CHAPITRE XXII

Ben Graymes retomba silencieusement de l’autre côté du grillage. Il resta immobile dans l’ombre, tous les sens en éveil. Les appels rauques des fauves, le jacassement insensé des oiseaux, le babil hystérique des primates se mêlaient aux hululements du vent. En fermant les yeux, il aurait pu s’imaginer au cœur de la savane africaine. Il comprenait mieux pourquoi Shadow avait élu ici son domaine.

Sitôt après la fermeture et le départ des derniers visiteurs, le zoo retrouvait ses aspects de microcosme primitif d’où l’humain était à nouveau exclu. Cette enclave étrange au cœur de la cité avait des allures de kermesse secrète d’un autre temps. L’excitation suspecte des bêtes ajoutait encore à cette curieuse impression.

Graymes remonta l’allée bordée d’épais buissons. Au sommet d’un raidillon, il distingua dans la pénombre le bâtiment oblong de l’ancien vivarium. Il avait l’apparence d’une tortue de verre engluée dans les herbes folles. Le démonologue se faufila jusqu’à l’entrée condamnée par des planches disjointes, aussi souple et rapide qu’un chat. Si ses sens ordinaires ne lui révélaient rien d’anormal, en revanche sa perception subconsciente lui soufflait de redoubler de prudence. Il n’était pas seul. Des ombres troubles dansaient dans la nuit non loin de là…

Il décida malgré tout de s’aventurer plus avant. Il n’était pas homme à reculer pour de simples pressentiments. Il écarta le panneau de bois juste assez pour y glisser sa maigre carcasse. Le relent fétide et musqué des reptiles qui avaient longtemps logé dans le bâtiment assaillit son odorat avec une insistance déplaisante. Ses yeux s’habituèrent vite à la pénombre poisseuse qui baignait la salle. Il longea sur la pointe des pieds les enclos vitrés, autrefois le repaire des grands pythons et des cobras. Quelque part résonna un bruit curieux, évoquant celui d’une râpe à bois sur un tronc mal dégrossi. Graymes se figea.

Un gémissement venait de s’élever non loin de lui.

Un gémissement humain.

Son regard fouilla les ténèbres avec avidité. Il discerna les contours de l’ancienne fosse aux sauriens. Comme il s’approchait, la puanteur reptilienne s’intensifia de façon plus insidieuse. Les raclements sourds se produisirent à nouveau. Graymes tira lentement Shör-Gavan du fourreau aménagé dans la doublure de son manteau. Il escalada le muret, pressentant confusément qu’il approchait du but. En se penchant au-dessus du sinistre enclos, il aperçut une forme pâle prostrée au sommet d’un rocher cerné de mares d’eau croupie. Elle remuait à peine.

— Chelsea… Chelsea !

Le visage livide de l’adolescente, ravagé par la peur, se tourna vers lui. Sans se soucier du risque, il se laissa tomber dans la fosse. Aussitôt, les glissements râpeux prirent une nouvelle intensité. Plus vifs. Plus proches, aussi. Graymes ne perdit pas un instant. Il courut vers le rocher. La surface des mares s’agita subitement sur son passage. Il n’eut que le temps de s’agripper à la paroi, grâce à son agilité surnaturelle. De sinistres claquements de mâchoires saluèrent sa prouesse acrobatique… Il se hissa jusqu’au sommet. Chelsea se jeta dans ses bras. Elle tremblait de tous ses membres, au bord de la crise de nerfs. Mais il sentit qu’elle n’était pas blessée, et cela le rassura. Il apposa ses mains sur son front en murmurant des paroles rassurantes dans une langue qu’elle ne comprit pas.

Tout en la consolant, il jeta un coup d’œil en bas.

De longs corps sombres cernaient à présent leur refuge, fouettant rageusement le ciment de leurs queues crénelées. Pour une raison inconnue, la fosse contenait encore des pensionnaires. Gueule béante, manifestement affamés, ils tournaient autour d’eux en attendant le moment propice, avec cette nonchalance trompeuse des grands carnassiers sûrs de leur force. Graymes émit un grognement mécontent. Il avait foncé tête baissée dans un repaire de caïmans tel que la jungle elle-même en abritait rarement. Se dégager de là ne serait pas une mince affaire. Ils avaient le temps de se faire dévorer dix fois avant d’atteindre le mur d’enceinte.

Chelsea aussi en était parfaitement consciente. Cela se lisait dans son regard épouvanté.

— N’aie pas peur, la rassura Graymes. Je vais te sortir de là.

— Il m’a prise sur son dos, balbutia-t-elle soudain d’une voix blanche. Il m’a emportée. C’était comme un grand froid. Je ne pouvais pas bouger ni crier. J’ai dormi. Je ne sais pas. J’ai pensé que je rêvais. Après, j’étais ici… J’ai peur, Ben. Je veux rentrer chez moi. Je veux !

Graymes examina les alentours, cherchant une issue praticable pour la jeune fille. Car il était hors de question de lui faire escalader la paroi. Il repéra soudain un couloir creusé dans le mur du fond, qui avait dû être utilisé en son temps par le personnel d’entretien. Mais il était présentement obturé par une herse cadenassée par des chaînes.

— On va passer, et sans tarder, décida-t-il malgré tout. Avant que Shadow et les siens ne soient de retour.

Chelsea frissonna contre lui. Tout son corps se révulsait à l’idée de devoir affronter les terribles prédateurs. Les épreuves de ces dernières heures avaient sérieusement entamé sa combativité. Graymes ne put lui en vouloir, mais il l’exhorta malgré tout :

— Il le faut, ma fille. Nous devons saisir notre chance. Les caïmans tuent plus vite que des hommes tels que Shadow. Je vais ouvrir un passage. Quand je t’appellerai, tu sauteras en bas du rocher et tu viendras vers moi… N’oublie pas ! Tu ne bouges pas d’ici avant que je te fasse signe…

Graymes avait compris qu’il devrait opérer une diversion et utiliser son corps comme bouclier pour permettre à Chelsea de se mettre en sécurité le moment venu. Il y était paré. Les détails de sa manœuvre s’étaient progressivement ajustés dans son esprit.

À présent, il n’éprouvait plus ni fatigue ni découragement. L’excitation du danger ultime faisait bouillir son sang et renaître en lui la sauvagerie et le désir de meurtre hérité de ses ascendances démoniaques. Chelsea se redressa à ses côtés, les yeux rivés par une fascination morbide aux sauriens qui se tordaient en bas. Graymes surprit son regard. Il était décidé à payer sa dette jusqu’au bout. Quoi qu’il arrive. Il assura Shör-Gavan dans sa main.

Il se détendit comme un ressort et atterrit dans le dos des caïmans. Surpris par sa manœuvre soudaine, ceux-ci firent volte-face avec un temps de retard, loin d’avoir sur la terre ferme l’agilité qui les caractérisait dans l’eau. L’épée décrivit deux éclairs glacés, feintant les monstrueuses mâchoires qui s’ouvraient sur des abysses de cruauté. Elle taillada mortellement les gorges blanches qui menaçaient au plus près. Des flots de sang et de vase inondèrent le ciment.

À cet instant précis, des flambeaux s’illuminèrent tout autour de l’étrange arène, projetant de sinistres clartés fauves. Des vapeurs blafardes tournoyèrent en lourdes volutes et vinrent cascader au fond du creuset glissant. Graymes laissa échapper une malédiction. Ces fumigènes surnaturels occultaient progressivement les reptiles à son regard.

— Bienvenue, Commandeur…, ricana quelque part la voix de Shadow. Ton éternel ennui va s’achever ici.

Graymes leva les yeux. Il ne fut qu’à demi surpris de découvrir son vieil ennemi juché au sommet du mur. En compagnie d’une poignée d’initiés, il contemplait avec une ironie affectée la terrible lutte qui se déroulait à ses pieds.

Le démonologue répondit mentalement par une obscénité. Il ne voulait pas distraire son attention. Les caïmans rampaient à nouveau dans sa direction. Il percevait clairement le raclement de leurs longs corps squameux sur le ciment et le clapotis des flaques sur leur passage, mais ne pouvait hélas discerner leurs terribles silhouettes. Cette maudite brume envahissait tout. Et rien n’était plus angoissant que de sentir une telle mort approcher sans pouvoir la contempler en face.

Quelque chose de dur lui effleura la cheville. Il n’eut que le temps de sauter de côté… Le piège mortel se referma une fois encore sur le vide… Il lança autour de lui des regards farouches songeant rétrospectivement à la facilité suspecte avec laquelle il était parvenu jusqu’ici. John Shadow lui avait tendu une embuscade. Il avait prévu le moindre de ses gestes et pouvait maintenant s’offrir le luxe de le narguer.

— Je ne les laisserai pas te déchiqueter, ricana le petit sorcier. Je veillerai à ce qu’ils gardent un peu de vie en toi. Afin que tu puisses sentir mes dents lorsque je mordrai dans ton cœur…

Graymes dut faire un effort supérieur pour ravaler sa colère et son dépit. Il ne devait laisser émerger que sa science du combat, écarter toutes les interférences susceptibles de brouiller ses facultés extra-sensorielles…

Une queue acérée gifla sa cuisse gauche, entamant cruellement ses chairs. Sous l’effet de la douleur, il mit brièvement un genou à terre, sous les murmures excités de l’assistance. Mais il se ressaisit presque aussitôt. La pression des monstres l’obligea à céder du terrain. Il heurta au passage une longue carcasse qui réagit violemment à son contact. Il manqua perdre l’équilibre, se rattrapa de peu, évitant le pire…

Tendue comme un arc prêt à rompre, Chelsea suivait l’évolution de cet étrange affrontement en mordant ses poings.

Au jugé, Graymes assena un terrible coup d’estoc sur un museau trop audacieux qu’il venait de pressentir à hauteur de sa cuisse droite. Un sifflement rageur lui apprit qu’il avait bien visé. Et d’extrême justesse…

Le rire frénétique de Shadow courut sous la voûte, amplifié par un écho lugubre.

— Tu vois, Youplé, commenta-t-il dédaigneusement, la bénédiction de la Mère ne t’est maintenant d’aucun secours. Plus rien ne te sauvera. Et pendant ce temps l’Oundni œuvre. Il accomplit l’acte rituel pour lequel je l’ai convié. Quand il en aura terminé, il me rapportera les cœurs que je désire. Des cœurs pleins d’épouvante qui deviendront des ingrédients pour de nouvelles œuvres. Avec le tien et celui de cette jeune pute… J’accomplirai des prodiges !

Ben Graymes sentit l’instant venu.

Le flux montait en lui.

Il se positionna soudain en garde haute et ferma les yeux… Attentif au moindre déplacement d’air. Comprenant que ses sens ordinaires ne lui seraient plus d’aucun secours, il avait attendu le moment propice pour déployer ses facultés subliminales. Chelsea elle-même prit conscience du changement qui s’opérait en lui, et du coup, une stupeur mêlée de fascination prit le pas sur sa terreur.

Elle le vit soudain décrire des moulinets d’une précision et d’une adresse diabolique, et au terme de chacun la lame revenait à sa position initiale, souillée de sang et de sanies jaunâtres. Dans le même temps, la brume commença de refluer, comme chassée par un coup de vent…

Et Graymes refluait de même en direction de la herse, l’écume aux lèvres, l’expression farouche d’un démon peinte sur son visage taillé à la serpe. Des exclamations de stupeur fusèrent dans les rangs de Shadow.

— Maintenant ! lança-t-il à l’adresse de Chelsea. Maintenant, viens !

L’adolescente ne marqua qu’une brève hésitation. Elle se laissa glisser à bas de son refuge et s’élança dans le couloir patiemment dégagé par son étrange compagnon. Mais elle n’avait pas fait cinq pas que la fatigue et la peur conjuguées la firent trébucher et s’étendre de tout son long. Sans prendre le temps de la moindre réflexion, Graymes fracassa encore quelques museaux dentés trop téméraires, et se fraya un passage jusqu’à elle, n’hésitant pas à piétiner les carapaces tranchantes. Il la ramassa et la jeta en travers de ses épaules, avant de battre en retraite, sa longue épée tenant à distance les sauriens hésitants. Ils feulaient toujours de rage mais n’approchaient plus. Plusieurs d’entre eux agonisaient le ventre ouvert jusqu’au gosier… C’était un argument suffisant pour les inciter à plus de prudence.

Graymes s’enfonça dans le corridor de service.

Il s’adossa à la herse, tenant les monstres sous l’empire de son regard. Ignorant les imprécations de Shadow et des siens, il abattit Shör-Gavan sur les chaînes, libérant le vantail. Il poussa un cri de triomphe et bondit dans l’escalier de pierre, Chelsea toujours nouée autour de ses épaules…

Il déboucha sur un chemin de traverse, à l’arrière du vivarium. Il pouvait entendre les séides de Shadow lancer leurs cris gutturaux dans la nuit. Un sourire carnassier se peignit sur ses lèvres. Il n’était pas disposé à se terrer sous les ordures, aujourd’hui… La confiance et la rage de vaincre l’habitaient à nouveau.

Il déposa Chelsea et l’entraîna à travers les taillis. La jeune fille semblait avoir un peu récupéré. La victoire inespérée que venait de remporter son compagnon sur le sorcier, le spectre de son cauchemar, avait comme galvanisé son énergie.

Ils foncèrent en direction de l’allée principale. Mais les acolytes de Shadow semblaient avoir percé leurs intentions. Graymes les distingua qui exécutaient un mouvement rapide pour venir leur couper la retraite. Il obliqua aussitôt sur sa droite, cherchant à jaillir hors de la tenaille humaine. Il coupa par les pelouses et se faufila au milieu des haies drues, sans prendre garde aux branches qui tailladaient sa figure au passage.

Mais il semblait bien que ses adversaires eussent déjà songé à cette alternative. Il n’avait pas plus tôt émergé en terrain découvert qu’il se heurta à deux d’entre eux tapis en embuscade. Il n’avait pas lâché son épée encore fumante du sang des sauriens et la brandit aussitôt.

La lutte fut de courte durée. Il écarta le plus proche du plat de sa lame, broyant ses côtes avec un craquement douloureux. Il saisit le second à la gorge sans lui laisser le loisir de lancer son cri de ralliement. Il le souleva de terre d’une poigne féroce et l’envoya se briser sur le tronc d’un arbre comme il eût fait d’une potiche.

Sans se donner le temps de savourer ce succès facile, il poursuivit sa route au pas de charge. Son intention était de fuir par le jardin botanique situé plus au nord, en longeant la clôture jusqu’à une trouée qui ouvrait sur l’avenue. Il remonta un chemin cimenté qui sinuait au milieu de splendides parterres floraux. Chaque foulée les rapprochait de la sortie. Chelsea se hâtait dans son sillage. La course, et sans doute aussi l’espoir qui s’était fait de nouveau jour en elle, avait rendu un peu de couleur à ses joues. Les cris rauques de leurs ennemis frustrés s’estompaient peu à peu dans la nuit. L’enceinte grillagée apparut dans la lumière crue d’un réverbère… Mais une courte silhouette noueuse éclipsait le passage vers la sortie, parée de colifichets d’ivoire et de peintures étranges…

— Pas d’issue de ce côté, Commandeur…

Ben Graymes s’arrêta aussitôt. Il poussa doucement Chelsea à l’écart, sans cesser de fixer son ennemi.

— Tu m’offres un plaisir inattendu, Shadow…

— Je savais que tu viendrais par ici. Forcément.

— Tu es un homme mort.

La voix du démonologue avait claqué comme un coup de fouet. Son ombre décharnée recouvrit son ennemi comme une main spectrale. Son regard flambait d’un désir de meurtre… Shör-Gavan luisait à son poing. Shadow parut vaciller. Il cligna des yeux. Il avait certes écarté cet adversaire de sa route, par le passé, mais alors les circonstances étaient différentes. Aujourd’hui… Aujourd’hui, ils se retrouvaient seuls. Face à face. Comme s’il avait pu suivre le cheminement de ses réflexions, Graymes murmura :

— Pas d’issue pour toi, Shadow.

Dans cet affrontement silencieux de leurs deux volontés, le sorcier cédait progressivement. La peur s’insinuait en lui. Seul son orgueil l’empêchait de se détourner pour fuir. Il faisait face, mais l’appréhension de la défaite ternissait déjà son regard. Son corps frêle fut saisi d’un frisson convulsif. Il étendit les bras, tel un vautour prêt à prendre son essor, Graymes ne commit pas l’erreur de le laisser s’installer dans une posture propice à sa magie. Il savait de quoi cet homme était capable, quel était son pouvoir.

Il fit rapidement tournoyer Shör-Gavan, traçant dans l’air une figure ésotérique, avant de la planter dans le sol devant lui, où elle brilla d’un feu étrange. Déstabilisé par la parade, Shadow secoua la tête avec un grognement d’animal furieux. Il fit un pas en arrière.

Un pas essentiel…

Il arracha soudain le collier qu’il portait au cou et le lança sur son ennemi en mâchonnant une imprécation. Graymes n’avait pas quitté des yeux ses mains décharnées. Il reprit l’épée et trancha l’objet au vol… Les deux segments verdâtres de la vipère retombèrent dans les fourrés, agités d’ultimes contorsions.

Shadow accueillit ce nouvel échec avec une exclamation consternée. Il prononça alors une incantation ténébreuse et exhiba de sa ceinture la redoutable baguette de corne humaine. Chelsea frémit. C’est avec elle qu’il avait tué la jeune métisse au cours de la cérémonie païenne, dans l’immeuble. Il la pointa brusquement en direction de son adversaire. Un chant sourd tremblait sur ses lèvres. À ce chant, Ben Graymes répliqua par un vieil enchantement, tout en effleurant la cicatrice dorée qui barrait son torse.

Shadow n’eut pas le temps de se prémunir contre le choc en retour. Il fut comme happé en arrière par une force invisible et plaqué contre le grillage. La baguette lui échappa des mains. Graymes s’en empara aussitôt et la brisa en deux sous son nez… Avant de visser la pointe de son épée contre la gorge de son ennemi vaincu.

— Tu es mort, Shadow, lui souffla-t-il au visage. Mort pour le monde.

Il se contenta de lui infliger une légère estafilade sous le menton. Un peu de sang perla. Mais Shadow poussa un hurlement effrayant, comme s’il venait d’être ouvert en deux. Il porta ses mains à sa gorge, pour tenter vainement de comprimer la blessure. Il roula des yeux révulsés par l’horreur et s’affaissa avec un soupir en griffant le sol de ses ongles. Mort.

Graymes remisa lentement sa lame dans son manteau. Un sourire glacé sur ses lèvres pâles, Chelsea s’approcha du cadavre, intimidée.

— Il est mort, vraiment ? Vous l’avez à peine touché.

— Oui. Mais durant la période où le sorcier accomplit une Œuvre de Haine, il est dit que son propre sang ne doit pas couler. Partons d’ici, nous avons encore à faire.

Il la poussa à travers l’ouverture de la clôture. Un instant plus tard, ils arpentaient le boulevard désert, en quête d’un taxi… Graymes n’avait plus qu’une seule idée en tête : rejoindre au plus vite Single chez les Fielding. Hélas, les rares véhicules qui passaient à cette heure tardive feignaient d’ignorer les appels de ce curieux couple d’égarés…

Le démonologue s’approcha alors sans vergogne d’une camionnette en stationnement. Adossée contre un réverbère pour reprendre son souffle, Chelsea l’observa avec stupeur qui forçait la portière avec deux doigts… Un déclic se produisit.

— Merde ! Comment vous faites ça ?

— Prends le volant, lui lança Graymes en s’engouffrant avec une mine renfrognée côté passager.

— Euh… J’ai pas mon permis. Je sais juste passer en seconde…

— C’est très facile, tu verras.

— Mais vous…

— Moi ? Je ne sais pas conduire du tout !