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Paris, février 1759
Nicolas Mareuil, le commissaire de police du quartier Maubert, regardait la scène d’un oeil froid : un homme gisait sur le sol, égorgé. Autour de son corps, des dizaines de livres maculés de sang. À ses pieds, d’autres encore, arrachés aux étagères. Près de sa tête, une auréole de feuilles déchirées.
– Le meurtrier n’aime pas les livres, constata le commissaire.
– Surtout, il n’aimait pas le libraire, déclara le sergent qui l’accompagnait.
– D’après sa femme, rien n’a disparu, mais dans ce fatras, allez savoir…
– On pourrait fouiller un peu, histoire de voir.
Le commissaire lui jeta un regard découragé.
– Fais-le si ça t’amuse. Mais nous n’avons aucun témoin, aucun indice. À moins que le meurtrier ne vienne se dénoncer, ce crime restera un mystère.
Le sergent farfouillait sur les étagères, déplaçant sans conviction les livres et regardant les titres. Il s’approcha du comptoir. La femme du libraire, qui pleurait à chaudes larmes dans le giron d’une voisine, se précipita et obstrua le passage de son ample postérieur.
– Mon pauvre mari, se mit-elle à brailler. Un si honnête homme qui avait l’amour de la littérature. Une si belle clientèle…
Le sergent tenta de l’écarter mais elle s’accrochait au comptoir.
– Madame, tenteriez-vous de dissimuler quelque chose ? demanda-t-il d’une voix sévère.
– Des vétilles, des livres de rien du tout que nous commandent quelques sacripants. Vous savez ce que c’est, le commerce… On ne peut pas dire non.
Poussant résolument l’arrière-train de la dame comme il l’aurait fait à une vache récalcitrante, il plongea la main sous le comptoir et en retira quelques livres.
– Tiens donc, Les Bijoux indiscrets, Thérèse philosophe, L’Art de foutre ou Paris foutant, Histoire de Dom B…, portier des Chartreux, Margot la ravaudeuse, des livres obscènes, des livres interdits…
– Rien que quelques-uns, gémit la femme.
– Plusieurs dizaines, tout de même, reprit l’agent qui en fit une pile sur le comptoir. Ah ! je ne le connaissais pas celui-là : Sirop-au-cul ou l’heureuse délivrance, tragédie héroï-merdifique… Imprimé à Foutropolis, chez Braquemart, librairie, rue du Tire-Vit, à la Couille d’or. Qu’est-ce que ça nous raconte…
– Ça suffit Étienne ! gronda le commissaire. Ce n’est pas de notre ressort. Nous allons faire part de cette découverte à M. d’Hémery, de la police de la librairie, qui les fera saisir. Va de ce pas au café de l’Arbre Sec, il y a ses habitudes.
Le sergent obtempéra, sans manquer de glisser l’ouvrage dans sa poche.

–  Bravo ! ironisa Constance. Ça commence bien !
–  Un libraire assassiné ! répondit Quentin. C’est parfait ! Il n’y a pas de hasard ! Nous sommes sur la bonne piste.
–  Qu’allons-nous faire ?
–  Attendre et voir ce qui se passe au café de l’Arbre Sec.