3

Dès qu’ils eurent quitté la clairière noyée de lune, Berg et Fulga trottèrent un moment, lui devant, elle à deux foulées derrière. Dans un espace dénudé beaucoup plus étroit, où la lumière était moins brutale, Berg s’arrêta. La louve vint se planter devant lui. Ils se flairèrent un petit moment, puis Fulga ordonna au grand solitaire de se coucher. Il s’allongea sur le flanc offrant sa gorge blessée. Fulga se mit alors à lécher la plaie. Elle lécha longuement. Sous cette caresse, le mâle se mit à pousser une sorte de plainte à peine perceptible, presque semblable au ronronnement d’un chat au comble du bonheur. La louve léchait, puis elle s’arrêtait quelques instants, levait la tête et tendait l’oreille.

La nuit se taisait. Seul le cristal du froid continuait son grésillement à peine perceptible.

Fulga pensait à la bande. Les louves devaient être en train de soigner Brucos. Allaient-elles se battre pour avoir le droit de lécher ses plaies ? Brucos pourrait-il suivre la bande malgré sa blessure ? S’il ne pouvait suivre, qui resterait avec lui ?

Elle les revoyait tous.

Déjà, elle se sentait séparée d’eux. Celui qui, peut-être, lui manquerait le plus, c’était le vieux Strom.

Lorsqu’elle eut fini de lécher la plaie dont le sang ne coulait plus, Berg se leva, lui flaira le museau et reprit la direction du nord.

Ils marchaient depuis plus de deux heures lorsqu’un gros lièvre presque blanc détala sur leur droite et s’enfonça sous un roncier.

Berg bondit.

Aussitôt, Fulga comprit ce qu’elle devait faire. Rapide et souple, elle s’élança et contourna les broussailles. À l’instant précis où elle débordait la masse épineuse, le lièvre en sortait. Fulga se détendit. D’un bond prodigieux, elle fut sur lui. Sa gueule se ferma sur l’échine fragile. Il y eut un craquement et un couinement de douleur. Berg arrivait. Fulga déposa le lièvre encore vivant devant lui et le grand loup mit sur le petit corps presque blanc son énorme patte rousse. Ils se regardèrent. Dans cet échange silencieux, passa un instant d’amour.

Quand le mâle retira sa patte, Fulga mordit la fourrure tiède encore palpitante de vie. Du sang chaud emplit sa gueule. Berg mordit aussi. Alors, tirant chacun de son côté, ils déchirèrent la proie. Allongés sur la neige, levant de temps en temps la tête pour se regarder, ils mangèrent jusqu’à la dernière goutte de sang gelé. Le seul bruit était le craquement des os fragiles sous leurs dents.

Dès qu’ils eurent terminé le repas, ils reprirent leur route. Bien avant le jour, ils découvraient une sorte de grotte ouverte dans un dévers très pentu. Fulga sentit tout de suite que Berg y avait déjà dormi. Ils y entrèrent. L’espace était étroit, mais la roche sèche et très saine. De terribles hivers venteux et neigeux pouvaient passer sans jamais y pénétrer. Ils se glissèrent jusqu’au fond et se couchèrent l’un contre l’autre. Fulga lécha encore la plaie de Berg qui se refermait, cicatrisée par le gel.

Collés l’un contre l’autre, ils mirent longtemps à s’endormir. La grande louve sentait en elle comme la naissance d’un feu. Elle ferma les yeux. Elle voyait la bande, pensait à Brucos et surtout au vieux Strom dont la grande sagesse était connue de tous les loups de la montagne. Mais la bonne chaleur de Berg contre son flanc lui parut bientôt plus précieuse que tout ce qu’elle avait vécu au cours de sa jeunesse.