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— Ça vous amuse, Gary ?
— Beaucoup. Pas vous ?
Ce vous, imperceptible en anglais, s’adresse à l’officier britannique du MI5 que visiblement, non, ça n’a pas l’air d’amuser.
— L’affaire est grave. Très grave. Vous en avez conscience ?
La scène a lieu dans un endroit tenu secret, une pièce humide, en sous-sol, avec pour tout mobilier un bureau, deux chaises, un miroir sans tain, et pour seul éclairage une lampe braquée sur le visage du Français pour le moment pas si libre.
— Reprenons. Nous avons donc intercepté un courrier qui vous est personnellement adressé, sur lequel une main anonyme a écrit : « Inutile de venir : les Américains vont débarquer. » Vous voyez le nom sur l’enveloppe ?
— Oui.
— Vous confirmez en être le destinataire ?
— Je confirme.
— Et vous confirmez qu’il s’agit là d’une correspondance codée ?
— Tout à fait.
— Vous savez comment on appelle cela, en temps de guerre ? De la haute trahison.
— De la haute trahison !
— Parfaitement. Et vous savez ce qui attend les coupables de haute trahison ?
— Pas la moindre idée.
— La cour martiale.
— La cour martiale !
— Oui, et le peloton d’exécution.
— Le peloton d’exécution ! Pour si peu !
— Comment ça pour si peu ! Quelqu’un vous informe des mouvements de troupes – nous savons tous deux qu’un débarquement est imminent –, vous donne des instructions – ce mystérieux « inutile de venir » – et vous croyez vous en tirer ? Pour qui travaillez-vous, Gary ? Les Fritz ? Les Soviets ? Vichy ?
— Je travaille pour moi-même, ou du moins pour une jeune fille, vous devriez la voir, une brune aux yeux verts que je devais retrouver secrètement dans trois jours. Nous avons nos habitudes dans un petit hôtel à deux pas d’ici. Or elle est, comment dire, indisposée. « Les Américains vont débarquer », c’est un code, en effet. Elle aurait dû écrire « l’Armée rouge est en marche », vous auriez peut-être compris.
— Vous vous foutez de ma gueule, Gary ?
— Absolument pas. Tenez, voici son nom et son adresse. Vous pouvez vérifier.
Vérification faite, Gary est relâché.