CHAPITRE
PREMIER
« Mayday, Mayday November 187 Lima
Bravo, Flight Tamanrasset Bamako Level 120, incontrolled fire.
Forced landing. Last position GPS 20 47 North 16 00 East1».
L’appel de détresse éclata dans le
haut-parleur du cockpit d’un Boeing 737 de la Royal Air Maroc
reliant Abidjan à Casablanca. Sur la fréquence 121,5, réservée aux
appels de détresse, prenant l’équipage du long-courrier par
surprise.
Le co-pilote chercha aussitôt fiévreusement
de quoi écrire et lança dans son micro.
– November 187 Lima Bravo, répétez
coordonnées. Combien de personnes à bord. Précisez nature de la
panne. Communiquez prochaine intersection.
De nouveau, le haut-parleur cracha quelques
mots, presque incompréhensibles à cause du bruit de fond.
– Coordonnées GPS 2047 North 16...
Le reste se perdit. Aussitôt, le co-pilote
marocain reprit son micro.
C’est-à-dire la fréquence utilisée entre
avions en vol.
Aucune réponse : le November 187 Lima
Bravo s’était déjà crashé, ou il avait des problèmes de radio. Dans
cette partie de l’Afrique, les communications radio étaient très
mauvaises : la V.H.F.2 ne portait pas
loin, et la H.F. 3 était presque
toujours brouillée car plusieurs conversations se tenaient en même
temps sur la même fréquence.
Le co-pilote répéta son message plusieurs
fois, puis n’ayant aucune réponse de November 187 Lima Bravo,
répercuta immédiatement le Mayday sur le VHF.
Sans être certain qu’il serait capté.
Il déplia sur ses genoux une carte de la zone
afin de localiser la dernière position de l’appareil en détresse.
Cela se situait au nord-est du Mali, non loin du massif des Adrars,
une zone totalement désertique.
Le vol de la R.A.M. se trouvait à l’ouest de
ce point, au niveau 350, remontant vers le nord.
Le co-pilote décida alors de répercuter
l’appel de détresse directement sur la tour de contrôle de
Tamanrasset en V.H.F. et en H.F.
L’immatriculation de l’appareil en détresse
indiquait un appareil américain. Sûrement un vol privé.
Il reprit son micro et cala la radio d’abord
sur 118.100 puis sur H.F.8894, puis appela.
C’est tout ce qu’il pouvait faire. Ensuite,
il fit de même avec la tour de contrôle de Bamako, sur 126 10, la
fréquence V.H.F étant la même... Les deux messages étaient
similaires.
– Sierra November Romeo Oscar Kilo, en route
pour Casablanca niveau 350, je vous relais Mayday, reçu il y a six
minutes de November 187 Lima Bravo, volant au niveau 120. Dernière
position 2047 North 1600 East. Over.
C’est tout ce qu’il pouvait faire. Pendant
plusieurs minutes, il guetta un appel, sur 121,5, mais il n’y en
eut pas. Il n’y avait plus qu’à prier pour que November 187 Lima
Bravo ait pu se poser quelque part dans le désert. Un feu à bord ne
laisse pas beaucoup de choix.

Le Sergent Ralph Mitchell entra en coup de
vent dans le baraquement affecté à la CIA sur l’immense base de
Tamanrasset, créée par l’armée algérienne afin de surveiller les
confins du Sahara, mais qui abritait aussi une antenne américaine
importante : une station d’écoute, des « Special
Forces » et un petit groupe d’agents de la CIA naviguant entre
les diverses « stations » de la région.
– Bob ! lança-t-il à l’homme assis
derrière le bureau, en train de rédiger un message sur son PC. Nous
avons un problème !
Robert Vigan, responsable de la CIA à
Tamanrasset, leva là tête.
– Qu’est-ce qu’il y a ? Les Algériens
nous emmerdent encore ?
La co-habitation avec les Services algériens,
extrêmement pointilleux sur leurs prérogatives, n’était pas
toujours harmonieuse.
– Non, le King Air vient d’envoyer un
mayday, relayé par un vol de Royal Air
Maroc. Incendie à bord. Apparemment, ils ont été obligés de se
poser, ou pire...
Robert Vigan se figea.
– Shit !
Où ?
Le Sergent Mitchell qui ne quittait pas la
tour de contrôle chaque fois qu’un appareil américain décollait de
Tamanrasset ou était attendu, déroula la carte qu’il avait à la
main et la posa sur le bureau.
– Quand ils ont envoyé le mayday, ils étaient
là.
Il désignait un point à mi-chemin entre
Tamanrasset au nord et Tombouctou, au sud.
Au milieu de nulle part, au pied du massif
des Iforhas se prolongeant jusqu’au Niger voisin.
– Il a peut-être pu arriver à
Tombouctou ? avança l’agent de la CIA.
– J’ai vérifié. Ils ne sont au courant de
rien. En plus, il y a un vent de sable jusqu’à 10 000 pieds qui
interdit tout atterrissage.
Robert Vigan demeura silencieux. Le
Beechcraft « King Air » en difficulté était un
bi-turbines sans problème, fréquemment utilisé sous la référence US
Army de RC 12. Un appareil très fiable, avec un rayon d’action de 2
000 kilomètres et une altitude de croisière de 20 000 pieds.
Il ouvrit son tiroir et y prit l’ordre de
mission de l’appareil, clippé à son plan de vol.
Il y avait six personnes à bord. Deux pilotes
civils sous contrat avec la CIA, Paul Redmond, un type athlétique
de près de deux mètres, qui volait en Afrique depuis plusieurs
années et son co-pilote, Rodney Carlson, lui aussi pilote
chevronné. En plus, ce vol ne présentait pas de difficultés
particulières. Lorsqu’ils avaient décollé de Tamanrasset, le temps
était parfait et la visibilité sans limite.
Son regard descendit jusqu’à la liste des
quatre passagers. Tous « field
officers » de la CIA : Richard Igl, Thomas Ross,
Rick Samson, un « senior officer »
qui parlait parfaitement arabe et une femme, Judith Thomson, une
amoureuse de l’Afrique, qui avait demandé à être affectée à
Tamanrasset.
Tous se rendaient à Bamako pour renforcer la
« station » locale et faire du lobbying auprès des
autorités maliennes pour que celles-ci consentent à laisser les
« Special Forces » américaines
opérer des « coups de poing » contre les bases de
l’AQMI4, toutes situées dans le nord
Mali.
Jusque-là, les Maliens étaient d’une prudence
qui frisait la désertion. En dépit des bonnes paroles américaines
et des flux de dollars assez conséquents qui les accompagnaient,
ils ne voyaient pas l’utilité de lutter contre des gens de leur
religion, qui ne leur causaient aucun tort, mais qui pourraient le
faire si on les asticotait : en effet, les quelques
katiba de l’AQMI présentes dans le désert
malien, avaient créé des liens étroits avec plusieurs groupes de
Touaregs en guerre larvée avec le pouvoir malien et pouvaient
facilement les goinfrer d’armes et de matériel,
ce qui créerait un gros problème.
– Qu’est-ce qu’on fait ? demanda le
Sergent Mitchell.
– Essayez d’entrer en contact avec le King
Air, en V.H.F. On ne sait jamais. Moi, j’appelle Bamako. Si on doit
monter une expédition de secours, on ne peut partir que de
là.
Le Sergent Mitchell secoua la tête.
– La zone où le King Air est peut-être tombé
est dangereuse, sir.
D’après les informations des Algériens, au
moins un katiba de l’AQMI avait ses bases arrières dans cette
partie du Mali, peu accessible.
– Raison de plus ! trancha Robert Vigan.
Nous ignorons ce qui est arrivé au King Air. Il a peut-être réussi
à se poser. Dans ce cas, il faut les sortir de là, au plus
vite.
A cause des distances, il était hors de
question d’envoyer un hélicoptère. La seule solution était un
convoi mixte, « Special Forces »
et quelques Maliens pour l’alibi.
Le Sergent Mitchell ressortit du bureau et
Robert Vigan se jeta sur son téléphone crypté. Sale histoire. Les
Américains ne se hasardaient jamais dans la zone où l’appareil
s’était écrasé ou avait atterri. Trop risqué. Pas d’appui aérien,
un environnement hostile et une chaleur de bête.
Les Algériens, eux, trop contents d’avoir
repoussé le plus gros de l’AQMI au sud de leur frontière, avaient
établi une sorte de cordon de sécurité d’est en ouest, le long de
cette frontière, appuyé par divers postes militaires et trois mille
gendarmes. Se moquant de ce que faisait l’AQMI
au sud de cette ligne.
Il ne fallait donc pas compter sur eux pour
aider l’appareil américain en détresse.
Avant même d’appeler Bamako, Robert Vigan
prit le temps de contacter la station d’écoutes, leur recommandant
de surveiller la zone afin de vérifier s’il y avait un
accroissement de l’activité radio. Les militants de l’AQMI étaient
très prudents, ne se servant de leur Thuraya qu’au compte-gouttes,
mais possédant, en plein désert, des bases de communication, avec
des ordinateurs, une liaison Internet et des piles solaires pour
alimenter le tout.
Il hésita, et, encore avant d’appeler Bamako,
envoya un message très bref à Langley, signalant le cas
non-conforme.
Ensuite, en attendant qu’on lui passât le
chef de Station de Bamako, il se plongea dans l’étude de la carte.
La seule voie de communication dans cette zone était une piste
empruntée par les trafiquants, l’AQMI, les Touaregs et tous ceux
qui hantaient le désert. Elle allait de Tessalit, au nord, presque
à la frontière algérienne, jusqu’à Anefis et Bourem, deux localités
maliennes, la seconde se trouvait presque au bord du fleuve Niger.
Il pria pour que le King Air ait pu se poser à l’ouest de cette
piste. S’il était tombé dans le massif des Iforhas, il ne devait
pas en rester grand-chose.
La voix joviale de son homologue de Bamako,
Edgar Wiser, éclata dans le haut-parleur.
– Tes gars ne sont pas encore arrivés !
lança-t-il. Il paraît qu’il y a une très jolie fille avec
eux.
– Ed ! fit Robert Vigan d’une voix
grave, nous avons une grosse merde.

Paul Redmond passa la main sur sa mâchoire
douloureuse et la ramena pleine de sang. Il n’avait plus la notion
du temps. Depuis le moment où il avait expédié son mayday, il s’était concentré sur le sauvetage du King
Air. L’incendie avait pris dans le turbo-huit gauche.
Immédiatement, Paul Redmond avait coupé l’alimentation et activé le
système anti-incendie. Pendant quelques minutes, l’incendie avait
paru maîtrisé et Paul Redmond s’était dit qu’il arriverait bien sur
un seul moteur jusqu’à Gao, l’aéroport le plus proche. Puis, des
flammes avaient recommencé à s’échapper du capot moteur,
accompagnées d’une épaisse fumée noire. Ce qui ne laissait pas
beaucoup de choix. Si l’incendie se propageait jusqu’au réservoir
d’essence de l’avion, le King Air risquait d’exploser en vol. Il
devait donc se poser d’urgence. Déjà, il était passé du niveau 1200
au niveau 800 et continuait sa descente.
Surveillant du coin de l’œil l’incendie qui
léchait l’aile gauche.
L’estomac noué.
Dieu merci, il n’y avait pas de vent et la
visibilité était parfaite.
Lorsque l’incendie s’était déclenché, le King
Air se trouvait au-dessus des premiers contreforts des Iforhas, des
rochers déchiquetés sans la moindre végétation, coupés de crevasses
et d’arêtes. Impossible de se poser là-dessus,
sous peine d’exploser instantanément. Aussi, Paul Redmond avait-il
viré vers l’ouest, pour tenter d’atteindre la piste
Tessalit-Aneris.
Avertissant ses quatre passagers :
– Nous avons un problème majeur. Je n’arrive
pas à maîtriser cet incendie. Nous devons nous poser. Attachez vos
ceintures et tenez-vous prêts.
Parmi les passagers, seul Rick Samson était
venu jusqu’à son siège, avec un sourire un peu forcé.
– Je peux faire quelque chose ?
Paul Redmond lui avait rendu son
sourire.
– Yes. Pray the Good Lord. We
gonna make it ! 5
Immédiatement, il avait viré sur l’aile,
s’éloignant du massif montagneux, et perdant rapidement de
l’altitude. Il regarda l’altimètre. Niveau 50. Dans moins de cinq
minutes, ils atteindraient le sol. S’ils n’explosaient pas
avant.

– Nous allons envoyer un C.130 Hercules avec
quarante de nos gars, annonça Edgar Wiser, le Chef de Station de
Bamako, mais il ne sera prêt à décoller que dans deux heures,
minimum. Les Maliens nous emmerdent.
Robert Vigan fit un calcul rapide. Trois
heures, plus le temps de voler de Bamako au point approximatif où
le King Air avait cessé de donner signe de vie, il ferait
nuit...
Il y avait aussi un autre problème.
– Où allez-vous poser votre Hercules ?
demanda-t-il.
Le C.130 Hercules était un formidable
appareil de transport, mais n’était pas comme le Transall français
qui se posait sur 600 mètres, à peu près n’importe où. Lui, il lui
fallait du goudron ou du dur et près de mille mètres.
– Le pilote me dit qu’il y a des sections de
la piste du Tessalit où on peut se poser, avança Edgar Wiser. Bien
entendu, s’il y a des risques à le faire, il reviendra ici.
– On ne peut pas larguer quelques
types ? proposa Robert Vigan.
– Impossible. On n’est pas organisés.
– Be caution !
recommanda le responsable de la CIA à Tamanrasset. Il faudrait
d’abord repérer le King Air ou ce qu’il en reste en volant
bas.
En plus, le C.130 allait fatalement attirer
l’attention dans une zone où ne volaient que des vautours et
quelques aigles.

La piste Tessalit-Anefis était apparue trop
tard sous les ailes du King Air pour que Paul Redmond puisse
baisser les volets. Aussi, avait-il été obligé de franchir une
petite crête rocheuse le séparant de Jillen Valley, parallèle à la
piste.
Il n’était plus qu’à 300 pieds du sol
lorsqu’il amorça un virage vers la gauche, qui rabattit la fumée
noire sur le cockpit. Jouant avec ses ailerons, il parvint, en
dépit de son unique moteur, à stabiliser l’appareil cap au sud,
dans l’axe de la vallée.
– Le train ! cria-t-il au
co-pilote.
Il n’était plus qu’à 200 pieds et il lui
semblait que les flammes du moteur gauche avaient encore gagné en
intensité. Les deux mains crispées sur son manche, le regard glué
au sol inégal qui approchait, il adressait une prière muette et
continue au ciel.
Se poser sur un sol pareil avec un moteur en
feu, revenait à plonger la main dans un sac plein de
crotales...
– Le train ne descend pas ! annonça
Rodney Carlson, le co-pilote. Je prends la commande manuelle.
Il se mit à manœuvrer le levier comme un fou.
Le sol n’était plus qu’à cent pieds. Paul Redmond pouvait voir tous
les rochers qui affleuraient sa surface.
Encore moins d’une minute.
Soudain, le pilote aperçut devant lui, sur sa
gauche, un arbuste, probablement un acacia, et tenta le tout pour
le tout. Pied et manche à gauche il inclina vers la gauche la
trajectoire du King Air, puis lutta désespérément avec ses volets
et sa dérive pour remettre l’appareil en ligne.
Il était temps.
Dans un effroyable fracas d’acier broyé, le
ventre du King Air entra en contact avec le sol et l’appareil
rebondit de près d’un mètre.
L’arbre, sur la gauche, se rapprochait à
toute vitesse. Paul Redmond se raidit, adressant une ultime prière
au ciel. Et ce qu’il avait calculé se produisit : l’extrémité
de l’aile gauche accrocha le tronc de l’arbre et le choc l’arracha
du fuselage, avec le moteur en feu et le réservoir d’essence prêt à
exploser !
Ce n’était pourtant pas gagné : l’hélice
droite fut arrachée et partit en tournoyant comme un cerceau.
Déséquilibré, le King Air tournait sur
lui-même, sans que Paul Redmond puisse faire quoi que ce
soit.
À travers le nuage de poussière rougeâtre qui
entourait l’appareil, il aperçut, loin derrière lui, une boule de
feu : le réservoir d’essence de l’aile arrachée venait
d’exploser.
Accroché au manche, impuissant, il sentait le
King Air se désarticuler. Des morceaux de tôle jaillissaient dans
tous les sens.
Cela semblait ne jamais devoir finir.
Et, brutalement, l’appareil cessa de tourner
sur lui-même !
Il y eut quelques secondes de silence irréel.
Rompu par la voix de stentor de Paul Redmond, tourné vers ses
passagers.
– Get out !
Fast ! 6
Lui-même était en train de défaire
fébrilement sa ceinture de sécurité. Sentant du liquide couler sur
son visage, il passa sa main sur son menton et la ramena pleine de
sang. Il aperçut dans le rétroviseur une large coupure qui saignait
abondamment.
Son co-pilote semblait assommé. Il entendit
des gémissements à l’arrière. Richard Igl s’était mis sur l’issue
de secours et, d’un coup de pied, venait de la faire tomber à
l’extérieur. Judith Thomson, encore attachée sur son siège,
semblait souffrir beaucoup, le visage crispé par la douleur.
Il attrapa la poignée « emergency »
de sa porte et tira de toutes ses forces. Dieu merci, elle n’était
pas coincée et s’arracha aussitôt, laissant pénétrer un flot d’air
brûlant dans le cockpit.
– Get out fast !
hurla-t-il à nouveau.
Dick Igl avait déjà sauté à terre. Paul
Redmond se laissa glisser sur le sol à son tour. Lorsqu’il se remit
debout, il fut étonné de ne pas éprouver de douleur particulière, à
part la coupure de sa joue qui commençait à le piquer.
Thomas Ross avait sauté à terre à son tour.
Rick Samson s’affairait autour de Judith Thomson, encore sur son
siège, débouclant sa ceinture. Il se retourna et cria :
– She’s wounded !
7
La jeune femme, sa ceinture débouclée,
semblait incapable de s’arracher à son siège.
– I can’t move, lança-t-elle.
My leg hurts ! It’s broken. 8
Aussitôt, Paul Redmond remonta dans le King
Air et, avec Rick Samson, ils parvinrent à tirer Judith Thomson à
l’extérieur et à la poser délicatement à une vingtaine de mètres de
la carcasse du King Air.
Paul Redmond se redressa et réalisa qu’il
était en nage. Il devait faire 50° !
Les deux extrémités de la vallée se perdaient
dans la brume. Rien que de la rocaille et quelques épineux. À l’est
la vallée était fermée par une sorte de muraille rocailleuse, la
séparant de la piste.
Paul Redmond retourna vers le Beechcraft et y
récupéra une trousse de secours d’urgence, ainsi qu’un sac de toile
contenant des armes et un Thuraya.
Lorsqu’il ressortit, Rick Samson s’approcha
de lui en boitillant.
– Vous croyez que Tamanrasset sait que nous
sommes tombés ?
– Je pense, fit sobrement Paul Redmond. Je
vais essayer de les joindre avec le Thuraya. Pour qu’on recoive du
secours.
Richard Igl était en train de tâter la jambe
blessée de Judith Thomson qui hurlait au moindre contact.
Rodney Carlson qui avait été assommé lors de
l’atterrisage reprenait conscience peu à peu, assis sur un rocher
en plein soleil. Hébété.
Thomas Ross retourna dans l’appareil et
commença à en sortir des bouteilles d’eau et des rations
militaires. Assis sur un rocher, Paul Redmond avait sorti l’antenne
de son Thuraya et cherchait à l’orienter pour trouver le
satellite.
Il mit plusieurs minutes avant de voir
s’afficher sur le cadran « Thuraya Mali ». Dès qu’il eut
la tonalité, il lança à Thomas Ross.
– Donnez-moi le numéro de Robert Vigan.
Le « field officer » de la CIA le
lui communiqua aussitôt et il le composa lentement, braquant la
courte antenne vers l’est, là où se trouvait le satellite. Il dut
s’y reprendre à trois fois, obtenant un signal occupé. Enfin, il
entendit la sonnerie « américaine » de la base de
Tamanrasset et une voix décrocha.
– Paul !
Grâce au numéro qui s’affichait, le chef de
Station de Tamanrasset l’avait identifié aussitôt.
– Paul, youre
OK ?
– Yeah. Everybody OK. Just
one casualty.9
Il lui expliqua la chute de l’appareil et la
blessure de Judith Thomson.
– Nous pouvons tenir un moment, conclut-il.
Comment allez-vous nous venir en aide ?
– Est-ce qu’un Hercules peut se poser où vous
êtes ?
– Négatif.
– OK, je vous rappelle dans quinze
minutes.
Grâce au Thuraya, qui avait une fonction GPS,
Robert Vigan pouvait localiser le pilote du King Air à dix mètres
près.
Le soleil commençait à baisser, mais il
faisait encore plus de 35°. Judith Thomson ne se plaignait plus,
assommée par le choc et la chaleur. En plus, le co-pilote lui avait
appliqué un patch de morphine pour soulager sa douleur.
Le Thuraya sonna à nouveau, dix minutes plus
tard.
– Nous vous avons localisés, annonça l’homme
de Tamanrasset. Vous étiez à l’ouest de la piste Tessalit-Anefis. À
environ un kilomètre à vol d’oiseau. Si vous pouviez la rejoindre,
cela faciliterait votre récupération. Un Hercules est en route pour
vous secourir. Le pilote va essayer de se poser sur la piste. S’il
y arrive, il a deux « dunes boogie » à bord qui pourront
venir vous chercher.
– Je ne sais pas si on peut franchir cette
crête rocheuse avec un véhicule, répliqua le pilote. On va essayer
de gagner la piste à pied.

– Voilà l’épave du King Air, annonça le
co-pilote de l’Hercules C.130 qui scrutait le sol au-dessus de
l’appareil.
Celui-ci volait à moins de deux mille pieds.
Le soleil couchant reflétait l’aluminium de la carlingue du
Beechcraft amputé d’une aile. Presque aussitôt, ils distinguèrent
les six survivants en train de se rapprocher de la falaise rocheuse
les séparant de la piste. Deux d’entre eux portaient une civière où
se trouvait allongée la blessée.
L’homme en tête leur adressa de grands signes
et le pilote du C.130 balança ses ailes pour leur faire comprendre
qu’il les avait repérés.
L’appareil commença à effectuer des cercles,
cherchant un endroit où se poser. La vallée était exclue. Le pilote
franchit l’arête rocheuse et survola la piste quelques minutes, se
rendant compte très vite qu’il ne pouvait pas poser l’Hercules
dessus.
Trop de dénivellations et de
mini-dunes.
Il était donc obligé de retourner à
Bamako.

Paul Redmond suivait des yeux le C.130 en
train de faire des cercles au dessus d’eux. Le cœur battant, quand
son Thuraya sonna.
– Ils ne peuvent pas se poser, annonça Robert
Vigan de Tamanrasset. Ils retournent à Bamako. Nous avons envoyé un
convoi de secours à partir de Tombouctou. Il peut vous rejoindre
avant la nuit, s’il roule bien. Essayez de
gagner la piste, ça gagnera du temps... Prévenez-moi lorsque vous
l’aurez atteinte.
Paul Redmond marchait en tête, suivi de
Richard Igl et de Thomas Ross, qui portaient la civière improvisée
de Judith Thomson. Rick Samson et Rodney Carlson fermaient la
marche. Le massif rocheux n’était pas infranchissable, à condition
de zigzaguer entre les rochers pour trouver un passage en
biais.
Bien que près de l’horizon, le soleil
continuait à taper férocement. Les rochers noirâtres étaient
brûlants. Tous les quarts d’heure, le petit convoi faisait une
halte. C’était de l’alpinisme et il leur fallait toute leur volonté
pour continuer à grimper. La crête semblait ne jamais se
rapprocher. Heureusement que l’idée d’une colonne de secours en
route les galvanisait.

Robert Vigan répondit à son Thuraya qui
sonnait. C’était un appel de l’expédition de secours.
– Nous sommes à Bourem, annonça le chef de
section, mais nous ne pouvons plus progresser, il y a un très fort
vent de sable. Nous repartirons demain à l’aube. Il ya encore au
moins quatre heures de piste, jusqu’au lieu de l’accident.
Bourem était bien au sud d’Anefis. Quatre
heures de piste semblait une évaluation très optimiste.
Robert Vigan sentit l’angoisse l’envahir. Il
savait que deux katiba de l’AQMI avaient
leur base dans cette zone. Y lâcher des Américains sans protection,
c’était amener des chèvres bien grasses à des
tigres. Il était sans illusion : les combattants de l’AQMI
surveillaient le désert. S’ils découvraient la présence
d’Américains, ils allaient se ruer à leur recherche. Heureusement,
l’obscurité protégeait les naufragés du King Air. Seulement, dès
que le soleil se lèverait le lendemain, ce serait une course contre
la montre sans pitié.
1.
SOS.SOS.SOS. Novembre 187 Lima Bravo. Vol Tamanrasset Bamako niveau
126. Incendie Incontrôlé. Obligé d’atterrir. Dernière position GPS
20 47 Nord 16 00 Est.
2. Très
Haute Fréquence.
3. Haute
fréquence.
4. Al
Qaida au Maghreb Islamique.
5. Oui.
Priez Dieu. On va y arriver !
6.
Sortez. Vite !
7. Elle
est blessée !
8. Je ne
peux pas bouger ! J’ai mal à la jambe. Elle est brisée.
9. Oui.
Tout le monde va bien. Juste une blessée.