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Cette année-là, l’hiver fut rude, souvent pris dans un gel pétillant et lumineux, mais il s’acheva très tôt.

La saison des amours arriva en avance.

Voulant la hâter encore, Berg et Fulga avaient quitté les hauteurs couvertes de sapins qui retenaient longtemps la neige dans leur ombre pour descendre vers une forêt de chênes. Puis, ils avaient traversé l’Orbe et gagné la Combe des Ambuernex où des avancées de taillis barraient parfois de larges espaces d’herbe. Berg, qui connaissait les lieux, savait qu’ici, on pouvait élever une famille, car le gibier était abondant. Plus méfiante, la louve qui avait pris une part de la sagesse du vieux Strom eut préféré remonter vers les hauteurs. Gagner cette caverne au flanc de la montagne où elle avait imaginé la vie avec des petits. Ici, il y avait des routes où passaient des voitures, des maisons assez proches où vivaient des hommes. Et le vieux chef lui avait toujours répété que l’homme est le pire ennemi du loup.

Mais Berg, plein de confiance en sa force et en sa rapidité, Berg qui était doté d’un flair très fin affirmait qu’à vivre assez près des humains, on est certain de ne jamais souffrir de la faim. Comme Fulga tenait absolument à pouvoir nourrir convenablement ses petits, elle accepta de rester en ces lieux où le printemps s’était mis à chanter.

Le premier soin de Berg avait été de chercher une bonne tanière. Il voulait que la mère et ses petits ne risquent rien, qu’ils soient très bien abrités de la pluie et des vents les plus froids.

À la base d’un gros rocher qui faisait face au sud, il y avait un fouillis de ronces, de viornes et de noisetiers extrêmement épais. Tandis que Fulga l’attendait, Berg se coula sous ces branchages épineux. À certains endroits, il dut creuser le sol pour parvenir à passer, mais son sens de la terre et de ce qu’elle porte ne l’avait pas trompé. Sans doute, parmi ses ancêtres, était-il une louve qui avait mis bas en cet endroit. Sa mémoire qui remontait aux temps où les siens étaient maîtres d’une grande partie de ces contrées le servait fidèlement. En dépit de bien des obstacles, il piqua droit sur le point de la roche où s’ouvrait une fissure en triangle pointe en haut. Elle n’était pas suffisante pour lui permettre d’entrer, mais, à force de creuser le sable avec ses pattes aux griffes solides, il ouvrit un passage.

Lorsque la louve le rejoignit, il venait de se faufiler à l’intérieur. Ses flancs larges avaient eu du mal à passer mais il ne souhaitait pas agrandir davantage cette porte. À l’intérieur où le jour pénétrait à peine, filtré qu’il était par la broussaille, ils explorèrent une grotte profonde et large, assez haute pour que Berg, qui était très grand, puisse évoluer sans toucher le plafond. Pas une goutte d’eau, pas une trace de coulure, rien de malsain.

À présent, ils pouvaient s’aimer, les petits qui naîtraient de leur accouplement grandiraient sans crainte. Berg se chargerait de la chasse, la mère veillerait sur eux.

Ils pouvaient s’aimer et ils le firent dans une nuit toute parfumée. Une nuit où mille oiseaux faisaient entendre un chant qui était une promesse de viande pour les petits à naître.

Ils s’aimèrent et la pluie de printemps qui tomba au matin ne les dérangea pas. Ils l’entendirent à peine, du fond de leur sommeil, du fond de leur tanière où stagnait une bonne tiédeur embaumée d’amour.