LIVRE PREMIER
MON ENFANCE

CHAPITRE PREMIER

Sommaire: La famille de Bonnefoux.—Histoire du chevalier de Beauregard, mon père.—Son entrée au service, ses duels, son voyage au Maroc.—Ses dettes, le régiment de Vermandois.—Le régiment de Vermandois aux Antilles; Mme Anfoux et ses liqueurs.—Rappel en France.—Garnisons de Metz et de Béziers.—L'esplanade de Béziers, mariage du chevalier de Beauregard; ses enfants 1

CHAPITRE II

Sommaire: Mes premières années, le jardin de Valraz et son bassin.—Détachements du régiment de Vermandois en Corse, le chevalier de Beauregard à Ajaccio, ses relations avec la famille Bonaparte.—Voyage à Marmande.—M. de Campagnol, colonel de Napoléon.—Retour à Béziers.—La Fête du Chameau ou des Treilles.—L'École militaire de Pont-le-Voy.—Changement de son régime intérieur.—Renvoi des fils d'officiers.—À l'âge de onze ans et demi, je quitte Pont-le-Voy, vers la fin de 1793, pour me rendre à Béziers.—Rencontre du capitaine Desmarets.—Cincinnatus Bonnefoux.—Bordeaux et la guillotine.—Arrivée à Béziers 15

CHAPITRE III

Sommaire: La famille de Bonnefoux pendant la Révolution.—Les États du Languedoc.—Le chevalier de Beauregard reprend son nom patronymique.—La question de l'émigration.—Révolte du régiment de Vermandois à Perpignan.—Belle conduite de mon père.—Sa mise à la retraite comme chef de bataillon.—Revers financiers.—Arrestation de mon père.—Je vais le voir dans sa prison et lui baise la main.—Lutte avec le geôlier Maléchaux, ancien soldat de Vermandois.—Mise en liberté de mon père.—Séjour au Châtard, près de Marmande.—M. de La Capelière et le Canada.—Les Batadisses de Béziers.—Mort de ma mère.—M. de Lunaret.—M. Casimir de Bonnefoux, mon cousin germain, est nommé adjudant général (aujourd'hui major général) du port de Brest 33

LIVRE II
ENTRÉE DANS LA MARINE.—CAMPAGNES MARITIMES SOUS LA RÉPUBLIQUE ET SOUS L'EMPIRE

CHAPITRE PREMIER

Sommaire: Je suis embarqué comme novice sur le lougre la Fouine.—Départ pour Bordeaux.—Je fais la connaissance de Sorbet.—La Fouine met à la voile en vue d'escorter un convoi jusqu'à Brest.—La croisière anglaise.—Le pertuis de Maumusson.—La Fouine se réfugie dans le port de Saint-Gilles.—Sorbet et moi nous quittons la Fouine pour nous rendre à Brest par terre.—Nous traversons la Bretagne à pied.—À Locronan, des paysans nous recueillent.—Arrivée à Brest.—Reproches que nous adresse M. de Bonnefoux.—La capture de la Fouine par les Anglais.—Je suis embarqué sur la corvette la Citoyenne 51

CHAPITRE II

Sommaire:—L'amiral Bruix quitte Brest avec 25 vaisseaux.—Les 17 vaisseaux anglais de Cadix.—Le détroit de Gibraltar.—Relâche à Toulon.—L'escadre porte des troupes et des munitions à l'armée du général Moreau, à Savone.—L'amiral Bruix touche à Carthagène et à Cadix et fait adjoindre à sa flotte des vaisseaux espagnols.—Il rentre à Brest.—L'équipage du Jean-Bart, les officiers et les matelots.—L'aspirant de marine Augier.—En rade de Brest, sur les barres de perroquet.—Le commandant du Jean-Bart.—Il veut m'envoyer passer trois jours et trois nuits dans la hune de misaine.—Je refuse.—Altercation sur le pont.—Quinze jours après, je suis nommé aspirant à bord de la corvette, la Société populaire.—Navigation dans le golfe de Gascogne. La corvette escorte des convois le long de la côte.—L'officier de santé Cosmao.—La Société populaire est en danger de se perdre par temps de brume.—Attaque du convoi par deux frégates anglaises.—Relâche à Benodet.—Je passe sur le vaisseau le Dix-Août.—Un capitaine de vaisseau de trente ans, M. Bergeret.—Exercices dans l'Iroise.—Les aspirants du Dix-Août, Moreau, Verbois, Hugon, Saint-Brice.—La capote de l'aspirant de quart.—Le général Bernadotte me propose de me prendre pour aide de camp; je ne veux pas quitter la marine.—Le ministre désigne, parmi les aspirants du Dix-Août, Moreau et moi comme devant faire partie d'une expédition scientifique sur les côtes de la Nouvelle-Hollande.—Départ de Moreau, sa carrière, sa mort.—Je ne veux pas renoncer à l'espoir de prendre part à un combat, et je reste sur le Dix-Août 57

CHAPITRE III

Sommaire: Je suis nommé second du cutter le Poisson-Volant, puis je reviens sur le Dix-Août.—Ce vaisseau est désigné pour faire partie de l'escadre du contre-amiral Ganteaume, chargée de porter des secours à l'armée française d'Égypte.—L'escadre part de Brest.—Prise d'une corvette anglaise en vue de Gibraltar.—Les indiscrétions de son équipage.—Le surlendemain, le Jean-Bart et le Dix-Août, capturent la frégate Success, qui ne se défend pas.—Chasse appuyée par le Dix-Août au cutter Sprightly.—Je suis chargé de l'amariner.—L'amiral change brusquement de route et rentre à Toulon.—Le commandant Bergeret quitte le commandement du Dix-Août; il est remplacé par M. Le Goüardun.—Mécontentement du premier consul.—Ordre de partir sans retard.—L'escadre met à la voile.—Abordage du Dix-Août et du Formidable, dans le sud de la Sardaigne.—Graves avaries.—Relâche à Toulon.—L'amiral reçoit l'ordre de participer à l'attaque de l'île d'Elbe. Bombardement des forts.—Assaut.—Je commande un canot de débarquement.—Soldat tué par le vent d'un boulet.—Prise de l'île d'Elbe.—L'amiral Ganteaume débarque ses nombreux malades à Livourne.—Il fait passer ses 3.000 hommes de troupes sur quatre de ses vaisseaux et renvoie les trois autres sous le commandement du contre-amiral Linois.—Le moral des équipages et des troupes.—Le premier consul accusé d'hypocrisie.—Digression sur le duel.—L'escadre passe le détroit de Messine, et arrive promptement en vue de l'Égypte.—À la surprise générale, l'amiral ordonne de mouiller et de se préparer à débarquer à 25 lieues d'Alexandrie.—Apparition de deux bâtiments anglais au coucher du soleil.—L'escadre appareille la nuit.—Un mois de navigation périlleuse sur les côtes de l'Asie-Mineure et dans l'Archipel.—Retour sur la côte d'Afrique, mais devant Derne.—Nouvel ordre de débarquement et nouvelle surprise des officiers.—Verbois, Hugon et moi, nous commandons des canots de débarquement.—À 50 mètres du rivage, l'amiral nous signale de rentrer à bord.—Fin de nos singulières tentatives de secours à l'armée d'Égypte.—Retour à Toulon.—Souffrance des équipages et des troupes.—La soif.—Rencontre à quelques lieues de Goze, du vaisseau de ligne de 74, Swiftsure.—Combat victorieux du Dix-Août contre le Swiftsure.—Pendant le combat, je suis de service sur le pont, auprès du commandant.—Mission dans la batterie basse.—Le porte-voix du commandant Le Goüardun.—Le point de la voile du grand hunier.—Paroles que m'adresse le commandant.—Capture du Mohawk.—Arrivée à Toulon.—Grave épidémie à bord de l'escadre et longue quarantaine.—La dysenterie enlève en deux heures de temps mon camarade Verbois couché à côté de moi dans la Sainte-Barbe.—Je le regrette profondément.—Fin de la quarantaine de soixante-quinze jours.—Le commandant Le Goüardun demande pour moi le grade d'enseigne de vaisseau.—Histoire de l'aspirant Jérôme Bonaparte, embarqué sur l'Indivisible.—Les relations que j'avais eues avec lui à Brest, chez Mme de Caffarelli.—Après la campagne, il veut m'emmener à Paris.—Notre camarade, M. de Meyronnet, aspirant à bord de l'Indivisible, futur grand-maréchal du Palais du roi de Wesphalie.—Paix d'Amiens.—Le Dix-Août part de Toulon pour se rendre à Saint-Domingue.—Tempête dans la Méditerranée.—Naufrage sous Oran, d'un vaisseau de la même division, le Banel.—Court séjour à Saint-Domingue.—Retour en France.—À mon arrivée à Brest, M. de Bonnefoux me remet mon brevet d'enseigne de vaisseau.—Commencement de scorbut.—Histoire de mon ancien camarade Sorbet.—Congé de trois mois. Séjour à Marmande et à Béziers.—L'érudition de M. de La Capelière.—Je retourne à Brest, accompagné de mon frère, âgé de quatorze ans, qui se destine, lui aussi à la marine 73

CHAPITRE IV

Sommaire: La reprise de possession des colonies françaises de l'Inde.—L'escadre du contre-amiral Linois.—Le vaisseau le Marengo, les frégates la Belle-Poule, l'Atalante, la Sémillante.—Mon frère et moi nous sommes embarqués sur la Belle-Poule, mon frère comme novice et moi comme enseigne.—Avant le départ de l'expédition, mon frère passe, avec succès, l'examen d'aspirant de 2e classe.—Après divers retards, la division met à la voile, au mois de mars 1803.—À la hauteur de Madère, la Belle-Poule qui marche le mieux, et qui porte le préfet colonial de Pondichéry, se sépare de l'escadre et prend les devants.—Passage de la ligne.—Arrivée au cap de Bonne-Espérance, après cinquante-deux jours de traversée.—L'incident de l'albatros.—Une de nos passagères, Mme Déhon, craint pour moi le sort de Ganymède.—Coup de vent qui nous éloigne de la baie du Cap.—Nouveau coup de vent qui nous écarte de celle de Simon et nous rejette en pleine mer.—Rencontre de trois vaisseaux de la Compagnie anglaise des Indes, auxquels nous parlons.—Étrange embarras des équipages.—Ignorant que la guerre était de nouveau déclarée, et que, depuis un mois, les Anglais, en Europe, arrêtaient nos navires marchands, nous manquons notre fortune.—Retour de la frégate vers la baie de Lagoa ou de Delagoa.—Infructueux essais d'accostage.—Un brusque coup de vent nous écarte une troisième fois de la côte.—Le commandant se dirige alors vers Foulpointe, dans l'île de Madagascar, pour y faire de l'eau et y prendre des vivres frais.—Relâche de huit jours à Foulpointe.—Le petit roi Tsimâon.—Partie champêtre.—Sarah-bé, Sarah-bé.—À la suite d'un manque de foi des indigènes, je tente d'enlever le petit roi Tsimâon, et je capture une pirogue et les trois noirs qui la montaient.—On les garde comme otages à bord de la frégate, jusqu'à ce que satisfaction nous soit donnée.—Résultats peu brillants de mes ambassades.—Arrivée à Pondichéry cent jours après notre départ de Brest.—Nous débarquons nos passagers; mais les Anglais ne remettent pas la place.—Une escadre anglaise de trois vaisseaux et deux frégates se réunit même à Gondelour, en vue de la Belle-Poule.—Branle-bas de combat.—Plainte de M. Bruillac au colonel Cullen, commandant de Pondichéry.—Réponse de ce dernier.—Pondichéry, les Dobachis, les Bayadères.—L'amiral débarque à Pondichéry, vingt-six jours après nous.—Instruit des difficultés relatives à la remise de la place, il envoie la Belle-Poule à Madras pour essayer de les lever.—Réponse dilatoire du gouverneur anglais.—Guet-apens tendu à la Belle-Poule, à Pondichéry.—La frégate est sauvée.—Elle se dirige vers l'Île de France.—Grandes souffrances à bord par suite du manque de vivres et d'eau.—La division arrive à son tour à l'Île-de-France.—Récit de ses aventures.—Le brick le Bélier.—Perfidie des Anglais.—L'aviso espion.—La corvette le Berceau mouille à l'Île-de-France, apportant des nouvelles de la métropole.—Installation du général Decaen et des autorités civiles.—La frégate marchande la Psyché est armée en guerre et reste sous le commandement de M. Bergeret, qui rentre dans la Marine militaire.—Un navire neutre me rapporte ma malle, laissée dans une chambre de Pondichéry.—La fidélité proverbiale des Dobachis se trouve ainsi vérifiée 93

CHAPITRE V

Sommaire:—Coup d'œil sur l'état-major de la division.—L'amiral Linois, son avarice.—Commencement de ses démêlés avec le général Decaen.—M. Vrignaud, capitaine de pavillon de l'amiral.—M. Beauchêne, commandant de l'Atalante; M. Motard, commandant de la Sémillante.—Le commandant et les officiers de la Belle-Poule.—M. Bruillac, son portrait.—Le beau combat de la Charente contre une division anglaise.—Le second de la Belle-Poule, M. Denis, les prédictions qu'il me fait en rentrant en France.—Son successeur, M. Moizeau.—Delaporte, lieutenant de vaisseau, son intelligence, sa bonté, l'un des hommes les meilleurs que j'aie connus.—Les enseignes de vaisseau par rang d'ancienneté, Giboin, L..., moi, Puget, «mon Sosie», Desbordes et Vermot.—Triste aventure de M. L..., sa destitution.—Croisières de la division.—Voyage à l'île Bourbon.—Les officiers d'infanterie à bord de la Belle-Poule, MM. Morainvillers, Larue et Marchant.—En quittant Bourbon, l'amiral se dirige vers un comptoir anglais nommé Bencoolen, situé sur la côte occidentale de Sumatra.—Une erreur de la carte; le banc appelé Saya de Malha; l'escadre court un grand danger.—Capture de la Comtesse-de-Sutherland, le plus grand bâtiment de la Compagnie anglaise.—Quelques détails sur les navires de la Compagnie des Indes.—Arrivée à Bencoolen.—Les Anglais incendient cinq vaisseaux de la Compagnie et leurs magasins pour les empêcher de tomber entre nos mains.—En quittant Bencoolen, l'escadre fait voile pour Batavia, capitale de l'île de Java.—Batavia, la ville hollandaise, la ville malaise, la ville chinoise.—Après une courte relâche, la division à laquelle se joint le brick de guerre hollandais, l'Aventurier, quitte Batavia au commencement de 1804, en pleine saison des ouragans pour aller attendre dans les mers de la Chine le grand convoi des vaisseaux de la Compagnie qui part annuellement de Canton.—Navigation très pénible et très périlleuse.—Nous appareillons et nous mouillons jusqu'à quinze fois par jour.—Prise, près du détroit de Gaspar, des navires de commerce anglais l'Amiral-Raynier et la Henriette, qui venaient de Canton.—Excellentes nouvelles du convoi.—Un canot du Marengo, surpris par un grain, ne peut pas rentrer à son bord. Il erre pendant quarante jours d'île en île avant d'atteindre Batavia.—Affreuses souffrances.—Habileté et courage du commandant du canot, M. Martel, lieutenant de vaisseau.—Il meurt en arrivant à Batavia.—Conversations des officiers de l'escadre.—On escompte la prise du convoi.—Mouillage à Poulo-Aor.—Le convoi n'est pas passé.—Le détroit de Malacca.—Une voile, quatre voiles, vingt-cinq voiles, c'est le convoi.—Temps superbe, brise modérée.—Le convoi se met en chasse devant nous; nous le gagnons de vitesse.—À six heures du soir, nous sommes en mesure de donner au milieu d'eux.—L'amiral Linois ordonne d'attendre au lendemain matin.—Stupéfaction des officiers et des équipages.—Le mot du commandant Bruillac, celui du commandant Vrignaud.—Le lendemain matin, même beau temps.—Nous hissons nos couleurs.—Les Anglais ont, pendant la nuit, réuni leurs combattants sur huit vaisseaux.—Ces huit vaisseaux soutiennent vaillamment le choc.—Après quelques volées, l'amiral Linois quitte le champ de bataille et ordonne au reste de la division d'imiter ses mouvements.—Déplorables résultats de cet échec.—Consternation des officiers de la division.—Récompense accordée par les Anglais au capitaine Dance 104

CHAPITRE VI

Sommaire: Retour de l'escadre à Batavia.—Le choléra.—Mort de l'aspirant de 2e classe Rigodit et de l'officier de santé Mathieu.—Les officiers de santé de la Belle-Poule: MM. Fonze, Chardin, Vincent et Mathieu.—Visite d'une jonque chinoise en rade de Batavia.—Réception en musique.—Les sourcils des Chinois.—Le village de Welterfreder.—Conflit avec les Hollandais.—Déplorable bagarre.—Fuyards du convoi de Chine.—Départ de Batavia.—Le détroit de la Sonde.—Violents courants.—Terreur panique de l'équipage.—Belle conduite du lieutenant de vaisseau Delaporte.—Le Marengo, la Sémillante et le Berceau, se dirigent vers l'Île-de-France.—La Belle-Poule et l'Atalante croisent à l'entrée du golfe de l'Inde, et rentrent à l'Île-de-France après avoir visité les abords des côtes occidentales de la Nouvelle-Hollande.—Pendant cette longue croisière, prise d'un seul navire anglais, l'Althéa, ayant pour 6 millions d'indigo à bord.—Le propriétaire de l'Althéa, M. Lambert.—Craintes de Mme Lambert.—Sa beauté.—Scène sur le pont de l'Althéa.—L'officier d'administration de la Belle-Poule, M. Le Lièvre de Tito.—Un gentilhomme, laudator temporis acti.—Ses bontés à mon égard.—Plaisanteries que se permettent les jeunes officiers.—Les fruits glacés de M. Le Lièvre de Tito.—Sa correspondance avec Mme Lambert.—Départ de M. et Mme Lambert, après un séjour de quelques mois à l'Île-de-France.—M. Lambert souhaite nous voir tous prisonniers, en Angleterre, pour nous prouver sa reconnaissance.—Réponse de Delaporte.—Part de prise sur la capture de l'Althéa.—Décision arbitraire de l'amiral Linois.—Nous ne sommes défendus ni par M. Bruillac, ni par le général Decaen.—Au mois d'août 1804, le Berceau est expédié en France.—Je demande vainement à l'amiral de renvoyer, par ce bâtiment, mon frère Laurent pour lui permettre de passer son examen d'aspirant de 1re classe 121

CHAPITRE VII

Sommaire: La division met à la voile.—L'amiral donne rendez-vous à la Belle-Poule dans le sud-est de Ceylan.—Rencontre, sur la côte de Malabar, d'un navire de construction anglaise monté par des Arabes.—Odalisques et cachemires de l'Inde.—Chasse appuyée par la frégate à la corvette anglaise le Victor.—Émouvante lutte de vitesse.—La corvette nous échappe.—La Belle-Poule prend connaissance de Ceylan.—Trente jours employés à louvoyer au sud-est de l'île.—Une montre marine qui se dérange.—Graves conséquences de l'accident.—La division passe sans nous voir.—La batterie de la Belle-Poule, les jours de beau temps.—Puget et moi.—Observations astronomiques.—Cercles et sextants.—Sur la côte de Coromandel.—Prise du bâtiment de commerce anglais, la Perle.—M. Bruillac m'en offre le commandement.—Je refuse.—Retour vers l'Île-de-France.—Le blocus de l'île.—La frégate se dirige vers le Grand-Port ou port du sud-est.—Plan du commandant Bruillac.—La distance de Rodrigue à l'Île-de-France.—Le service que nous rend la lune.—Les frégates anglaises.—Le Grand-Port.—Arrivée de la division deux jours après nous.—L'Upton-Castle, la Princesse-Charlotte, le Barnabé, le Hope.—Combat, près de Vizagapatam, contre le vaisseau anglais le Centurion.—L'Atalante se couvre de gloire.—Le Centurion se laisse aller à la côte.—Impossibilité de l'amariner à cause de la barre.—Importance stratégique de l'Île-de-France.—Les Anglais lèvent le blocus.—La division appareille pour se rendre au port nord-ouest.—Curieuse histoire du Marengo.—La roche encastrée dans son bordage.—Le Trou Fanfaron.—Le Marengo reste à l'Île-de-France.—La Psyché va croiser.—L'amiral expédie la Sémillante aux Philippines pour annoncer la déclaration de guerre faite par l'Angleterre à l'Espagne.—Nouvelles de France.—Proclamation de l'Empire.—Projet de descente en Angleterre.—Le chef-lieu de la préfecture maritime du 1er arrondissement est transporté à Boulogne.—M. de Bonnefoux est nommé préfet maritime du 1er arrondissement et chargé de construire, d'armer et d'équiper la flottille.—Il assiste à la première distribution des croix de la Légion d'honneur et reçoit, lui-même, des mains de l'empereur, celle d'officier.—Une lettre de lui.—La Belle-Poule et l'Atalante quittent l'Île-de-France au commencement de 1805.—M. Bruillac, commandant en chef.—Croisière de soixante-quinze jours.—Calmes presque continus.—Rencontre, près de Colombo, de trois beaux bâtiments, que nous chassons et approchons à trois ou quatre portées de canon.—M. Bruillac les prend pour des vaisseaux de guerre.—Il m'envoie dans la grand'hune pour les observer.—Je descends en exprimant la conviction que ce sont des vaisseaux de la Compagnie des Indes.—Le commandant cesse cependant les poursuites.—Nouvelles apportées plus tard par les journaux de l'Inde.—Le golfe de l'Inde.—Notre présence est signalée par des barques de cabotage.—L'une d'elles, que nous capturons, nous apprend le combat de la Psyché et de la frégate anglaise de premier rang, le San-Fiorenzo.—Récit du combat.—Valeur du commandant Bergeret, de ses officiers et de ses matelots.—Sa présence d'esprit.—Capitulation honorable.—Tous les officiers tués, sauf Bergeret et Hugon.—La Belle-Poule et l'Atalante quittent les côtes du Bengale, et visitent celles du Pegou.—Capture de la Fortune et de l'Héroïne.—Un aspirant de la Belle-Poule, Rozier, est appelé au commandement de l'Héroïne.—On lui donne pour second Lozach, autre aspirant de notre bord.—Belle conduite de Rozier et de Lozach.—Rencontre par l'Héroïne d'un vaisseau anglais de 74 canons entre Achem et les îles Andaman.—Rozier accueilli avec enthousiasme à l'Île-de-France.—Paroles que lui adresse Vincent.—Retour de la Belle-Poule et de l'Atalante à l'Île-de-France.—Observations astronomiques faites par Puget et par moi devant Rodrigue.—Elles confirment nos doutes sur la situation exacte de cette île.—Sur notre rapport, un hydrographe est envoyé à Rodrigue par la colonie.—Les résultats qu'il obtient sont conformes aux nôtres.—Quarante-cinq navires de commerce ennemis capturés par nos corsaires, malgré les treize vaisseaux de ligne, les quinze frégates et les corvettes qu'entretenaient les Anglais dans l'Inde.—Séjour prolongé à l'Île-de-France.—Les colons.—M. de Bruix, les Pamplemousses, le Jardin Botanique.—MM. Céré, père et fils.—Paul et Virginie.—La crevasse de Bernardin de Saint-Pierre.—Bruits de mésintelligence entre le général Decaen et l'amiral Linois.—Projets attribués à l'amiral.—La Sémillante bloquée à Manille.—L'Atalante reste au port nord-ouest pour quelques réparations.—Le cap de Bonne-Espérance lui est assigné comme lieu de rendez-vous.—Les bavardages de la colonie sur l'affaire des trois navires de Colombo.—M. Bruillac me met aux arrêts.—Il vient me faire des reproches dans ma chambre 135

CHAPITRE VIII

Sommaire: Préparatifs de départ de l'Île-de-France.—Arrivée à bord de Céré fils engagé comme simple soldat.—Son enthousiasme patriotique et ses sentiments de discipline.—Au moment de l'appareillage de la Belle-Poule, tentative de mutinerie d'une partie de l'équipage.—Admirable conduite de M. Bruillac. Ses officiers l'entourent. L'ordre se rétablit.—Paroles que m'adresse le commandant en reprenant son porte-voix pour continuer l'appareillage.—Le Marengo et la Belle-Poule se dirigent vers les Seychelles.—Mouillage à Mahé.—Mahé de la Bourdonnais et Dupleix.—But de notre visite aux Seychelles.—M. de Quincy.—Un gouverneur qui tenait encore sa commission de Louis XVI.—Un homme de l'ancienne cour.—Chasse de chauve-souris à la petite île Sainte-Anne.—Danger que mes camarades et moi nous courons.—Le «chagrin».—Les caïmans.—De Mahé, la division se rend aux îles d'Anjouan.—Croisière à l'entrée de la mer Rouge.—Croisière sur la côte de Malabar, devant Bombay.—Aucune rencontre.—Dommage causé indirectement au commerce anglais.—Pendant mon quart, la Belle-Poule est sur le point d'aborder le Marengo.—L'équipage me seconde d'une façon admirable et j'en suis profondément touché.—L'abordage est évité.—Réflexions sur le don du commandement.—Mes diverses fonctions à bord, officier de manœuvre du commandant, chargé de l'instruction des aspirants, des observations astronomiques, des signaux.—M. Bruillac m'avait proposé de me décharger de mon quart et de le confier à un aspirant. J'avais refusé. Pendant toute la durée de la campagne, je ne manquai pas un seul quart.—Visite des abords des îles Laquedives et des îles Maldives.—En approchant de Trinquemalé, rencontre de deux beaux vaisseaux de la Compagnie des Indes.—Manœuvre du commandant Bruillac contrariée par l'amiral.—Un des vaisseaux se jette à la côte et nous échappe.—À la suite d'une volée que lui envoie, de très loin, la Belle-Poule, l'autre se rend.—C'était le Brunswick, que l'amiral expédie en lui donnant pour premier rendez-vous la baie de Fort-Dauphin (île de Madagascar) et False-bay pour le second.—Continuation de la croisière à l'entrée de la mer de l'Inde.—Après avoir traversé cette mer dans le voisinage des îles Andaman, la division se dirige vers la Nouvelle-Hollande, et aux environs du Tropique, elle remet le cap vers l'ouest. Nous nous trouvons alors, par un temps de brume, à portée de canon de onze bâtiments anglais, que l'on prend pour onze vaisseaux de la Compagnie.—L'amiral attaque avec résolution.—Ces bâtiments portaient trois mille hommes de troupes, qui font un feu de mousqueterie parfaitement nourri.—Les voiles de la Belle-Poule sont criblées de projectiles.—M. Bruillac et moi nous avons nos habits et nos chapeaux percés en plusieurs endroits.—Le vaisseau de 74 canons, le Blenheim, qui escortait les dix autres bâtiments, parvient enfin à se dégager.—Intrépidité et habileté du commandant Bruillac.—La Belle-Poule canonne le Blenheim, pendant une demi-heure, sans être elle-même atteinte.—Elle lui tue quarante hommes.—L'amiral qui se trouvait un peu sous le vent, signale au commandant Bruillac de cesser le combat et de le rejoindre.—La division reprend sa direction vers le Fort-Dauphin.—En passant près de l'Île-de-France.—«Elle est pourtant là sous Acharnar.»—Nous ne trouvons pas le Brunswick à Fort-Dauphin.—Traversée du canal de Mozambique.—Changement des moussons.—La terre des Hottentots 155

CHAPITRE IX

Sommaire: False-bay et Table-bay.—Partage de l'année entre les coups de vent du sud-est et les coups de vent du nord-ouest.—Nous mouillons à False-bay.—Excellent accueil des Hollandais.—Nous faisons nos approvisionnements.—Arrivée du Brunswick avec un coup de vent du sud-est.—Naufrage du Brunswick.—Croyant la saison des vents du sud-est commencée, nous nous hâtons de nous rendre à Table-bay.—Arrivée de l'Atalante à Table-bay.—La division est assaillie par un furieux coup de vent du nord-ouest en retard sur la saison.—Trois bâtiments des États-Unis d'Amérique, trompés comme nous, vont se perdre à la côte.—La Belle-Poule brise ses amarres.—Elle tombe sur l'Atalante, qu'elle entraîne.—Le naufrage paraît inévitable.—Sang-froid et résignation de M. Bruillac.—L'ancre à jet de M. Moizeau.—La Belle-Poule est sauvée.—L'Atalante échoue sur un lit de sable sans se démolir.—On la relève plus tard, mais ses avaries n'étant pas réparées au moment de notre départ, nous sommes obligés de la laisser au Cap.—Le Marengo et la Belle-Poule quittent le cap de Bonne-Espérance, peu avant la fin de l'année 1805.—Visite de la côte occidentale d'Afrique.—Saint-Paul de Loanda, Saint-Philippe de Benguela, Cabinde, Doni, l'embouchure du Zaïre ou Congo, Loango.—Capture de la Ressource et du Rolla expédiés à Table-bay.—En allant amariner un de ces bâtiments, la Belle-Poule touche sur un banc de sable non marqué sur nos cartes. Elle se sauve; mais ses lignes d'eau sont faussées et sa marche considérablement ralentie.—Relâche à l'île portugaise du Prince.—La division se dirige ensuite vers l'île de Sainte-Hélène.—But de l'amiral.—Quinze jours sous le vent de Sainte-Hélène.—À notre grand étonnement, aucun navire anglais ne se montre.—Apparition d'un navire neutre que nous visitons.—Fâcheuses nouvelles.—Prise du cap de Bonne-Espérance par les Anglais.—L'Atalante brûlée, de Belloy tué, Fleuriau gravement blessé.—Le gouverneur de Sainte-Hélène averti de notre présence probable dans ses parages.—Tous les projets de l'amiral Linois bouleversés par ces événements.—Sa situation très embarrassante.—Le cap sur Rio-Janeiro.—La leçon de portugais que me donne M. Le Lièvre.—Changement de direction.—En route vers la France.—Un mois de calme sous la ligne équinoxiale.—Vents contraires qui nous rejettent vers l'ouest.—Le vent devient favorable.—Hésitations de l'amiral.—Où se fera l'atterrissage? À Brest, à Lorient, à Rochefort, au Ferrol, à Cadix, à Toulon?—État d'esprit de l'amiral Linois.—Son désir de se signaler par quelque exploit avant d'arriver en France.—Le 13 mars 1806, à deux heures du matin, nous nous trouvons tout à coup près de neuf bâtiments.—M. Bruillac et l'amiral.—Est-ce un convoi ou une escadre?—La lunette de nuit de M. Bruillac, les derniers rayons de la lune les trois batteries de canons. Ordre de l'amiral d'attaquer au point du jour.—Dernière tentative de M. Bruillac.—Manœuvre du Marengo.—La Belle-Poule le rallie et se place sur l'avant du vaisseau à trois-ponts ennemi.—Ce dernier souffre beaucoup; mais, à peine le soleil est-il entièrement levé, que le Marengo a déjà cent hommes hors de combat.—L'amiral Linois et son chef de pavillon, le commandant Vrignaud, blessés.—L'amiral reconnaît son erreur.—Il ordonne de battre en retraite et signale à la Belle-Poule de se sauver; le trois-ponts fortement dégréé; mais deux autres vaisseaux anglais ne tardent pas à rejoindre le Marengo, qui est obligé de se rendre à neuf heures du matin.—L'escadre anglaise composée de sept vaisseaux et de deux frégates.—La frégate l'Amazone nous poursuit.—Marche distinguée; néanmoins elle n'eût pas rejoint la Belle-Poule avant son échouage sur la côte occidentale d'Afrique.—Combat entre la Belle-Poule et l'Amazone.—À dix heures et demie, la mâture de la frégate anglaise est fort endommagée, et elle nous abandonne; mais nous avons de notre côté des avaries.—Deux vaisseaux ennemis s'approchent de nous, un de chaque côté.—Deux coups de canon percent notre misaine.—Gréement en lambeaux, 8 pieds d'eau dans la cale, un canon a éclaté à notre bord et tué beaucoup de monde.—M. Bruillac descend dans sa chambre pour jeter à la mer la boîte de plomb contenant ses instructions secrètes.—Il me donne l'ordre de faire amener le pavillon.—Transmission de l'ordre à l'aspirant chargé de la drisse du pavillon.—Commandement: «Bas le feu!»—L'équipage refuse de se rendre. J'envoie prévenir le commandant, qui remonte, radieux, sur le pont.—Le pavillon emporté par un boulet.—Le chef de timonerie Couzanet (de Nantes), en prend un autre sur son dos, le porte au bout de la corne et le tient lui-même déployé.—Autres beaux faits d'armes de l'aspirant Lozach, du canonnier Lemeur, du matelot Rouallec et d'un grand nombre d'autres.—Le vaisseau anglais de gauche, le Ramilies, s'approche à portée de voix sans tirer.—Son commandant, le commodore Pickmore, se montre seul et nous parle avec son porte-voix. «Au nom de l'humanité.»—M. Bruillac, s'avance sous le pavillon et ordonne à Couzanet de le jeter à la mer.—La Belle-Poule se rend au Ramilies.—L'escadre du vice-amiral Sir John Borlase Warren.—Prisonniers.—Rigueur de l'empereur pour les prisonniers.—Mon frère sain et sauf.—La grand'chambre de la Belle-Poule après le combat 169

CHAPITRE X

Sommaire: Le commandant Parker, à bord de la Belle-Poule.—Un commandant de vingt-huit ans.—Belle attitude de Delaporte.—Avec mon frère, Puget et Desbordes, je passe sur le vaisseau le Courageux commandé par M. Bissett.—Le lieutenant de vaisseau Heritage, commandant en second.—Le lieutenant de vaisseau Napier, arrière-petit-fils de l'inventeur des Logarithmes.—Ses sorties inconvenantes contre l'empereur.—Je quitte la table de l'état-major, et j'exprime à M. Heritage mon dessein de manger désormais dans ma chambre et de m'y contenter, s'il le faut, de la ration de matelot.—Intervention de M. Bissett.—Il me fait donner satisfaction.—Je reviens à la table de l'état-major.—La croisière de l'escadre anglaise.—Armement des navires anglais.—Coup de vent.—Avaries considérables qui auraient pu être évitées.—Communications de l'escadre avec le vaisseau anglais, le Superbe, revenant des Antilles.—Encore un désastre pour notre Marine.—Destruction de la division que notre amiral Leissègues commandait aux Antilles, par une division anglaise sous les ordres de l'amiral Duckworth.—Portrait de Nelson suspendu pendant l'action dans les cordages.—Les bâtiments de l'amiral Duckworth, fort maltraités, étaient rentrés à la Jamaïque pour se réparer.—L'amiral se rendait en Angleterre à bord du Superbe.—Le même jour, un navire anglais, portant pavillon parlementaire, traverse l'escadre.—Mon ami Fleuriau, aspirant de l'Atalante.—Télégraphie marine des Anglais.—J'imagine un système de télégraphie que, peu de temps après, j'envoyai en France.—L'amiral Warren renonce à sa croisière.—M. Bruillac réunit tous les officiers de la Belle-Poule, et nous faisons en corps une visite à l'amiral Linois, qui était encore fort souffrant. Il nous adresse les plus grands éloges sur notre belle défense.—L'amiral Warren.—Le combat contre la frégate la Charente.—Quiberon.—Relâche à Sâo-Thiago (îles du Cap Vert).—Arrivée à Portsmouth, après avoir eu le crève-cœur de longer les côtes de France.—Soixante et un jours en mer avec nos ennemis 185

LIVRE III
LA CAPTIVITÉ EN ANGLETERRE

CHAPITRE PREMIER

Sommaire: Les vaisseaux de la Compagnie des Indes mouillés à Portsmouth célèbrent notre capture en tirant des salves d'artillerie.—Bons procédés de l'amiral Warren et de ses officiers.—L'état-major du Courageux nous offre un dîner d'adieu.—Franche et loyale déclaration de Napier.—Le perroquet gris du Gabon, que j'avais donné à Truscott, l'un des officiers du Courageux.—Le «cautionnement» de Thames.—Détails sur la situation des officiers prisonniers vivant dans un «cautionnement».—Lettre navrante que je reçois de M. de Bonnefoux.—M. Bruillac me réconforte.—Lettre de ma tante d'Hémeric.—Mes ressources pécuniaires.—Mon plan de vie, mes études, la langue et la littérature anglaises.—Visite, que nous font, à Thames, M. Lambert (de l'Althéa) et sa femme.—Le souhait exprimé autrefois par M. Lambert se trouve réalisé.—Il tient parole et nous fête pendant huit jours.—Il nous dit qu'il espère bien voir un jour M. Bonaparte prisonnier des Anglais.—Nous rions beaucoup de cette prédiction.—Avant de repartir pour Londres, M. Lambert apprend à Delaporte sa mise en liberté, qu'il avait obtenue à la suite de démarches pressantes et peut-être de gros sacrifices d'argent.—Delaporte avait commandé l'Althéa après sa capture.—Départ de cet admirable Delaporte que j'ai eu la douleur de ne plus revoir.—Description de Thames.—Les ouvriers des manufactures.—Leur haine contre la France, entretenue par les journaux.—Leur conduite peu généreuse vis-à-vis des prisonniers.—La bourgeoisie.—Relations avec les familles de MM. Lupton et Stratford.—M. Litner.—Agression dont je suis victime, un jour, de la part d'un ouvrier.—Rixe entre Français et ouvriers.—Le sang coule.—Je conduis de force mon agresseur devant M. Smith, commissaire des prisonniers.—État d'esprit de M. Smith.—Il m'autorise cependant à me rendre à Oxford pour porter plainte.—Visite à Oxford.—Le château de Blenheim.—Le magistrat me répond qu'il ne peut entamer une action entre un Anglais et un prisonnier de guerre.—Retour à Thames.—Scène violente entre M. Smith et moi.—Plainte que j'adresse au Transport Office contre M. Smith.—Réponse du Transport Office.—M. Smith reçoit l'ordre de me donner une feuille de route pour un autre cautionnement nommé Odiham, situé dans le Hampshire, et de me faire arrêter et conduire au ponton, si je n'étais pas parti dans les vingt-quatre heures.—Ovation publique que me font les prisonniers en me conduisant en masse jusqu'à l'extrémité du cautionnement, c'est-à-dire jusqu'à un mille.—Ma douleur en me séparant de mon frère et de tous mes chers camarades de la Belle-Poule.—Autre sujet d'affliction.—Miss Harriet Stratford.—Souvenir que m'apporte M. Litner.—Émotion que j'éprouve 193

CHAPITRE II

Sommaire: J'arrive à Odiham, en septembre 1806.—La population d'Odiham.—Les prisonniers.—Je trouve parmi eux mon ami Céré.—Je suis l'objet de mille prévenances.—La Société philharmonique, la loge maçonnique, le théâtre des prisonniers, son grand succès.—La recherche de la paternité en Angleterre.—L'aventure de l'officier de marine français, Le Forsoney.—Ne pouvant payer la somme de 600 francs environ destinée à l'entretien de l'enfant mis à l'hospice, il allait être emprisonné.—Je lui prête la somme dont il avait besoin; affectueuse reconnaissance de Le Forsoney, qui écrit à sa famille et ne tarde pas à s'acquitter vis-à-vis de moi.—Une maxime de M. Le Lièvre, agent d'administration de la Belle-Poule.—En juin 1807 un amateur de musique, M. Danley, m'emmène secrètement passer une journée à Windsor.—Je vois, sur la terrasse du château, le roi Georges III, la reine, quatre de leurs fils, leur fille Amélie.—Le château de Windsor.—Nous rentrons à Odiham, où nul ne s'était douté de mon absence.—Je commets l'imprudence de raconter mon équipée à deux de mes camarades dans la rue, devant ma porte, sous les fenêtres d'une veuve qui, ayant été élevée en France, connaissait parfaitement notre langue.—La bonne d'enfants, Mary.—Le billet trouvé par la veuve.—Énigme insoluble expliquée par notre conversation.—Articles de journaux qui me donnent, à mon tour, une énigme à deviner.—Dénonciation au Transport Office.—L'écriture du billet à Mary, rapprochée de celle d'une lettre de moi à mon frère.—M. Shebbeare, agent des prisonniers, à Odiham, reçoit l'ordre de me faire arrêter sur-le-champ et partir le lendemain sous escorte pour les pontons de la rade de Chatham.—Mon indignation.—D'après les règlements j'étais seulement passible d'une amende d'une guinée, et encore à condition que quelqu'un se fût présenté pour réclamer cette guinée, comme prix de sa dénonciation.—Petit coup d'État de la police.—M. Shebbeare, agent des prisonniers à Odiham, ses excellents procédés à mon égard.—Il me laisse en liberté jusqu'au lendemain.—À l'heure dite, je me présente chez lui.—Il me remet entre les mains d'un agent de la police.—Les pistolets de l'agent.—Digression sur Rousseau, aspirant de 1re classe pris dans l'affaire de Sir T. Duckworth.—Son héroïsme.—Lettre qu'il avait écrite au Transport Office pour reprendre sa parole d'honneur.—Au moment où je quittais à mon tour Odiham, on venait de le conduire sur les pontons.—L'hôtel du Georges, la voiture à mes frais.—Je me sauve par la fenêtre de l'hôtel.—Mystification de l'agent aux pistolets.—Joie des prisonniers.—Hilarité des habitants.—La nuit close, je me rends dans une petite maison habitée par des Français.—J'y reste caché trois jours.—Une jeune fille de seize ans, Sarah Cooper, vient m'y prendre le soir du troisième jour, et elle me conduit par des voies détournées à Guilford, capitale du Surrey, distante de six lieues d'Odiham.—Dévouement de Sarah Cooper.—De Guilford une voiture me conduit à Londres, tandis qu'une autre ramène Sarah à Odiham.—Je descends à Londres à l'hôtel du café de Saint-Paul.—Dès le lendemain, grâce à des lettres que m'avait remises Céré et qu'il tenait d'une Anglaise, j'avais acheté un extrait de baptême ainsi que l'ordre d'embarquement d'un matelot hollandais nommé Vink, matelot sur le Telemachus, qui avait Hambourg pour lieu de destination.—Le capitaine, qui était seul dans le secret, m'autorise à rester à terre jusqu'au jour de l'appareillage.—Je passe trente et un jours à Londres, et je visite la ville et les environs.—Départ de Londres du Telemachus.—L'un des passagers, le jeune lord Ounslow.—Il me prend en amitié.—Les vents et les courants nous contrarient pendant cinq jours.—Nous atteignons Gravesend.—Au moment où le Telemachus partait enfin, un canot venant de Londres à force de rames, l'aborde.—Un agent de police en sort et demande M. Vink.—Mon arrestation.—Offres généreuses de lord Ounslow.—Je suis jeté à fond de cale dans le bâtiment où étaient gardés les malfaiteurs pris sur la Tamise.—J'y reste deux jours.—Affreuse promiscuité.—Plus d'argent.—Le canot du ponton le Bahama, de la rade de Chatham. 205

CHAPITRE III

Sommaire: Le Bahama.—Rencontre de Rousseau évadé du ponton de Portsmouth, repris au milieu de la Manche et conduit sur le Bahama trois jours auparavant.—Façon dont les prisonniers du Bahama accueillaient les nouveaux arrivants: «Il filait 6 nœuds! avale ça, avale ça!» Cette mystification nous est épargnée à Rousseau et à moi.—Chatham et Sheerness.—Cinq pontons mouillés sur la Medway, entre Chatham et Sheerness, sous une île inculte et vaseuse.—Description détaillée du ponton. Cette description se passe de commentaires.—La nourriture; l'habillement.—Les lieutenants de vaisseau qui commandaient les pontons étaient, en général, le rebut de la Marine anglaise.—La garnison du ponton.—Les officiers de corsaires à bord des pontons; il y en avait une trentaine sur le Bahama.—Leur poste près de la cloison de l'infirmerie.—Rousseau y avait été admis.—L'antipathie violente des officiers de corsaires pour les officiers du «grand corps».—La majorité décide, cependant, qu'on m'accueillera.—La minorité se venge en m'adressant des lazzis.—Mon explication courtoise, mais ferme, avec l'un des membres de cette minorité, Dubreuil.—Je m'en fais un ami.—La masse des prisonniers veut m'astreindre aux corvées communes.—Je refuse.—Mon grade doit être respecté.—Des menaces me sont faites; mais la majorité ne tarde pas à se ranger de mon côté.—Première tentative d'évasion.—Les soldais anglais nous vendent tout ce que nous voulons.—Le projet des barriques vides.—Rousseau, inventeur du projet.—Les cinq prisonniers dans les cinq barriques.—Rousseau, moi, Agnès, Le Roux, officiers de corsaires, le matelot La Lime.—Les cinq barriques sont hissées de la cale et placées dans une allège avec les autres destinées à renouveler la provision d'eau du Bahama.—Le vent et la marée contrarient l'allège; elle n'entre pas dans le port ce jour-là et est obligée de mouiller à mi-chemin.—L'équipage de l'allège va coucher à terre.—La Lime, dont la barrique avait été mise par erreur au fond de la cale, nous appelle.—Le petit mousse laissé à bord.—Il donne l'éveil.—Nous sommes pris.—Ramenés au ponton.—Dix jours de black-hole.—Le black-hole est un cachot de 6 pieds seulement dans tous les sens où l'air ne parvient que par quelques trous ronds très étroits.—La punition supplémentaire de la réduction à la demi-ration jusqu'à réparation complète des dégâts.—Conduite honteuse de l'Angleterre.—L'esprit de solidarité des prisonniers.—Seconde tentative d'évasion.—À ma grande joie, ma malle m'arrive d'Odiham.—Je réalise une dizaine de guinées en vendant ma montre et divers effets.—Un certain nombre de prisonniers âgés et paisibles sont envoyés dans une prison à terre.—Rousseau, moi, et deux autres, nous nous substituons à quatre d'entre eux en leur payant leurs places et en nous grimant; nous espérons nous évader en route.—Nous partons. Le lendemain, le roulage fait une réclamation à l'occasion de ma malle.—Un appel sévère a lieu. On nous ramène Rousseau et moi au ponton.—Les deux autres s'évadent et arrivent en France.—Ma malle m'avait perdu.—Trois matelots de Boulogne, récemment faits prisonniers, sont embarqués sur le Bahama. Ils préparent sans tarder leur évasion.—Ils font un trou à fleur d'eau en avant de l'une des guérites qui avoisinaient la proue.—Ils se jettent dans l'eau glacée, un soir de décembre. L'un d'eux avait des obligations envers M. de Bonnefoux, préfet maritime de Boulogne. Il me propose de m'emmener et jure de me conduire à terre. Je crains de les perdre et je refuse.—Le trou appartenait à tous un quart d'heure après leur départ.—Un tirage au sort avait eu lieu. Rousseau avait le no 5.—Le no 2 manque périr de froid et crie au secours.—Il est remis à bord par les Anglais.—Le cadavre du no 1 paraît le lendemain, à marée basse, à moitié enfoui dans les vases de l'île; le malheureux était mort de froid.—Le commandant du ponton n'a pas honte de le laisser à cette même place jusqu'à ce qu'il tombe en putréfaction.—Quant aux trois Boulonnais, ils se sauvent et rentrent dans leurs familles.—Le lieutenant de vaisseau Milne, commandant du Bahama.—Ses goûts crapuleux.—À deux reprises, le feu prend dans ses appartements pendant des orgies.—La seconde fois, l'incendie se propage rapidement.—Dangers graves que courent les prisonniers enfermés dans la batterie.—Milne, en état d'ivresse, ordonne aux troupes de faire feu sur nous en évacuant les meurtrières, si le feu se propage jusque-là.—Heureusement l'incendie est éteint.—Grave querelle parmi les prisonniers.—L'officier de corsaire Mathieu blesse un soldat prisonnier qui l'insulte et prend du tabac malgré lui dans sa boutique.—Nous réussissons, non sans peine, à faire évader Mathieu par l'infirmerie.—Compromis qui intervient.—Le tribunal arbitral dont je suis le président.—La séance du tribunal.—Scène burlesque.—La sentence.—L'ordre se rétablit 218

CHAPITRE IV

Sommaire:—Au mois de mars 1808.—Troisième tentative d'évasion; je suis l'auteur du projet, et je m'associe Rousseau et Peltier, aspirant qui vivait dans l'entrepont avec des matelots de son pays.—La yole du radeau.—Pendant les tempêtes, la sentinelle du radeau obligée de remonter sur le pont.—Je perce le ponton à la hauteur des sabords et non pas à la flottaison, comme l'avaient fait les Boulonnais.—Une nuit de gros temps, à deux heures du matin, je me laisse glisser sur le radeau à l'aide d'une corde. Rousseau, puis Peltier, me suivent.—L'officier de corsaire, Dubreuil, glisse généreusement cinq guinées en or dans ma chemise au moment où je quitte le ponton.—Nous nous emparons de la yole et quittons le bord sans être aperçus des sentinelles.—Nous abordons sur le rivage Nord de la rade et passons la journée dans un champ de genêts.—La nuit suivante, nous nous remettons en route. Rencontre d'un jeune paysan.—Peltier a la tête un peu égarée.—En marche vers la Medway.—Grande charité de l'Anglais Cole. Il nous reçoit dans sa maison et nous fait traverser la rivière en bateau.—La grande route de Chatham à Douvres.—Canterbury.—Nos provisions.—La mer.—La terre de France à l'horizon.—Châteaux en Espagne.—Douvres.—Depuis le départ des Boulonnais, toutes les embarcations sont cadenassées et dégarnies de mâts et d'avirons.—Exploration infructueuse sur la côte.—À Folkestone, nous sommes reconnus.—Nous nous sauvons chacun de notre côté en nous donnant rendez-vous à Canterbury.—Le lendemain soir, nous nous retrouvons.—En route sur Odiham.—Cruelles souffrances endurées pendant nos courses.—La soif.—Jeunes bouleaux entaillés par Rousseau.—Nous atteignons Odiham un soir, à la nuit close, et nous sommes accueillis par un Français nommé R...—Repos pendant huit jours.—Céré et Le Forsoney nous procurent tout ce que nous désirions.—Au moment où nous allions nous mettre en route, la police nous arrête chez M. R...—En prison.—Le billet de Sarah.—Tentative d'évasion.—Mis aux fers comme des forçats.—Paroles du capitaine polonais Poplewski.—Soupçons qui atteignent M. R...—Céré le provoque.—M. R... grièvement blessé.—Nous quittons Odiham.—Je ne devais revoir ni Le Forsoney ni Céré.—Histoire de Céré: Sa mort.—L'escorte qui nous ramène au ponton.—Précautions prises pour nous empêcher de nous échapper.—L'escorte de Georges III.—Projet de supplique.—Quatre jours à Londres dans la prison dite de Savoie.—Les déserteurs anglais.—Les onze cents coups de schlague de l'un d'eux.—Fâcheuse compagnie.—Arrivée à Chatham, le 1er mai 1808.—Magnifique journée de printemps.—Le Bahama.—Les dix jours de black-hole 233

CHAPITRE V

Sommaire:—Exaspération des prisonniers du Bahama.—Réduits à la demi-ration après notre évasion.—Projet de révolte.—Disputes et querelles.—Lutte de Rousseau contre un gigantesque Flamand.—Les prisonniers ne reçoivent que du biscuit, à cause du mauvais temps.—Ils réclament ce qui leur est dû, et déclarent qu'ils ne descendront pas du parc avant de l'avoir reçu.—Milne appelle du renfort.—Il ordonne de faire feu; mais le jeune officier des troupes de Marine, qui commande le détachement, empêche ses soldats de tirer.—Je monte sur le pont en parlementaire.—Je n'obtiens rien.—Stratagème dont je m'avise.—À partir de ce jour, les esprits commencent à se calmer.—Nouvelles tentatives d'évasion.—Milne emploie des moyens usités dans les bagnes.—Ses espions.—Nouvelle agitation à bord.—Audacieuse évasion de Rousseau.—Il se jette à l'eau en plein jour en se couvrant la tête d'une manne.—Il est ramené sur le Bahama.—Tout espoir de nous échapper se dissipe.—La population du ponton.—Sa division en classes: les Raffalés, les Messieurs ou Bourgeois, les Officiers.—Subdivision des Raffalés, les Manteaux impériaux.—Le jeu.—Rations perdues six mois d'avance.—Extrême rigueur des créanciers.—Révoltes périodiques des débiteurs.—Abolition des dettes par le peuple souverain.—Nos distractions.—Ouvrages en paille et en menuiserie.—Le bois de cèdre du Bahama.—Ma boîte à rasoirs.—Je me remets à l'étude de la flûte.—Les projets de Rousseau.—La civilisation des Iroquois.—Charmante causerie de Rousseau, les bras appuyés sur le bord de mon hamac.—Je lui propose de commencer par civiliser le ponton.—Nous donnons des leçons de français, de dessin, de mathématiques et d'anglais.—J'étudie à fond la grammaire anglaise.—Le Bahama change de physionomie.—Conversions miraculeuses; le goût de l'étude se propage.—Le bon sauvage Dubreuil.—Sa passion pour le tabac.—La fumée par les yeux.—En juin 1809, après vingt mois de séjour au ponton, je reçois une lettre de M. de Bonnefoux par les soins de l'ambassadeur des États-Unis.—Cet ambassadeur, qui avait été reçu à Boulogne par M. de Bonnefoux, obtient du Gouvernement anglais ma mise au cautionnement.—Je quitte le ponton et me sépare, non sans regrets, de Rousseau, de Dubreuil et de mes autres compagnons d'infortune 247

CHAPITRE VI

Sommaire: Le cautionnement de Lichfield.—La patrie de Samuel Johnson.—Agréable séjour.—Tentatives infructueuses que je fais pour procurer à Rousseau les avantages du cautionnement.—Je réussis pour Dubreuil.—Histoire du colonel Campbell et de sa femme.—Le lieutenant général Pigot.—Arrivée de Dubreuil à Lichfield.—Un déjeuner qui dure trois jours.—Notre existence à Lichfield.—Les diverses classes de la société anglaise.—La classe des artisans.—L'agent des prisonniers.—Sa bienveillance à notre égard.—Visite au cautionnement d'Ashby-de-la-Zouch.—Courses de chevaux.—Visite à Birmingham, en compagnie de mon hôte le menuisier Aldritt et de sa famille.—J'entends avec ravissement la célèbre cantatrice Mme Catalani.—Les Français de Lichfield.—L'aspirant de marine Collos.—Mes pressentiments.—Le cimetière de Thames.—Les vingt-huit mois de séjour à Lichfield.—Le contrebandier Robinson.—Il m'apprend, au nom de M. de Bonnefoux, que j'ai été échangé contre un officier anglais et que je devrais être en liberté.—Il vient me chercher pour me ramener en France.—Il m'apprend qu'un de ses camarades, Stevenson, fait la même démarche auprès de mon frère, qui, lui aussi, a été échangé.—Mes hésitations; je me décide à partir.—J'écris au bureau des prisonniers. J'expose la situation et je m'engage à n'accepter aucun service actif.—Robinson consent à se charger de Collos, moyennant 50 guinées en plus des 100 guinées déjà promises.—La chaise de poste.—Arrivée au petit port de pêche de Rye.—Cachés dans la maison de Robinson.—Le capitaine de vaisseau Henri du vaisseau le Diomède sur lequel Collos avait été pris.—Il se joint à nous.—Cinquante nouvelles guinées promises à Robinson.—Au moment de quitter la maison de Robinson à onze heures du soir, M. Henri donne des signes d'aliénation mentale, et ne veut plus se mettre en route. Je lui parle avec une fermeté qui finit par faire impression sur lui.—Nous nous embarquons et nous passons la nuit couchés au fond de la barque de Robinson.—Ce dernier met à la voile le lendemain matin et passe la journée à mi-Manche en ralliant la côte d'Angleterre quand des navires douaniers ou garde-côtes sont en vue.—Coucher du soleil.—Hourrah! demain nous serons à Boulogne ou noyés.—La chanson mi-partie bretonne, mi-partie française du commandant Henri.—Terrible bourrasque pendant toute la nuit.—Le feu de Boulogne. La jetée.—La barque vient en travers de la lame.—Grave péril.—Nous entrons dans le port de Boulogne le 28 novembre 1811.—La police impériale.—À la préfecture maritime.—Brusque changement de situation.—M. de Bonnefoux m'annonce que je viens d'être nommé lieutenant de vaisseau.—Robinson avant de quitter Boulogne apprend, par un contrebandier de ses amis, le malheur arrivé à mon frère et à Stevenson.—Ils avaient été arrêtés au moment où ils s'embarquaient à Deal.—Le ponton le Sandwich voisin du Bahama en rade de Chatham.—Départ de M. Henri pour Lorient, de Collos pour Fécamp.—Je séjourne dix-neuf jours chez mon cousin et je quitte Boulogne avec un congé de six mois pour aller à Béziers. 260

LIVRE IV
APRÈS MA RENTRÉE EN FRANCE. MA CARRIÈRE MARITIME DE 1811 À 1824

CHAPITRE PREMIER

Sommaire: Séjour à Paris; mes camarades de l'Atalante, de la Sémillante, du Berceau, du Bélier.—Visite au ministère.—Le roi de Rome.—J'assiste à une revue de 4.000 hommes passée par l'Empereur dans la cour du Carrousel.—Les théâtres de Paris en 1811.—Arrivée à Marmande.—Joie de mon père.—Son chagrin de la catastrophe de mon frère.—Lettre écrite par lui au ministère de la Marine.—Mon père constate le triste état de ma santé.—Il presse lui-même mon départ pour Béziers.—Ma tante d'Hémeric et ma sœur sont épouvantées à mon aspect.—On me croit poitrinaire.—Traitement de notre cousin le Dr Bernard.—Pendant un mois on interdit toute visite auprès de moi et on me défend de parler.—Affectueux dévoûment de ma sœur.—Au bout de trois mois j'avais définitivement repris le dessus.—Excellents conseils que me donne le Dr Bernard pour l'avenir.—Ordre de me rendre à Anvers pour y être embarqué sur le vaisseau le Superbe.—Lettre que j'écris au ministère.—Tous les Bourbons sont-ils morts?—Récit que j'ai l'occasion de faire à ce sujet.—Avertissement qui m'est donné par le sous-préfet.—À la fin de mon congé, je pars pour Paris, en compagnie de mon ami, M. de Lunaret fils, auditeur à la Cour d'appel de Montpellier.—Nous passons par Nîmes, Beaucaire, Lyon.—Nouveau séjour à Paris.—J'obtiens, non sans peine, d'être débarqué du vaisseau le Superbe.—Décision ministérielle en vertu de laquelle les officiers de Marine revenus spontanément des cautionnements seront employés au service intérieur des ports.—M. de Bonnefoux passe à la préfecture maritime de Rochefort.—Je suis attaché à son état-major ainsi que Collos, nommé enseigne de vaisseau.—Visite que je fais à Angerville à la mère de Rousseau.—État des esprits en 1812.—Mécontentement général.—Société charmante que je trouve à Rochefort.—Excellentes années que j'y passe jusqu'à la Restauration en 1814.—Missions diverses que me donne M. de Bonnefoux.—Au retour d'une de mes dernières missions, je trouve une lettre de mon ami Dubreuil. Il avait été envoyé en France comme incurable et se trouvait à l'hôpital de Brest inconnu et sans argent.—J'écris à un de mes camarades de Brest, nommé Duclos-Guyot.—Je lui envoie une traite de 300 francs et je le prie d'aller voir Dubreuil.—Nouvelle lettre de Dubreuil pleine d'affectueux reproches.—J'en suis désespéré.—J'écris aussitôt à Duclos-Guyot et je reçois presque aussitôt une réponse de ce dernier à ma première lettre.—Il était absent et, à son retour à Brest, Dubreuil était mort.—Cette mort m'affecte profondément.—Séjour d'un mois à Marmande auprès de mon père.—Voyage aux Pyrénées-Orientales pour affaires de service.—Je m'arrête de nouveau à Marmande à l'aller et au retour, et j'assiste à Béziers au mariage de ma sœur.... 273

CHAPITRE II

Sommaire: 1814.—Prise de Toulouse et de Bordeaux.—Rochefort menacé.—Avènement de Louis XVIII.—M. de Bonnefoux m'envoie à Bordeaux comme membre d'une députation chargée d'y saluer le duc d'Angoulême et de traiter d'un armistice avec l'amiral anglais Penrose.—Une lettre m'apprend à Bordeaux que mon père est atteint d'une fluxion de poitrine.—Je cours à Marmande et je trouve mon père très malade et désespéré à la pensée qu'il ne reverra pas mon frère, que la paix allait lui rendre.—Il meurt en me serrant la main le 27 avril 1814. Il avait soixante-dix-neuf ans.—Je suis nommé au commandement de la corvette à batterie couverte le Département des Landes chargée d'aller à Anvers prendre des armes et des approvisionnements.—Avant mon départ, le duc d'Angoulême nommé grand amiral arrive à Rochefort au cours d'une tournée d'inspection des ports de l'Océan.—Il y séjourne trois jours. M. de Bonnefoux me nomme commandant en second de la garde d'honneur du Prince.—Je mets à la voile et me rends à Anvers.—Au retour, une tempête me force de reprendre le Pas-de-Calais que j'avais retraversé et de chercher un abri à Deal, à Deal où, naguère, j'étais errant et traqué comme un malfaiteur.—Je pars de Deal avec un temps favorable mais au milieu de la Manche un coup de vent me jette près des bancs de la Somme.—Dangers que court la corvette. Je force de voiles autant que je le puis afin de me relever.—Après ce coup de vent, je me dirige vers Brest.—Un pilote venu d'Ouessant me jette sur les Pierres Noires.—Une toise de plus sur la gauche, et nous coulions.—Je fais mettre le pilote aux fers et je prends la direction du bâtiment qui faisait beaucoup d'eau.—La corvette entre au bassin de radoub.—Le pilote jugé et condamné.—J'apprends à Brest une promotion de capitaines de frégate qui me cause une vive déception.—Ordre inattendu de réarmer la corvette pour la mer.—Je demande mon remplacement. Fausse démarche que je commets là.—Je quitte Brest et le Département des Landes.—Arrivée à Rochefort où je trouve mon frère, licencié sans pitié par le Gouvernement de la Restauration.—Il passe son examen de capitaine de la Marine marchande et part pour les États-Unis où il réussit à merveille.—Voyage de M. de Bonnefoux à Paris.—Il fait valoir les raisons de santé qui m'ont conduit à demander mon remplacement.—On lui promet de me donner le commandement de la Lionne et de me nommer capitaine de frégate avant mon départ.—Le retour de l'Île d'Elbe empoche de donner suite à ce projet.—Pendant les Cent-Jours, je reste chez moi.—L'empereur, après Waterloo, vient s'embarquer à Rochefort et passe cinq jours chez le préfet maritime.—Disgrâce de M. de Bonnefoux.—Je suis, par contre-coup, mis en réforme.—Je songe à obtenir le commandement d'un navire marchand et à partir pour l'Inde.—On me décide à demander mon rappel dans la marine.—Je l'obtiens et je suis attaché comme lieutenant de vaisseau à la Compagnie des Élèves de la Marine à Rochefort.—Grand malheur qui me frappe au commencement de 1817. Je perds ma femme.—Après un séjour dans les environs de Marmande chez M. de Bonnefoux, je vais à Paris solliciter un commandement.—Situation de la Marine en 1817.—Je suis nommé Chevalier de Saint-Louis.—Retour à Rochefort.—Je me remarie à la fin de 1818.—En revenant de Paris, je retrouve à Angerville, Rousseau, mon camarade du ponton.—Histoire de Rousseau 285

CHAPITRE III

Sommaire:—L'avancement des officiers de marine sous la seconde Restauration.—Conditions mises à cet avancement.—Un an de commandement.—En 1820, je suis désigné par le préfet maritime de Rochefort pour présider à l'armement de la corvette de charge, L'Adour qui venait d'être lancée à Bayonne.—En route pour Rochefort.—Le pilote-major.—À Rochefort.—La corvette est désarmée. Il me manque trois mois de commandement.—La frégate l'Antigone désignée pour un voyage dans les mers du Sud.—Je suis attaché à son État-major.—Je demande un commandement qui me permette de remplir les conditions d'avancement.—Je suis nommé au commandement de la Provençale, et de la station de la Guyane.—Le bâtiment allait être lancé à Bayonne.—Mon brusque départ de Rochefort.—Maladie de ma femme. La fièvre tierce.—Mon arrivée à Bayonne.—Accident qui s'était produit l'année précédente pendant que je commandais l'Adour.—Mes projets en prenant le commandement de la Provençale, mes Séances nautiques ou Traité du vaisseau à la mer.—Le Traité du vaisseau dans le port que je devais plus tard publier pour les élèves du collège de Marine.—La Barre de Bayonne.—Tempête dans le fond du golfe de Gascogne.—Naufrage de quatre navires. Avaries de la Provençale.—Relâche à Ténériffe.—Traversée très belle de Ténériffe à la Guyane en dix-sept jours.—Mes observations astronomiques.—M. de Laussat, gouverneur de la Guyane.—Je lui montre mes instructions.—Mission à la Mana, à la frontière ouest de la côte de la Guyane.—Je rapporte un plan de la rade, de la côte, de la rivière de la Mana.—Conflit avec le gouverneur à propos d'une punition que j'inflige à un homme de mon bord.—Lettre que je lui écris.—Invitation à dîner.—Mission aux îles du Salut en vue de surveiller des Négriers.—Sondes et relèvements autour des îles du Salut.—Mission à la Martinique, à la Guadeloupe et à Marie-Galande.—La fièvre jaune.—Retour à la Guyane.—Navigation dangereuse au vent de Sainte-Lucie et de la Dominique.—Les Guyanes anglaise et hollandaise.—Surinam, ancienne possession française, abandonnée par légèreté.—Arrivée à Cayenne.—Le nouveau second de La Provençale, M. Louvrier.—Je le mets aux arrêts.—Mon entrevue avec lui dans ma chambre.—Je m'en fais un ami.—Arrivée à Cayenne.—Mission à Notre-Dame de Belem sur l'Amazone.—Les difficultés de la tâche.—Mes travaux hydrographiques.—Le Guide pour la navigation de la Guyane que fait imprimer M. de Laussat d'après le résultat de mes recherches.—M. Milius, capitaine de vaisseau, remplace M. de Laussat comme gouverneur de la Guyane.—L'ordre de retour en France.—Je fais réparer la Provençale.—Pendant la durée des réparations, je fréquente la société de Cayenne.—La Provençale met à la voile.—La Guerre d'Espagne.—Je crains que nous ne soyons en guerre avec l'Angleterre.—Précautions prises.—Le phare de l'île d'Oléron.—Le feu de l'île d'Aix.—Le 23 juin 1823, à deux heures du matin, la Provençale jette l'ancre à Rochefort.—Mon rapport au ministre.—Travaux hydrographiques que je joins à ce rapport. 297