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Les loups fuyaient toujours au cœur de la forêt. Comme les hommes tiraient à peu près sur tout ce qu’ils voyaient remuer, la montagne entière vivait dans la peur. Les oiseaux s’élevaient très haut dans la bruine, eux seuls pouvaient échapper à peu près au danger. Mais tout ce qui vivait sur le sol ou dans les arbres risquait la mort. Car les chasseurs furieux de ne pas trouver les loups abattaient sans merci les autres animaux.
Berg et les siens montaient toujours mais, quand ils voulurent redescendre sur l’autre versant, ils comprirent très vite que les hommes l’occupaient aussi. Alors, cheminant en suivant la ligne de crêtes, ils décidèrent de continuer vers le nord. Cependant, à cause de falaises qu’ils ne pouvaient franchir, ils furent contraints d’obliquer vers le couchant.
La bruine, avec la tombée du jour, se mua en une neige très fine. Les loups aiment la neige, mais Berg et Fulga savaient que chaque pas y laisse une trace.
Toujours suivant le pied de la falaise, ils atteignirent bientôt un dévers qui semblait leur ouvrir la route du nord. La nuit approchait. Berg laissa Fulga et les petits et s’avança seul pour s’assurer que nul homme n’était là.
Beaucoup plus bas, des chasseurs avaient allumé un feu. Ils se tenaient autour pour manger et se réchauffer. Et c’est la fumée rabattue par le vent qui trompa le grand loup. Car un homme était embusqué qu’il n’avait ni vu ni éventé. La nuit n’était pas encore complète. L’homme tira. Berg fut touché à l’épaule droite. Sans un cri, il fit demi-tour et bondit derrière de gros sapins. Le fusil aboya encore, mais, protégé par les arbres, Berg put fuir et rejoindre les siens. Dès qu’il arriva, Fulga se mit à lécher sa plaie, mais Berg lui fit comprendre qu’il était temps de remonter vers l’est pour tenter de contourner la falaise par l’autre versant de la montagne. Ils partirent donc, et ce fut sans doute la nuit neigeuse qui les sauva.
Quand ils furent à peu près au sommet, alors que la neige se mettait à tomber plus dense poussée par un bon vent de nord-est, Berg fut obligé de s’arrêter. Il avait perdu beaucoup de sang et n’avait pratiquement rien mangé depuis deux jours. Il se coucha donc au pied de la falaise. Fulga, Mendy et Rope se relayèrent pour lécher sa plaie. La douleur qu’il éprouvait était très violente, mais le grand loup serrait les dents et pas une plainte ne passait ses lèvres.
Fulga réussit à tuer une musaraigne qu’elle lui apporta. C’était une chair qu’il n’aimait pas, mais le besoin de reprendre des forces le poussa à la manger.
Les autres demeuraient allongés près de lui. Bientôt, tous furent recouverts par la neige.
Ils s’accordèrent quelques heures de repos, puis Fulga les obligea à continuer cette marche épuisante, car elle savait qu’au lever du jour les hommes reprendraient leur traque. S’ils voulaient avoir une chance de leur échapper, les loups devaient à tout prix contourner la falaise et remonter vers la ligne de crête avant les premières lueurs. Ils y parvinrent grâce au ciel chargé qui retarda la naissance du jour. Mais, une fois en haut, Berg s’allongea. Il avait perdu cette belle force qui avait fait sa fierté.