CHAPITRE XIII

Joan se blottit pour la vingtième fois dans les bras de Joë. La joie l’inonde, coule dans ses veines. Son cœur, ses tempes battent. Elle rit sans arrêt. Le présent efface les moments d’angoisse du passé.

— Chéri…, minaude-t-elle comme une chatte. Comment Mem’La nous a-t-il sortis des griffes de Tot’An ?

— Oh ! Facilement, explique Maubry. Il s’est téléporté dans l’astronef, s’est rendu invisible. Martez n’a vu que du feu. Tous les vaisseaux zikoriens se ressemblent. Mem’La n’a eu aucun mal. Il vous a tirés de votre léthargie, vous a ramenés ici.

Joan jette un coup d’œil autour d’elle. Jusqu’à maintenant, elle avait surtout regardé Joë. Elle s’aperçoit effectivement que le vaisseau de Mem’La ressemble à celui de Tot’An. Une copie exacte.

Sam a rejoint ses compagnons, Hobleton et Mosbi, dans le compartiment de vie suspendue. Il n’a changé que d’astronef, en somme. Les trois hommes, inconscients, ignorent les graves événements qui endeuillent la Terre.

Maubry adopte une attitude doctorale, fronce les sourcils. Il explique très brièvement à ses amis ce qui s’est passé. Le triple meurtre de Pékin. D’ailleurs, le transistor de Joë confirme la nouvelle.

Les reporters sont atterrés. Ils ne savent pas trop comment enrayer cette vague de crimes. Tot’An ne va sûrement pas s’en tenir là.

Soudain, une onde mentale assaille Joë :

— Maubry ? C’est moi, Martez. J’ai quelque chose de très grave à vous apprendre. Je suis seul à bord du vaisseau. Les Zikors se sont téléportés aux États-Unis. Savez-vous ce qu’ils projettent ?

— Non.

— Ils veulent assassiner le président des U.S.A. !

Joë reste figé. Mais, en lui-même, la panique l’envahit. Il maintient le contact télépathique. Il sent que Julio est sa dernière chance.

— Martez, écoutez-moi bien… Comment peut-on communiquer, tous les deux, puisque les vaisseaux zikoriens possèdent une barrière d’isolation ?

— Tot’An a laissé une brèche dans la barrière de façon à ce qu’il puisse me contacter. Il aura besoin de moi pour trouver le président.

— Vous n’allez pas collaborer avec eux !

— Ils m’y obligent. Vous-même, Maubry, où êtes-vous ?

— Dans un autre astronef où existe sans doute aussi une brèche dans la barrière de protection.

Le reporter devine que son correspondant abandonne le contact. Sa pensée faiblit, tarit complètement.

— Martez ! Martez ! songe fortement Joë, en vain.

Épuisé, en nage, il passe une main égarée sur son front. Il est livide comme un mort. Joan s’empresse autour de lui :

— Que t’arrive-t-il ?

— C’est Julio. Il me laisse tomber parce que Tot’An communique sûrement avec lui. Tu comprends. Il obéira à Tot’An. Or, celui-ci a décidé de supprimer le président des États-Unis !

La nouvelle éclate comme une bombe. Hens et Joan ouvrent des yeux hagards.

— Après Pékin, Washington, balbutie le cameraman. Après Washington, Londres, Paris… Tous les gros bonnets y passeront.

— Actuellement, dit Joë, le président est en visite officielle en Amérique du Sud. Mais les Zikors le poursuivront jusque là-bas. Ou bien ils attendront son retour. De toute manière, sa vie est en danger.

— Alertons la police, décide Hens.

— Non, refuse Maubry. Inutile. Toutes les précautions n’empêcheront pas le drame. La police ne peut pas lutter contre des créatures invisibles, qui peuvent pénétrer partout, même dans une forteresse.

Il contacte Mem’La :

— Vous voilà au courant des projets de Tot’An. Tolérez-vous de tels agissements ?

— Sûrement pas, répond le chef du groupe XM.102. J’ai beau fouiller votre cerveau, je n’y lis que de la réprobation envers les actes violents. Or, je possède les mêmes sentiments que vous.

— Il faut faire quelque chose. Vite, très vite, sans perdre une seconde.

Mem’La entrevoit la gravité de la situation, la marche irrémédiable des événements. Il partage évidemment l’opinion de Maubry.

Il s’approche du cube panoramique, effectue un réglage. L’image montre un autre cube analogue près duquel se tient Martez. Le chef du groupe XM.102 envoie une onde télépathique :

— Martez. Vous me comprenez ?

— Oui.

— Bien. Je vais vous guider. Suivez mes conseils. Tournez-vous légèrement sur la gauche. Comme ça. Vous apercevez une pyramide rouge ?

Joan, Hens et Maubry exécutent les mêmes gestes. Ils distinguent, dans un angle de la salle, un solide qui émet une lumière fortement rougeâtre.

Mem’La poursuit son idée :

— Déplacez-vous vers cette pyramide, Martez.

Sur la face du cube panoramique, les reporters voient Julio qui exécute fidèlement les ordres, littéralement envoûté. Il s’arrête devant le solide, appuie successivement sur tous les angles de la pyramide, sans en excepter un seul. Il déclenche ainsi un mystérieux système, une mystérieuse opération.

Julio perd soudain pied :

— Tot’An… Il me contacte… H…

Maubry crispe ses poings :

— Il retombe dans l’orbite des autres, grogne-t-il.

Sur le cube, la vision change, montre le vaisseau du groupe ZA. 88. Une monstrueuse masse refroidie, noirâtre, sans éclat.

— Regardez bien, conseilla Mem’La.

Alors, brusquement, se produit un phénomène incompréhensible. La sphère noirâtre se met soudain à briller d’un éclat insoutenable, engendrant probablement une chaleur effroyable. Les reporters s’attendent à ce que le vaisseau décolle, s’arrache du sol.

Non. Il se fragmente en milliers de particules. Les facettes éclatent, se séparent les unes des autres, se consument. Le vide succède à cette vision de cauchemar.

— Auto-destruction, explique Mem’La.

— Pauvre Julio ! pleurniche Joan.

Maubry lâche un profond soupir. Il ne paraît pas convaincu :

— Le groupe ZA.88 n’est pas anéanti pour autant.

— C’est tout comme. Tot’An et ses compagnons ne vivront pas plus de quarante-huit heures. Chaque soir, les Zikors sont obligés de recharger leur potentiel énergétique. Nous vivons d’énergie. Enfin, une énergie spéciale, que fabrique une machine installée à bord de nos vaisseaux.

— Quarante-huit heures ! répète Maubry. Ils auront largement le temps de retrouver le président des États-Unis, de le…

— Tais-toi ! coupe le journaliste du « Star-Tribune ». Il faut trouver un autre moyen.

Joë dirige sa pensée sur Mem’La :

— En détruisant l’un de vos vaisseaux, n’avez-vous pas enfreint vos lois ?

— Non. Ce n’est pas moi qui ai détruit l’astronef du groupe ZA.88, mais Julio Martez. La preuve. Il a péri en même temps que l’engin. D’autre part, je n’ai jamais pris contact avec Tot’An. Enfin il n’existait pas d’autre solution pour enrayer la grave situation qui menaçait la planète. Vous auriez agi de la même façon. L’idée mûrissait dans votre cerveau. Je l’ai simplement devancée. Vous ne m’en voulez pas ?

— Je… En effet, se trouble Joë. Je pensais à la destruction du groupe 88, comme seule solution radicale. Mais je n’en voyais pas la possibilité. J’ignorais, évidemment, que cette pyramide rouge provoquerait…

Il passe brusquement à autre chose :

— La vie du président des États-Unis reste quand même entre nos mains. Nous devons tout mettre en œuvre pour…

— Destination : l’Amérique du Sud, tranche Mem’La.

— Nous avons la même idée ! constate Maubry.

Il soupire bruyamment. Il se sent lié à ce Zikor, à ce groupe XM.102. Il sait que tout ce qu’il pense, Mem’La le pense aussi.

Joan reste très inquiète pour son mari. Elle le devine malheureux, captif des créatures extra-solaires. Aussi longtemps que les Zikors le voudront.

La boule de lumière atterrit dans un coin désolé du Brésil. Pays où le président des U.S.A. se trouve en visite officielle. Par chance. Sinon, il aurait déjà succombé sous les coups de Tot’An, heureux de poser une nouvelle énigme à la Terre entière.

— Je vais téléphoner à la police, suggère Joan.

— Ils ne te croiront pas, dit son mari. Tu parles ! Une situation comme celle-là ne s’explique pas si vite.

Le transistor apprend que le président converse actuellement avec les dirigeants brésiliens, dans la capitale.

Joë traduit l’information pour Mem’La.

— À votre place, Maubry, suggère le Zikor, je prendrais contact avec Tot’An. Vous le pouvez. Vous lui annoncerez la destruction de son vaisseau, s’il ne le sait pas déjà. Je suis sûr qu’il aura d’autres pensées que celle d’assassiner votre président. Mais je m’ôte du circuit. Débrouillez-vous seul. Je laisse le groupe ZA.88 tranquille.

Le téléreporter acquiesce. L’idée n’est pas mauvaise. Détourner l’attention du groupe ZA.88, pendant quelques heures, puisque ce groupe n’a plus guère de temps à survivre.

Il bande toute sa force mentale, projette sa pensée dans l’espace. Il espère qu’elle atteindra son but. Car Mem’La, sans qu’il ne s’en doute, vient de lui donner un plan qui pourrait bien renverser la situation. Seulement, tout dépend de Tot’An.

***

— Tot’An… Tot’An…, pense fortement Joë.

Il accroche une onde mentale, venue de très loin.

— Vous connaissez mon nom ?

— Oui, dit Maubry. Votre vaisseau s’est auto-détruit.

— Je sais. Nous n’avons plus que quelques heures à vivre.

— Mem’La, du groupe XM.102, a provoqué cette destruction par l’intermédiaire de Julio Martez. Donc, sans enfreindre les lois zikoriennes. Me recevez-vous bien, Tot’An ?

— Parfaitement.

— Je me trouve dans l’astronef du groupe XM.102, explique le téléreporter avec une idée bien arrêtée. Une brèche existe dans la barrière de protection, ce qui me permet de converser avec vous. Vous pourriez donc vous téléporter jusqu’ici.

— Facilement, assure le chef du groupe Z.A.88 Où voulez-vous en venir ?

— Vous pourriez vous alimenter en énergie dans l’astronef de Mem’La.

— Impossible ! proteste Tot’An. Nos lois s’y opposent formellement.

Maubry le sait. Mais il a posé la question par pure convenance. La satisfaction burine son visage. Il échappe totalement à l’emprise de Mem’La. Il sent, il devine qu’il orchestre la situation. Il en profite pour poser quelques banderilles.

— Si le groupe XM.102 était plongé dans les mêmes difficultés que vous… Ne pensez-vous pas que ce a serait juste ?

— Probable, admet le Zikor.

— Vous en voulez à Mem’La ?

— Il a agi bassement. Je suppose qu’il agissait selon les sentiments d’un Terrien, dont il a capté le caractère.

— Oui. Alors, vous vous téléportez ? J’ai envie d’appuyer sur tous les angles de la pyramide rouge qui provoque l’auto-destruction. Seulement Mem’La ne me laissera pas faire. Vous pouvez m’aider, au nom de Stone. C’était mon ami.

— Ah ! Jen Stone.

— Vous acceptez ? De toute manière, ça ne change rien pour vous. Si Stone était encore là, il n’hésiterait pas à se débarrasser du groupe XM. 102. Il avait l’esprit de vengeance, lui !

Joë semble soudain avoir perdu le contact. Il poursuit son effort mental, sans succès. La déception l’envahit. Pour gagner du temps, il reste en transes. Il devine que les Zikors l’observent. Mais toujours hors circuit, heureusement. Ce qu’il trame contre eux n’est pas tellement joli. Un complot des plus vils.

Enfin, au bout d’une minute ou deux, la pensée de Tot’An l’assaille :

— Je me trouve dans l’astronef, invisible. Vous avez raison. Stone aurait agi ainsi. Martez également. Ils avaient tous les deux l’esprit de vengeance très développé. C’est pourquoi j’ai appuyé sur tous les angles de la pyramide rouge.

La panique saisit Maubry. D’un œil hagard, il fixe le solide, au fond de la salle. Rien n’a changé, apparemment. La pyramide émet toujours une lumière rougeâtre. Déjà, s’enclenche une opération irréversible.

— Je vous conseille, ajoute Tot’An, de sortir en vitesse de l’engin.

Joë se décide très rapidement. Le temps presse. Il saisit Joan par la main, l’entraîne en criant :

— Hens ! Hens ! Grouille-toi ! Question de vie ou de mort, mon vieux. Quittons cette boule qui va sauter !

Le cameraman pique un cent mètres. Avant que Mem’La ait pu contacter Maubry, les trois reporters déboulent à toute allure au-dehors. Ils s’éloignent en courant. Quand ils jugent la distance suffisante, ils se retournent.

Ils suent à grosses gouttes. D’avoir couru, mais aussi d’effroi. Ils échappent au danger. Devant leurs yeux l’astronef se démantèle, comme celui de Tot’An. Il se fragmente en poussière, sans un bruit, mais dans une luminosité intense, qui brûle la rétine.

Hens avale sa salive :

— Hobleton, Mosbi, Fallas…, hoquète-t-il.

La mort des trois hommes jette un froid. Les reporters frissonnent, mais Joe grimace :

— Des complices de Stone. Ils ne méritent que du mépris. Au fond, l’invention de Hobleton a conduit notre planète à la limite de la catastrophe. Certainement que le public n’aurait pas tressé des lauriers au professeur. Il reste à détruire les deux réducteurs biologiques : celui de l’îlot MZ.14, et celui de la villa de Hobleton. Ainsi, nous tirerons un trait sur le passé. Quant à Tot’An, il a sûrement péri, volontairement, avec le vaisseau de Mem’La. Les autres Zikors mourront, faute d’énergie.

Hens secoue la tête. Un regret le taraude :

— Dommage. J’aurais pu filmer des scènes sensationnelles sur lesquelles tu aurais dégoisé de chouettes commentaires, Joë. Robeson en aurait avalé son cigare ! En définitive, nous n’avons rien à lui offrir.

— Rien ? rétorque Maubry. Tu crois ça. Le président des États-Unis nous doit la vie sauve, et tu appelles ça rien.

Devant la mine ahurie du cameraman, Joan éclate d’un rire perlé. L’atmosphère se détend lentement.

***

Dans son appartement de la 273e Rue, à Washington, Joan tape un article à la machine. Elle mijote quelque chose de percutant, qui sortira en première page sur cinq colonnes. Comment le président des États-Unis fut sauvé par… par…

Elle hésite. Par qui, au juste ? Par Joë ? Par Mem’La ? Finalement, elle opte pour une association des trois reporters. Hens mérite une mention. Les honneurs, ils y ont droit, car ils ont failli y laisser leur peau. Le président fut donc sauvé par le courage de trois reporters américains…

Elle trouve ça un peu injuste. Tant pis. Question publicitaire, on ne lésine pas. N’empêche. Tous les trois, ils se trouvaient bien plongés dans la mélasse jusqu’au cou. Il faudrait naturellement tresser des lauriers à Mem’La et à Tot’An. Ils se sont entre-tués, pour le grand bien de l’humanité. Car les Zikors, c’était quand même de drôles de citoyens, aux mœurs inexplicables. Ils chipaient ce que les hommes avaient de plus précieux : leur personnalité. Ils recherchaient un tas de sensations dont la nature les privait.

Curieux. Très curieux. De quoi rendre sceptique les lecteurs. Mais, dans son article, Joan met de la persuasion.

Dans la cuisine, Joë se verse à boire. Il fulmine. Il ne possède pas le moindre film, ou si peu, à mettre sous les yeux des téléspectateurs. Il se contentera d’un commentaire morne. En fait, Joan et son article l’éclipseront. Comme d’habitude, il se fait encore rouler.

Il boit, avec délectation. Il s’en fout. Il a sauvé sa peau, celle de Joan. Le reste compte peu. Si peu. Dans la villa de Hobleton, il a réduit en miettes les installations scientifiques. Sur l’îlot MZ.14, Perry et Hoker se chargent du réducteur biologique.

Les travaux du professeur, ça devient de l’histoire ancienne, quelque chose d’inachevé. Il faut couper tous les moyens de communication avec les Zikors. Car l’affaire recommencerait.

Joë entre soudain dans la pièce où sa femme tape à la machine. Il prend une voix rauque :

— Joan !

Elle se retourne, pousse un hurlement. Son mari, jambes écartées, regard fixe, cou tendu, ressemble à une statue.

— Joan… Ils… ils me reparlent. Je capte ce qu’ils disent. Lui, il s’appelle Pil’Mo. Ils viendront me rejoindre sur la Terre.

La journaliste tremble comme une feuille. Elle se lève, titube, marche vers Maubry, les mains jointes. Son visage se crispe. Le cauchemar recommence.

— Oh ! Joë… Ce n’est pas possible ! Non, jure-moi que…

Le téléreporter demeure impassible, figé. Il ânonne :

— Je… je reste le seul homme à pouvoir converser avec les Zikors. Ne l’oublie pas. Les autres sont morts. Stone, Martez. Tu comprends ?

Il reçoit sa femme dans ses bras. Elle éclate en sanglots, pleure spasmodiquement. Alors, il n’y tient plus. Il abandonne son attitude ridicule. Un rire filtre à travers ses lèvres pincées. Il abat son jeu :

— Tout ça… tout ça… C’est du bidon. Voyons, Joan, le passé est mort, définitivement. Je peux bien te taquiner, non ?

Elle redresse la tête. Ses larmes se sèchent lentement, mais elle ne paraît pas convaincue :

— Tu restes télépathe, soupire-t-elle. Les Zikors…

— Non, coupe-t-il sérieusement. J’ai passé un électro-encéphalogramme chez un copain qui est toubib. Mon énergie mentale diminue progressivement, se tarit. Il n’en subsistera bientôt plus de trace. Le passage dans le réducteur biologique ne donnait qu’un don provisoire.

— Provisoire…, répète Joan, un peu rassurée. Un provisoire, en tout cas, qui nous a entraînés fort loin.

Maubry pousse sa femme vers la machine à écrire :

— Termine ton article si tu veux qu’il paraisse demain.

Comme il retourne vers la cuisine, le visiophone sonne. Il enclenche le contact. Sur l’écran, la figura de Robeson s’encadre. Une figure des mauvais jours, renfrognée. Une voix sèche :

— Ah ! Maubry… Vous vous foutez de moi ? Scriber vient de m’avertir que demain, sur cinq colonnes, il publiera le récit des aventures de son envoyée spéciale. Il affichait une mine drôlement satisfaite et il me narguait. Ça vous paraît logique ? Si vous voulez que je vous flanque à la porte…

— Pardon, patron, interrompt Joë. Moi, je n’ai encore rien préparé. Pourtant, j’ai beaucoup de choses à dire… Quelle heure est-il ?

Il consulte sa montre :

— Trois heures de l’après-midi. Okay. Votre bulletin passe à vingt heures. Je file aux studios. Je vais arranger ça en vitesse. J’improviserai. Presque du direct, quoi. Une sorte de feuilleton à suivre. Hens est là-bas ?

— Je crois.

— Bon. Dites-lui qu’il m’attende. Vos téléspectateurs, ce soir, rêveront des Zikors. À défaut de film, on peut toujours faire des dessins.

Le visage de Robeson se détend. Un sourire tiraille sa bouche d’où émerge un gros cigare :

— Je préfère quand vous parlez comme ça, Maubry.

Joë coupe la communication. Il tend l’oreille. Joan pianote toujours sur sa machine. Il s’habille en hâte, marche jusqu’à la porte sur la pointe des pieds, se glisse sur le palier. Il rentrera tard. Pourtant, il est sûr que sa chère femme pardonnera la petite vacherie qu’il lui prépare !

FIN