Les tensions ne cessent de croître dans la ville de Bedford, toujours sans nouvelles des jeunes disparus, tandis que se préparent les funérailles de plusieurs adolescents de Sumner Fligh School. « Je veux que ça s’arrête, nous a confié une mère, je veux que l’on puisse vivre en sécurité. »

The Bedford American

 

« De nouveaux garçons sont portés manquants dans la région de Bedford, annonce la télévision, ce qui porte à vingt-deux le nombre des disparus. Ce chiffre sans précédent incite certains experts à parler de fugues organisées, car il s’agit essentiellement de victimes de sexe masculin. Néanmoins, le FBI a envoyé ses agents pour enquêter sur un éventuel tueur en série ou un réseau international de prostitution enfantine. »

L’écran montre ensuite un type qui ressemble à un agent du FBI avec ses lunettes noires et ses cheveux en brosse. Le plus gros indice reste néanmoins les lettres jaunes « FBI » sur son blouson bleu marine.

« Pour l’instant, nous ne pouvons pas vous en dire plus sur le mobile de ces disparitions, dit-il d’une voix de conspirateur. Nous disposons cependant de quelques pistes sur lesquelles nous enquêtons. »

Le présentateur revient. « Pour compliquer les choses, certains résidants, terrifiés par la situation, quittent la ville pour prendre des vacances, ce qui fait que nous ne savons pas toujours si les gens ont disparu ou s’ils se sont absentés. »

Mme Nix est là, et Astley est toujours présent. Nous sommes tous au salon. Sans demander l’autorisation à personne, Betty appuie sur un bouton de la télécom- mande, et la télévision s’éteint. J’arrête mon geste, avec ma cuillère de soupe à mi-chemin entre mon assiette et ma bouche. C’est ma mère qui l’a préparée, malgré son bleu. Elle me prépare toujours de la soupe lorsque je suis malade et elle range les blessures par balle dans les maladies. Et puis, ça l’occupe et ça lui évite d’avoir à me regarder.

— Pourquoi tu as éteint ?

— Cela ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà.

Elle met la main sur ses genoux et se lève. Ma mère fait de même, mais Betty aboie :

— Reste ici. Je vais nous préparer du thé !

Betty file à la cuisine en pestant contre les blessées, les cœurs fragiles et les lutins qui la clouent à la maison.

Astley est assis dans le fauteuil rouge, et ma mère est à côté de moi sur le divan. Elle s’accroche à un des couteaux à viande d’Issie, car elle a peur d’être attaquée d’un instant à l’autre, même si, quelques heures auparavant, il a pris soin d’elle lorsqu’elle s’est évanouie. Ma mère a un gros problème de confiance en ce qui concerne les lutins, et je ne peux pas le lui reprocher.

— Maman…

Je me sers de son nom comme d’un avertissement et je pense que ça marche, car elle s’adosse au divan et ferme les yeux.

Depuis notre retour, j’ai appris que Devyn et Cassidy avaient terminé de construire leur cage pour BiForst.

Ils sont au lycée. Moi, je manque la classe à cause de ma blessure. Astley et moi avons épluché le livre et envoyé quelques courriels pour donner des détails à nos amis.

Issie a répondu avec une tonne de points d’exclamation et d’émoticônes. Devyn est d’accord avec notre interprétation. Nous attendons leur retour pour aller plus loin.

Betty et Mme Nix reviennent avec du thé pour tout le monde, Astley compris, ce qui marque une étape gigantesque.

— Fais attention, Zara, dit-elle en posant ma tasse. C’est chaud.

Je croise le regard d’Astley. Tout le monde me traite comme un bébé. Je ravale ma mauvaise humeur.

— On a un peu discuté, commence Betty en m’adressant son regard de loup alpha. Zara, tu n’es pas assez en forme pour y aller !

Mon cœur tombe dans mes talons. Je commence à protester et à dire que je n’ai presque pas mal, que je suis tout à fait apte à y aller, lorsqu’elle me réduit au silence en levant le doigt.

— Inutile de protester, tu n’as pas la moindre chance !

— Mais…

— Il n’y a pas de mais qui tienne, jeune fille.

Ma mère croise les bras sur sa poitrine.

— Je t’attacherai s’il le faut, mais tu n’iras pas. On risquerait de te perdre.

— Non, vous n’êtes pas tous d’accord. Astley n’est pas d’accord !

Je ferme les yeux un instant pour repousser ma peine et mon désespoir.

Lorsque je les ouvre à nouveau, Astley se tient devant moi, accroupi. Il parle d’une voix douce et grave.

— Si, moi aussi, je suis d’accord.

J’entends le tic-tac de l’horloge murale. Dans la cuisine, le réfrigérateur bourdonne. Tous ces sons me prouvent que la vie continue, qu’elle est réelle et que je ne rêve pas… Même Astley s’y met !

— Je me suis métamorphosée… Je me suis métamorphosée pour ça… Si je ne vais pas chercher Nick, cela signifie que j’aurai fait tout cela pour rien ! dis-je d’une voix hystérique.

Des larmes s’accumulent dans le coin de mes yeux.   — Je sais, ma chérie, dit Betty en me caressant le bras.

     — Non, tu te trompes, dit Astley. Ce n’est pas en vain. Ta métamorphose me rend plus fort. Cela nous apporte la stabilité. Quand tu seras reine à mes côtés, nous…

      —Sûrement pas ! l’interrompt ma mère.

Le regard d’Astley passe de l’une à l’autre.

—Ce n’est pas le problème. L’important, c’est d’aller au Walhalla. Qui est-ce qui ira ?

Mme Nix repose sa tasse.

— Moi.

— On avait décidé que ce serait moi, dit Betty.

—Moi, je ne manquerai à personne. Tu as une famille, Betty. Tu as des talents médicaux que je ne possède pas. Et je suis aussi bonne guerrière que toi, et tu le sais.

—Exact.

—Mais vous aussi, on a besoin de vous ! dis-je en regardant le visage rond de Mme Nix. Et vous avez une famille ! Au lycée, nous sommes tous votre famille. Nous sommes votre famille !

Elle me sourit doucement, cette femme qui est un ours.

— Tu es gentille, Zara. Laisse-moi faire ça pour toi. Laisse-moi jouer le rôle du héros, cette fois.

Je ne réponds pas. J’essaie de consolider mes arguments, mais je suis à court d’idées.

— Elle a plus de chances de réussir. Si tu y vas, Zara, ce sera par égoïsme. Tu réduiras les chances de succès.

—C’est ce que tu veux ?

— Non.

— Je m’en doutais. Je me demande pourquoi une seule personne peut y entrer à la fois. Qui a établi ces règles ?

 

Il neige toujours lorsque nous partons, une neige qui semble ne vouloir jamais s’arrêter, car elle tombe depuis des semaines. Pas très dru. Mais elle est si régulière qu’elle s’amoncelle sur les trottoirs. Les équipes de la ville n’ont aucun répit.

Elles ne cessent de déblayer les rues et les parkings. Elles se débarrassent du surplus sur le parking du port, car, en hiver, il n’y a aucun bateau.

Le petit dock est en fait un minuscule parc avec un belvédère et quelques pontons remisés sur le quai. Le tout disparaît sous des montagnes de neige.

Nous sommes dans la même voiture. Il a fallu que je me batte contre ma mère et contre Betty pour avoir le droit de venir, mais, comme je suis allée jusqu’à New        York avec Astley, elles ont eu du mal à m’empêcher de traverser la ville.

Elles en font un peu trop, mais j’ai accepté le compromis : Mme Nix ira au Walhalla à ma place.

Betty, ma mère, Mme Nix et moi nous rendons donc au port dans la voiture de location de ma mère.

À l’arrière, Betty ne cesse de prodiguer ses derniers conseils à son amie.

— Ne fais confiance à personne. Pas même aux dieux.

— Bien entendu.

— Et si tu es coincée, charge… Si tu te dresses, tu exposes ton ventre, qui est vulnérable.

— Oui, oui, je sais…

Elles sont si mignonnes, toutes les deux.

— Nous sommes arrivées. Vous êtes toujours d’accord ? Je peux encore y aller !

Mme Nix me sourit et me caresse le visage.

— C’est à moi de jouer les héros, Zara. Ça me plaît. Et puis j’aime bien réunir les amoureux. C’est si romantique !

Elle a un regard doux et puissant à la fois. Elle laisse retomber sa main et, d’une voix tremblante, je lui réponds :

— Merci.

— Cette bagnole détonne dans le paysage, grogne Betty en sortant.

Elle a raison. Astley, Amélie et un BiForst ficelé comme un saucisson sortent de l’autre voiture bien trop luxueuse.

J’attrape la poignée de la portière, mais ma mère me retient.

— Il fait trop froid pour toi.

— Tu plaisantes, je suppose !

Non, elle tient à ce que je reste à l’intérieur et que je me contente de regarder ! Les autres sont d’accord avec elle.

— On a voté, déclare Betty avant de froncer les sourcils. Mais tu as eu la place à l’avant !

C’est un piètre réconfort. Néanmoins, je n’ai pas envie de faire une scène. Je fais signe à Mme Nix de s’approcher. Elle sent la cannelle, comme les grands-mères de l’ancien temps, une odeur chaleureuse, pleine de sucre, de farine et d’amour.

— Je ne saurai jamais comment vous remercier.

Un flocon de neige s’accroche à ses cheveux.

— C’est un honneur pour moi.

Elle s’éloigne, mais je tends le bras et la rattrape par la manche.

— Dites-lui que je l’aime, d’accord ? Dites-lui que j’aurais aimé y aller moi-même.

— Zara… Nick le sait déjà. Inutile de t’inquiéter. Je le ramènerai. Prends soin de ta grand-mère pendant mon absence. Elle n’est pas aussi solide qu’elle le prétend et elle s’inquiète pour toi. Marché conclu ?

— Marché conclu.

Dans la voiture qui sent le plastique et le désinfectant, je les vois traverser le parking désert, tourner à droite derrière la cabane, qui sert de capitainerie, et longer la jetée, faite de métal et de bois.

Ils forment un drôle de groupe hétéroclite. Des blocs de glace flottent à la surface de l’eau, tels de minuscules icebergs crasseux.

Dans sa parka, Mme Nix me fait penser à un marshmallow bleu. Maman, Cassidy et Issie sont blotties les unes contre les autres, comme pour puiser de la force dans ce contact.

Astley pousse brutalement BiForst devant le groupe.

Ils portent des vêtements de cuir et de laine, ainsi que des bonnets et des gants. Ils avancent à grands pas (Betty), flânent (Cassidy), pataugent (Mme Nix), mais n’ont qu’un seul but : ramener Nick et c’est pour cela que je les aime. Je les aime tant que je supporte presque d’attendre dans la voiture.

Espèce de petite menteuse !

Non, je ne le supporte pas. Ils risquent d’être blessés, ils auront peut-être besoin de renforts.

L’air se met à scintiller tout autour d’eux. Bouche bée, je me penche en avant pour mieux voir. Un pont se forme au-dessus du fleuve. Un pont argenté, étincelant… Ce n’est pas un arc-en-ciel ! Tout ce que j’ai lu parlait d’un arc-en-ciel ! Était-ce un mot qui s’était perdu dans la traduction ? Je l’espère, mais je n’en ai aucune idée, en fait. Mme Nix y pose un pied et commence à monter.

Le pont forme un arc au-dessus du fleuve, dont la neige obscurcit l’autre extrémité. Mme Nix monte, de plus en plus haut.

Je tremble de tout mon corps et je suis frigorifiée. Pas à cause du froid, ni de la blessure. Non, à cause de l’odeur épouvantable de BiForst, que je sens de la voiture. Une odeur arrogante, comme celle de la mort…, comme celle de Frank pendant qu’il tuait Nick.

Faisant fi de la douleur, j’ouvre la portière et commence à courir, mais j’ai à peine avancé de quelques pas que le pont explose.

Le temps se fige.

Le vacarme est si impressionnant qu’il couvre tous les sons.

Une seconde s’écoule.

Une autre.

L’air s’emplit d’une odeur de soufre et de fourrure brûlée. Des échardes de cristal tombent du ciel. Un cri retentit. Des volutes de fumée noire envahissent, obscurcissent tout.

— Mme Nix ! Mme Nix !

Hélas, je sais déjà qu’il est trop tard.

Le silence surnaturel m’horrifie.

Cela aurait dû être moi…

Pendant un instant, personne ne bouge, puis la scène se déroule au ralenti.

Cassidy pousse un hurlement suraigu et douloureux, qui se répercute en écho dans l’air. Ma mère se lève pour aller vers elle et lui tend la main.

Choquée, Issie reste figée sur place. Devyn la prend dans ses bras et lui protège la tête des débris.

Astley se tourne vers moi. Nos regards se croisent tandis que je cours vers eux malgré la distance. Il saute et vole à moitié vers moi.

— Ça va ?

Il me toise pour vérifier mon état.

— Hum. Et toi ?

Au moment où je pose la question, je remarque qu’il a une tache sur le front, une marque de brûlure sur son blouson et une coupure à l’oreille. Je tourne autour de lui pour l’inspecter de plus près.

— Je ne suis pas blessé, dit-il d’une voix inquiète.

Peu convaincue par ce mensonge, je me hisse sur la pointe des pieds. Une petite écharde de cristal rouge dépasse de son oreille.

— Ne bouge pas !

Avant qu’il puisse réagir, je la prends entre mes doigts. Elle brûle encore, tant elle est chaude. Je tire d’un mouvement sec, la jette dans la neige et appuie sur la blessure pour arrêter le sang.

— Elle nous a quittés ?

J’ai à peine murmuré la question.

Il hoche la tête.

— Son essence… Je ne la sens plus… Elle nous a quittés.

Les sanglots menacent de me submerger, mais je les repousse. Nous avons du travail. Mme Nix voudrait que je m’occupe des autres, mais j’ai le cœur qui cesse presque de battre, tant le chagrin m’envahit. Je me sens faible ; tout mon corps est douloureux. Nous avons perdu tant de gens !

Dernièrement, j’ai constaté que tout le monde ne réagissait pas de la même manière devant la mort.

Certains se battent et font comme si de rien n’était.

D’autres se noient dans le chagrin ou s’abandonnent à la colère.

Un rugissement s’élève et fait vibrer les flocons de neige, le son s’amplifie et se transforme en écho tangible et sauvage. Astley me prend par le bras et me glisse derrière lui.

Je le pousse pour mieux voir. Transformée en tigre,

Betty se tient près de ma mère. Devyn s’est placé en avant du groupe pour le protéger.

Or, pourquoi voudrait-il les protéger de Betty ?

Amélie recule, comme si elle avait peur de se faire dévorer. Ce n’est pourtant pas à eux que le tigre s’inté- resse. Néanmoins, je comprends. Même d’ici, la colère et le désir de vengeance de Betty sont palpables.

Le tigre s’élance, gueule grande ouverte. La partie antérieure du corps s’allonge et les deux pattes avant se propulsent dans les airs, toutes griffes dehors.

Il en pose une sur BiForst, le plaquant au sol. L’autre patte suit et lui lacère le corps.

Le tigre se jette sur lui en découvrant ses dents. Issie pousse un petit cri. Je ne peux plus rien faire, il est trop tard. Ma main se resserre sur le bras d’Astley tandis que BiForst cesse de bouger.

Le tigre se tourne vers moi, la gueule ensanglantée, les yeux brûlant de rage et de douleur. Il avance vers nous. Les muscles d’Astley se tendent pour se préparer à la riposte.

Puis le tigre gémit, se retourne et bondit dans la neige en direction du petit belvédère avant de disparaître entre les maisons et le parc, à la lisière des bois.

   Elle a tué BiForst.

Chancelante, je retourne vers le camion de Betty. Le monde tourbillonne.

Astley me pose la main sur la joue et je le laisse faire. On lit le chagrin dans ses yeux, tout comme dans les miens, un chagrin peut-être pas tant causé par la perte de Mme Nix que par la trahison des siens.

J’avale ma salive, j’essaie de ranger mon chagrin dans un petit coin, derrière mon appendice ou quelque chose dans le genre, et de l’y laisser pendant un moment pour pouvoir continuer à fonctionner.

Puis je demande à tout le monde de revenir, de s’éloigner de la scène de carnage et de destruction afin d’être apte à mieux les protéger lorsqu’ils seront regroupés.

Au même instant, un morceau de tissu brûlé tombe du ciel. Il vient du sweat-shirt de Mme Nix. On voit encore l’œil de renne brodé dans le dos. Elle était si heureuse de l’approche de Noël qu’elle avait déjà décoré son bureau avec des petits rennes, ce qui était peut-être une entorse à la règle de séparation de l’Église et de l’État, mais je crois que tout le monde s’en moquait.

Toute tremblante, je le ramasse et le mets dans ma poche. Pourquoi ? Je l’ignore. Parce que. Parce qu’elle s’est conduite en héros et que j’ai besoin de quelque chose pour me souvenir d’elle.

Et si c’est un morceau de sweat-shirt brûlé, qu’il en soit ainsi…

Tels des zombies blessés, nous retournons à nos voitures. Je sais que nous devons filer avant l’arrivée de la police. Quelqu’un a dû entendre ou sentir quelque chose.

Néanmoins, Astley et Amélie usent d’un charme pour que la zone garde son apparence habituelle. Je pare au plus pressé et, avant de quitter la scène, panse les blessures grâce à la trousse de secours que Betty range toujours à l’arrière de son camion, mais qu’elle a fourré dans le coffre de la voiture à la dernière minute « au cas où ».

Le manteau rose d’Issie est déchiré et elle pleure doucement. La bouche de Devyn n’est plus qu’une ligne très mince. Il a une plaie sanguinolente au front et dans le cou.

— Viens, je vais te soigner.

Nous parvenons à peine à bouger, tant le choc nous paralyse.

— Occupe-toi d’abord d’Issie.

— Issie n’est pas si gravement blessée.

— Issie d’abord !

— Tu veux bien, Issie ?

Elle hoche la tête sans dire mot. Depuis le début, elle n’a pas ouvert la bouche, comme si elle en avait perdu la voix. Elle a le regard creux, plein de larmes. Je n’ai même pas pensé à lui demander comment elle avait pu se libérer pour venir nous rejoindre.

Je suis la plus mauvaise amie qui soit, à mettre sans cesse les autres en danger. Le sentiment de culpabilité me noue l’estomac.

Je m’occupe rapidement d’Issie, puis de Devyn et de ma mère, pendant qu’Astley, malgré ses propres blessures, soigne Amélie.

Cassidy semble guérir toute seule, grâce à son sang particulier. Secouée de sanglots, elle s’approche d’Issie et de Devyn et murmure des formules magiques.

— Ça va aller, lui dit ma mère.

Je lui passe une crème anti-brûlure sur les mains.

—Ça va aller, répète-t-elle.

Je ne sais pas comment tout cela va finir. Je lève les yeux vers Astley.

Je croise son regard et c’est à cet instant seulement que je le remarque : il a les yeux pleins de larmes, qui scintillent d’une lueur dorée.

Je me demande si les miens ressemblent à cela, à présent. Je me demande si nous retrouverons Nick un jour. Je me demande si nous cesserons de perdre ceux que nous aimons.

Je me pose question sur question tout en soignant les mains de ma mère, mais je n’obtiens aucune réponse.

Je n’éprouve rien d’autre qu’un immense sentiment de perte.

Ma mère repose ses paumes brûlées sur mes mains pendant que je déroule la gaze.

— Bon, Zara, c’est terminé maintenant. Plus de Walhalla ! Plus de bagarres. Je te l’interdis. C’est terminé.

—Mais Nick…

—Personne ne mérite qu’on en fasse autant !

Tout le monde se fige et nous observe. J’ouvre la bouche et la referme, pour l’ouvrir à nouveau et mesurer mes mots. Aucun son, cependant, ne sort.

—Je te l’interdis, tu m’entends !

Toujours ce même ton ! Celui qui me forçait à obéir.

Celui qui m’envoyait dans ma chambre quand j’avais fait des bêtises.

Celui qui m’obligeait à faire la vaisselle ou à partir à l’heure à l’école. C’est terminé !

— Tu ne peux plus rien m’interdire, maman. Tu ne peux pas m’arrêter.

Ses mains se tordent sous mes doigts.

—Tu étais si gentille, Zara…, mais à présent, tu…

Je m’échappe de son étreinte. Puis, lentement, méthodiquement, je continue à soigner ses brûlures.

Plus personne ne parle.

Tout le monde détourne les yeux, comme si rien ne s’était passé.

Pourtant, il s’est bel et bien produit quelque chose.

Je le sens à l’intérieur de moi, et cela provoque une douleur amère et dure comme la mort.