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Fulga et Rope tournèrent un moment autour d’une bergerie, mais les planches étaient solides et parfaitement jointes. Toujours avec la même méfiance, dans une obscurité totale, ils continuèrent de chercher. Ils découvrirent enfin un poulailler d’où ruisselait une odeur qui les fit saliver. Là aussi, le bois était solide et la porte bien fermée, mais, en creusant le sol gelé, il sembla à la louve qu’elle pourrait se glisser à l’intérieur.

Ils se mirent à gratter. C’était dur en surface, mais plus tendre en profondeur.

Ils entrèrent. Il y eut un remuement de plumes et des caquetages. Heureusement, la petite bâtisse de bois se trouvait séparée de la ferme par une grange énorme. Les deux loups tuèrent et mangèrent des poules. Puis ils s’en allèrent avec chacun une volaille dans la gueule.

Toujours en se méfiant de tout, suivant exactement le chemin qui les avait conduits jusque-là, ils regagnèrent la montagne où ils purent se régaler en paix, sans hâte, dévorant jusqu’au plus petit os.

Au village, ce fut une journée très mouvementée. Alors qu’on avait tant crié victoire la veille, on commença par hurler de nouveau au monstre.

Ce n’était plus l’œuvre d’un loup, mais celle du diable. Le travail d’un animal inconnu qui pouvait non seulement pénétrer dans un poulailler bien fermé et dévorer la volaille, mais qui parvenait aussi à manger de la viande empoisonnée sans être incommodé. Car le lieu où la louve avait empêché son fils de lécher le sol avait porté un piège aussi cruel que celui qui, la veille, avait tué Berg et Mendy.

La viande enduite de strychnine avait été prise par un animal qui rôdait par là avant le passage des loups. Et ce fut une autre raison de tapage lorsqu’une femme trouva ses deux chats empoisonnés. Les pauvres bêtes étaient venues mourir sur le pas de sa porte.

La colère grondait de toutes parts. Les propriétaires de chats étaient prêts à entrer en guerre contre les empoisonneurs.

On décréta qu’on ne tendrait plus de pièges. Les chasseurs n’avaient qu’à aller tuer le monstre dans la forêt où il se cachait. Or, le poulailler appartenait à un grand chasseur. Le journal local avait souvent publié sa photographie avec ses trophées, parlant de lui comme d’un « valeureux Nemrod ». Cet homme-là ne pouvait pas continuer de marcher tête haute tant qu’il n’aurait pas vengé ses poules. Il partirait avec son chien sur les traces du monstre.

Tout le village était là pour le regarder s’en aller vers la montagne, sac au dos et fusil sur l’épaule.

Fulga et Rope avaient regagné la forêt où le gel commençait de durcir la neige. Une bise noire assez violente s’était levée. Elle fouinait jusque dans les moindres recoins et poussait partout ses aiguilles glacées. Les deux loups avaient retrouvé l’abri des arbres encroués. Mais, avant d’y parvenir, ils avaient erré longtemps, coupant et recoupant leurs propres pistes, car Fulga sentait très bien que les hommes chercheraient à les atteindre.

Le chasseur et son grand chien roux et blanc aux longues oreilles pendantes eurent beaucoup de peine à suivre toutes ces traces. À plusieurs reprises, l’homme s’arrêta, posa son sac sur la neige et en tira une bouteille Thermos qui contenait du café fort où il avait ajouté du marc. Il buvait, il mangeait du chocolat, puis il repartait, s’en prenant parfois à son chien qui n’arrêtait guère de tourner, de revenir sur ses pas et de repartir.

Le premier jour, il ne découvrit pas la cachette des loups. Très vexé, rentra chez lui sans passer par le bistrot où il ne tenait pas à se montrer.

Durant la nuit, Fulga et Rope revinrent au village et réussirent à pénétrer dans un clapier où ils tuèrent quelques lapins. Le ventre plein, une proie dans la gueule, ils regagnèrent les hauteurs.

Au lever du jour, la colère grandit encore.