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Fulga venait de découvrir des arbres encroués qu’une tempête avait dû déraciner. Dessous, une sorte de voûte s’était formée où ils purent se glisser pour attendre. À plusieurs reprises au cours de la journée, des hommes s’approchèrent et menèrent grand bruit. Les loups percevaient nettement les voix. Berg et Fulga savaient que leur salut résidait dans le silence et l’immobilité. La neige qui continuait de tomber en abondance avait effacé leurs traces. Ils restaient là, à retenir leur souffle. Ils obligeaient Rope et Mendy, terrorisés, à demeurer tapis.

Les hommes hurlaient, tiraient au fusil et cognaient contre les troncs d’arbres.

— S’ils sont là, le bruit les fera sortir.

— Ils sont loin, ils ont dû fuir et la neige a tout effacé !

Lorsque revint le soir, Fulga se coula seule sous les branchages. Elle allait lentement, le ventre au ras du sol, plus silencieuse qu’une ombre de nuage. Quand elle eut atteint la lisière de l’encrouement, elle demeura immobile, flaira longuement et écouta. L’obscurité était totale. Le silence n’était habité que du léger froissement de la neige qui continuait de tomber. Après un long moment, la louve revint chercher les autres et ils reprirent leur route dans la forêt où rien ne vivait.

Le terrain descendait en pente douce. À mesure qu’il s’inclinait, la couche de neige était moins épaisse. Bientôt, le froid fut moins intense, l’air plus humide et la neige se transforma en pluie. Une pluie serrée, glaciale, qui détrempait le sol.

Les quatre loups allèrent longtemps, Fulga en tête, Rope dans ses pas, puis Mendy alors que le blessé fermait la marche.

Bientôt, ils furent obligés de sortir du couvert pour traverser un plateau dénudé. C’est là que Berg, sans doute très fatigué, voulut couper à travers un dévers. Fulga ne sut jamais pour quelle raison, le sentant partir sur la droite, Mendy obliqua avec lui.

Ils parcoururent ainsi une centaine de foulées et la nuit fut déchirée par une chaîne d’explosions. Berg, le ventre ouvert, tomba tout de suite tandis que la jeune louve, une patte de devant arrachée et une large entaille à la gorge, fit quelques pas en titubant avant de s’abattre à son tour.

Il n’y eut pas la moindre plainte. Seulement un râle de quelques instants.

Fulga s’attendait à d’autres décharges. À des hurlements de victoire. À l’arrivée d’une meute de chasseurs. Mais rien ne bougeait.

Elle attendit, obligeant Rope à demeurer comme elle, parfaitement immobile sous l’averse qui crépitait sur le sol et les flaques d’eau.

Comme rien ne bougeait, lentement, elle avança jusqu’à toucher le cadavre de Mendy. Elle le flaira longuement, s’assurant que la petite louve ne respirait plus, puis elle alla flairer Berg. Le grand loup était mort lui aussi. Le sang des deux corps allongés se mêlait à l’eau qui ruisselait sur le sol.

Que s’était-il donc passé ? Fulga la louve n’arrivait pas à comprendre.

Un piège à feu avait été tendu par les chasseurs et le pauvre Berg avait touché le fil de fer qui le déclenchait.

Ce que Fulga comprit, c’est que la plaine et le fond des vallées appartiennent aux hommes. Si les loups veulent avoir une chance de vivre, c’est au cœur de la forêt qu’ils doivent chercher refuge.