Combien de jeunes gens devront encore mourir avant que cela ne cesse ? demandait un des manifestants devant l’hôtel de ville de Bedford, ce matin. Quelqu’un a déclaré la guerre à la jeunesse de Bedford, et il est grand temps de prendre les armes et de réagir.
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J’écarte mes doigts et colle une main minuscule et pâle sur la surface de bois. J’applique une légère pression sur la porte. Je perçois un mouvement derrière moi. Une main aux longues griffes s’empare de mon poignet et m’écarte. Je me retourne et libère ma main.
C’est Vérité, la walkyrie, qui vient de débarquer dans toute sa force et sa splendeur terrifiante. D’un signe, elle me réduit au silence et me tire vers elle.
— Qu’est-ce que vous faites ?
— Tu n’iras pas le voir maintenant, dit-elle.
— Et puis quoi encore ?
Elle ne relâche pas mon poignet. Elle est beaucoup plus forte que tout ce que je connais, plus forte que Betty, plus forte que Nick.
— Si tu veux voir ton loup, tu dois te plier aux règles de ce royaume.
La frustration me transperce, mais je la suis sur quelques pas le long du couloir. À peine m’a-t-elle relâché le poignet que ma main se pose sur l’épée. Je sais qu’elle aura vite raison de moi, mais je ne veux pas lui faciliter la tâche.
— Il t’accorde une audience, murmure-t-elle en avançant rapidement vers la grande salle. Il est trop généreux ; c’est le plus généreux des dieux.
À son expression renfrognée et son attitude raide, on voit qu’elle désapprouve cette décision. Elle ne porte pas sa tenue de guerrière, mais un simple costume viking : une longue robe et une chasuble maintenue par des broches au-dessus de sa poitrine. Ses ailes doivent être repliées et cachées sous la robe.
Sans dire mot, nous longeons le corridor, et elle entre dans le grand hall. Une foule de guerriers, hommes et femmes, aux muscles proéminents, qui portent des bracelets de métal, attendent déjà. Ils sont vêtus de vestes aux couleurs vives sur leurs pantalons.
Je ne m’attendais pas à ce spectacle. Les boutons étincellent et reflètent les couleurs du feu qui brûle dans les cheminées. Je m’arrête un instant.
— Par ici, dit-elle en me montrant la grande table.
Un homme efflanqué jette sa cape grise par-dessus son épaule. Sa crosse est appuyée contre le mur. Il a l’œil recouvert d’un bandage noir. Il me fait signe d’approcher.
Je me faufile entre les tables. Les guerriers cessent de manger et me regardent en silence. Je m’approche de la table et salue, comme Astley m’a appris à le faire.
— Odin, je vous remercie de me recevoir. C’est très généreux.
— Comment pourrais-je refuser une audience à celle qui a fait tant de sacrifices ?
Les yeux pétillants, il parle d’une voix profonde et douce qui me rappelle Gandalf ou Dumbledore et tous les sorciers des livres que mon père me lisait lorsque j’étais enfant.
Je sens les regards sur moi, qui observent mes vêtements, mon épée. Un homme à la peau sombre me sourit et me fait un petit signe. Tous les guerriers reprennent leur repas et bavardent, comme dans une grande famille joyeuse. Ils semblent ne guère tenir compte des convenances. J’essaie de ne pas leur prêter attention et de me consacrer à Odin. J’ai les genoux qui flageolent, j’ai honte de le dire, mais je ne peux plus reculer à présent.
Nick est là, derrière la porte, presque à portée de main.
Je m’éclaircis la gorge et croise le regard d’Odin.
— Tu es là pour reprendre ton guerrier, dit-il sans sourciller.
— Oui. (De nouveau, je regarde autour de moi. Tout le monde nous écoute. Concentre-toi !) Nous avons besoin de lui à Bedford.
J’ai failli dire « sur Terre », mais nous sommes toujours sur Terre, non ?
— Plaide ta cause, nouvelle reine des lutins, ordonne- t-il.
Pendant une seconde, je suis perplexe. Ma cause ?
— Vous voulez que je vous explique pourquoi il faut libérer Nick ?
— Son rôle est vital, ici ! hurle un homme. Combattre pour Odin, c’est défendre la cause la plus juste, dans la plus féroce des batailles, la plus glorieuse des guerres, la plus…
Il semble perdre le fil de sa pensée, car il s’interrompt brutalement et me regarde.
— Tu voudrais le priver de son rôle de guerrier d’Odin pour une misérable histoire d’amour ?
— Erik, suffit ! crie un autre homme. Laisse parler la femelle.
Super ! Je suis une femelle maintenant. Odin me fait un signe de tête.
— Nick Colt doit retourner à Bedford, car il est trop jeune pour être ici.
— Hé ! j’ai quatre ans de moins que lui ! hurle un autre guerrier.
Odin lève la main pour demander le silence et je continue, un peu ébranlée.
— Sa place est à Bedford parce que la ville est faible sans lui. C’est notre chef et nous devons faire face à une terrible bataille nous opposant à une bande de méchants lutins qui s’en prennent aux humains.
— Est-ce la vérité ? demande l’homme assis à côté de lui. Si tel est le cas, pourquoi le conseil des lutins n’y met-il pas un terme ?
— Il est compromis. Des traîtres siègent parmi ses rangs, explique Odin, comme si c’était une simple banalité. Il a chargé le jeune roi Astley de rétablir la paix dans la région, parce que l’ancien roi était trop faible et trop ambigu, mais à présent il n’est plus.
L’homme à côté de lui lève les sourcils, hoche la tête et avale une lampée de bière dans une grande coupe d’argent.
— C’est ridicule ! Un si jeune roi…
Je me frotte les mains contre les cuisses et poursuis :
— Le roi lutin chargé de rétablir la paix éprouve des difficultés. Il y a des traîtres au sein de notre propre royaume.
Un brouhaha s’élève.
— Il n’y a pas que cela. Nick est le chef de tous ceux qui ne sont pas des lutins. Nous comptons sur lui ; il fait tout ce qu’il peut pour protéger les humains et les autres métamorphes. Il a sacrifié son temps et sa vie. Pourtant, sans lui, nous perdons la bataille. Il y a des meurtres. Des enfants disparaissent. Le reste du monde commence à s’en apercevoir, et Nick… (Je suis prise de sanglots en prononçant ce nom, mais je lutte contre mon émotion.) Nous avons besoin de lui. Je ne peux pas le perdre. Le monde ne peut se permettre de le perdre… Pas encore.
— Tu as bien plaidé, Zara des Bouleaux et des Étoiles. Cependant, Nicholas Colt n’est pas votre chef, déclare Odin. Le chef, c’est toi.
Moi ?
Le sang me monte à la tête. Soudain, l’odeur de viande rôtie me submerge.
— Mais…, mais…
Je cherche des mots qui aient du sens, sans rien trou- ver de convaincant.
— Je ne sais même pas me battre !
— Pour être chef, il n’y a pas toujours besoin de savoir combattre, déclare Odin. Le chef, c’est celui qui rassemble et qui motive. Le chef, c’est celui qui fait passer les ambitions et les rêves de son peuple dans le domaine de la réalité. Le chef guide son peuple vers le bien. C’est toi, le chef.
La salle est silencieuse. Appuyée contre un mur... bras croisés sur la poitrine, Vérité me lance des regards assassins.
J’observe les hommes en essayant de paraître courageuse, déterminée et régalienne malgré la larme qui s’échappe du coin de mon œil.
Je suis un chef ? Moi !
Vérité grommelle dans son coin, tandis qu’une grande main prend la mienne. C’est Odin. Il m’ap- proche de lui.
— Pour retrouver ton loup, tu dois vaincre celui Qui l’a amené ici.
J’ai besoin de quelques secondes pour comprendre.
— Quoi ? Ce roi lutin ?
— Beliel, dit Odin, les traits soudains très fatigués.
Également connu sous le nom de Frank.
La foule s’agite. Il me semble que les soldats lancent les paris. D’autres se révoltent de voir qu’on met une petite chose si fragile (moi !) en face de ce monstre (Frank, alias Beliel, l’oncle d’Astley).
— Je ne sais pas me battre, dis-je à nouveau. Je ne suis vraiment pas douée ; enfin, je ne suis pas aussi empotée que mon amie Issie, qui n’oserait pas s’attaquer à une mouche… C’est vrai, je vais mieux… Mais… Oh ! excusez-moi, je radote…
Je me mets à balbutier :
— Oh ! je suis désolée…
Odin se contente de sourire. Il ferme les yeux, comme s’il m’en demandait trop, et dit :
— Il est déjà sur place. Nous sommes allés le quérir lorsqu’Heimdall t’a vue arriver.
Au moins, il n’est plus dans la clairière !
— Vous saviez…
— Nous savions que tu ne voudrais pas rentrer sans ton loup. Oui, nous sommes des dieux, n’oublie pas !
Je suis son regard et vois Frank au fond de la salle.
Il porte un ridicule costume rouge, un pantalon de cuir de la même couleur et une veste assortie, ce qui est grotesque, sauf pour les stars du rock des années 1980.
Surtout lorsque le pantalon est trop serré ! Une sorte de géant à la barbe auburn et aux muscles qui feraient pâlir de jalousie le champion du monde de culturisme le tient par le bras.
— Thor, dit Odin, aurais-tu l’obligeance de nous amener notre visiteur.
Ils traversent la salle entre les tables. Les guerriers, lutins, garous, elfes et fées semblent se raidir au passage du roi.
— Tout le monde a envie de le combattre. Nous n’aimons pas les êtres malfaisants ici, explique Odin, mais nous en avons besoin.
Beliel ou Frank s’approche de nous. Thor le relâche et regarde sa propre main.
— Il me faudrait au moins quatre pintes de bière, à moins d’une bonne décapitation ! dit Thor en riant.
Il y a des débris de gâteau dans sa barbe. J’aurais cru que les dieux avaient tous une barbe immaculée.
Sa jovialité semble le quitter, et son regard se fait plus doux.
— Heimdall se joint à moi pour te souhaiter bonne chance, reine guerrière.
Il me faut un moment avant de comprendre que je suis la « reine guerrière ».
— Merci, Thor.
Beliel lève les sourcils. Ce simple mouvement semble meurtrier.
— Vous combattrez à l’épée, déclare Odin.
À l’épée ? Combattrez ?
— C’est une plaisanterie ? dis-je en reculant. C’est lui qui a tué Nick. Il a blessé mon père. Je n’ai jamais fait d’escrime, je ne sais pas me battre à l’épée !
Les mains d’Odin se posent sur la table, de chaque côté de son assiette. Il ne cille pas.
— Je suis très sérieux. Et je suis désolé pour toi. Es-tu certaine de vouloir poursuivre, Zara White, reine des lutins, créatrice des alliances ?
Si je refuse, Nick devra rester ici. Je n’ai pas le choix.
— Oui, dis-je d’une voix stable et confiante.
Beliel éclate de rire et se frotte les mains.
— On va rigoler…
Je lui lance un regard mauvais.
— Oh ! et on a peur…
Les guerriers commencent à murmurer et à bavar- der. En un instant, un brouhaha s’élève. Néanmoins, je réussis à comprendre quelques phrases.
— Elle ne tiendra pas trente secondes. »
— Une minute, maxi ! »
— Je n’ai pas envie de voir ça. C’est pas du jeu. »
Odin lève la main. Aussitôt, le silence se fait.
— Écartez les tables, ordonne-t-il.
Des géants, aidés de quelques femmes, repoussent les tables contre les murs. On dirait qu’elles pèsent cent kilos chacune. Ils les soulèvent tout de même comme des fétus de paille.
Les walkyries déroulent un tapis rouge au milieu de la salle.
Puis les guerriers s’alignent le long des tables, si bien que le matelas du centre ressemble à un enclos.
Mes entrailles se nouent. Je suis heureuse que Nick ne soit pas là. Je n’aimerais pas qu’il me voie me faire massacrer, annihilant ainsi toute possibilité de retour.
Je jette un coup d’œil vers le roi lutin. Il sourit toujours. Je comprends enfin ce que signifie « un sourire mauvais ». Son sourire s’élargit encore lorsque Thor lui lance une épée. Il l’attrape d’instinct, semble- t-il, car il n’a pas cessé de me fixer.
— Veux-tu une épée, ou préfères-tu garder la tienne ? demande Thor.
— Je garde la mienne.
Cela m’attire des murmures approbateurs. J’espère avoir fait le bon choix. Je dégaine mon épée, la soupèse dans ma main. Elle me fait penser à Astley, ce qui me donne un peu de courage. Nous avançons sur le tapis.
Je me demande si c’est un combat à mort. Je me pose mille questions. Comment attaquer celui qui a eu raison de Nick ? Quelles sont mes véritables chances ?
Le roi lutin me fait un signe de tête silencieux.
Je le lui rends.
— Vous pouvez commencer, annonce Odin. Bon combat, à tous les deux.
Le roi lutin s’incline et se jette aussitôt sur moi. Je fais une feinte et m’esquive. Les épées se croisent dans l’air, à l’endroit où ma tête se trouvait une seconde plus tôt. Brrrr ! De nouveau, il se rue sur moi. Je roule par terre.
Un éclair de seconde plus tard, l’épée s’enfonce dans le sol. Les murs tremblent sous la force de l’impact. Il m’a manquée d’un cheveu.
Je roule toujours sur moi, mon épée serrée contre ma poitrine. Il me pose le pied sur le thorax.
— Franchement, on ne s’amuse pas beaucoup avec toi, princesse, siffle-t-il.
Le poids de sa botte chasse tout l’air de mes poumons.
— Reine, à présent, merci.
— Tu te bats comme une femelle !
— C’est une insulte, je suppose ?
Il enfonce un peu plus le talon.
— Exact, ma chère.
Pendant un instant, nous ne bougeons plus, ni l’un ni l’autre. Il exulte.
— Cesse de la torturer ! crie quelqu’un dans la salle. Qu’on en finisse !
Un de mes admirateurs, sans doute. À moins que…
Il se penche vers moi. Son sourire narquois s’élargit. Il renonce à son charme. Il devient soudain tout bleu à sauvage.
— Le gentil petit roi t’a transformée, mais il n’y a pas encore regagné tout son pouvoir, et toi non plus.
Il parle très bas pour s’assurer que je sois la seule qui entende.
— Et comment le sais-tu ?
J’essaie de ne pas avoir l’air gênée et de paraître mauvaise. Le problème ? Je suis une piètre actrice. Ses narines se dilatent.
— Je le sens à ton odeur. Cela signifie que tu n’es pas invincible, que ta puissance peut être absorbée par un autre.
Je comprends parfaitement ce qu’il insinue. Cela ne me plaît pas du tout. Soudain, ma peur se solidifie et se métamorphose en quelque chose de totalement différent : la colère. Elle enflamme mes sens de lutin.
Elle se fraie un chemin dans tous mes organes et me nourrit. La colère, la passion. Ce lutin, ce monstre, ce soi-disant roi est celui qui a laissé les lutins de mon père ravager la ville, qui a tué Nick, qui a provoqué la mort de tous les collégiens du bus de Sumner, celui dont les sujets sont peut-être en train de massacrer Issie, Devyn, Astley et Cassidy en ce moment même.
Je lui souris avec tout mon charme et toute ma chaleur du Sud.
Il transfère son poids d’une jambe sur l’autre. J’exploite ce court instant de confusion pour propulser mes hanches et me relever. Je plie la jambe pour prendre appui sur le sol.
Je pivote sur moi-même et brandis mon épée vers lui. Je lui égratigne le bras. Un sang sombre, un sang inconnu, coule de la plaie. Mon sang est noir aussi à présent, mais ce n’est pas le même que le sien.
Nous sommes des lutins, tous les deux, mais nous sommes totalement différents.
— Tu parles trop, lui dis-je. Pourquoi les méchants parlent-ils toujours trop ?
— Pour mieux savourer la victoire ! dit-il en pointant son épée vers moi. C’est plus sensuel comme ça.
— Ne jamais oublier : les méchants ne sont jamais sensuels.
Il est beaucoup plus doué que moi. Il pointe ses attaques très bas en utilisant une technique de doublement, mais je saute très haut, tournoie dans l’air et atterris derrière lui.
— Joli, dit-il en pivotant pour repousser ma propre attaque. Ça ne suffit pas, ma pauvre ! Tu n’es pas assez douée, princesse. Tu n’as jamais été assez douée… Tu essaies sans cesse de sauver les gens, ton beau-père, ton loup… Sans succès.
— Eh bien, on dirait que c’est la même chose pour toi ! dis-je en essayant de reprendre mon souffle. Tu as essayé de nous tuer combien de fois, Astley et moi ? Mais tu échoues chaque fois !
— Pas cette fois !
Il accélère le rythme des attaques. Son épée fouette l’air à toute vitesse. Je fais tout mon possible pour contre-attaquer. Je dois réagir aux moindres de ses mouvements alors qu’il paraît calme et souple. On dirait qu’il n’a besoin d’aucune force musculaire pour manier son épée. Et moi ? Je suis complètement HS !
Une voix résonne dans mon esprit.
Vole !
C’est la voix d’Astley. La voix d’Astley est dans ma tête. Vole ! C’est plus qu’une voix, c’est son essence même, son pouvoir. Je le sens qui enfle dans mes muscles, dans mon esprit, dans mon cœur.
Vole !
Voler ? Qu’est-ce qu’il raconte ? Je ne sais pas voler ! Je tente quand même le coup. Comme je ne sais pas comment m’y prendre, je saute. Ma main libre attrape la banderole qui pend au plafond. Elle ne se déchire pas. Elle soutient mon poids. En dessous de moi, les guerriers éclatent de rire. Frank se joint à eux.
Il marque une pause, insolent, la main sur la hanche.
— Aurais-tu oublié que je suis roi ? Moi aussi, je sais voler.
Il saute dans les airs. Son rire se transforme en grognement tandis qu’il pointe son épée juste au-dessus de mon omoplate gauche. Je sens la chair s’ouvrir et le sang couler. Je lâche la banderole et me laisse tomber.
Bravo, bonne idée, Astley !
En retombant accroupie, j’esquive un coup sur ma gauche. Ma lame d’or scintille entre nous deux.
Soudain, je me souviens d’un conseil que Nick nous donnait toujours à Issie et moi : « Servez-vous de vos pieds ! » Je lui balance la jambe dans les tibias. Sa bouche forme un « 0 » de surprise, il trébuche et laisse tomber son épée. Je me rue sur lui.
Mon corps écrase le sien. Avec mes genoux, je lui bloque les bras. La pointe de ma lame effleure son cou, mais je ne transperce pas la peau.
Il est à ma merci. Un petit mouvement et je lui ouvre l’artère jugulaire.
— Je t’ai eu !
Je ne reconnais même plus ma voix. C’est un siffle- ment âpre et rauque qui fait plus penser à celle d’Astley qu’à la mienne.
— Alors, tue-moi ! hurle-t-il.
Des perles de sueur luisent sur son front. Sa voix est ferme, mais son regard trahit sa peur.
Mes mains tremblent. Il essaie de se dégager ; je tiens bon. Il ne peut pas bouger, et la pointe de mon épée presse un peu plus fort, juste assez pour que les gouttelettes de sang apparaissent sur son horrible peau.
Je ne l’écoute pas et m’adresse à Odin et à Thor.
— Est-ce que j’ai gagné ?
— Une victoire totale ! crie Thor, qui a plus l’air d’un surfer que d’un dieu.
Il s’approche de nouveau et arrache l’épée de Beliel.
— Tu peux te relever, me dit-il.
Je devrais le faire. Or, quelque chose en moi refuse.
D’une certaine manière, j’ai envie de trucider le lutin qui se trouve sous moi. J’avale la salive au goût de bile qui me brûle la gorge.
Beliel feule comme un chat en colère. Je bascule mon poids, éloigne mon épée de sa gorge, mais la garde pointée vers lui.
— C’est nous qui nous en occupons, guerrière, me dit Thor.
Trois hommes viennent l’attraper, l’entraînent hors de la salle et le poussent sous le soleil printanier. Tout le temple vibre et résonne sous les cris des guerriers…, des acclamations. Ils m’acclament !
J’essaie de reprendre mon souffle et me redresse pour faire face à Odin qui me sourit gentiment. Astley se trouve à côté de lui. Je suffoque toujours. Il paraît si vivant et si beau… Son visage… Je suis incapable de décrypter. D’où sort-il ?
— Est-ce que j’ai gagné ?
C’est ce que Thor vient de dire, mais la décision revient à Odin.
— Tu as gagné, dit-il, les yeux pétillants. Tu as gagné, Zara, reine des lutins des Étoiles. Tu as gagné et avec les honneurs.
Je me retiens pour ne pas sauter de joie. Il me sourit et, soudain, une vague de bonheur me submerge.
Sans réfléchir, je saute par-dessus la table et me jette dans ses bras.
Les guerriers commencent à siffler et à taper joyeusement sur la table.
— Tu es stupéfiante, me crie Astley à l’oreille.
Je lui passe les bras autour du corps et le serre contre moi.
— Tu étais dans ma tête. J’entendais ta voix. Ton soutien m’a rendue plus forte. Je suis contente que tu sois là.
Il se met à rire.
— J’étais inquiet, mais je n’éprouvais pas le moindre doute. J’étais certain que tu y arriverais.
Je me penche pour étudier son visage.
— Un instant ! Comment es-tu arrivé ici ?
— Odin m’a fait mander lorsqu’on est venu chercher Frank.
Je m’écarte de lui.
— La bataille ? Issie, Cassidy et Dev ? Nos lutins ?
— Nous avons gagné, grâce à ta grand-mère, surtout.
Tes amis et nos lutins sont en sécurité, dit-il en s’éloignant un peu plus.
Nous sommes à une distance de bras et j’ai l’impression qu’un gouffre nous sépare.
— À présent, va chercher ton loup, Zara. J’attendrai ton retour à Bedford.