le temps était parfait et la visibilité sans limite.
Son regard descendit jusqu’à la liste des quatre passagers. Tous « field officers » de la CIA : Richard Igl, Thomas Ross, Rick Samson, un « senior officer » qui parlait parfaitement arabe et une femme, Judith Thomson, une amoureuse de l’Afrique, qui avait demandé à être affectée à Tamanrasset.
Tous se rendaient à Bamako pour renforcer la « station » locale et faire du lobbying auprès des autorités maliennes pour que celles-ci consentent à laisser les « Special Forces » américaines opérer des « coups de poing » contre les bases de l’AQMI4, toutes situées dans le nord Mali.
Jusque-là, les Maliens étaient d’une prudence qui frisait la désertion. En dépit des bonnes paroles américaines et des flux de dollars assez conséquents qui les accompagnaient, ils ne voyaient pas l’utilité de lutter contre des gens de leur religion, qui ne leur causaient aucun tort, mais qui pourraient le faire si on les asticotait : en effet, les quelques katiba de l’AQMI présentes dans le désert malien, avaient créé des liens étroits avec plusieurs groupes de Touaregs en guerre larvée avec le pouvoir malien et pouvaient facilement les goinfrer d’armes et de matériel, ce qui créerait un gros problème.
– Qu’est-ce qu’on fait ? demanda le Sergent Mitchell.
– Essayez d’entrer en contact avec le King Air, en V.H.F. On ne sait jamais. Moi, j’appelle Bamako. Si on doit monter une expédition de secours, on ne peut partir que de là.
Le Sergent Mitchell secoua la tête.
– La zone où le King Air est peut-être tombé est dangereuse, sir.
D’après les informations des Algériens, au moins un katiba de l’AQMI avait ses bases arrières dans cette partie du Mali, peu accessible.
– Raison de plus ! trancha Robert Vigan. Nous ignorons ce qui est arrivé au King Air. Il a peut-être réussi à se poser. Dans ce cas, il faut les sortir de là, au plus vite.
A cause des distances, il était hors de question d’envoyer un hélicoptère. La seule solution était un convoi mixte, « Special Forces » et quelques Maliens pour l’alibi.
Le Sergent Mitchell ressortit du bureau et Robert Vigan se jeta sur son téléphone crypté. Sale histoire. Les Américains ne se hasardaient jamais dans la zone où l’appareil s’était écrasé ou avait atterri. Trop risqué. Pas d’appui aérien, un environnement hostile et une chaleur de bête.
Les Algériens, eux, trop contents d’avoir repoussé le plus gros de l’AQMI au sud de leur frontière, avaient établi une sorte de cordon de sécurité d’est en ouest, le long de cette frontière, appuyé par divers postes militaires et trois mille gendarmes. Se moquant de ce que faisait l’AQMI au sud de cette ligne.
Il ne fallait donc pas compter sur eux pour aider l’appareil américain en détresse.
Avant même d’appeler Bamako, Robert Vigan prit le temps de contacter la station d’écoutes, leur recommandant de surveiller la zone afin de vérifier s’il y avait un accroissement de l’activité radio. Les militants de l’AQMI étaient très prudents, ne se servant de leur Thuraya qu’au compte-gouttes, mais possédant, en plein désert, des bases de communication, avec des ordinateurs, une liaison Internet et des piles solaires pour alimenter le tout.
Il hésita, et, encore avant d’appeler Bamako, envoya un message très bref à Langley, signalant le cas non-conforme.
Ensuite, en attendant qu’on lui passât le chef de Station de Bamako, il se plongea dans l’étude de la carte. La seule voie de communication dans cette zone était une piste empruntée par les trafiquants, l’AQMI, les Touaregs et tous ceux qui hantaient le désert. Elle allait de Tessalit, au nord, presque à la frontière algérienne, jusqu’à Anefis et Bourem, deux localités maliennes, la seconde se trouvait presque au bord du fleuve Niger. Il pria pour que le King Air ait pu se poser à l’ouest de cette piste. S’il était tombé dans le massif des Iforhas, il ne devait pas en rester grand-chose.
La voix joviale de son homologue de Bamako, Edgar Wiser, éclata dans le haut-parleur.
– Tes gars ne sont pas encore arrivés ! lança-t-il. Il paraît qu’il y a une très jolie fille avec eux.
– Ed ! fit Robert Vigan d’une voix grave, nous avons une grosse merde.
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Paul Redmond passa la main sur sa mâchoire douloureuse et la ramena pleine de sang. Il n’avait plus la notion du temps. Depuis le moment où il avait expédié son mayday, il s’était concentré sur le sauvetage du King Air. L’incendie avait pris dans le turbo-huit gauche. Immédiatement, Paul Redmond avait coupé l’alimentation et activé le système anti-incendie. Pendant quelques minutes, l’incendie avait paru maîtrisé et Paul Redmond s’était dit qu’il arriverait bien sur un seul moteur jusqu’à Gao, l’aéroport le plus proche. Puis, des flammes avaient recommencé à s’échapper du capot moteur, accompagnées d’une épaisse fumée noire. Ce qui ne laissait pas beaucoup de choix. Si l’incendie se propageait jusqu’au réservoir d’essence de l’avion, le King Air risquait d’exploser en vol. Il devait donc se poser d’urgence. Déjà, il était passé du niveau 1200 au niveau 800 et continuait sa descente.
Surveillant du coin de l’œil l’incendie qui léchait l’aile gauche.
L’estomac noué.
Dieu merci, il n’y avait pas de vent et la visibilité était parfaite.
Lorsque l’incendie s’était déclenché, le King Air se trouvait au-dessus des premiers contreforts des Iforhas, des rochers déchiquetés sans la moindre végétation, coupés de crevasses et d’arêtes. Impossible de se poser là-dessus, sous peine d’exploser instantanément. Aussi, Paul Redmond avait-il viré vers l’ouest, pour tenter d’atteindre la piste Tessalit-Aneris.
Avertissant ses quatre passagers :
– Nous avons un problème majeur. Je n’arrive pas à maîtriser cet incendie. Nous devons nous poser. Attachez vos ceintures et tenez-vous prêts.
Parmi les passagers, seul Rick Samson était venu jusqu’à son siège, avec un sourire un peu forcé.
– Je peux faire quelque chose ?
Paul Redmond lui avait rendu son sourire.
Yes. Pray the Good Lord. We gonna make it ! 5
Immédiatement, il avait viré sur l’aile, s’éloignant du massif montagneux, et perdant rapidement de l’altitude. Il regarda l’altimètre. Niveau 50. Dans moins de cinq minutes, ils atteindraient le sol. S’ils n’explosaient pas avant.
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– Nous allons envoyer un C.130 Hercules avec quarante de nos gars, annonça Edgar Wiser, le Chef de Station de Bamako, mais il ne sera prêt à décoller que dans deux heures, minimum. Les Maliens nous emmerdent.
Robert Vigan fit un calcul rapide. Trois heures, plus le temps de voler de Bamako au point approximatif où le King Air avait cessé de donner signe de vie, il ferait nuit...
Il y avait aussi un autre problème.
– Où allez-vous poser votre Hercules ? demanda-t-il.
Le C.130 Hercules était un formidable appareil de transport, mais n’était pas comme le Transall français qui se posait sur 600 mètres, à peu près n’importe où. Lui, il lui fallait du goudron ou du dur et près de mille mètres.
– Le pilote me dit qu’il y a des sections de la piste du Tessalit où on peut se poser, avança Edgar Wiser. Bien entendu, s’il y a des risques à le faire, il reviendra ici.
– On ne peut pas larguer quelques types ? proposa Robert Vigan.
– Impossible. On n’est pas organisés.
– Be caution ! recommanda le responsable de la CIA à Tamanrasset. Il faudrait d’abord repérer le King Air ou ce qu’il en reste en volant bas.
En plus, le C.130 allait fatalement attirer l’attention dans une zone où ne volaient que des vautours et quelques aigles.
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La piste Tessalit-Anefis était apparue trop tard sous les ailes du King Air pour que Paul Redmond puisse baisser les volets. Aussi, avait-il été obligé de franchir une petite crête rocheuse le séparant de Jillen Valley, parallèle à la piste.
Il n’était plus qu’à 300 pieds du sol lorsqu’il amorça un virage vers la gauche, qui rabattit la fumée noire sur le cockpit. Jouant avec ses ailerons, il parvint, en dépit de son unique moteur, à stabiliser l’appareil cap au sud, dans l’axe de la vallée.
– Le train ! cria-t-il au co-pilote.
Il n’était plus qu’à 200 pieds et il lui semblait que les flammes du moteur gauche avaient encore gagné en intensité. Les deux mains crispées sur son manche, le regard glué au sol inégal qui approchait, il adressait une prière muette et continue au ciel.
Se poser sur un sol pareil avec un moteur en feu, revenait à plonger la main dans un sac plein de crotales...
– Le train ne descend pas ! annonça Rodney Carlson, le co-pilote. Je prends la commande manuelle.
Il se mit à manœuvrer le levier comme un fou. Le sol n’était plus qu’à cent pieds. Paul Redmond pouvait voir tous les rochers qui affleuraient sa surface.
Encore moins d’une minute.
Soudain, le pilote aperçut devant lui, sur sa gauche, un arbuste, probablement un acacia, et tenta le tout pour le tout. Pied et manche à gauche il inclina vers la gauche la trajectoire du King Air, puis lutta désespérément avec ses volets et sa dérive pour remettre l’appareil en ligne.
Il était temps.
Dans un effroyable fracas d’acier broyé, le ventre du King Air entra en contact avec le sol et l’appareil rebondit de près d’un mètre.
L’arbre, sur la gauche, se rapprochait à toute vitesse. Paul Redmond se raidit, adressant une ultime prière au ciel. Et ce qu’il avait calculé se produisit : l’extrémité de l’aile gauche accrocha le tronc de l’arbre et le choc l’arracha du fuselage, avec le moteur en feu et le réservoir d’essence prêt à exploser !
Ce n’était pourtant pas gagné : l’hélice droite fut arrachée et partit en tournoyant comme un cerceau. Déséquilibré, le King Air tournait sur lui-même, sans que Paul Redmond puisse faire quoi que ce soit.
À travers le nuage de poussière rougeâtre qui entourait l’appareil, il aperçut, loin derrière lui, une boule de feu : le réservoir d’essence de l’aile arrachée venait d’exploser.
Accroché au manche, impuissant, il sentait le King Air se désarticuler. Des morceaux de tôle jaillissaient dans tous les sens.
Cela semblait ne jamais devoir finir.
Et, brutalement, l’appareil cessa de tourner sur lui-même !
Il y eut quelques secondes de silence irréel. Rompu par la voix de stentor de Paul Redmond, tourné vers ses passagers.
Get out ! Fast ! 6
Lui-même était en train de défaire fébrilement sa ceinture de sécurité. Sentant du liquide couler sur son visage, il passa sa main sur son menton et la ramena pleine de sang. Il aperçut dans le rétroviseur une large coupure qui saignait abondamment.
Son co-pilote semblait assommé. Il entendit des gémissements à l’arrière. Richard Igl s’était mis sur l’issue de secours et, d’un coup de pied, venait de la faire tomber à l’extérieur. Judith Thomson, encore attachée sur son siège, semblait souffrir beaucoup, le visage crispé par la douleur.
Il attrapa la poignée « emergency » de sa porte et tira de toutes ses forces. Dieu merci, elle n’était pas coincée et s’arracha aussitôt, laissant pénétrer un flot d’air brûlant dans le cockpit.
Get out fast ! hurla-t-il à nouveau.
Dick Igl avait déjà sauté à terre. Paul Redmond se laissa glisser sur le sol à son tour. Lorsqu’il se remit debout, il fut étonné de ne pas éprouver de douleur particulière, à part la coupure de sa joue qui commençait à le piquer.
Thomas Ross avait sauté à terre à son tour. Rick Samson s’affairait autour de Judith Thomson, encore sur son siège, débouclant sa ceinture. Il se retourna et cria :
She’s wounded ! 7
La jeune femme, sa ceinture débouclée, semblait incapable de s’arracher à son siège.
I can’t move, lança-t-elle. My leg hurts ! It’s broken. 8
Aussitôt, Paul Redmond remonta dans le King Air et, avec Rick Samson, ils parvinrent à tirer Judith Thomson à l’extérieur et à la poser délicatement à une vingtaine de mètres de la carcasse du King Air.
Paul Redmond se redressa et réalisa qu’il était en nage. Il devait faire 50° !
Les deux extrémités de la vallée se perdaient dans la brume. Rien que de la rocaille et quelques épineux. À l’est la vallée était fermée par une sorte de muraille rocailleuse, la séparant de la piste.
Paul Redmond retourna vers le Beechcraft et y récupéra une trousse de secours d’urgence, ainsi qu’un sac de toile contenant des armes et un Thuraya.
Lorsqu’il ressortit, Rick Samson s’approcha de lui en boitillant.
– Vous croyez que Tamanrasset sait que nous sommes tombés ?
– Je pense, fit sobrement Paul Redmond. Je vais essayer de les joindre avec le Thuraya. Pour qu’on recoive du secours.
Richard Igl était en train de tâter la jambe blessée de Judith Thomson qui hurlait au moindre contact.
Rodney Carlson qui avait été assommé lors de l’atterrisage reprenait conscience peu à peu, assis sur un rocher en plein soleil. Hébété.
Thomas Ross retourna dans l’appareil et commença à en sortir des bouteilles d’eau et des rations militaires. Assis sur un rocher, Paul Redmond avait sorti l’antenne de son Thuraya et cherchait à l’orienter pour trouver le satellite.
Il mit plusieurs minutes avant de voir s’afficher sur le cadran « Thuraya Mali ». Dès qu’il eut la tonalité, il lança à Thomas Ross.
– Donnez-moi le numéro de Robert Vigan.
Le « field officer » de la CIA le lui communiqua aussitôt et il le composa lentement, braquant la courte antenne vers l’est, là où se trouvait le satellite. Il dut s’y reprendre à trois fois, obtenant un signal occupé. Enfin, il entendit la sonnerie « américaine » de la base de Tamanrasset et une voix décrocha.
– Paul !
Grâce au numéro qui s’affichait, le chef de Station de Tamanrasset l’avait identifié aussitôt.
– Paul, youre OK ?
Yeah. Everybody OK. Just one casualty.9
Il lui expliqua la chute de l’appareil et la blessure de Judith Thomson.
– Nous pouvons tenir un moment, conclut-il. Comment allez-vous nous venir en aide ?
– Est-ce qu’un Hercules peut se poser où vous êtes ?
– Négatif.
– OK, je vous rappelle dans quinze minutes.
Grâce au Thuraya, qui avait une fonction GPS, Robert Vigan pouvait localiser le pilote du King Air à dix mètres près.
Le soleil commençait à baisser, mais il faisait encore plus de 35°. Judith Thomson ne se plaignait plus, assommée par le choc et la chaleur. En plus, le co-pilote lui avait appliqué un patch de morphine pour soulager sa douleur.
Le Thuraya sonna à nouveau, dix minutes plus tard.
– Nous vous avons localisés, annonça l’homme de Tamanrasset. Vous étiez à l’ouest de la piste Tessalit-Anefis. À environ un kilomètre à vol d’oiseau. Si vous pouviez la rejoindre, cela faciliterait votre récupération. Un Hercules est en route pour vous secourir. Le pilote va essayer de se poser sur la piste. S’il y arrive, il a deux « dunes boogie » à bord qui pourront venir vous chercher.
– Je ne sais pas si on peut franchir cette crête rocheuse avec un véhicule, répliqua le pilote. On va essayer de gagner la piste à pied.
– Je vous rappelle dès que nous y sommes.
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– Voilà l’épave du King Air, annonça le co-pilote de l’Hercules C.130 qui scrutait le sol au-dessus de l’appareil.
Celui-ci volait à moins de deux mille pieds. Le soleil couchant reflétait l’aluminium de la carlingue du Beechcraft amputé d’une aile. Presque aussitôt, ils distinguèrent les six survivants en train de se rapprocher de la falaise rocheuse les séparant de la piste. Deux d’entre eux portaient une civière où se trouvait allongée la blessée.
L’homme en tête leur adressa de grands signes et le pilote du C.130 balança ses ailes pour leur faire comprendre qu’il les avait repérés.
L’appareil commença à effectuer des cercles, cherchant un endroit où se poser. La vallée était exclue. Le pilote franchit l’arête rocheuse et survola la piste quelques minutes, se rendant compte très vite qu’il ne pouvait pas poser l’Hercules dessus.
Trop de dénivellations et de mini-dunes.
Il était donc obligé de retourner à Bamako.
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Paul Redmond suivait des yeux le C.130 en train de faire des cercles au dessus d’eux. Le cœur battant, quand son Thuraya sonna.
– Ils ne peuvent pas se poser, annonça Robert Vigan de Tamanrasset. Ils retournent à Bamako. Nous avons envoyé un convoi de secours à partir de Tombouctou. Il peut vous rejoindre avant la nuit, s’il roule bien. Essayez de gagner la piste, ça gagnera du temps... Prévenez-moi lorsque vous l’aurez atteinte.
Paul Redmond marchait en tête, suivi de Richard Igl et de Thomas Ross, qui portaient la civière improvisée de Judith Thomson. Rick Samson et Rodney Carlson fermaient la marche. Le massif rocheux n’était pas infranchissable, à condition de zigzaguer entre les rochers pour trouver un passage en biais.
Bien que près de l’horizon, le soleil continuait à taper férocement. Les rochers noirâtres étaient brûlants. Tous les quarts d’heure, le petit convoi faisait une halte. C’était de l’alpinisme et il leur fallait toute leur volonté pour continuer à grimper. La crête semblait ne jamais se rapprocher. Heureusement que l’idée d’une colonne de secours en route les galvanisait.
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Robert Vigan répondit à son Thuraya qui sonnait. C’était un appel de l’expédition de secours.
– Nous sommes à Bourem, annonça le chef de section, mais nous ne pouvons plus progresser, il y a un très fort vent de sable. Nous repartirons demain à l’aube. Il ya encore au moins quatre heures de piste, jusqu’au lieu de l’accident.
Bourem était bien au sud d’Anefis. Quatre heures de piste semblait une évaluation très optimiste.
Robert Vigan sentit l’angoisse l’envahir. Il savait que deux katiba de l’AQMI avaient leur base dans cette zone. Y lâcher des Américains sans protection, c’était amener des chèvres bien grasses à des tigres. Il était sans illusion : les combattants de l’AQMI surveillaient le désert. S’ils découvraient la présence d’Américains, ils allaient se ruer à leur recherche. Heureusement, l’obscurité protégeait les naufragés du King Air. Seulement, dès que le soleil se lèverait le lendemain, ce serait une course contre la montre sans pitié.
1. SOS.SOS.SOS. Novembre 187 Lima Bravo. Vol Tamanrasset Bamako niveau 126. Incendie Incontrôlé. Obligé d’atterrir. Dernière position GPS 20 47 Nord 16 00 Est.
2. Très Haute Fréquence.
3. Haute fréquence.
4. Al Qaida au Maghreb Islamique.
5. Oui. Priez Dieu. On va y arriver !
6. Sortez. Vite !
7. Elle est blessée !
8. Je ne peux pas bouger ! J’ai mal à la jambe. Elle est brisée.
9. Oui. Tout le monde va bien. Juste une blessée.