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Une seconde, me dit Clément à qui je viens de lire les pages qui précèdent, j’aimerais revenir sur Kennedy. C’est vrai, cette histoire ? Gary l’a vraiment rencontré ? Oui, dis-je, il a vraiment été invité en juillet 1963 à la Maison-Blanche, avec Jean Seberg, comme il a vraiment vu la reine d’Angleterre, à la fin de la guerre, passer son escadrille en revue, comme il a vraiment été décoré par de Gaulle en 1945, sous l’Arc de triomphe, comme il a vraiment… Mais alors, m’interrompt Clément, comment sait-on qu’il a prononcé devant eux le nom de Piekielny ? On ne le sait pas. Il dit qu’il l’a fait, il dit – ce sont ses mots – qu’il a continué, au gré de ses rencontres avec les grands de ce monde, à s’acquitter scrupuleusement de sa promesse. Or ce monde dont il parle, c’est celui d’hier, il n’existe plus, ce monde, il a disparu, et les grands d’alors sont aujourd’hui six pieds sous terre, avec des fleurs là-dessus, où il y a bien longtemps que, enfin, tu vois – au même titre que ceux qui étaient leurs subalternes ou leurs sujets, car les vers ne font aucune distinction. Si de Gaulle, ou Kennedy, ou Sa Majesté la Reine Elizabeth étaient encore parmi nous, nous pourrions peut-être leur poser la question, nous pourrions leur demander Piekielny, ça vous dit quelque chose ? Et alors nous saurions si Gary a vraiment prononcé son nom devant eux.
Donc si j’ai bien compris, résume Clément, on n’est sûr de rien, on ne sait pas si Gary qui les a vraiment rencontrés leur a vraiment dit qu’au no 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait un certain M. Piekielny ? Voilà, dis-je, on est réduit à le croire, ou non. Il se peut qu’il l’ait fait, mais il se peut aussi qu’il ait inventé cette histoire. Pourtant, objecte Clément, il dit aussi dans la Promesse – corrige-moi si je me trompe – qu’il a « même eu la joie de pouvoir annoncer plus d’une fois, sur les vastes réseaux de la télévision américaine, devant des dizaines de millions de spectateurs, qu’au no 16 de la rue Grande-Pohulanka… ». C’est vrai, dis-je, mais c’est faux. En tout cas je crois que c’est faux : je n’ai rien trouvé dans les archives de la télévision américaine. Alors, demande Clément, on n’a aucune preuve qu’il a prononcé le nom de Piekielny, ni devant les grands de ce monde, ni même à la télévision ? Aucune, dis-je. Et comme je vois qu’il est déçu, j’ajoute : enfin, pas à la télé américaine. Parce qu’à la télé française…
Et je lui raconte l’histoire du fameux numéro d’Apostrophes.