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Cette fin de nuit fut pour les loups une merveille. Ils n’avaient plus à se soucier de chercher du gibier et toute la forêt s’étonna de les voir marcher sans jamais tenter de suivre une piste. Ils respiraient sans émoi l’air chargé de mille effluves qui, les autres jours, provoquaient chez eux un mouvement de détente terrifiant pour tout le monde. Ils rencontrèrent des lièvres, des écureuils, des oiseaux de toutes sortes, mais ils n’eurent pas le moindre geste de menace. Habitués aux hommes qui tuent sans la moindre raison, les animaux de la prairie et de la forêt s’étonnaient de voir les loups d’une telle sagesse.
Et le jour qui se leva trouva les cinq bêtes endormies sous un épais roncier, au pied d’une roche en surplomb.
À la même heure, le berger découvrait les restes de sa brebis et partait en courant de maison en maison.
— Au loup !… Des loups m’ont dévoré mon troupeau !
Alors, ce fut un remue-ménage qui mit très vite toute la vallée en émoi. D’un village à l’autre la nouvelle courut plus vite que le vent. Partout on se rassemblait, on fourbissait les armes, on dressait des plans de campagne, on nommait des chefs, on organisait des compagnies. Les gendarmes s’en mêlèrent. Les maires et leurs conseillers décidèrent que l’on devait avertir le préfet. Certains parlaient de faire appel à l’armée. Les chasseurs s’y opposaient de peur qu’on ne les prive du grand plaisir et de la gloire de tuer eux-mêmes des loups.
Des journalistes arrivèrent bientôt pour photographier les restes de la brebis. Leurs articles sentaient la poudre.
Les loups avaient commis un crime : la patrie était en danger.