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Matt la regarda, interloqué. « Ça pourrait être un accident ? »
Au moment même où il posait la question, il sut la réponse, et la formula : « Non, ce n’était pas une coïncidence.
– À moins que ce pauvre Jeremy ait vraiment eu la poisse, admit Caitlin.
– C’est juste que je me serais plutôt attendu à une vengeance virtuelle. Écraser quelqu’un avec une voiture… c’est vraiment pas cool. Il regarda Caitlin. Et plutôt radical.
– Je sais. Elle haussa les épaules. Moi aussi, je pensais qu’il aurait reçu un avertissement, une sorte de leçon…
– J’imagine que ce type n’a jamais dressé de chien », grommela Matt.
Caitlin se tourna vers lui. « Comment ça ?
– Mon oncle disait toujours ça. Si tu dresses un chiot et qu’il pisse sur le tapis, tu ne vas pas l’abattre… tu perdrais tout le bénéfice du dressage déjà effectué.
– Mais il y a d’autres chiots, rétorqua Caitlin, durement. Quatre en tout. Dont toi. Peut-être que Jeremy a cessé d’être indispensable avec l’arrivée d’un éventuel remplaçant. Ou bien… elle s’étrangla, peut-être qu’on a tous cessé d’être indispensables… »
Matt n’aimait pas du tout ça. « Quoi qu’il advienne, je suis certainement intéressé. Mais j’ai besoin d’abord de savoir ce qui s’est passé auparavant si tu veux que j’arrive à piger ce qui arrive. Qui tire les ficelles, dans cette histoire ? »
Caitlin laissa échapper un gros soupir. « D’accord, je vais tout te dire. C’est un gars qui fréquentait le lycée avec nous. Tu t’en souviens peut-être… Rob Falk. »
Matt fronça les sourcils. Il gardait l’image vague d’un grand type dégingandé, genre méga branque. Froc trop court, poches à rabats, cheveux hirsutes coiffés en pétard, toujours fourré dans ses ordinateurs. Ça faisait un bail qu’on ne l’avait pas revu. Il avait abandonné ses études ou déménagé ? Il y avait un truc… Matt essaya de rattraper un souvenir évanescent tandis que Caitlin poursuivait : « Rob était… un fondu d’informatique. Il se qualifiait lui-même de nerd à la puissance N. Mais il m’a permis de réussir à avoir mes examens d’initiation dans cette matière, alors il était bien utile. À l’époque, j’ai même cru qu’il avait le béguin pour moi. »
Elle rit, d’un rire sans humour. « Pour faire court, il est venu bidouiller mon système. Ce que j’ignorais à l’époque, c’est qu’il y avait laissé une trappe d’accès. Par la suite, peu après qu’il eut quitté Bradford, j’ai trouvé plusieurs icônes de programmes dans mon Ervé : des avatars, et un programme qui me permettait d’accéder à toutes sortes de sites par des trappes d’accès. Un jour, alors que je venais de flanquer la trouille de sa vie à une des petites connes de ma classe après avoir transformé en roman d’horreur une de ses sims gnangnan, au retour dans mon système, j’ai découvert Rob qui m’y attendait.
« Il savait que j’utilisais ses programmes, et il avait autre chose à me proposer. Elle hocha la tête. Ça paraissait tellement cool… réunir un groupe d’ados de confiance, et ensemble, aller poser des trappes dans la journée, puis revenir déguisés la nuit… Je l’ai même aidé à recruter les autres. Jeremy, il a suffi que je lui demande. Pour Luc et Serge, j’ai d’abord introduit des trappes sur leurs machines. Ils ont trouvé ça marrant. Comme moi, au début.
– C’est ensuite que ça s’est mis à changer ? »
Elle acquiesça. « Rob avait ce paquet d’outils virtuels, des trucs introuvables dans le commerce. Des avatars incroyables. Des moyens furtifs pour s’introduire dans toutes sortes de systèmes. Dont ce programme qui donnait l’impression aux gens d’avoir reçu un coup de poing virtuel. Mais il avait également des corvées à nous donner. Des sites où on devait entrer et poser des trappes. Au début, c’était facile – on pouvait remplir nos missions lors de fêtes virtuelles. Mais il devenait de plus en plus exigeant. Il nous tannait avec McArdle depuis déjà une quinzaine.
– Et le match de base-ball ?
– Ça, c’était l’idée de Jeremy. Il commençait à en avoir sa claque de se voir donner des ordres par un mec qu’il considérait comme un pauvre type. »
Il semblerait que le pauvre type a fini par l’avoir, songea Matt. Mais il n’en dit rien à Caitlin qui poursuivit.
« Le Sauvage avait toujours détesté le base-ball. Alors, il s’est dit que ce serait marrant de foutre la pagaille dans un match de première division. Rob s’est plié à son caprice pour qu’il reste coopératif, il s’est même tapé des lignes de programmation spécifiques. » Elle paraissait de plus en plus triste. « Parfois, je me dis que c’était la façon qu’avait le Sauvage de crier au secours… déclencher un grand choc dans le public pour attirer l’attention des gens. Malgré tout, par la suite, c’est là que les choses ont commencé à dégénérer. Tirer sur ces gens… ça m’a bouleversée. Mais les autres, ça n’a fait que les rendre encore plus enragés. Et puis… tu connais le reste. »
Ouais, c’est là que je suis arrivé.
« J’ai dit que j’essayerai de t’aider, dit-il lentement. Mais ce n’est pas comme si j’avais un programme déjà défini et prêt à lancer. Il va falloir qu’on trouve comment tout cela se goupille. Tu ferais bien de rester prudente. »
Caitlin parut légèrement déçue qu’il n’ait pas de solution toute prête, mais finalement, elle acquiesça. « Je suis quand même contente d’avoir trouvé quelqu’un à qui parler de tout ça. Son ton se fit insistant. Et toi aussi, sois prudent. Je n’ai pas eu de nouvelles de Rob depuis qu’il m’a envoyée dans ton système. Je n’ai aucune idée de ce qu’il te prépare…
– Sympa, grommela Matt. Allez, rentre chez toi. Si jamais j’ai trouvé quelque chose, je t’en parle demain. »
Avec un sourire de reconnaissance, Cat Corrigan regagna sa voiture.
Matt lui fit un signe de main, mais il ne souriait pas tandis qu’il regardait le roadster classique disparaître au loin. Si Cat lui avait parlé plus tôt de Rob, peut-être que Jeremy Savage serait encore en vie.
La mine sombre, Matt rentra chez lui. Sa mère sourit quand il entra. « C’est la raison pour laquelle t’as décidé de ne pas aller à ta réunion ? Elle m’a l’air d’une gentille fille. Je n’ai pas l’impression de l’avoir déjà vue… »
Matt se sentit rougir. Il avait envie de dire : « C’est la fille d’un sénateur qui a des tas d’ennuis et si elle se sert de moi, c’est uniquement parce qu’elle pense que je pourrais l’aider. »
À la place, il haussa les épaules et répondit : « C’est juste une copine de lycée. »
Sa mère acquiesça d’un air entendu : « Ouais. Et je me rappelle du temps où ton père était juste un copain de lycée. »
Matt n’avait rien à répondre, et il se rabattit donc prestement vers sa chambre. Il s’installa dans son siège d’interface mais il était toujours réticent à réintégrer son Ervé.
J’ai finalement réussi à démasquer le Génie, mais j’ai peur de le traquer avec mon ordinateur.
S’il essayait de se connecter pour en savoir plus sur Rob Falk, cela risquait de lui mettre la puce à l’oreille. Mais d’un autre côté, un détail le titillait…
Matt fit enfin claquer ses doigts. Il y avait tout un tas de fichiers récupérés du lycée l’année scolaire précédente, qui traînaient compressés et stockés quelque part sur son système, en attendant d’être classés ou effacés.
Le moment était peut-être venu de faire le tri. Il commanda à l’ordinateur d’afficher un écran holographique et entreprit de ressortir ces documents. Là, c’était son album de promotion virtuel… Même si Rob avait quitté l’établissement avant la fin de l’année scolaire, il était sur les photos de classe, prises en début d’année. Matt hocha la tête en silence, tandis qu’il zoomait sur l’image. Rob avait manifestement oublié que c’était le jour de la photo : il était encore plus hirsute que d’habitude, on voyait une tache sur son col de chemise.
Matt écarta l’image. Elle lui donnait l’allure d’un clown, alors qu’il savait que ce type était un meurtrier de sang-froid. Il ouvrit un autre fichier. Le journal du lycée. Il lui arrivait de le parcourir, mais même s’il ne le faisait pas, son terminal était programmé pour télécharger et archiver sous forme compressée le Bulletin de Bradford.
Une minute ! C’est là-dedans qu’il avait vu le nom de Rob Falk. Dans un article quelque part…
Matt ordonna à sa machine de décompresser les archives du journal et d’y rechercher le nom de Rob. Il fallut à l’ordinateur plusieurs minutes, interminables, mais elle restait malgré tout plus rapide que lui.
Une image se forma sur l’écran holographique. C’était un article concernant une cérémonie commémorative à la mémoire de Marian Falk, la mère de Rob. Elle s’était fait écraser en traversant la rue.
Matt avait souvent lu cette expression « sentir son sang se glacer ». Mais c’était la première fois qu’il l’éprouvait pour de bon. La police avait interpellé le chauffeur, qui se trouvait être un diplomate d’Europe centrale, conduisant en état d’ivresse. Toutefois, l’homme n’avait pas été inculpé, ayant fait valoir son immunité diplomatique. Il était retourné dans son pays, libre comme l’air.
C’est cela, se souvint Matt. Le père de Rob Falk était un fonctionnaire gouvernemental, travaillant au service des Douanes. Ironie du sort, sa fonction l’amenait à collaborer avec les diplomates étrangers pour s’occuper des échanges commerciaux.
Il n’y avait plus d’autres références à Rob Falk dans le journal et il savait pourquoi : M. Falk père avait eu des problèmes à son boulot après l’accident. Et la situation chez lui n’avait pas dû être gaie non plus. Le travail scolaire de Rob avait commencé à en souffrir. David Gray, qui le connaissait un peu, avait dit que Rob s’était progressivement perdu dans son ordinateur. En définitive, M. Falk avait perdu son boulot et Rob sa bourse scolaire à Bradford.
Matt éteignit l’ordinateur. Un ado qui s’était renfermé dans son univers informatique, qui avait de bonnes raisons de haïr le corps diplomatique… Et voilà qu’il refaisait surface, recrutait une bande de fils de diplomates pour commettre des forfaits… et qui peut-être en avait écrasé un, tout comme sa mère s’était fait écraser.
Dès l’instant où Matt avait promis à Cat Corrigan de l’aider, il avait su qu’il n’y aurait qu’une issue : la prendre entre quat’z’yeux le lendemain et réussir à la convaincre d’aller tout raconter à la Net Force. Peut-être qu’elle et ses copains pourraient s’en tirer sans trop de conséquences, et qu’ils pourraient aider Rob Falk.
* * *
Le lendemain au lycée, Matt intercepta David Gray avant l’heure d’études « Dis donc, t’aurais pas eu des nouvelles de Rob Falk ? »
David le regarda, haussa les sourcils. « Tiens, celui-là, j’avais plus entendu son nom depuis un bout de temps. Non, plus de nouvelles du bonhomme depuis qu’il s’est crashé en flammes. »
Matt fit la grimace et David parut embarrassé. « Bon, j’imagine que la formule était mal venue, vu ce qui est arrivé à sa mère, et tout ça…
– Tu crois que certains de ses copains auraient pu garder le contact avec lui ? »
David haussa les épaules. « On va tâcher de trouver. »
Matt s’y connaissait un peu en informatique, mais David touchait vraiment sa bille. Et certains de ses potes pouvaient être qualifiés d’ultranerds. Il le conduisit vers un groupe de types fringués n’importe comment, qui semblaient discuter dans une langue étrangère. En fait, c’était un truc qui avait trait à la logique informatique, mais Matt s’estima déjà heureux d’en saisir un mot sur cinq.
« Quelqu’un aurait entendu parler de Rob Falk ? » demanda David.
Les nerds le dévisagèrent comme s’il venait de se téléporter d’une autre planète.
« Falk, insista David. Il était au bahut, l’an dernier. Je crois même qu’il était inscrit au club d’informatique.
– Oui, oui », confirma l’un de ces futurs prix Nobel. Ses cheveux étaient une masse hirsute de boucles poil-de-carotte. « L’arrivait plus à suivre le train. Il a dû partir.
– Une histoire de famille », précisa un petit gros.
Poil-de-carotte le toisa, genre « c’est pas une excuse ». Puis il condescendit à retrouver l’ennuyeuse réalité : « Ouais, j’ai plus eu de nouvelles de lui, ni en vocal, ni en mail. »
Le regard de David se porta sur les autres qui haussèrent les épaules. « J’ai peur qu’il n’ait pas été très… lié… avec aucun de nous, concéda le petit gros.
– Il préférait rester bosser dans son coin », confirma Poil-de-carotte.
Matt n’osa pas regarder David. Entendre cette remarque d’un groupe qui ressemblait à un Club de farouches solitaires… il dut se retenir de rigoler.
***
Le reste de la journée ne fut pas drôle non plus. Une fois encore, il ne réussit pas à coincer Cat Corrigan. En fait, il ne l’aperçut qu’une fois dans les couloirs, et encore, de loin.
Alors qu’il se dirigeait vers le réfectoire, il avisa Sandy Braxton qui s’approchait en hâte et lui adressait des signes.
Mais qu’est-ce qu’il avait ce type ? se demanda Matt, irrité. Il a peur à ce point de ne pas décrocher son partiel d’histoire ?
« Eh, Matt ! T’as bien bibliothèque après cette heure de cours, hein ? »
Matt acquiesça.
« Super ! J’ai récupéré une plaque-mémoire avec la reconstitution de la charge de Pickett. Juste avec le moment où Armistead se fait blesser et ce qui se passe ensuite. »
« Super », répéta Matt. C’est le moment précis où Cat Corrigan passa près d’eux, entourée par ce qui ressemblait à une muraille impénétrable de copines.
Matt allait demander à Sandy d’aller prendre une table avec elles, dans l’espoir de glisser à Cat un billet, mais la petite bande s’éloignait déjà. « Je vais faire un saut à la salle des profs pour avoir l’autorisation de recherche du Dr Fairlie. On se retrouve à la bibliothèque. »
Haussant les épaules, vaincu, Matt alla se chercher quelque chose à manger.
* * *
De retour dans le couloir après la cantine, Matt n’aurait su dire ce qu’il venait d’ingurgiter. Sans doute un truc à base de protéines de soja, mais il semblait lui avoir laissé un arrière-goût d’huile de poisson dans la bouche.
Faudrait vraiment que je me souvienne de ce que c’était. Histoire de ne plus jamais en reprendre.
Il arriva à la bibliothèque, où Sandy Braxton l’attendait déjà, impatient. M. Petracca, le responsable, enregistra sa présence, puis Sandy se leva pour lui demander quelque chose à voix basse. M. Petracca se tourna vers sa console, activa l’holoécran, lança quelques instructions. « Oui, la requête du Dr Fairlie est bien enregistrée », confirma-t-il. Puis, glissant la main sous le bureau, il sortit une plaque-mémoire portant un gros chiffre six imprimé sur l’étiquette. « Vous pouvez utiliser le labo Six », indiqua M. Petracca.
Sandy retourna dans le couloir, suivi par un Matt un peu ébahi. Il s’était attendu à regarder la reconstitution en holo, sans doute avec une paire d’écouteurs. Mais Sandy avait trouvé moyen de goupiller une visite à l’un des labos de réalité virtuelle !
« Ces spécialistes de la reconstitution doivent avoir des paquets de fric pour fabriquer une sim de cette qualité, nota Matt.
– Rien que le top du top pour les Volontaires de Virginie, lui assura Sandy avec un sourire. Je sens que ça va être extra ! On sera au cœur de l’action ! »
Les labos d’Ervé dépendaient en fait de la bibliothèque, et ils étaient supervisés par la console de M. Petracca. Ils représentaient un gros investissement, même pour un lycée huppé comme Bradford. Des portes automatiques s’ouvrirent en chuintant quand les deux garçons se présentèrent devant le labo Six. C’était un des plus petits, équipé seulement de quatre fauteuils d’interface. Matt s’aperçut, avec un léger choc, qu’encore récemment, il s’était trouvé de l’autre côté de l’interface de ce système. Caitlin et lui avaient traversé le labo de chimie virtuel en se rendant à la conférence de presse de Sean McArdle.
Une console (de petite taille mais fort coûteuse) était disposée devant chacun des quatre fauteuils. Sandy inséra la plaque-mémoire du lycée et fit démarrer la machine en mode autonome. Puis il sortit de sa poche une autre plaque-mémoire. Celle-ci était décorée de l’ancien drapeau confédéré – l’étendard rouge frappé d’une croix de Saint-André portant les étoiles sur fond bleu.
« Tu t’attendais à quoi, venant d’une boîte appelée les Volontaires de Virginie ? s’esclaffa Sandy. Ben tiens, ils jouent une unité rebelle, c’t’idée !
– Tu vas quand même pas nous repasser toute la bataille, Sandy ? » demanda Matt alors que l’autre garçon introduisait la plaque-mémoire contenant la simulation. « La préparation d’artillerie a duré plus de deux heures. »
Signe de dénégation de Sandy. « T’inquiète. On n’a pas le temps pour ça. Je l’ai calée à partir du moment où les Confédérés se mettent à tirer au fusil et lancent la dernière charge. Il indiqua les fauteuils d’interface. Installe-toi… on y est presque. »
Matt prit un siège, Sandy l’imita. « Ordinateur, charger simulation Gettysburg, point d’entrée deux-deux-sept. »
Appuyé au dossier, Matt laissa les récepteurs s’accorder sur ses implants. Il y eut une brève sensation de vertige, mais pas aussi notable que le bourdonnement qui lui prenait la tête lorsqu’il enclenchait son unité personnelle.
C’est la marque d’un système vraiment pas donné.
Il avait entendu dire qu’avec les meilleures machines, il n’y avait même pas de seuil sensoriel. On passait d’un coup en pleine simulation.
Il ferma les yeux et se retrouva sur une colline herbeuse, le coin idéal pour un pique-nique, s’il n’y avait pas eu le barrage d’artillerie : les branches des arbres étaient arrachées. Plusieurs troncs avaient été sectionnés. Une rangée de canons démodés étaient disposés devant un mur de pierre. Plusieurs avaient été également touchés par les obus : leur lourd fût métallique avait été délogé de son affût en bois.
Matt avala sa salive en avisant les formes immobiles et ensanglantées des servants gisant près de leurs pièces détruites.
Merde, ils font pas dans la dentelle avec ces reconstitutions.
Il y avait un seul truc qui clochait dans cette image : c’était toujours une image, certes incroyablement réaliste, mais parfaitement figée. Les fantassins tapis derrière le mur de pierre étaient immobiles. Les soldats en uniforme bleu ne semblaient même pas respirer. L’herbe était absolument rigide, sans la moindre oscillation dans la brise.
« Quand tu seras prêt », lança la voix de Sandy Braxton.
Matt se retourna, et son estomac aussi.
Une large rangée d’hommes en tenues grises et brunes escaladait la colline, arrêtée à mi-pas, comme clouée sur place. Les pages qu’il avait lues assaillirent sa mémoire : la ligne de bataille avait fait quinze cents mètres de long, avec ses quinze mille hommes. Il y avait toutefois des trous dans la file : ils étaient bien moins nombreux, maintenant qu’ils avaient dû traverser sur près de huit cents mètres un ouragan de mort. Mais les survivants affichaient une résolution farouche, progressant légèrement penchés comme s’ils devaient affronter une forte brise. La plupart des hommes s’apprêtaient à mettre leur fusil en joue.
« Maintenant, je sais ce que ressent le petit canard au stand de tir, plaisanta Matt. Je crois franchement qu’on ferait mieux d’assister au spectacle de derrière la ligne des Confédérés. Il indiqua les milliers de fusils. M’est avis que l’ambiance risque de s’annoncer un rien bruyante.
– Comme tu voudras, dit Sandy, se faufilant par un trou dans la ligne. Armistead devrait se trouver par là, en tête de l’aile gauche. »
Quand ils eurent atteint ce qui leur semblait un bon point de vue, Sandy plaqua les mains contre ses oreilles et s’écria :
« Exécuter ! »
Matt s’empressa de suivre son exemple alors que la ligne confédérée prenait vie tout d’un coup, visait et tirait.
Le bruit de la fusillade n’était pas celui auquel Matt s’était attendu : au lieu d’un crépitement sec et métallique auquel l’avaient habitué les holos, ces armes émettaient un chuintement grave et sourd, qu’accompagnaient des nuages de poudre à canon grisâtre.
Leurs objectifs disparurent dans une brume de poudre, mais les troupes continuaient d’avancer tout droit.
« Sois bien attentif, à présent, avertit Sandy. Le passage qui suit, ça va faire mal ! »
Au moment même où il disait ça, un des soldats de la ligne d’attaque devant eux pivota soudain et fit tournoyer son mousquet. La crosse cueillit Sandy à la tempe. Il s’effondra comme un bœuf sous un coup de merlin.
Blessé en Ervé !
Matt se précipita vers son camarade. Mais dans le même temps, il vit trois soldats se détacher de la ligne pour converger sur eux. Chacun brandissait son fusil armé d’une baïonnette.
Reculant d’un pas, Matt fixa les longues pointes d’acier de trente centimètres qui suivaient son mouvement.
Il ne savait pas comment le Génie – Rob Falk – avait réussi à faire ça.
Mais le sujet de la simulation avait changé : de la bataille de Gettysburg, on était passé à Matt défend sa peau !