Épilogue
Que
Constance, le lendemain, décide de suivre les Savoisy à Paris sans
lui en parler bouleversa Quentin. L’incluait-elle dans ses projets ? Jean-François, qui ne s’était pas
départi d’une certaine méfiance à son égard, ne l’avait pas invité
à se joindre à eux. Qu’allait-il faire ? La perdre de nouveau ? Comptait-elle rejoindre le Moyen Âge
après une escale à Paris ? Elle se déroba à ses questions, arguant que le moment
était à la fête et qu’elle lui répondrait en temps voulu.
Accaparée par Voltaire qui
semblait la trouver à son goût, elle n’eut pas une minute à lui
accorder. Jean-François, très désireux de retrouver le café de
l’Arbre Sec, loua une berline et aida sa femme et sa fille à faire
leurs bagages en toute hâte. Juste avant de monter dans la voiture qui la ramènerait
à Paris en compagnie des Savoisy et de Justine, Constance entraîna
Quentin dans le verger. Ils s’assirent au pied d’un cerisier en fleurs.
Évitant le regard de la jeune
femme, Quentin se mit à entrelacer des brins d’herbes.
– Sans
toi, je n’y serais jamais arrivée, commença-t-elle.
Ne regrette rien.
– Que
vas-tu faire ?
– Continuer mon chemin. Je ne peux pas retourner au xiv
e siècle.
Ébahi, il se
tourna vers elle. Ses
yeux vert émeraude brillaient d’une lueur singulière.
– J’ai
vu trop de choses extraordinaires au cours des siècles que nous
avons parcourus, continua-t-elle. Je veux connaître la suite…
– Mais
ton roman, l’auteur…
– Qu’il
se débrouille ! Je prends le large.
Quentin
sentit naître un fol espoir.
– Faisons la route ensemble, s’exclama-t-il d’un
ton joyeux.
– Je ne
crois pas que ce soit une bonne idée. Ton destin t’attend. Tu dois devenir un personnage de premier
plan. C’était bien ce
que tu voulais…
D’un geste
rageur, il arracha une touffe d’herbe qu’il lança au
loin.
– Et
comment ? Retrouver Priscille et ses
manigances ?
– Tu
n’as plus rien à craindre d’elle. Je t’avais dit qu’elle n’a pas l’étoffe d’une
véritable héroïne. Qu’elle n’ait pas réussi à nous retrouver en est la
meilleure preuve.
– Mais
alors ?
– Aie
confiance !
Elle s’était
levée, lui avait fait un petit geste de la main et s’était
empressée de rejoindre sa famille qui s’impatientait.
Amer, Quentin la regarda
partir. Elle l’avait
de nouveau planté alors qu’il avait donné le meilleur de lui-même
pour retrouver ce fichu manuscrit. Comment avait-il pu être assez naïf pour croire
qu’elle lui en saurait gré ? Comment avait-il pu penser qu’il partagerait sa
vie ? Cette femme
avait le coeur sec. Lui revint alors en mémoire le cuisant souvenir des
geôles liégeoises.
Il décida de
rester quelque temps aux Délices pour accomplir une dernière
tâche : lire de bout en bout le manuscrit Savoisy.
Il voulait en avoir le coeur
net. Le manuscrit
recelait-il des secrets ayant trait à la magie noire ?
Si Constance était une
sorcière même si rien dans son attitude des dernières semaines ne
permettait de le corroborer, il pourrait s’estimer heureux de lui
avoir de nouveau échappé. Jérémie ne fit aucune difficulté pour lui prêter le
document et Wagnière l’aida à le déchiffrer. Il faillit s’endormir plus d’une fois
en lisant les paroles édifiantes et les contes moraux que le mari
de Constance destinait à sa jeune épouse. Comment se tenir à l’église, se
comporter honorablement en société, se garder de tous les péchés,
notamment l’ivrognerie… L’obéissance, la discrétion, l’humilité
étaient érigées en vertus cardinales. Le pauvre homme avait dû avoir du fil à retordre
avec Constance ! Quentin ressentit une pointe de jalousie à la
description de l’accueil que l’épouse devait réserver à son
mari : le déchausser auprès d’un bon feu, lui laver les pieds,
lui donner des chausses propres, le servir et l’honorer, puis le
faire coucher entre des draps blancs avec un bonnet blanc sous de
bonnes fourrures… Lui n’avait pas eu droit à tant
d’égards ! Il
éplucha les recettes de cuisine et retrouva celle où il était fait
mention de poison. Il
ne s’agissait, en fait, que d’une mixture dont il fallait enduire
ses flèches pour tuer des cerfs ou des sangliers. Quant aux recettes secrètes, elles se
limitaient à la manière de dessaler un potage, tuer pies et
corneilles, soigner les rages de dents, faire de la
colle…
Quentin ne
trouva strictement rien de suspect. Il remercia Wagnière et remit le manuscrit à
Jérémie qui, de toute évidence, ne lui accordait aucune impor
tance. Il se prit à
espérer qu’il le perde ou qu’il le jette. Constance n’aurait plus qu’à courir
après ! Et cette
fois, il ne serait pas là.
Abattu,
désemparé, il ne savait plus que croire. Une petite voix lui soufflait que
Constance avait toujours dit vrai. Elle n’avait jamais souhaité sa mort.
Elle s’était servie des
événements et de lui, accessoirement. Elle était partie. Il ne la reverrait jamais. Et il ne savait plus quoi faire de sa
vie.
Deux jours
après, alors qu’il avait écumé toutes les tavernes de Genève et
s’était fait ramener manu militari par la garde municipale,
Wagnière vint l’avertir qu’il avait reçu une lettre.
Ce ne pouvait être que
Constance. Il ouvrit
fiévreusement le pli.
Mon cher Quentin,
Quoique vous soyez le personnage le plus casse-pieds que
je connaisse, je tenais à vous féliciter. Jamais je n’aurais cru que vous
réussiriez à vous tirer d’affaire. Vous manquez de jugeote, vous êtes d’une naïveté
déconcertante, mais on ne peut vous dénier une réelle volonté
d’arriver à vos fins. Réjouissez-vous : je vous offre un rôle de
personnage principal. J’avais d’abord pensé à vous faire jouer le sieur
Boulanger, dit Chantoiseau qui ouvrit le premier restaurant en
1765, rue des Poulies. Constance me l’a formellement déconseillé.
Elle a raison : vous
passeriez votre temps à lui courir après. Je me suis ensuite orienté vers
Antonin Carême, « le prince des cuisiniers et le cuisinier des
princes », mais je déteste la période napoléonienne.
Exit Carème !
Il nous restait César Ritz
et la naissance des palaces. Je suis sûr que vous auriez adoré cette vie, entre
Londres, Paris, Nice… Hélas, je crains que trop de luxe ne vous
fasse passer le goût du risque. J’ai donc choisi une période plus ancienne, rude
et dangereuse. Mais
riche en surprises. Je
vous la dévoilerai quand vous m’aurez fait savoir que vous acceptez
mon offre.
L’auteur.
Constance
partait pour l’avenir. Quentin retournait vers le passé. Le chemin était tracé, il le
suivrait. L’aventure
continuait.