Chapitre dix

 

 

Gaithersburg, Maryland


C'ÉTAIT une maison de style ranch, de plain-pied, banale, que seuls les buissons de houx soigneusement taillés poussant autour de ses fondations distinguaient des habitations voisines, douves de verdure aux feuilles épineuses, même en hiver. Ce n'était pas vraiment le genre d'endroit que l'on choisirait pour trouver refuge, mais Ambler devait s'en assurer.

Il sonna à la porte et attendit. Elle n'était peut-être même pas chez elle.

Il entendit des bruits de pas, et une autre question prit forme dans son esprit : serait-elle seule ? Il n'y avait qu'une seule voiture dans le garage, une vieille Corolla, et aucune dans l'allée. Il n'avait entendu aucun bruit de cohabitation. Mais cela ne prouvait rien.

La porte d'entrée s'entrebâilla de quelques centimètres, une chaîne tirée dans l'ouverture.

Une paire d'yeux croisèrent les siens et s'agrandirent.

« S'il vous plaît, ne me faites pas de mal », souffla Laurel Holland d'une voix calme, mais apeurée. « Je vous en prie, allez-vous-en. »

Et l'infirmière qui avait aidé Ambler à s'échapper de Parrish Island lui claqua la porte au nez.

Il s'attendait à l'entendre courir, composer un numéro. La porte était en aggloméré bon marché peint en marron avec des placards collés. La chaîne de sûreté était une plaisanterie. Un coup d'épaule, et elle casserait net. Mais ce n'était pas une solution. Ambler n'avait qu'une chance ; il ne fallait pas la gâcher.

Elle s'était éloignée de la porte, mais il sentait qu'elle n'était pas loin, comme paralysée par l'incertitude.

Il sonna une nouvelle fois. « Laurel », dit-il.

La maison était plongée dans le silence, la jeune femme écoutait. Ses prochaines paroles seraient décisives.

« Laurel, je vais m'en aller si c'est ce que vous voulez. Je vais m'en aller, et vous ne me verrez jamais plus. Je vous le promets. Vous m'avez sauvé la vie, Laurel. Vous avez su voir ce que personne n'a vu. Vous avez eu le courage de m'écouter, de risquer votre carrière... de faire ce que personne n'a fait. Et je ne l'oublierai jamais. » Il s'interrompit un bref instant. « Mais j'ai besoin de vous, Laurel. J'ai encore besoin de votre aide. » Il attendit quelques longues secondes. « Pardonnez-moi, Laurel. Je ne vous embêterai plus. »

Il se détourna de la porte, découragé, et descendit les deux marches de la véranda en scrutant la rue. Il semblait impossible qu'il ait pu être suivi, car il n'y avait aucune raison de croire qu'il rendrait visite à un membre du personnel de Parrish Island, mais il voulait s'en assurer encore une fois. Il avait fait le trajet de New York en utilisant un taxi et deux voitures de location, et, pendant tout le voyage, il n'avait eu de cesse de surveiller la circulation. Il avait soigneusement exploré le lotissement où elle vivait avant de faire son approche. Et il n'y avait rien remarqué d'anormal. C'était le milieu de l'après-midi, la rue était pratiquement déserte. Quelques voitures de gens qui, comme Laurel Holland, travaillaient de très bonne heure le matin et étaient chez eux, attendant que leurs enfants reviennent de l'école. Des échos de jeux télévisés parvenaient de certaines fenêtres ; ailleurs, on entendait des radios passer du soft rock pendant que des femmes au foyer — une espèce résistante malgré les communiqués pronostiquant leur extinction prochaine — repassaient ou vaporisaient de l'encaustique sur des meubles préfabriqués.

Il entendit la porte s'ouvrir derrière lui avant qu'il n'ait atteint l'allée. Il se retourna.

Laurel Holland secouait la tête d'un air contrit. « Dépêchez-vous d'entrer avant que je revienne à la raison. »

Sans un mot, Ambler pénétra dans le modeste foyer et regarda autour de lui. Rideaux en dentelle. Un tapis d'importation bon marché sur un parquet flottant en chêne. Un canapé ordinaire, mais recouvert d'un intéressant tissu oriental brodé. La cuisine n'avait pas été changée depuis la construction de la maison. Comptoirs en linoléum, électroménager jaune safran ; une sorte de vinyle arlequin au sol.

Laurel Holland avait l'air effrayée, en colère contre lui mais plus encore contre elle-même. Elle était belle aussi. Sur Parrish Island, c'était l'infirmière brusque et jolie ; chez elle, les cheveux dénoués, en pull et en jean, elle était plus que jolie. Elle était ravissante, élégante même, ses traits forts adoucis par ses boucles auburn ; elle se mouvait avec une grâce naturelle. Sous son pull ample, elle était ferme, douce et souple. Elle avait la taille fine, et pourtant la rondeur de ses seins avait quelque chose de presque maternel. S'avisant qu'il la fixait, Ambler détourna le regard.

Il eut un coup au cœur en apercevant un petit revolver — un Smith & Wesson 22 — accroché au mur près de l'étagère à épices. Sa présence était lourde de sens. Que Laurel Holland ne s'en soit pas approchée plus significatif encore.

« Que faites-vous là ? demanda-t-elle en posant sur lui un regard blessé. Vous vous rendez compte de ce qui pourrait m'arriver ?

— Laurel...

— Si vous avez de la reconnaissance pour moi, sortez ! Laissez-moi tranquille. »

Ambler tressaillit, comme si on l'avait giflé, et inclina la tête. « Je vais partir, dit-il d'une voix mourante.

— Non, dit-elle. Je ne veux pas... je ne sais pas ce que je veux. » Il y avait de l'angoisse dans sa voix, de la gêne aussi, parce qu'il en était témoin.

« Vous avez eu des embêtements à cause de moi, c'est ça ? A cause de ce que vous avez fait. Je veux vous remercier et vous dire que je suis désolé. »

Distraitement, elle passa une main nerveuse dans ses cheveux soyeux. « La carte magnétique ? Ce n'était pas la mienne, en fait. L'infirmière de nuit laisse toujours la sienne dans le tiroir de la pharmacie.

— Ils en ont donc déduit que je m'étais débrouillé pour la lui subtiliser.

— Tout juste. La vidéo ne laisse guère de doute, enfin, c'est ce qu'ils croient. Tout le monde a eu droit à un blâme, et ça a été fini, à part pour les deux types en arrêt maladie. Donc, vous êtes parti. Et vous voilà de retour.

— Pas vraiment de retour, corrigea Ambler.

— Ils nous ont dit que vous étiez dangereux. Psychotique. »

Le regard d'Ambler effleura le revolver fixé au mur. Pourquoi ne l'avait-elle pas saisi, pourquoi ne s'était-elle pas armée ? Il n'était pas certain que ce soit elle qui l'ait mis là. Quelqu'un avait dû s'en charger. Un mari, un petit ami. Ce n'était pas une arme d'homme. Mais c'était l'arme qu'un homme se serait procurée pour une femme. Un certain type d'homme, en tout cas.

« Ils vous ont dit ces choses, et vous ne les avez pas crues, poursuivit Ambler. Autrement vous n'auriez pas laissé entrer le dangereux psychopathe chez vous. Surtout que vous vivez seule.

— Ne le dites pas si vite.

— Vous viviez avec quelqu'un. Parlez-moi de votre ex.

— Vous qui semblez en savoir tant, allez-y !

— C'est, ou c'était, un double ex. Un ex pour vous et un ancien de l'armée. »

Elle acquiesça de la tête, légèrement interloquée.

« Un ancien combattant, en fait. »

Elle hocha de nouveau la tête, son visage commençant à pâlir.

« Peut-être un peu parano sur les bords, précisa Ambler en inclinant la tête vers le pistolet. Examinons les choses par le menu. Vous êtes une infirmière psychiatrique, dans un établissement sécurisé appartenant au complexe Walter Reed. Pourquoi cela ? Peut-être parce que votre homme est rentré au pays après une période de service — Somalie, Tempête du Désert ? — un peu perturbé.

— Syndrome de stress post-traumatique, confirma-t-elle d'une voix douce.

— Alors, vous avez essayé de le soigner, de le reconstruire.

— J'ai essayé, dit-elle avec un tremblement dans la voix.

— Et vous avez échoué, continua Ambler. Et ce n'est pas faute d'avoir ménagé vos efforts. Alors vous faites des études, peut-être dans une des écoles professionnelles de l'armée, et ils vous poussent à vous spécialiser, et vous vous lancez à fond dans le sujet, et comme vous êtes intelligente, vous réussissez. Infirmière psychiatrique, formation militaire. Walter Reed. Parrish Island.

— Vous êtes bon, fit-elle d'un ton brusque, piquée au vif d'avoir été réduite à une étude de cas.

— C'est vous qui êtes bonne... et c'est ce qui vous a mis dans le pétrin. Une bonne action ne reste jamais impunie, comme on dit.

— C'est pour cela que vous êtes ici ? dit-elle en se raidissant. Pour veiller à l'exécution du châtiment ?

— Mon Dieu, non !

— Alors, qu'est-ce qui vous prend de venir...

— Parce que... » Des pensées tourbillonnaient dans sa tête. « Peut-être parce que j'ai peur d'être fou. Et parce que vous êtes la seule personne que je connaisse qui a l'air de croire que je ne le suis pas. »

Laurel secoua lentement la tête, mais il voyait bien que la peur commençait à la quitter. « Vous voulez que je vous dise que vous n'êtes pas psychotique ? Je ne crois pas que vous le soyez. Mais mon avis ne vaut pas un clou.

— Pour moi, si.

— Café ?

— Si vous en faites.

— De l'instantané, ça ira ?

— Vous n'avez rien de plus rapide ? »

Elle le dévisagea longuement, calmement. Une fois encore, on aurait dit qu'elle voyait à travers lui, jusqu'au noyau dur de son individualité, celle d'un homme foncièrement sain d'esprit.

Ils s'assirent ensemble, en buvant leur café, et, d'un coup, il sut exactement pourquoi il était venu. Il y avait une chaleur et une humanité chez elle dont il avait désespérément besoin à cet instant précis, comme un besoin d'oxygène. L'exposé d'Osiris sur le recouvrement mémoriel — l'arsenal des techniques de contrôle mental — avait été particulièrement éprouvant ; comme si le sol s'était dérobé sous ses pieds. Le spectacle de sa mort violente, pénible, lui aussi, n'avait fait qu'ajouter à l'autorité de sa voix.

Alors que d'autres, semblait-il, cherchaient à le recruter, Laurel Holland était la seule personne au monde qui, quelles qu'en soient les raisons, croyait en lui, comme il voulait croire en lui-même. L'ironie de la situation était douloureuse : une infirmière psychiatrique, qui l'avait vu au plus bas, était la seule à pouvoir témoigner de sa santé mentale.

« Je vous vois, dit-elle lentement, et c'est comme de me voir. Je sais que tout nous oppose. » Elle ferma les yeux un instant. « Mais il y a quelque chose que nous avons en commun. Je ne sais pas quoi.

— Vous êtes mon port dans la tempête.

— Je pense parfois que les ports accueillent les tempêtes.

— Nécessité fait loi ?

— Quelque chose comme ça. A propos, c'était Tempête du Désert.

— Votre ex.

— Ex-mari. Ex-Marine. C'est une sorte d'identité en soi, d'être un ex-Marine. Ça ne vous quitte jamais vraiment. Ce qui lui est arrivé pendant Tempête du Désert ne l'a jamais quitté non plus. Alors, qu'est-ce qu'il faut en conclure ? Que je suis juste attirée par les ennuis ?

— Il n'était pas malade quand vous vous êtes rencontrés ?

— Non, pas à l'époque. C'était il y a longtemps. Mais il a été envoyé à l'étranger, a enchaîné deux périodes de service, et il en est revenu changé.

— Et pas dans le bon sens.

— Il s'est mis à boire, beaucoup. Il a commencé à me battre, un peu.

— Un peu, c'est déjà trop.

— J'ai continué à essayer de maintenir le contact, comme si à l'intérieur de lui il y avait un petit garçon brisé que je pourrais guérir pour peu que j'arrive à l'aimer suffisamment. Je l'ai aimé. Et lui aussi. Le problème, c'est qu'il voulait me protéger. Il est devenu parano, s'est mis à voir des ennemis partout. Mais il avait peur pour moi, pas seulement pour lui. La seule chose qui ne lui soit jamais passée par la tête, c'est que pour moi, c'était de lui qu'il fallait avoir peur. Cette arme sur le mur, c'est lui qui l'a mise là pour moi, il a insisté pour que j'apprenne à m'en servir. La plupart du temps, j'oublie qu'elle est là. Mais il m'arrive de penser à m'en servir pour me protéger...

— ... de lui. »

Elle ferma les yeux, hocha la tête, embarrassée. Elle resta silencieuse un moment. « Vous devriez me terrifier. Je ne sais pas pourquoi je ne le suis pas. Ça me fait presque peur de ne pas avoir peur de vous.

— Vous êtes comme moi. Vous marchez à l'instinct. »

Elle désigna la pièce d'un geste. « Voyez où ça m'a menée.

— Vous êtes quelqu'un de bien », assura Ambler simplement. Sans réfléchir, il tendit le bras et posa une main sur les siennes.

« C'est ce que vous dit votre instinct.

— Oui. »

La jeune femme aux yeux noisette pailletés de vert se contenta de secouer la tête. « Alors, dites-moi, est-ce que vous aussi vous avez un vétéran traumatisé dans votre passé ?

— Mon style de vie ne prédisposait pas aux relations sérieuses. Ni aux relations superficielles, d'ailleurs. Difficile de faire durer une relation quand vous disparaissez sept mois au Sri Lanka, à Madagascar, en Tchétchénie, ou en Bosnie. Difficile d'avoir des amis dans le civil quand vous savez que vous les condamnez à une intensive période de surveillance. C'est le protocole, et quand vous faites partie d'un programme d'accès spécial, un contact civil est soit quelqu'un que vous utilisez, soit, c'est à craindre, quelqu'un qui vous utilise. C'est une vie agréable pour un solitaire. Une vie agréable si vous vous accommodez de relations assorties d'une date de péremption, comme un carton de lait. Ça a été un sacrifice. Un gros sacrifice. Mais c'était censé vous rendre moins vulnérable.

— Et ça a marché ?

— J'en suis venu à penser que ça a eu l'effet inverse.

— Je ne sais pas, commenta Laurel, ses cheveux ondulés brillaient sous les plafonniers encastrés. Avec la chance que j'ai, j'aurais mieux fait de rester toujours seule. »

Ambler haussa les épaules. « Je sais ce que c'est de voir quelqu'un changer. J'avais un père qui buvait. Il tenait vraiment bien... en général.

— Il était violent ?

— A la fin de la journée, la plupart le sont.

— Il vous battait ?

— Pas beaucoup.

— Pas beaucoup, c'est déjà trop. »

Ambler détourna le regard. « Je suis devenu doué pour interpréter ses humeurs. Avec les alcooliques, c'est périlleux, ils sont très versatiles. Légers, rieurs, et tout à coup, paf, main ouverte ou poing fermé, ça dépend, et le visage devient une grimace haineuse.

— Mon Dieu.

— Il était toujours désolé après coup. Vraiment, vraiment désolé. Vous savez ce que c'est — le type promet qu'il va changer cette fois, et vous, vous le croyez parce que vous avez envie de le croire. »

Elle hocha la tête. « Vous êtes obligé de le croire. Comme vous croyez que la pluie finira par s'arrêter. Voilà qui s'appelle avoir de l'instinct !

— J'appellerais ça de l'aveuglement. Le fait d'ignorer son instinct. Voyez-vous, si vous êtes ce petit garçon, vous devenez vraiment doué pour scruter le visage de votre paternel. Vous apprenez à reconnaître quand il est de mauvais poil, mais seulement parce qu'il culpabilise. Alors vous lui demandez si vous pouvez avoir votre argent de poche, s'il peut vous acheter une nouvelle figurine, et il vous regarde comme si vous lui rendiez un service. Il vous tend un billet de cinq dollars, de dix peut-être, et vous dit “Fais-toi plaisir”. Que vous êtes un gentil gamin. D'autres fois, il a l'air d'humeur légère, heureux, et vous le regardez en louchant et soudain, les coups pleuvent, et vous êtes bon pour une dérouillée.

— Vous ne saviez donc jamais comment cela allait tourner. Il était totalement imprévisible.

— Non, justement. J'ai appris. J'ai appris à faire la différence, les subtilités. J'ai appris à distinguer les systèmes climatiques. A six ans, je connaissais ses humeurs comme je connaissais l'alphabet. Je savais quand c'était le moment de me carapater hors de sa vue. Je savais quand il était d'humeur généreuse. Je savais quand il était en colère, agressif, et quand il était passif et apitoyé sur lui-même. Je savais quand il mentait, à ma mère ou à moi.

— C'est lourd à porter pour un gosse.

— Il est parti l'année de mes sept ans.

— Ça a été un soulagement pour vous et votre mère ?

— Ça a été plus compliqué que ça. » Il s'interrompit.

Laurel se tut un moment, tandis qu'ils buvaient leur mauvais café. « Vous n'avez jamais eu d'autre métier ? A part espion, je veux dire.

— Deux ou trois jobs d'été. Serveur dans un snack de champ de foire, à l'extérieur de la ville. Je croisais les doigts pour que les clients mangent leurs travers de porc après leur tour de montagnes russes. J'étais assez doué en dessin. J'ai passé ma troisième année de fac à Paris dans le cadre d'un échange universitaire, j'ai essayé de gagner de l'argent comme artiste de rue. Vous savez, vous croquez les passants et vous essayez de leur soutirer quelques francs.

— La route vers la richesse, hein ?

— J'ai dû prendre la première sortie. Les gens étaient incroyablement vexés quand ils voyaient mes dessins.

— Ce n'était pas ressemblant ?

— Ce n'était pas ça. » Il s'interrompit. « Bon sang, ça faisait des années que je n'y avais pas pensé. J'ai mis un moment avant de comprendre où était le problème. En gros, la façon dont je voyais ces gens ne correspondait pas forcément à la façon dont ils avaient envie d'être vus. Je ne sais pas pourquoi, mais sur mon carnet de croquis ils finissaient par avoir l'air effrayés, rongés par le doute ou bien désespérés. Et c'était peut-être la vérité. Mais ce n'était pas une vérité qu'ils voulaient voir. Très souvent, ils paniquaient ou devenaient furax. Je leur donnais le croquis, et ils devenaient dingues, ils le froissaient et le déchiraient en morceaux avant de le mettre à la poubelle. Il y avait presque de la superstition là-dedans. Comme s'ils voulaient que personne d'autre ne les voie, n'entrevoie leur âme. A l'époque, comme je l'ai dit, je ne comprenais pas très bien ce qui se passait.

— Et maintenant, vous comprenez ce qui se passe ? »

Il la regarda fixement. « Vous n'avez jamais l'impression de ne pas vraiment savoir qui vous êtes ?

— Ça m'arrive tout le temps, avoua-t-elle en l'attirant avec ses yeux de lynx. Qu'est-ce qu'ils vous ont fait ? »

Il répondit avec un misérable demi-sourire. « Vous ne voulez pas le savoir.

— Qu'est-ce qu'ils vous ont fait ? » répéta-t-elle. Elle posa une main sur la sienne, la chaleur du contact sembla irradier le long de son bras.

Lentement, il se mit à lui parler de son effacement des bases de données et des archives électroniques, puis, à grands traits, ce qu'Osiris lui avait dit. Elle l'écouta d'un air pensif, son calme était contagieux.

« Vous voulez savoir ce que j'en pense ? » finit-elle par dire.

Il acquiesça d'un signe de tête.

« Je pense qu'ils ont essayé de trafiquer votre esprit quand vous étiez interné. En fait, j'en suis sûre. Médicaments, électrochocs, et Dieu sait quoi encore. Mais je ne crois pas qu'on puisse vraiment changer quelqu'un.

— Quand j'étais... interné... j'ai entendu un enregistrement, dit-il calmement. Un enregistrement de ma voix. » Il en donna une description détachée.

« Comment savez-vous que c'était vraiment vous ?

— Je le sais, c'est tout. »

Le regard de Laurel se fit tranchant comme un rasoir. « Tout ça peut s'expliquer.

— S'expliquer ? Comment ?

— J'ai suivi une UV de pharmacologie à l'école d'infirmière. Laissez-moi aller chercher mon manuel, je vais vous montrer. »

Elle revint quelques minutes plus tard avec un gros volume portant un titre en lettres gaufrées dorées sur fond bordeaux. « La psychose dont vous parliez, elle peut être d'origine médicamenteuse. » Elle tourna les pages jusqu'au chapitre consacré aux anticholinergiques. « Regardez ici, la discussion sur les symptômes du surdosage. Il est dit que les anticholinergiques peuvent induire une psychose.

— Mais je ne me rappelle rien. Je ne me rappelle pas la psychose. Je ne me rappelle pas avoir été drogué.

— Ils ont pu associer l'anticholinergique avec un autre médicament comme le Versed. » Elle feuilleta les pages en papier bible. « Écoutez ça. » Elle tapota du doigt un passage signalé par une puce. « Les médicaments comme le Versed affectent la formation de la mémoire. Il y a tout une mise en garde sur les risques d'“amnésie antérograde” — c'est-à-dire l'amnésie des événements postérieurs à l'injection. Ce que je dis, c'est qu'avec le bon cocktail médicamenteux, on a pu provoquer une crise de démence sans que vous en gardiez le souvenir. Vous avez été fou à lier pendant quelques heures... »

Ambler hocha lentement la tête. Sur sa nuque, ses cheveux se hérissèrent d'excitation.

« Et ils vous enregistrent pendant que vous êtes dans cet état, poursuivit-elle. Et vous font passe pour fou. Essayent de vous persuader que vous êtes fou. Quelles que soient leurs raison. »

Leurs raisons.

Les questions plus vastes — Qui ? Pourquoi ? — s'ouvraient comme un abîme qui détruirait ceux qui y regarderaient de trop près. Se colleter avec la question élémentaire du Quoi ? était déjà suffisamment éprouvante.

Leurs raisons.

Imputer une raison à la folie n'était un paradoxe qu'en apparence. Provoquer artificiellement la folie faisait partie des techniques perverses du contre-espionnage. Un moyen de discréditer quelqu'un. Il suffisait de faire circuler un enregistrement pour persuader les parties intéressées que le sujet était fou à lier et ainsi enterrer rapidement les enquêtes.

Cette perspective était effrayante. Mais alors pourquoi Hal Ambler se sentait-il étrangement euphorique ? Parce qu'il n'était pas seul. Parce qu'il réunissait les pièces du puzzle avec quelqu'un d'autre.

Quelqu'un qui le croyait. Qui croyait en lui. Et dont la confiance l'aidait à reprendre confiance en lui. Il était peut-être encore perdu dans un labyrinthe, mais Thésée avait trouvé son Ariane.

« Comment expliquez-vous que je ne figure pas sur les bases de données ? insista Ambler. C'est comme si je n'avais jamais existé.

— Vous savez ce dont sont capables les gens puissants. Moi aussi. J'entends des rumeurs au travail, le genre de trucs dont on n'est pas censé parler, mais dont on parle quand même. A propos de dossiers créés de toutes pièces pour des personnes n'ayant jamais existé. Il n'est pas plus difficile d'effacer le passé de quelqu'un qui, lui, a vraiment existé.

— Vous savez que ça paraît complètement dingue.

— Moins que l'autre hypothèse », répliqua Laurel avec fermeté. Il y avait de la conviction dans sa voix, une conviction qui écartait d'emblée la théorie d'Osiris. « S'ils vous enterrent dans le système psychiatrique, c'est pour décourager toute enquête fortuite. Un peu comme repousser l'échelle du pied après que vous êtes passé par la fenêtre.

— Et ce que j'ai vu dans les Sourlands ? Il n'y avait pas trace de mon chalet, rien n'indiquant qu'il ait vraiment existé.

— Et vous croyez que ce petit remaniement paysager n'est pas dans les cordes de quelqu'un capable de s'assurer le concours d'une puissante agence gouvernementale.

— Laurel, écoutez-moi, dit-il d'une voix presque brisée. Je regarde le miroir et je ne me reconnais pas. »

Elle se pencha, lui effleura la joue. « Alors ils vous ont changé.

— Comment est-ce possible ?

— Je ne suis pas chirurgien. Mais j'ai entendu parler de techniques de chirurgie plastique capables de transformer quelqu'un de manière à ce que la personne elle-même ignore qu'elle a été opérée. Je sais qu'on peut garder quelqu'un sous anesthésie pendant des semaines. Ils le font parfois pour éviter aux grands brûlés de souffrir le martyre. Aujourd'hui, il existe tout un tas de techniques chirurgicales non invasives. Ils ont pu modifier votre visage, puis vous anesthésier jusqu'à ce que vous ayez cicatrisé. Même si vous avez eu des périodes de lucidité, le Versed a pu empêcher la formation de souvenirs. Comment le sauriez-vous ?

— C'est dingue », répéta Ambler.

Elle s'approcha de lui, tout près, et posa les mains sur son visage. Elle examina la peau le long de sa mâchoire, de ses oreilles, puis tâta son cuir chevelu à la recherche de cicatrices. Elle inspecta attentivement ses paupières, ses joues, son nez. Il sentait la chaleur de son visage près du sien, puis, comme elle faisait courir ses doigts sur ses traits, quelque chose s'éveilla en lui. Mon Dieu, qu'elle était belle.

« Vous voyez quelque chose ? » demanda l'agent secret.

Laurel secoua la tête. « Je n'ai pas trouvé de cicatrices... mais ça ne veut rien dire, insista-t-elle. Il y a des techniques dont je n'ai jamais entendu parler si ça se trouve. Le scalpel peut entrer par la muqueuse nasale, l'envers des paupières, toutes sortes de voies chirurgicales possibles. Ce n'est pas mon domaine.

— Vous n'avez aucune preuve de ce que vous avancez. C'est juste une hypothèse. » Malgré cette démonstration de scepticisme, Ambler se sentit momentanément regonflé par l'assurance inébranlable de la jeune femme.

« C'est la seule explication qui tienne la route, dit-elle avec feu. C'est la seule chose qui puisse expliquer ce que vous avez subi.

— Cela suppose, bien sûr, de se fier à mon expérience... à ma mémoire. » Il se tut. « Bon sang, j'ai l'impression d'être une foutue victime.

— C'est peut-être ce qu'ils voulaient. Écoutez, les gens qui vous ont fait ça... ce ne sont pas des tendres. Ce sont des manipulateurs. Je ne pense pas qu'ils vous aient envoyé à Parrish Island parce que vous étiez faible. Ils vous y ont probablement mis parce que vous étiez trop fort. Parce que vous avez commencé à entrevoir quelque chose que vous n'étiez pas censé entrevoir.

— Vous commencez à paraître aussi dingue que moi. » Il sourit.

« Je peux vous poser une question personnelle ? demanda-t-elle, presque timidement.

— Allez-y.

— Comment vous appelez-vous ? »

Pour la première fois de la journée, il rit — un rire tonitruant monté de son ventre, de son âme. Il tendit la main, faussement cérémonieux. « Ravi de faire votre connaissance, Laurel Holland. Je m'appelle Harrison Ambler. Mais vous pouvez m'appeler Hal.

— Je préfère ça à patient n° 5312 », dit-elle. Elle enfonça les deux mains dans ses courts cheveux châtains, et, une fois encore, effleura son visage. Elle tourna sa tête d'un côté, de l'autre, comme si elle jouait avec un mannequin. Puis elle se pencha en avant, caressa sa joue.

Il mit quelques instants avant de réagir. Quand il le fit, ce fut à la façon d'un voyageur mort de soif qui arrive dans une oasis. Des deux bras, il la serra contre lui, elle était ferme et douce, elle était tout ce qu'il avait au monde et elle lui suffisait.

Quand ils se séparèrent, ils avaient tous deux des larmes dans les yeux.

« Je te crois, dit-elle d'une voix tremblante mais résolue. Je crois que tu es toi.

— Tu es peut-être la seule, dit-il doucement.

— Et tes amis ?

— Je te l'ai dit, ces vingt dernières années, j'ai plus ou moins vécu en marge. Protocole professionnel. Mes amis étaient mes collègues, et il n'y a aucun moyen de les localiser — à cet instant, ils peuvent être n'importe où à la surface du globe, ça dépend de la mission. De toute façon, entre agents, on ne se connaissait pas par nos vrais noms. C'était une règle de base.

— Oublie ça, et tes amis d'enfance, de fac ? »

Il frissonna en se rappelant brutalement son appel à Dylan Sutcliffe.

Après qu'il lui en eut fait part, la jeune femme resta un moment interdite, un moment seulement. « Peut-être qu'il nous fait un Alzheimer précoce. Peut-être qu'il a eu un accident de voiture, que ça lui a mis la tête à l'envers. Peut-être qu'il t'a toujours détesté. Ou alors il a peut-être cru que tu cherchais à lui taxer de l'argent. Qui sait ? » Elle se leva, alla chercher un crayon et une feuille de papier, et les posa devant lui. « Écris le nom des gens dont tu te souviens et qui sont susceptibles de se souvenir de toi. Un gamin qui a grandi avec toi dans ton quartier. Un coturne à la fac. Peu importe. Commence par les noms les moins courants, qu'on ne fasse pas trop de mauvaises pioches.

— Je ne sais pas du tout comment joindre ces gens maintenant.

— Écris », ordonna-t-elle d'un geste autoritaire.

Ambler s'exécuta. Une douzaine de noms au hasard — de son quartier de Camden, du lycée, de la colo, de Carlyle. Elle lui prit la feuille, et ils allèrent ensemble jusqu'à une niche près de la cuisine, où elle avait installé un ordinateur qui paraissait légèrement déglingué ; comme si elle l'avait acheté dans un surplus de l'armée.

« C'est une connexion par modem, s'excusa-t-elle, mais c'est incroyable ce qu'on peut trouver en ligne.

— Écoute, avança-t-il avec précaution. Je ne suis pas sûr que tu veuilles vraiment faire ça. » Il l'avait déjà entraînée plus loin dans son propre cauchemar qu'il n'en avait eu l'intention ; il craignait de l'impliquer davantage.

« C'est ma maison. Je fais ce que je veux. »

Comme il regardait par-dessus son épaule, elle s'assit devant l'ordinateur et saisit les noms dans un moteur de recherche de type People Finder. Cinq minutes plus tard, elle avait trouvé la moitié des douze numéros qu'elle transcrivit d'une écriture soignée.

Puis elle lui tendit le combiné d'un téléphone. « Le bonheur, c'est simple comme un coup de fil », lui dit-elle. Il y avait de la certitude dans son regard.

« Non. Pas de ton téléphone.

— C'est le prix des appels longue distance qui t'inquiète ? C'est mignon. Tu peux laisser 25 cents sur mon bureau, comme Sidney Poitier dans Devine qui vient dîner ?

— Ce n'est pas ça. » Ambler marqua une pause ; il ne voulait pas avoir l'air paranoïaque, il savait que ces précautions, une seconde nature chez les agents, pouvaient déconcerter un civil. « C'est juste que je ne suis pas absolument sûr que...

— Mon téléphone ne soit pas sur écoute ? » Cette possibilité semblait la laisser de marbre. « Est-ce qu'il y a un moyen de vérifier ?

— Pas vraiment. »

Elle secoua la tête. « Dans quel monde vis-tu ! » Il la regarda taper négligemment son nom dans le moteur de recherche. Le résultat qui s'afficha avait désormais une aura de fatalité :


VOTRE RECHERCHE — HARRISON AMBLER — NE

CORRESPOND À AUCUN DOCUMENT.


« Je vais utiliser un portable, dit Ambler en le sortant de sa poche. C'est plus sûr. » Il respira à fond et appela le premier numéro de la liste.

« Je suis bien chez Elaine Lassiter ? demanda-t-il en conservant un ton égal.

— Ma femme est décédée l'année dernière, répondit une voix murmurante.

— Je suis navré d'entendre ça », s'empressa de dire Ambler. Pour le second numéro, celui de Gregson Burns, on décrocha immédiatement.

« Je cherche un certain Gregson Burns, commença Ambler.

— Lui-même.

— Greg ! C'est Hal Ambler. Ça fait un bail, je sais...

— Si c'est du démarchage téléphonique, soyez gentil, rayez-moi de vos listes, intima une voix de ténor que l'agacement rendait nasillarde.

— Vous avez bien grandi dans Hawthorn Street, à Camden ? » insista Ambler.

Un « oui » méfiant. Une voix de femme grincheuse se fit entendre dans le fond. « C'est qui ? »

« Et vous ne vous rappelez pas Hal Ambler, votre voisin d'en face ? Ou quelqu'un s'appelant Ambler ?

— Eric Ambler, l'écrivain, j'ai entendu parler. Il est mort. N'hésitez pas à le rejoindre, parce que vous me faites perdre mon temps. » L'homme raccrocha.

Le sol sembla se dérober sous les pieds d'Ambler. Il appela rapidement le numéro suivant sur la liste. Julianne Daiches — ou Julianne Daiches Murchison, le nom qui figurait maintenant dans l'annuaire, toujours domiciliée dans le Delaware. Mais la femme qui répondait à ce nom ne manifesta aucune espèce de réaction. A la différence de Gregson Burns, elle se montra cordiale, détendue et peu méfiante, apparemment déconcertée par la confusion de son interlocuteur. « Vous n'avez pas dit que vous vous appeliez Sandler ? demanda-t-elle, s'efforçant d'être obligeante. Parce que j'ai bien connu un garçon qui s'appelait Sandler. »

Arrivé au milieu de la liste, Ambler avait du mal à déchiffrer les numéros ; son visage était couvert de sueur froide. Il fixa la liste un long moment et la froissa en boule, l'écrasant dans son poing. Peu de temps après, il tomba à genoux et ferma les yeux.

Quand il les rouvrit, il vit Laurel debout devant lui, les traits tirés.

« Tu ne vois donc pas ? Ça ne sert à rien. » Les mots sortirent d'Ambler comme un gémissement jailli du plus profond de lui-même. « Je ne peux plus faire ça.

— Laisse tomber, dit-elle. Tout le monde est dans le coup. Ou... ou je ne sais pas. Ça ne fait rien. On n'a pas besoin de s'occuper de ça tout de suite. Je n'aurais pas dû te forcer la main.

— Non. » Sa voix était voilée. « Désolé, mais je ne peux pas...

— Et tu ne le feras pas. Plus maintenant. Ne t'excuse pas. Ils n'auront pas ce plaisir.

— Ils. » Encore ce mot vide, désagréable à entendre.

« Oui, ils. Les responsables de cette foutue comédie. Tu ne vas pas leur faire ce plaisir. Ils essayent peut-être de te rendre dingue. Eh bien, on s'en tape. On ne rentre pas dans leur petit jeu. D'accord ? »

Ambler se releva en chancelant. « D'accord », dit-il d'une voix chargée d'émotion qu'il n'était plus en mesure de contrôler.

Elle le prit dans ses bras, et cette étreinte sembla lui redonner des forces.

« Écoute, on est peut-être tous une idée dans l'esprit de Dieu. J'ai eu un petit copain qui avait l'habitude de dire que notre meilleure chance d'être immortels, c'était de prendre conscience que nous n'existions pas. Bon d'accord, il était défoncé à l'époque. » Elle appuya son front contre le sien, et il devina qu'elle souriait. « Je dis simplement que nous devons parfois choisir ce que nous devons croire. Et merde, je t'ai choisi, moi. L'instinct, pas vrai ?

— Mais Laurel...

— Tais-toi, d'accord ? Je te crois, Harrison Ambler. Je te crois. »

Ce fut comme si le soleil, chaud et radieux, était soudain apparu dans la nuit.

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