CHAPITRE XII

 

 

Armless, dit Casque d’os, courait entre les décombres. La ville fracassée, mutilée, l’emplissait d’une jubilation noire. Il sautait d’un tas de gravats à un autre battant l’air de ses moignons pour conserver son équilibre.

Il courait à la suite des gargouilles, il s’engouffrait dans la tranchée rougeoyante ouverte par les animaux, comme on se rue sur les pas d’un saint. Le sang battait à ses tempes, irriguant d’un flot bouillonnant son cerveau prisonnier de la coupelle de corne recouvrant son crâne.

A plusieurs reprises, et sans réelle nécessité, il avait attaqué des soldats ou des policiers, leur fracassant le visage d’un « coup de boule » bien appliqué. Depuis le début de la catastrophe il se sentait complice des monstres en maraude. Il ne désirait plus qu’une chose : les suivre dans leur trajet de destruction, évoluer dans le paysage de carnage qu’ils laissaient derrière eux au fur et à mesure de leurs déplacements.

Il se sentait aspiré, capté, satellisé, pas ces astres noirs et liquidateurs. Les bêtes jaillies des entrailles de la terre punissaient la cité et dévoraient les faibles. Elles inauguraient l’ère des prédateurs. Il se sentait de leur race, de leur clan. Il allait les suivre pas à pas, comme un disciple. Il achèverait les blessés, barrerait la route aux fuyards. Il passerait sur le champ de bataille pour terminer le travail, pour fignoler les exécutions.

Il bondissait, noirci par la fumée des explosions, les vêtements brûlés, à demi nu et ricanant. Ceux qui l’apercevaient s’enfuyaient aussitôt. Il les poursuivait pour leur briser les os de la face d’un seul coup de tête. Il était heureux, il n’était plus seul. Désormais il chasserait avec la meute, poisson-pilote d’une horde surgie des enfers. Peu à peu les gargouilles apprendraient à le connaître, à l’apprécier. Il deviendrait leur complice. Leur compagnon de carnage. Il galopait dans la nuit qui pâlissait, riant dans la fumée des incendies.