CHAPITRE VIII
Il faisait à peine jour lorsque Single poussa la porte de son domicile, hanté par la crainte d’avoir à brandir un mandat pour se traîner jusqu’à sa chambre. La maison était silencieuse. Le miroir de l’entrée lui renvoya l’image peu flatteuse d’un homme encore jeune et séduisant, mais pour l’heure affligé d’un teint cireux et d’yeux rougis par le manque de sommeil. Durant le trajet, il avait élaboré toutes sortes de bonnes excuses pour justifier le débordement de ses horaires de travail. Mais au bout du compte, il espérait avoir à n’en fournir aucun.
De sévères courbatures tiraillaient ses côtes. Il renonça à la douche et décida de se coucher sans plus attendre.
Il gravit l’escalier sur la pointe des pieds. Au passage, il décocha deux directs pâteux au sac de sable suspendu en permanence dans le couloir. Son absence de punch le figea d’horreur. En poussant la porte de la chambre, il fut soulagé de constater que Sandra dormait toujours. Il dénoua sa cravate et s’échoua à plat ventre sur le lit. La torpeur lui fermait déjà les yeux, lorsqu’une sensation agréable vint le rappeler des profondeurs.
Sandra s’était nichée tout contre lui, éparpillant ses cheveux blonds sur son torse. Il sut qu’elle était réveillée.
— Salut, dit-il.
— Salut, répliqua-t-elle en ouvrant les yeux.
Il sentit qu’elle était nue sous sa nuisette et la façon dont elle s’appuyait contre lui n’était que trop explicite. Il la fit rouler sous lui. Depuis combien de temps n’avaient-ils pas fait l’amour ? C’était décidément un foutu métier, avec des horaires impossibles. Ils s’enlacèrent avec passion et il ne leur fallut guère que quelques minutes pour mêler leurs gémissements. Ils ne s’étaient pas plus tôt séparés qu’un petit garçon encore englué dans des rêves sucrés fit son apparition, une peluche coincée sous son bras gauche. Il n’avait pas sept ans et flottait dans un pyjama trop grand qui vantait la bravoure d’un robot nippon invincible.
— Salut, papa, bâilla-t-il. T’es encore rentré tard ! Maman n’était pas contente du tout…
Et sans attendre les réactions à son intrusion inopinée, il se détourna pour mettre le cap sur la cuisine. Single partit d’un éclat de rire.
— Moins une. Tu m’as attendu, hier soir ? La femme de Kromsky n’a pas appelé ?
— Si, si. Mais j’avais déjà commencé à me faire du mauvais sang. Pourquoi tu n’as pas appelé toi-même ?
— Débordé, ma biche. La merde. C’était une foutue nuit. J’ai même fait la connaissance d’un docteur en démonologie qui avait élu domicile dans une décharge publique. Rends-toi compte. Il a eu le temps de m’entraîner dans un immeuble qui a failli s’écrouler sur nos têtes. Au fait tu ne vas pas travailler, ce matin ?
Sandra le dévisagea avec accablement.
— Est-ce que tu sais au moins quel jour on est ?
— Je… Oh, merde, déjà dimanche ?
— Déjà dimanche, ouais, et t’as promis au gamin de l’emmener au parc.
— Au parc ? gémit Single.
La jeune femme rajusta sa nuisette, sincèrement compatissante.
— OK, Bilbo, je m’occupe du parc. Café ?
— Café.
Une heure plus tard, le téléphone sonna. Le sergent Parker était au bout du fil. Les nouvelles n’étaient pas bonnes. Les pires prédictions du docteur Graymes se réalisaient ; on venait de déterrer trois cadavres d’adolescents affreusement mutilés aux alentours de l’immeuble effondré de Shrepton Street.