Langley, Virginie
Caston scrutait d'un air maussade une liste de couvertures civiles d'agents du Département d'État.
Le problème, évidemment, c'était qu'elle ne contenait certainement pas le nom qu'il recherchait. Ce nom avait été effacé. Comment trouver quelque chose qui n'existait pas ?
Son regard dériva jusqu'au Financial Times du matin, qui reposait dans la corbeille à papier près de son bureau. Pour autant qu'il s'en souvienne, c'était la première fois qu'il faisait une erreur en remplissant sa grille de mots croisés, c'est dire à quel point il était distrait. La définition était Qui ont du mordant. Il avait écrit caustiques et il fallait qu'il l'efface ; corrosives était à l'évidence la bonne réponse. Il sortit le journal roulé de la corbeille et jeta un regard furieux à la grille. Des petites miettes de gomme étaient encore collées à la page.
Caston laissa tomber le journal, mais les rouages de son esprit commençaient à tourner. Effacer, c'était enlever quelque chose. Mais quand on faisait cela, ne finissait-on pas toujours par ajouter quelque chose ?
« Adrian ! appela-t-il.
— Maître », répondit le jeune assistant en inclinant la tête avec une ironie enjouée. Moins affectueuse, elle aurait frisé l'insubordination.
« Préparez-moi un formulaire 1133A, voulez-vous ? »
Adrian fit la moue. « C'est genre une demande pour récupérer des archives offline.
— Très bien, Adrian. » Le jeune homme avait appris ses leçons.
« Les employés détestent carrément faire ça. C'est chiant au possible. »
Ce qui expliquait certainement pourquoi ils y mettaient toujours un temps infini. Pour Adrian, Caston fut glacial : « C'est ce que dit le manuel ? »
Adrian Choi s'empourpra. « Je connais quelqu'un qui travaille là-bas.
— Et on peut savoir qui ?
— Une nana, marmonna Adrian, regrettant d'avoir ouvert la bouche.
— Une nana, vous voulez dire une jeune femme qui appartient à peu près à votre génération ?
— Je suppose, dit Adrian, les yeux baissés.
— Eh bien, Adrian, je suis vraiment très pressé pour ma demande 1133A.
— OK.
— Diriez-vous de moi que je suis un homme charmant ? »
Adrian le regarda comme une biche paralysée par la lumière des phares. « Euh, non ? » finit-il par dire, ayant manifestement réalisé qu'il ne pouvait pas dire oui et garder son sérieux.
« Exact, Adrian. Je suis content de voir que vous n'avez pas perdu le contact avec la réalité. C'est l'avantage d'être un nouveau. Quelqu'un d'ici a un jour dit de moi, à juste titre, que j'avais un “déficit de charme”, quelqu'un qui m'aimait bien en fait. Bon, j'ai des instructions très précises pour vous. Je veux que vous appeliez votre amie des Archives et — il s'éclaircit la gorge — que cette petite génisse soit prête à vous donner son pucelage. Vous pensez que c'est dans vos cordes ? »
Adrian inclina la tête l'air surpris. « Je... je crois, ouais. » Il avala sa salive : son pays le réclamait ! Avec davantage de conviction, il ajouta : « Tout à fait !
— Et occupez-vous de ma 1133A plus vite qu'aucune 1133A n'a été traitée dans l'histoire de l'Agence. » Il sourit. « Considérez ça comme un défi.
— Super », dit Adrian.
Alors Caston tendit le bras pour s'emparer du téléphone ; il fallait qu'il parle à l'ADDI. Il n'avait quitté son fauteuil depuis des heures. Mais il progressait.