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Au début de l’été, lorsque les trois petits commencèrent à suivre leur mère et qu’il devint nécessaire de leur enseigner la chasse, Berg fut bien obligé de reconnaître que Fulga avait raison lorsqu’elle sentait, dans cette combe, un réel danger. En effet, les premières chaleurs poussèrent des hommes vers ces terres d’où le gibier commença de s’éloigner. Des troupeaux arrivèrent que gardaient des bergers et des chiens féroces. Berg et Fulga ne redoutaient aucun chien, mais ils savaient que leurs petits courraient de grands risques. Alors, il décidèrent de regagner les hauteurs plus sauvages où ils avaient laissé la bande du vieux Strom.

Ils partirent une nuit où une pluie fine noyait le pays. Ils savaient que la pluie est une alliée précieuse pour qui doit cheminer longtemps en se cachant. Ils avaient à traverser bien des routes, des lignes de chemin de fer, contourner des villes et des villages, éviter des fermes, passer des rivières sans prendre le risque de s’aventurer sur les ponts.

Ils mirent sept nuits à faire ce trajet. Ils ne pouvaient trotter trop longtemps car les trois petits avaient du mal à suivre. De plus, la faim les obligeait à consacrer une partie de la nuit à chasser.

Le jour, surtout lorsque le temps était beau, ils demeuraient immobiles sous les buissons les plus épais, dans la nuit des bois les plus sombres. Et il était parfois bien pénible d’obliger les petits au silence et à l’immobilité. Souvent, Fulga et Berg devaient poser leur lourde patte sur le dos de Rope et de Mendy qui étaient les plus turbulents. Silva, la moins robuste des trois, dormait davantage. Elle était la plus docile, et, au cours des longues étapes, on sentait qu’elle peinait énormément. Elle avait du mal à suivre. Elle demeurait toujours le plus près possible de sa mère. Pour la traversée des rivières un peu larges et des torrents rapides, Fulga devait souvent l’aider en la prenant par la peau du cou. C’était Silva la plus affectueuse, la plus tendre des trois et, de très loin, la plus obéissante.

Arrivés dans la forêt où ils avaient quitté la bande du vieux Strom, ils ne trouvèrent personne de connaissance. Il n’y avait là qu’un couple de loups avec quatre petits. Quatre qui voulurent tout de suite jouer avec les nouveaux venus, mais Mendy et Silva étaient trop épuisées pour s’amuser. Elles tombaient de sommeil. Seul Rope se mit à courir avec les autres et Berg était assez fier de constater que son fils était plus fort que ces louvards qui avaient pourtant à peu près le même âge.

Ils restèrent là deux jours, puis, préférant la solitude à la compagnie d’inconnus, ils continuèrent de monter vers les hauteurs.

La forêt de sapins était immense. Elle escaladait les pentes, ne s’interrompant que pour offrir la lumière du ciel aux cours d’eau et aux lacs. On pouvait éviter aisément les rares hommes qui s’y trouvaient car tous travaillaient avec des machines pétaradantes dont la respiration dégageait une terrible puanteur.

Ici, le gibier vivait en abondance. On pouvait chasser de tout et varier les festins. De la souris jusqu’à la biche, on trouvait ce qu’on désirait et les petits allaient avoir, dans cette nuit des grands résineux, tout ce qu’il fallait pour apprendre leur métier.

Dans un ciel splendide passaient de grands orages. Mais ce feu-là était moins redoutable que celui qui jaillit de la main des hommes.