CHAPITRE X
Quand Robeson aperçoit sur l’écran du visiophone le visage creux de Scriber, le rédacteur en chef du Star-Tribune, une abominable grimace tire sa bouche. Il ne porte pas tellement dans son cœur ce concurrent de la presse écrite. On le comprend. Chaque fois que Maubry enquêtait quelque part, Joan le suivait comme son ombre.
Cela s’achevait souvent par un match nul. Ou par un succès de Joan. Ce diable de Maubry, toujours trop galant, s’arrangeait pour que l’article de sa fiancée passât dans le Star avant l’antenne.
Maintenant qu’ils sont mariés, cela ne change pas grand-chose. Mieux. Joë se montre peut-être encore plus élastique.
— Ah ! Scriber…, grogne Robeson, expulsant une volute de son cigare favori. Je suppose que vous avez autorisé Joan à accompagner son mari sur Vénus.
— Exact. Je ne pouvais pas faire autrement. Vous m’en voulez ?
— Bah ! Je vous en ai toujours voulu. Pourquoi ça changerait ? Vous me mettez toujours des bâtons dans les roues.
— Mais, mon cher, remarque le rédacteur du Star avec ironie, je peux vous renvoyer le même reproche.
Robeson tousse. Il n’a pas contacté son concurrent pour lui rappeler leur vieille rivalité. Un problème beaucoup plus important, plus humain, le préoccupe.
— Vous avez des nouvelles de Joan ?
— Pas la moindre. Mais je la connais. Un jour, je recevrai un papier sensationnel… Et Maubry ?
— Silencieux aussi. Ça m’inquiète. Un silence de quatre mois. Je sais qu’il n’est pas facile d’expédier un reportage de là-bas. Mais à chaque courrier en provenance de Vénus, j’attends un mot, une bande magnétoscopée. Rien.
Les traits maigres de Scriber se creusent. Il comprend brusquement l’inquiétude de son confrère :
— Vous envisagez quelque chose ?
— Je vais demander à ce qu’on effectue des recherches. Vous savez, à la base américaine, ils vous mettent en face de vos responsabilités et tant qu’ils ne reçoivent pas une demande officielle, ils ne se dérangent pas. C’est inscrit dans le règlement… Vous signerez le papier, Scriber ?
— D’accord, acquiesce le rédacteur. C’est valable pour Joan, puisque je l’emploie. J’espère qu’ils les retrouveront.
— S’ils étaient à la base, nous le saurions. Leur enquête a dû les emmener hors de la zone habitée. Nul doute. Ils ont pris contact avec Jen Stone. Et puis j’ai eu un autre pépin. Mon correspondant permanent sur Vénus s’est noyé stupidement. Il aurait pu m’apprendre où était Maubry.
— Désolé de cet accident, Robeson… À propos de Stone, les enquêteurs ne lui attribuent pas le second hold-up de la Mondiobank. Vous avez lu notre article à ce sujet ?
— Oui, grogne Manuel Robeson. Figurez-vous que j’ai lancé moi aussi un reporter sur cette affaire. J’aimerais avoir Maubry sous la main pour s’occuper de ça. Dire que je lui ai refilé un billet pour…
Il coupe brusquement, s’apercevant qu’il fait ses confidences à son rival :
— Stone, et le second hold-up de la Mondiobank, n’ont aucune relation… Mettons-nous bien ça dans la tête. Car on jure trop par Jen Stone depuis quatre mois. On lui attribue tout.
— Hé ! gouaille le rédacteur du Star-Tribune. Borton, Rudy Clesse… Des personnages que le gangster connaissait. Coïncidence, non ?
Robeson sent qu’il bouillonne. Aussi il est temps d’interrompre cette communication qui lui met les nerfs en pelote.
— Alors, d’accord pour la demande officielle, Scriber ? Je la fais aussi en votre nom. Maintenant, j’ai du travail. Bonsoir.
Il éteint l’écran, bougonne, et appelle sa secrétaire. Il lui dicte des instructions très précises.
***
Stone, assis au volant d’une voiture volée, dissimule son visage sous un chapeau rabattu sur les yeux. Il fume lentement une cigarette. Il a stoppé son véhicule juste devant la Zickerbank, en plein centre de Los Angeles.
Il sourit. Après le coup numéro deux de la Mondiobank, il s’estime pleinement satisfait. Il avait choisi Washington, et la Mondiobank en particulier, par bravade, assuré de l’impunité. Histoire de mettre la police aux quatre cents coups. Il y a réussi pleinement.
Mais il ne mésestime pas les policemen. Surtout ceux en civil, comme la brigade de Berton. Des durs, des malins. Avec eux, la moindre erreur vous est fatale. Aussi Jen a-t-il jugé prudent de changer son champ d’action.
La Californie. Los Angeles. S’il le désire, il aura bientôt à sa disposition une fortune colossale. Contre aucune rétribution à ses complices. Ça, c’est bigrement intéressant. Ce qu’il veut maintenant, c’est dicter la loi au monde, lui, le condamné à perpétuité. Dévaliser les banques au point que les États soient obligés de refondre entièrement leur monnaie s’ils ne veulent pas la ruine, la banqueroute. Car Stone, ambitieux, ne limitera pas son action aux États-Unis. Il sait que les devises étrangères sont monnayables.
Le gangster revit une seconde carrière qui s’annonce plus fructueuse que la première. Sans risque, pratiquement. Tout ça, à cause de Hobleton. Il faudra le récompenser celui-là, en augmentant les crédits alloués à ses recherches.
Pour le moment, Jen imagine ce qui se passe à l’intérieur de la banque. Quatre Zikors, dont Tot’An, ont pénétré dans les bureaux, usant de leur moyen d’invisibilité. Brusquement, des cris, des hurlements de terreur, fusent des fenêtres ouvertes. Puis les Zikors surgissent.
Façon de parler, puisqu’on ne les voit pas. Mais Jen fixe les liasses de billets de banque que Tot’An et ses compagnons tiennent serrées entre leurs tentacules. Les bank-notes sautent au rythme des Zikors, franchissent le grand porche, déboulent l’escalier de marbre. Des passants, frappés par cette vision insolite, s’arrêtent, interdits, se demandant s’ils ne sont pas le jouet d’une hallucination collective.
Malgré l’habitude, ça fait une drôle d’impression de voir des liasses de dollars se promener en liberté dans la rue, sauter, rebondir, sans se disperser. Jen reste figé quelques secondes, jette sa cigarette, ouvre la portière arrière.
Les billets tombent en vrac sur la banquette et la pensée de Tot’An s’infiltre dans le cerveau du gangster.
— Démarrez ! Nous sommes tous là.
Stone n’a pas arrêté son moteur. Il appuie sur l’accélérateur. Embrayage et boîte à vitesses automatique font le reste. La bagnole bondit, fonce vers l’autoroute suspendue, s’y engage à vive allure.
À un kilomètre, dans un parking, Jen retrouve sa propre automobile. Les bank-notes ont disparu dans un sac, et le transbordement s’opère. Ce changement de véhicule déroute un peu les Zikors :
— Ah ! explique le gangster. Vous ne connaissez rien aux ficelles. Vous débutez. La police aurait tôt fait de vous repérer avec votre numéro minéralogique. Pourquoi croyez-vous qu’on immatricule les voitures ?
— Exaltant ! roucoule Tot’An, invisible à côté du chauffeur. J’ai la sensation de vivre une aventure inoubliable. Nous possédons désormais une personnalité, un caractère. Les mêmes que les vôtres, Stone. Grâce à nos machines, nous avons inculqué votre pensée dans la nôtre. Nous agissons comme vous. Désormais, tout ce que vous ferez, nous le ferons aussi.
Jen grimace. Les inconvénients de cette méthode apparaissent déjà. En somme, Stone s’est démultiplié par cinq. Cinq Stone agissent de la même façon, raisonnent identiquement. Cinq cerveaux analogues. L’homme comprend qu’il est désormais lié à ses complices. Un autre genre de captivité, en somme.
Il glisse, essayant de desserrer l’étau :
— Pourquoi copiez-vous les impulsions de mon cerveau, du mien seul ? Il existe des milliards d’hommes sur la Terre, des milliards de personnalités, de caractères.
— Je vous l’ai déjà dit, répond Tot’An. Comment pourrions-nous lire dans la pensée de vos semblables ? Leurs cerveaux ne développent pas une énergie suffisante. Ce que nous entreprenons n’est possible qu’avec des cerveaux comme le vôtre, facilitant la télépathie. Si nous ne possédions pas de modèle, d’original, nous ne pourrions pas vous copier.
— Si je mourais ? demande brusquement Jen.
— Vous ruineriez nos espoirs. Ou plutôt, nous conserverions votre caractère, votre personnalité, mais nous ne posséderions plus l’organisme directeur, qui traduit une longue expérience, une longue habitude de ce genre de vie. Nous serions comme des robots privés de leurs créateurs. Toutefois, nous pouvons à n’importe quel moment effacer de notre mémoire ce que nous y avons gravé. En fait, nous pourrions redevenir nous-mêmes, des créatures impersonnelles. Actuellement, nous jouissons pleinement des facultés psychiques d’une intelligence. C’est une expérience très intéressante.
Le Zikor ajoute :
— Il existe peut-être, à travers le cosmos, des créatures à caractère beaucoup plus individuel, si vous voulez. En somme, Stone, vous agissez comme bon nombre de vos semblables. Vos réflexes le prouvent. La peur de la police, par exemple, l’appât du gain, l’ivresse de la vitesse. Ce ne sont pas des traits de caractère. Néanmoins, nous éprouvons beaucoup d’intérêt à vous avoir dédoublé. Mais l’argent ne signifie rien pour nous, pas plus que la vitesse ou la peur.
L’automobile regagne les Rocheuses, abri naturel et idéal. Dans la forêt de mélèzes ; les Zikors retrouvent leur astronef. Ils redeviennent visibles pour des humains.
Quelque chose tourmente Jen :
— N’ai-je pas droit à une vie privée ? Je vous ai parlé de Claudia Wayte.
— Vous voulez la revoir ? devine Tot’An. Désolé, Stone. Vous lui raconteriez tout. Nous devons absolument vous soustraire à tous les contacts avec vos semblables. N’essayez pas de nous fausser compagnie. Vous savez bien l’inutilité de vos efforts.
Le gangster songe au psycho-guidage. Il ne ferait pas cent mètres. Les ondes se mettraient en route toutes seules et le forceraient à revenir.
Il commence à regretter sérieusement la collaboration des Zikors, ces créatures étranges qui veulent imiter les humains. Les limites de sa liberté illusoire se rétrécissent. Sur l’îlot M.Z.14, il faisait au moins ce qu’il voulait.
Et Sam ? Ce pauvre Sam passe tout son temps dans un sommeil artificiel, en compagnie de Hens et de Joan. Sacrebleu ! Pourquoi est-il le seul, sur la Terre, à pouvoir communiquer télépathiquement avec les extra-solaires ?
Jen réfléchit. À tout moment, le groupe de Tot’An peut repartir pour l’espace, déçu par son expérience terrestre, à la recherche d’autres créatures à la personnalité plus marquante. Qu’adviendra-t-il de lui, de Fallas, des reporters ?
Les Zikors se trempent avec volupté dans une vie totalement nouvelle. Ils éprouvent des chocs psychologiques certains en se mettant dans la peau d’un Terrestre. Ils recherchent précisément ce dépaysement, cette sorte d’antidote à l’ennui.
La volupté de sentiments inhabituels. Voilà à quoi ils aspirent. Une race de dégénérés, de créatures au raisonnement commun. Plus des androïdes que des êtres de chair. Des machines. Le dégoût des gestes inlassablement répétés jusqu’à l’obsession. Une trop grande rigueur d’existence. La monotonie.
Tout cela a conduit les Zikors à se fragmenter en groupes nomades. Seul, le hasard les a dirigés vers la Terre. Seul Stone a pu capter leur pensée.
Hobleton n’a sûrement pas songé à toutes ces conséquences imprévisibles quand il a mis au point son réducteur biologique. Pourtant, un sixième sens… N’est-ce pas une mutation formidable ?
***
Joë prend son mal en patience. Par force. Hobleton le retient prisonnier dans sa villa, avec, suspendue sur sa tête, la menace de représailles contre Joan.
Dans l’incertitude, Maubry préfère l’obéissance. D’ailleurs, il ne perd pas son temps. Il mûrit les termes d’un article sensationnel. Dommage que Hens n’ait pu filmer les scènes qu’il voulait. Enfin, il s’est introduit comme le loup dans une bergerie. Il rôde. Il écoute. Il réunit des éléments d’information. Un jour, il l’espère, il apportera l’ensemble sur un plateau, à Robeson.
Il sait maintenant comment Jen Stone s’évadait de Vénus, se moquait des contrôles, débarquait sur Terre. Il en a fait l’expérience lui-même, grâce à l’invention de Hobleton, un fameux génie dans son genre. Comment la police pourrait-elle soupçonner ce subterfuge scientifique ?
Joë comprend pourquoi le professeur et Mosbi tiennent à ce qu’il n’ait aucun contact avec l’extérieur. Il sait trop de choses. Assez pour qu’un jour, on décide de le supprimer. Façon radicale de clore la bouche à un témoin gênant.
Ce matin-là, le téléreporter se lève lorsqu’une forte pensée assaille son cerveau. Il se fige, bande ses sens comme la corde d’un arc. Tourné vers la fenêtre, il fixe un ciel piqueté de nuages blancs.
Les Zikors communiquent avec lui. Mieux, ils lui demandent de choisir un endroit, sur la Terre, éloigné de toute zone urbaine, où ils pourront atterrir. Ils orbitent actuellement à des milliers de kilomètres et passent au travers des satellites artificiels de détection.
Quand Joë apprend la nouvelle à Hobleton et à Eric, ceux-ci restent stupéfaits.
— Comment ? halète Mosbi, l’œil hagard. Il y a trois jours, les extra-solaires évoluaient à quinze années de lumière. En un laps de temps aussi court, ils n’ont pas pu parcourir cette énorme distance.
Maubry trouve la prouesse naturelle. Il s’amuse de l’étonnement qui fige le professeur et son assistant. Il glousse, ironique :
— Les Zikors utilisent un astronef mû par la pensée. Pour eux, les distances s’abolissent.
— Admettons, souffle Hobleton. Le fait que des extra-solaires se posent sur notre sol soulève des problèmes graves. Supposez que les Zikors aient décidé d’envahir la Terre.
Mosbi hoche la tête, montrant sa réprobation :
— C’est idiot. Pourquoi seraient-ils repartis, après avoir contacté Stone ?
— Oui, déroutant, reconnaît le savant. Mais d’élémentaires précautions s’imposent. En dépit de preuves apparentes, rien n’interdit de penser que les Zikors n’existent que dans l’imagination de Stone et de Maubry.
Celui-ci se raidît, serre les poings :
— Vous me prenez pour…
— … Pour un fou ? achève vivement Hobleton. Sûrement pas, puisque j’ai prouvé le contraire. Mais une pensée extérieure peut vous induire en erreur. Vous croyez naturellement ce qu’elle vous impose.
Mosbi revient à des réalités plus pressantes.
— Nous verrons bien. Il conviendrait que l’atterrissage des extra-solaires ne s’effectue pas sur le territoire des États-Unis. Question de sécurité, vous comprenez.
— O.K., approuve le professeur. Je propose le Canada. Du côté de la baie d’Hudson, ce serait parfait. Ça vous va, Maubry ?
Le reporter hausse les épaules :
— Aucune importance. Les Zikors me rejoindront n’importe où. Je ne voudrais faire courir aucun risque aux États-Unis.
Les trois hommes décident de partir le soir même. Ils s’équipent pour les rigueurs d’un climat polaire. Ils loueront une hélibulle à Ottawa. Ce moyen de locomotion s’avère idéal pour gagner les vastes régions désertiques de l’Ontario.
La voiture à turbine de Mosbi se lance sur l’autoroute, vers New York, à plus de trois cents à l’heure. Elle évite la grande cité, plonge vers le nord-ouest, traverse la frontière canadienne sans incident, et arrive à Ottawa.
Les voyageurs prennent quelques heures de repos après cette course folle. Puis Hobleton loue une hélibulle. Eric possède un permis de pilote en règle. Aussi, toutes les difficultés s’aplanissent.
L’engin survole maintenant les hautes terres, remonte vers la baie d’Hudson. Partout, d’immenses territoires vierges. Des steppes alternent avec de gigantesques forêts. Pratiquement pas de villes, ou quelques villages isolés. Le coin parfait pour passer inaperçu.
Ils franchissent le fleuve Albany et décident de ne pas pousser jusqu’à la baie. Des centaines de kilomètres inutiles. Eric repère une clairière noyée dans des sapins et des mélèzes.
— Attendons, dit Maubry, sautant le premier sur le sol. Ils viendront sûrement.
Le même scénario qu’avec Stone se reproduit. La pensée des Zikors s’infiltre dans celle de Joë. L’astronef doit apparaître d’une minute à l’autre et les machines ont déterminé l’emplacement exact du médium.
La boule verdâtre, luminescente, surgit dans le ciel, du côté de la baie de Hudson. Les trois hommes suivent sa trajectoire. Elle arrive sur eux à une vitesse vertigineuse, puis se stabilise à quelques centaines de mètres. Les témoins de cette scène insolite distinguent très nettement les milliers de facettes qui composent la masse énergétique. Des milliers de petits miroirs qui réfléchissent la lumière.
Le vaisseau plonge dans la forêt, s’engloutit.
— Allons-y, décide Joë avec sang-froid.
Les deux savants restent muets de stupeur.
Jusqu’au bout, Hobleton avait pensé que Maubry se trompait, qu’il était victime d’une farce monumentale. Maintenant, il reconnaît son erreur.
Il bredouille :
— Je m’excuse, Maubry. Les Zikors existent.
— Je n’en ai jamais douté, dit Joë, accélérant le pas.
Tous trois s’infiltrent sous les arbres. Très rapidement, guidés par la lueur dégagée par l’astronef, ils atteignent le point de chute.
Une créature les attend, immobile à vingt mètres devant son prodigieux engin. Un Zikor, qui ressemble à tous les autres, à Tot’An. Des êtres sans personnalité ne peuvent pas posséder des enveloppes charnelles différentes. La monotonie se loge jusque dans leur aspect biologique.
Une pensée assaille le téléreporter :
— Je m’appelle Mem’La. J’appartiens au groupe XM.102.
Maubry se nomme à son tour. Il sent tout de suite que Mem’La va jouer un rôle dans sa vie. L’extra-solaire désigne Hobleton et Mosbi à l’aide de l’un de ses tentacules :
— Pourquoi n’êtes-vous pas venu seul ?
— Des savants s’intéressent à votre civilisation.
— Nous ne voulons aucun tiers entre vous et nous. Votre monde doit ignorer notre présence.
Le professeur et son assistant se figent soudain, incapables d’esquisser le moindre geste. Mieux, ils sont devenus muets. Des statues, dont l’immobilité inquiète Joë.
— Rassurez-vous, dit le chef du groupe XM. 102. Nous neutralisons vos compagnons momentanément. Vie suspendue, si vous préférez.
Il explique, comme Tot’An l’a fait pour Stone, ce que recherchent exactement les Zikors à travers l’univers. Brièvement, il raconte l’histoire de sa race, sa fragmentation en groupuscules.
Un point retient l’attention de Maubry :
— Combien d’astronefs zikoriens circulent dans l’espace ?
— Des milliers.
— Si l’un d’eux s’accidente ?
— Impossible. Nos machines, infiniment plus perfectionnées que les vôtres, et basées sur des principes beaucoup plus simples, nous mettent à l’abri des accidents.
— Pourtant, vous mourez. Chaque groupe devrait se décimer.
— Non, dit encore Mem’La. Le moment venu, nous nous reproduisons. Nous donnons naissance à une seule créature, identique.
— Comme les amibes ? compare le reporter, passionné, en quête d’un reportage sur une civilisation extra-terrestre.
— Oui. Maintenant, venez.
Joë suit le Zikor, après un dernier coup d’œil à Hobleton et à Mosbi, raidis par des paralysants. Il s’introduit dans l’astronef. L’émotion lui noue l’estomac, mais Mem’La le met en confiance. La silhouette blanchâtre et inhumaine des Zikors est pourtant effarante.
La crainte ne se justifie pas. Maubry ignore encore ce qu’on attend de lui. Il pénètre dans une salle nue, où trois autres extra-solaires, exactement semblables à leur chef, attendent.
Il se dirige vers un solide en forme de parallélépipède, irradiant une lumière bleue. Comme Stone, Joë s’allonge sur cette sorte de table, qui est en réalité une machine très perfectionnée. Son corps devient transparent.
Mem’La se couche aux côtés du Terrien. Les énergies fluidiques de leurs deux corps se mélangent. Puis au bout de plusieurs minutes, le chef du groupe XM.102 se lève le premier. Il contemple le reporter encore immobile :
— La mémoire de Maubry m’a été transmise, dit-il, solennel. Cet homme est devenu télépathe grâce à une expérience. Son corps a été réduit, biologiquement, à la taille d’un microbe. Du coup, son potentiel énergétique a subi une variation importante. En lui-même, si on le compare à ses semblables, il ne s’agit donc pas d’un phénomène, d’un être supérieur. C’est plutôt une victime, la conséquence imprévue d’un état microbiologique. L’important, pour nous, est que cet homme ait pu capter notre pensée.
Quand Joë revient à lui, il trouve Mem’La emballé. Il lui devine un désir pénétrant.
— Vous voulez aller sur Vénus ?
— Oui, acquiesce le Zikor. Îlot M.Z.14. Ce n’est pas aussi votre intention ?
— Si. J’aimerais retrouver ma femme, Joan, et mon cameraman Hens.
Hobleton et Mosbi sont psychoguidés vers l’astronef, placés sur des couchettes, mis hors circuit. Puis le fabuleux vaisseau de lumière s’élance vers la planète Vénus.