SUPERTOYS LES AUTRES SAISONS

 

Throwaway Town s’étendait non loin du cœur de la ville. David y trouva son chemin grâce à un grand Fixer-Mixer. Le Fixer-Mixer avait de nombreuses mains et des bras de tailles différentes. Il les gardait posés sur sa carapace rouillée. Perché sur des longues pattes d’araignée extensibles, il dominait David.

Tout en marchant, David demanda : « Pourquoi es-tu si grand ? »

« Le monde est grand, David. Alors moi aussi. »

Après un silence, l’enfant dit : « Le monde est devenu grand depuis que ma maman est morte. »

« Les machines n’ont pas de maman. »

« Je voudrais que tu saches que je ne suis pas une machine. »

On entrait dans Throwaway par une pente escarpée et partiellement cachée du monde humain par un grand mur. Le chemin qui menait à cette ville rebut était large et facile. Tout à l’intérieur y était irrégulier. C’était le règne des formes étranges. Des formes nombreuses y bougeaient, pouvaient y bouger ou auraient pu y bouger. Elles avaient toutes sortes de couleurs, certaines arboraient des lettres ou des chiffres immenses. Le brun rouille était dominant. Ce n’était qu’éraflures, bosses énormes, verres brisés, panneaux cassés. Le tout posé dans des flaques et suintant la rouille.

C’était le domaine de l’obsolète. Arrivaient ou étaient apportés à Throwaway tous les vieux modèles d’automates, de robots, d’androïdes et autres machines qui avaient cessé d’être utiles à l’humanité affairée. On trouvait là tout ce qui avait servi un jour, des toasters et couteaux électriques aux derricks et aux ordinateurs qui ne peuvent compter que jusqu’à l’infini-moins-un. Le pauvre Fixer-Mixer avait perdu une de ses pinces et ne pourrait plus jamais lever une tonne de ciment.

C’était une ville à sa manière. Les objets abîmés s’entraidaient. Les vieux modèles de calculateurs de poche pouvaient toujours calculer quelque chose d’utile, au moins la largeur que devait avoir le chemin entre deux monceaux de véhicules au rebut pour laisser le passage aux tracteurs et aux tondeuses.

Un vieil employé de supermarché fatigué prit David sous sa protection. Ils partagèrent la carcasse brûlée d’une unité de réfrigération.

« Tu seras bien avec moi », lui dit l’employé.

« C’est très gentil. Je voudrais seulement avoir Teddy avec moi », dit David.

« Qu’est-ce qu’il avait de si spécial Teddy ? »

« On jouait ensemble, Teddy et moi. »

« Il était humain ? »

« Il était comme moi. »

« Juste une machine, alors ? Oublie-le, ça vaut mieux. »

David pensa : oublier Teddy ? J’aimais vraiment Teddy. Mais il faisait bon dans l’unité de réfrigération.

Un jour, l’employé demanda : « Qui te gardait ? »

« J’avais un papa qui s’appelait Henry Swinton. Mais il était généralement en voyage d’affaires. »

 

 

 

Henry Swinton était en voyage d’affaires. Il était avec trois de ses associés, dans un hôtel sur une île des mers du Sud. La suite qu’ils occupaient donnait sur les sables dorés de l’océan. Des tamaris poussaient sous la fenêtre, leurs branches ondulaient légèrement dans la brise et adoucissaient la brûlure de la chaleur tropicale.

Le murmure des vagues qui se brisaient sur la plage ne pénétrait pas le triple vitrage.

Henry et ses associés étaient assis avec des bouteilles d’eau minérale et des blocs posés devant eux. Henry tournait le dos à la vue.

Il était devenu directeur général de Worldsynth-Claws. C’était le supérieur des autres. Parmi ces autres, il y en avait une, Asda Dolorosaria, qui s’était désignée pour parler au nom de l’opposition.

« Vous avez vu les chiffres, Henry. L’investissement sur Mars que vous proposez ne sera toujours pas rentable dans un siècle. Je vous en prie, soyez raisonnable. Oubliez cette folie. »

Henry répondit : « La raison est une chose, le flair en est une autre, Asda. Vous savez combien nous faisons d’affaires en Asie centrale. C’est l’endroit de la planète qui ressemble le plus à Mars. Les communications sont saturées là-bas. Pas un appareil qui ne sorte de nos usines. J’ai acheté en Asie centrale quand personne ne voulait y toucher. Vous devez me croire pour Mars. »

« Samsavvy est contre ce raisonnement », dit Mauree Shilverstein d’une voix sèche. Samsavvy était le supersoftputer Mk.V qui dirigeait en fait Worldsynth-Claws. « Désolée. Vous êtes brillant, mais vous savez ce que dit Samsavvy. – Elle présenta une imitation de sourire – Il dit pas question. »

Henry ouvrit les mains et joignit les doigts pour former une arche de la sagesse.

« D’accord, mais Samsavvy n’a pas mon intuition. Je suis convaincu que si nous mettons notre synthelp sur Mars dès maintenant, on peut réguler le faiseur d’atmosphère. Sous peu, disons dans un demi-siècle, Worldsynth deviendra propriétaire de l’atmosphère. C’est aussi important que de posséder Mars même. Toutes les activités humaines supposent la respiration, non ? Est-ce que vous ne pouvez pas comprendre ça ? – Il martela la table en bois garanti réellement reconstitué. – Il faut avoir du flair. J’ai bâti tout cet empire sur le flair. »

Le vieux Ainsworth Clawsinski n’avait rien dit, il se contentait de regarder Henry sans ciller. C’était lui le Claws de la société. La fiche dans son oreille droite indiquait qu’il était en contact constant avec Samsavvy. Il parlait maintenant du bout de la table.

« Va te faire foutre avec ton flair, Henry. »

Ses collègues l’encouragèrent en chœur.

« Les actionnaires se fichent des demi-siècles, Henry », dit Mauree Shilverstein. Elle s’était d’abord laissée séduire par les arguments d’Henry.

« Mars n’a aucune valeur d’investissement, c’est prouvé, poursuivit Asda Dolorosaria. Ils en sont encore au travail tibétain. C’est bon marché et extensible. Laisse tomber les autres planètes, Henry, et concentre-toi sur les deux pour cent de profit de l’année dernière sur cette planète-ci. »

Henry rougit.

« Laissez-là le passé. Vous retardez tous les trois. L’avenir, c’est Mars ! Ainsworth, avec tout le respect que je vous dois, vous êtes bien trop vieux pour pouvoir même songer à l’avenir ! Nous suspendons la réunion et nous nous retrouvons à 15 h 30. Je vous avertis : je sais ce que je fais. Je veux Mars sur un plateau. »

Il ramassa son bloc et sortit de la pièce.

 

 

David s’aperçut que Throwaway avait un atelier de réparation. Il finit par y parvenir par un labyrinthe de chemins rouillés. L’atelier était situé dans un réservoir à eau renversé dont l’entrée avait été découpée au chalumeau dans l’un des côtés. À l’intérieur de cet abri sonore travaillaient d’industrieuses petites machines qui assemblaient, cousaient et rapiéçaient. Elles récupéraient les circuits encore valides, régénéraient les moteurs, avec du vieux faisaient du moins vieux, et avec de l’antique du vieux.

Là, on répara le visage cassé de David.

C’est là aussi qu’il fit la rencontre des Dancing Devlins. L’homme Devlin avait eu une articulation déplacée à la jambe. La société de consommation l’avait rejeté. En plus, ils s’étaient démodés, lui et sa partenaire, avec leur danse rapide. Ils avaient gagné moins d’argent. Ils ne valaient plus rien.

On avait remplacé l’articulation, rechargé les piles.

À présent, M. Devlin pouvait à nouveau danser avec Mme Devlin. Ils prirent David avec eux dans leur petit taudis. Ils y donnaient leur spectacle encore et encore. David les regardait sans se lasser. Il ne se fatiguait jamais de la routine.

« N’est-ce pas que nous sommes merveilleux, mon cher ? » demandait Mme Devlin.

« J’aimerais encore plus si Teddy était avec moi pour regarder. »

« Nous dansons de la même manière, avec ou sans Teddy. »

« Mais vous ne comprenez pas… »

« Je comprends que notre danse est belle avec ou sans spectateur. Avant, des centaines de gens nous regardaient danser. Mais c’était différent alors. »

« C’est différent maintenant », dit David.

 

Le sable était mou sous ses pieds. Henry Swinton retira son survêtement et l’abandonna sur la plage. Il marcha au bord de l’océan. Il était désespéré. Il était tombé d’un grand piédestal.

Après le triste résultat de la réunion du matin, il était allé au bar des résidents prendre une vodka-lait, la boisson de l’année. « Lait-vodka doux comme la soie ». Ses associés l’évitaient. Il avait alors pris l’ascenseur jusqu’à son appartement privé sous les toits.

Peaches avait disparu. Ses bagages avaient disparu.

Son parfum flottait, l’air conditionné ne l’avait pas encore balayé. Elle avait marqué au rouge à lèvres sur le miroir : « Lis ton Ambient ! ! ! Désolée et au revoir ! ! ! »

« Elle est drôle », pensa Henry tout haut. Il savait que ce n’était pas vrai. Peaches n’était jamais drôle.

L’Ambient était déjà sur la chaîne privée de Worldsynth. Henry alla jusqu’au globe et alluma.

 

Message à Henry Swinton. Votre spéculation sur Mars est inacceptable pour les actionnaires. Vos projets ne cadrent pas avec nos plans.

Acceptez, s’il vous plaît, nos remerciements et votre mise à pied immédiate. Ouverts à la négociation sur conditions de départ si pas de contre-indication. Voir contrat de travail 21066A clauses 16-21. Adieu.

L’océan qui semblait si brillant et si clair depuis l’hôtel charriait des bouteilles en plastique sur le rivage ainsi que des poissons morts. Henry finit par se laisser tomber sur le sable, épuisé. Il avait pris du poids récemment malgré son Crosswell et avait perdu l’habitude de marcher.

Il n’y avait jamais eu de mouettes sur cette île. Les hirondelles abondaient. Les oiseaux faisaient des cercles autour de lui, et piquaient parfois sur un insecte en vol. Une fois l’insecte pris, l’oiseau retournait vers les gouttières de l’hôtel nourrir ses petits qui piaillaient dans leur nid. Puis il revenait et tournoyait au-dessus de la pourriture, là où l’océan rencontrait la rive. Il ne semblait pas y avoir de repos pour les oiseaux.

De l’endroit où se trouvait Henry, en contrebas, l’hôtel avait l’air élancé. Il était bâti sur le sable. Lentement, un côté s’enfonçait. Il avait l’air d’un grand bateau de béton en difficulté dans une mer sépia.

Il fut prit d’une bouffée de haine pour tous les gens qu’il connaissait, tous ceux qui avaient croisé son chemin depuis le début. Le faible bruit des bouteilles se cognant les unes aux autres faisaient un accompagnement à sa colère.

Il envisagea de tuer Ainsworth Clawsinski, qui était depuis quelque temps son adversaire au conseil. Il s’en prit un moment à lui-même.

« Mais qu’est-ce que j’ai fait ? Quel homme ai-je été ? Qu’est-ce que j’avais dans la tête ? Un grand succès ! Un succès vide… Oui, vide. Je n’ai fait que vendre des choses. Je ne suis qu’un commerçant, rien de plus. Ou plutôt, j’étais un commerçant. J’achetais et je vendais. Mon Dieu, et moi qui voulais acheter Mars. Une planète entière… J’étais fou d’avidité. Je suis fou, mortellement malade. Qu’ai-je jamais aimé ?

« Je n’ai jamais rien créé. Je croyais que j’étais créatif. Je croyais que j’étais un scientifique. J’étais juste un trou du cul. Qu’est-ce que je comprends vraiment à tous ces trucs que je vends… Oh mon Dieu, je suis nul, désespérément nul. Et là, j’ai été trop loin. Pourquoi n’ai-je rien vu ? Pourquoi ai-je négligé Monica ? Monica, ma chérie… Monica, je t’aime. Et je t’ai refilé une poupée comme enfant. Deux même. David et Teddy.

« Au moins David t’aimait. David. Pauvre petit jouet, ta seule consolation.

« Mon Dieu, qu’est-ce qui est arrivé à David ? Peut-être… »

Les hirondelles criaient au-dessus de sa tête.

 

 

Un camion municipal pénétra doucement dans Throwaway Town par la grande route. Une fois les portes franchies, il tourna son nez massif à gauche et entra dans ce qu’on appelait Dump Place, la Déchetterie.

Des automates commencèrent à basculer la plate-forme arrière. Il en glissa une quantité de robots obsolètes qui avaient longtemps servi à faire les travaux dans le métro. Ils s’écrasèrent par terre. Le camion balança à la ferraille le dernier robot qui cogna contre l’arrière du camion.

Un ou deux de ces robots s’étaient brisés dans la chute. L’un, qui était tombé sur le ventre, agita désespérément les bras jusqu’à ce qu’une autre machine l’aide à se relever. Ils se sauvèrent tous les deux dans les profondeurs des bas-côtés rouillés.

David se précipita pour voir l’agitation. Les Dancing Devlins cessèrent de danser pour le suivre.

Les robots nouvellement arrivés partirent et il n’en resta qu’un seul. Il était assis dans la boue et bougeait les bras d’arrière en avant selon un programme prédéterminé.

« Je fonctionne toujours, non ? N’est-ce pas que je fonctionne toujours ?

« Je peux fonctionner dans le noir, mais ma lampe est cassée. Ma lampe ne marchera plus. J’ai cogné ma lampe sur une poutre au-dessus de moi. Il y avait une poutre au-dessus de ma tête. J’ai cogné ma lampe dessus. L’ordinateur-chef m’a envoyé ici. Je fonctionne toujours. »

« Qu’est-ce que tu faisais ? Tu étais dans le métro ? »

« Je travaillais. Je travaillais bien depuis que j’avais été construit. Je fonctionne encore. »

« Je n’ai jamais travaillé. Je jouais avec Teddy. Teddy était mon ami. »

« As-tu des instructions ? Je travaille encore, n’est-ce pas ? »

Tandis que cette conversation se déroulait, une limousine noire brillante entrait dans Throwaway. Un homme était assis à l’avant. Il baissa la vitre, sortit la tête et demanda quelque chose.

Il disait : « David, c’est toi David Swinton ? »

David s’approcha de la voiture. « Papa, oh papa, est-ce que tu es vraiment venu me chercher ? Je ne suis pas vraiment chez moi ici à Throwaway. »

« Monte, David. On va te faire beau pour Monica. »

David regarda autour de lui. Les Dancing Devlins étaient tout près. Ils ne dansaient pas. David leur dit au revoir. Ils n’avaient jamais été programmés pour dire au revoir. Ce n’était pas tout à fait la même chose que de saluer.

Quand David monta dans la voiture de son père, ils se mirent à danser. Ils dansaient leur danse préférée. C’était la danse qu’ils avaient déjà dansée une centaine de milliers de fois.

 

Henry Swinton n’était plus riche. Il n’avait plus de carrière. Il n’était plus entouré de femmes. Il n’avait plus d’ambition.

Mais il avait du temps.

Il s’installa dans un appartement bon marché sur Riverside et parla à David. L’appartement était vieux et usé. Un des murs souffrait de bégaiement. Il donnait parfois une vision fausse de la rivière, où l’eau était bleue et où de vieux bateaux à vapeur à roues, ornés de drapeaux, faisaient la navette. Parfois il montrait une publicité pour Preservanex, où un couple d’une petite centaine d’années effectuait en chancelant des mouvements de copulation.

« Comment est-il possible que je ne sois pas humain, papa ? Je ne suis pas comme les Dancing Devlins ou les autres gens que j’ai rencontrés à Throwaway. Je suis gai ou triste. J’aime les gens. Par conséquent, je suis humain. Tu ne crois pas ? »

« Tu ne peux pas comprendre mais je suis un homme brisé, David. J’ai raté ma vie. Comme les autres. »

« Ma vie était bien quand on vivait dans cette maison avec maman. »

« J’ai dit que tu ne pourrais pas comprendre. »

« Mais si je comprends, papa. Est-ce qu’on ne peut pas y retourner ? »

Henry regarda tristement le petit garçon de cinq ans qui lui faisait face, avec un demi-sourire sur son visage balafré. « On ne peut jamais revenir en arrière. »

« On peut revenir dans la voiture. »

Henry prit le garçon dans ses bras et le serra contre lui. « David, tu es un des premiers produits de ma première entreprise, Synthank. Tu es dépassé depuis longtemps. Tu sais seulement penser que tu es gai ou triste. Tu sais seulement penser que tu aimais Teddy ou Monica. »

« Est-ce que tu aimais Monica, papa ? »

Il soupira profondément. « Je pensais que oui. »

 

Henry mit David dans l’auto, en lui disant que son obsession d’être humain passerait pour une névrose chez les humains. Il y avait des humains dont la maladie consistait à penser qu’ils étaient des machines.

« Je te montrerai. »

Il ne restait presque rien de la carrière en ruines d’Henry Swinton. Une chose cependant demeurait, quelque part dans un faubourg délaissé entre la ville et la campagne, l’unité de production de Synthank, la première société d’Henry qui n’avait pas été engloutie dans ses rêves toujours plus grandioses.

Il avait conservé le contrôle financier de Synthank. Et sa production continuait. Elle se poursuivait à un très bas niveau, sous la surveillance d’un vieil ami humain d’Henry, Ivan Shiggle. Shiggle exportait les produits de Synthank dans les pays sous-développés où, malgré leur simplicité, on les accueillait avec joie comme une aide supplémentaire.

« Nous pourrions y mettre de meilleurs cerveaux. Ils seraient alors plus à la page. Mais pourquoi de nouvelles dépenses ? » dit Henry en tournant avec David dans la cour.

« Ils pourraient être contents d’avoir de meilleurs cerveaux », suggéra David. Henry se contenta de rire.

Shiggle sortit à leur rencontre. Tout en saluant Henry, il regardait David. « Un modèle ancien, remarqua-t-il. Qu’en pense Monica ? »

Henry mit un moment à répondre. En pénétrant dans le bâtiment, il dit : « Tu sais, Monica était plutôt froide. »

Shiggle lui lança un regard compréhensif et dit : « Mais tu l’as épousée ? Tu l’aimais ? » Les lumières s’allumaient à mesure qu’ils avançaient dans le couloir et passaient par une porte battante en verre. David suivait gentiment.

« Oh oui, j’aimais Monica. Pas assez bien. Peut-être qu’elle ne m’aimait pas assez bien non plus. Je ne sais pas. Mon ambition m’absorbait, elle a dû trouver que j’étais difficile à vivre. Maintenant elle est morte, par ma négligence. Ma vie est un vrai gâchis, Ivan. »

« Tu n’es pas le seul. Qu’est-ce que j’ai fait de ma vie ? Je me pose souvent la question. »

Henry tapa sur l’épaule de son ami. « Tu as été un ami précieux pour moi. Tu ne m’as jamais trompé ni trahi. »

« On a encore le temps », dit Shiggle et les deux hommes rirent.

Ils avaient atteint l’étage de la production, là où les objets attendent d’être empaquetés et exportés. David s’approcha, les yeux écarquillés.

Il avait devant lui des centaines de David. Tous pareils. Tous habillés pareil. Tous alertes et identiques. Tous silencieux, le regard levé. Un millier de répliques de lui-même. Non vivants.

Pour la première fois David comprit vraiment.

Il voyait ce qu’il était. Un produit. Rien qu’un produit. Il resta bouche bée. Il était glacé. Il ne pouvait plus bouger. À l’intérieur de lui, le gyroscope s’arrêta. Il s’effondra sur le dos.

 

Le lendemain après-midi, Shiggle et Henry étaient en bras de chemise. Ils se sourirent et se serrèrent la main.

« Je sais encore travailler, Ivan ! C’est génial ! Il y a peut-être encore un espoir pour moi. »

« Tu peux travailler ici. On s’entendra bien tous les deux. À condition que le cerveau neural marche pour ton fils. »

David était étendu sur un banc entre eux deux, encore sous connexion, en attendant de renaître. On lui avait donné des vêtements neufs du stock, son visage avait été habilement remodelé. Et on lui avait posé le dernier modèle de cerveau, chargé de son ancienne mémoire.

Il avait été mort. On allait voir à présent s’il pouvait se remettre à vivre et disposer d’un cerveau aux pouvoirs beaucoup plus variés que le précédent.

Les deux hommes cessèrent leur conversation. Ils regardèrent le corps immobile.

Henry se tourna vers la forme qui était à leurs côtés, les bras grands ouverts dans le geste éternel d’amour et de bienvenue.

« Tu es prêt, Teddy ? »

« Oui, je suis très heureux de jouer à nouveau avec David », répondit l’ours. C’était un ours qu’on avait pris dans le stock de l’unité de production et à qui on avait ajouté une mémoire. « Il m’a beaucoup manqué. David et moi, on s’amusait bien avant. »

« C’est bien. Bon, allons réveiller David à la vie. Prêts ? »

Les deux hommes hésitaient pourtant encore. Ils avaient exécuté manuellement ce qui se faisait d’habitude automatiquement.

Teddy s’épanouit. « Hourra ! Là où on habitait avant, c’était toujours l’été. Jusqu’à la fin. Là, c’est devenu l’hiver. »

« Oui, mais c’est le printemps maintenant », dit Shiggle. Henry alluma le bouton du chargeur. David reçut une secousse. Il débrancha automatiquement de la main droite le câble de raccordement. Il ouvrit les yeux.

Il s’assit. Il leva les mains vers son visage. Il avait une expression de stupéfaction. « Papa, j’ai fait un rêve étrange. Je n’ai jamais fait de rêves avant… »

« Bienvenue à nouveau parmi nous, mon chéri », dit Henry.

Il prit David dans ses bras et le souleva du banc. David et Teddy se regardèrent émerveillés. Puis ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre.

C’était presque humain.

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