CHAPITRE V

Joë amène son poignet droit à hauteur de son regard. Pas pour consulter l’heure. Mais il porte à cet endroit un appareil deux ou trois fois plus volumineux qu’une montre.

Enfonçant une micro-touche, il perçoit aussitôt un grésillement émanant d’un minuscule haut-parleur. Le contact est établi. Parfait. Il peut parler. Il se penche vers un invisible microphone. Des transistors, des circuits, des amplificateurs feront le reste.

— Allô, Joan ?

Les reporters se sont entraînés sur la Terre à la manipulation de ces nouveaux émetteurs-récepteurs. Leur portée couvre plusieurs dizaines de kilomètres. Maubry se demande comment les techniciens avaient pu loger toutes les micro-pièces dans un espace aussi réduit, vraiment ultra-concentré.

La voix de Joan nasille un peu, mais elle reste très audible. La perfection s’améliorera avec les progrès techniques.

— Joë ? Oui, je t’entends parfaitement.

— J’ai fouillé toute la maison, de fond en comble. Je n’ai rien découvert de particulièrement intéressant.

Il imagine sa femme, penchée elle aussi sur le micro-émetteur, quelque part sous les frondaisons, à la pointe-nord de l’île. C’est-à-dire à moins d’un kilomètre.

— L’appareil n’a pas bougé de la grotte, explique la journaliste du Star-Tribune. Nous surveillons l’entrée, avec Hens.

— Bien. La fusée en provenance de la Terre est arrivée à la base américaine. Dans deux ou trois heures, au maximum, nous aurons sûrement de la visite.

— Tu es bien affirmatif.

— La logique, mon chou. La disparition de Stone coïncidait avec le départ de l’astronef pour Washington, voici un mois. Toujours logiquement, Jen devrait revenir par le même procédé.

Après le départ des deux inconnus en hélibulle et la spectaculaire disparition de Stone, les reporters avaient jugé bon de fouiller la maison sur pivot. Leurs recherches s’étaient soldées par un échec complet. Pas de Stone nulle part. Le condamné avait quitté son îlot par un moyen insoupçonnable.

Joë était donc d’accord pour rentrer à la base. Leur surveillance dans l’île ne se justifiait plus. Aussi, à l’aide d’un émetteur portatif, mais plus puissant que celui fixé au poignet, il avait appelé Craig. Celui-ci était alors venu chercher ses camarades et les avait ramenés à la base.

Naturellement, Craig n’avait pas aperçu Stone. Les reporters avaient assisté à rembarquement des passagers à destination des États-Unis car le cargo transplanétaire partait le lendemain. Des policiers filtraient soigneusement les voyageurs, vérifiant leurs identités. Les précautions étaient telles qu’un condamné n’aurait pas pu embarquer à bord du vaisseau. D’ailleurs, à l’arrivée à Washington, une fouille en règle éliminait la possibilité d’un passager clandestin.

Hens, toujours aussi physionomiste, remarqua bien le petit barbu, à la mine sévère, qui franchissait la passerelle. Le barbu de l’hélibulle et qui connaissait forcément Stone. Son court séjour sur Vénus ne s’expliquait pas d’une façon compréhensible. Mais Will fut persuadé que le second inconnu ne quittait pas la planète. Il serait donc toujours possible de le retrouver éventuellement, et de lui demander des explications.

Joë convainquit ses camarades, y compris Craig, qu’il n’était pas de leur intérêt de prévenir la police. Après tout, il s’agissait d’une compétition entre les représentants de l’ordre et la presse. Il fallait absolument que Maubry et Joan découvrent le mystère avant les policiers. Ne serait-ce que pour s’octroyer les faveurs de leurs patrons respectifs.

Ce mutisme, ils le conservèrent donc pendant un mois, jusqu’au retour de l’astronef. La veille de l’arrivée du courrier régulier, ils décidèrent de retourner dans l’île M.Z.14. Craig les transporta et revint immédiatement à la base.

Il assista au débarquement des passagers. Des savants, des touristes. Naturellement aucune personne ressemblant à Stone ne se trouvait parmi les voyageurs. Même le petit barbu n’était pas là.

Craig dévora les journaux en provenance de la Terre. La nouvelle courut comme une traînée de poudre à travers la base. Jen Stone avait tué le commissaire Borton de plusieurs balles de revolver !

Murray communiqua l’information à ses amis, sur M.Z.14. Les envoyés spéciaux se demandèrent si tout cela avait un sens, s’ils ne vivaient pas en pleine science-fiction.

Pourtant, la coïncidence de ces événements avec la disparition de Stone possède quelque chose de frappant. C’est pourquoi Joë est décidé à attendre le retour de Jen, dissimulé dans la maison sur pivot.

Il a trouvé une cachette excellente. Le tuyau d’un aérateur. Il est descendu à l’aide d’une corde dans cette sorte de cheminée verticale qui débouche sur le toit, fortement incliné à cause des pluies torrentielles. Certes, il connaît une position inconfortable, car le tuyau n’excède pas cinquante centimètres de diamètre. Mais comme l’autre extrémité de la gaine s’ouvre dans le salon par une grille très fine munie d’un ventilateur, il peut entendre, et même voir, tout ce qui se passe dans la pièce.

Pour le moment, en attendant de gagner son poste, Maubry se repose dans un fauteuil. Il apprécie le confort de l’habitation. Brusquement, le grésillement de son micro-émetteur le rappelle à une réalité beaucoup plus sombre.

La voix de Joan halète :

— Hens me signale l’apparition d’une hélibulle dans le ciel. Tu n’as que quelques minutes pour regagner ta tanière. Bonne chance, mon chéri.

— N’entre surtout pas en contact avec moi, recommande Joë. Le risque serait trop grand. Veillez au grain de votre côté, comme convenu.

Il coupe la communication. En vitesse, il gagne le toit, se glisse dans la cheminée. Pour lui permettre de ressortir beaucoup plus aisément, il laisse le crochet de sa corde pendu au rebord de l’ouverture extérieure. Il espère que de l’hélibulle, personne ne remarquera la présence du crochet en fer.

Il est temps. Deux minutes plus tard, il perçoit le hurlement de la turbine. Il imagine l’engin, se posant dans la clairière. Combien sont les nouveaux arrivants ? Stone se trouve-t-il parmi eux ?

Il se place dans une drôle de position, très inconfortable. Assis, sur le fond de la cheminée, mais les pieds en l’air. Car l’exiguïté du tuyau ne lui permet pas d’autre choix. Néanmoins, il s’assure une perspective d’optique adéquate. Il distingue le lit, les fauteuils.

La perception d’une voix le rend anxieux. Il retient sa respiration. S’il était découvert, dans son trou, il serait pris comme un rat. Enfin, deux hommes entrent dans le salon.

La déception ombre le front de Joë. Deux hommes, mais pas de Jen Stone. Toutefois, il croit reconnaître l’individu qui était déjà venu avec le barbu. L’autre est inconnu. Il s’agit d’un type assez corpulent, sans signe particulier. Il ne dépasse pas quarante ans. Les deux visiteurs se connaissent car ils se tutoient. Ça prouve même une certaine intimité.

— Bon. Couche-toi, Sam, invite le plus jeune, celui que Joë a déjà entrevu.

Le gros obéit. Il s’allonge sur le lit, balance sa veste sur un fauteuil, dégrafe sa chemise qu’il quitte carrément. Son regard marque une certaine inquiétude que son compagnon dissipe très rapidement :

— Ne crains rien. J’ai l’habitude, maintenant. Tu as peur ?

— Non, soupire Sam. Mais ce n’est pas habituel.

Le plus jeune des deux hommes a amené une serviette. Il l’ouvre, déballe un matériel de pharmacien. Il s’arme d’une seringue où stagne déjà un liquide légèrement ambré.

S’approchant du lit, il ordonne :

— Lève ton bras. Oui, comme ça.

Joë retient de plus en plus sa respiration. Il assiste à une scène étrange dont il ne devine pas toute l’importance. Il sent pourtant confusément que quelque chose se trame, que l’enjeu s’avère immense. Mais quel but poursuivent ces deux hommes ?

Le plus jeune cherche un endroit très précis sous le bras de son compagnon. Il le localise facilement, grâce à un point noirâtre qui saille sous la peau. Cette tumeur ne dépasse pas la grosseur d’un petit pois. Maubry ne peut donc la remarquer de son poste d’observation.

L’aiguille de la seringue s’enfonce dans cette tumeur molle. Sam se mord les lèvres mais, en fait, il ne ressent aucune souffrance. Surtout une grosse appréhension. L’opérateur aspire lentement le contenu aqueux du kyste, qui passe ainsi dans la seringue où il se mêle au liquide ambré. Le mélange fournit une substance noirâtre, extrêmement fluide.

Le plus jeune des deux hommes replace son instrument dans sa boîte. Il s’entoure de grandes précautions. Puis il se déride :

— Alors, Sam, ton trac est terminé ?

L’autre se tamponne légèrement sous le bras avec un coton imbibé d’antiseptique. Il se redresse. Sa poitrine velue tranche sur les draps blancs. Il respire plus librement et un sourire tord sa bouche soulignée par une fine moustache :

— Franchement, je croyais que c’était plus compliqué. Mais tu sais, Eric, ça coûte terriblement cher tout ça.

Eric range la boîte étanche dans la serviette.

— Je sais. Hobleton dispose d’énormes capitaux.

— Parce que Stone lui en fournit.

— Bah ! Tout ça, c’est pour Jen. Alors il peut bien payer. Il a ramassé une fortune considérable.

Sam remet sa chemise, puis sa veste. Les deux hommes quittent le salon et échappent à la vue de Joë. Mais celui-ci a plus appris en ces quelques minutes que depuis son arrivée sur Vénus. Ce qu’il a vu et entendu le déroute. Il ne comprend toujours pas. Cependant, la piste paraît sérieuse.

Comme il perçoit le hurlement d’une turbine, il en conclut que l’hélibulle quitte la clairière. Aussitôt, il alerte Joan, grâce à son micro-émetteur :

— Mon chou. Les deux types qui sont venus ici s’appellent Sam et Eric. Rappelle-toi aussi d’un certain Hobleton. C’est ça, note-le sur ton carnet. Sam et Eric se sont livrés à une séance… Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ?

— L’hélibulle s’est posée sur la côte Ouest. Ses deux passagers se dirigent probablement vers la grotte. Attention, les voilà…

Debout dans la cheminée, Joë éprouve des fourmillements dans les jambes. L’ankylose le guette. Il transpire aussi à grosses gouttes car il fait terriblement chaud dans ce tuyau.

Joan donne les dernières informations :

— Les deux hommes sont entrés dans la caverne. L’un d’eux porte une serviette à la main.

— Celui-là, c’est Eric, précise Joë. Attendez qu’ils ressortent. Mais surtout, restez planqués. Hens est avec toi ?

— Oui, rassure-toi, chéri. Je te rappellerai tout à l’heure.

Maubry pousse un profond soupir. Il sent que son enquête aborde un tournant décisif, capital. Sam et Eric détiennent un secret extraordinaire. Le secret de Jen Stone.

Il remonte sur le toit, respire à pleins poumons un air tiède. Le ciel se charge dangereusement. Ces symptômes annoncent l’arrivée d’un ouragan et Joë est persuadé que l’hélibulle ne regagnera pas directement la base sans faire un crochet par la maison de Stone.

Au bout d’une heure, le vent secoue déjà fortement les arbres. L’océan mugit comme une bête féroce, cogne contre tout ce qui lui résiste, écume de rage. Les nues se déchirent, déversent une pluie chaude.

Inondé, Joë se trempe jusqu’aux os. Il s’en moque. La douche le ravigote. Mais il doit s’accrocher à la cheminée pour ne pas être emporté par le vent comme un fétu de paille.

Enfin, Joan l’appelle. Sa voix se brise sous le coup d’une émotion intense. Une voix d’ailleurs un peu déformée par les parasites dus aux conditions atmosphériques :

— Joë ! Joë ! Eric et Sam sont ressortis de la grotte avec Stone !

Maubry sent que sa raison s’égare. Il ne prend pas garde à la pluie :

— Avec Stone ? Tu es sûre ?

— Oui. Ils ont regagné l’hélibulle. Attends-toi à les revoir.

En vitesse, pressé par le temps, le téléreporter plonge dans la gaine d’aération. Il se retrouve au fond de la cheminée qui possède une évacuation pour l’eau de pluie. Le vent et les éléments déchaînés ne lui permettent pas d’entendre l’arrivée de l’hélibulle.

Quand trois hommes entrent dans le salon, il sursaute. Il reconnaît cette voix grave. Puis, par la grille, il aperçoit Stone. Cette réapparition l’immerge dans un abîme de réflexion. C’est de la sorcellerie.

Jen sert à boire à ses amis. Puis il s’éclipse de la pièce. Il monte discrètement sur le toit, glisse son œil dans la gaine d’aération. C’est bien ça. De l’hélibulle, il avait remarqué ce crochet en fer qui dépassait de la cheminée. Or, comme Eric vient de lui apprendre que les reporters avaient quitté la base la veille de l’arrivée de la fusée spatiale, il a opéré un certain rapprochement.

Un rapprochement très réussi. La preuve. Il découvre un type camouflé dans la gaine. Dès lors, Stone devine que tout son plan s’effondrerait si ce petit curieux parlait.

***

Au fil des secondes, les traits de Joan se creusent d’angoisse. Ses lèvres tremblent, sa voix se casse. Le micro-émetteur à hauteur de sa bouche, elle appelle vainement :

— Joë ! Joë ! Je t’en prie, réponds-moi.

Rien. Pas le moindre écho, en retour. Le silence. Le silence inquiétant, pétri d’incertitude. Hens essaie de rassurer la journaliste :

— Joë est peut-être placé dans de telles conditions, qu’il ne peut pas répondre. Vous auriez même tort d’insister. Si cela lui portait préjudice ?

Joan sait bien que le cameraman dit ça pour lui faire plaisir, alors qu’il pense le contraire. Aussi elle hoche la tête, soupire avec effort, au bord du sanglot :

— Stone, Sam et Eric ont quitté la grotte depuis une heure. Ils ont largement regagné la maison. Pourquoi Joë s’obstinerait-il ? Qu’espère-t-il contre trois adversaires ?

— Eh bien !… eh bien !… Il écoute leur conversation, toujours à son poste de guet. C’est très édifiant, une conversation.

L’attente torture visiblement Joan. Elle ne tient pas en place. Au seuil de la grotte, elle regarde tomber la pluie avec violence. Le vent agite les arbres, comme s’il voulait les arracher. Le ciel s’assombrit de plus en plus.

Très rapidement, la nuit tombe. Stone et ses complices sont partis depuis deux heures. Deux heures d’anxiété. De quoi devenir fou. Aussi la femme de Maubry n’en peut plus :

— Il faut faire quelque chose, décide-t-elle.

— Le mieux serait de rôder autour de la maison, suggère Hens. Peut-être découvrirons-nous Joë.

— Surtout pas de caméra, Will. Pas de caméra. Nous n’allons pas au spectacle.

Hens s’incline. Il roule son appareil de prises de vues dans un sac étanche. Il sort. La pluie l’assaille, l’inonde, malgré son imperméable. Il cache la caméra dans un fourré.

Joan le rejoint. L’eau ruisselle sur son visage mais l’étanchéité de leurs vêtements assure une isolation parfaite. La pluie crépite sur le plastique translucide.

Tous deux se dirigent vers l’habitation. Will marche en tête. La tourmente rend leur progression difficile. Quelques centaines de mètres à franchir. Mais parfois, ils s’enfoncent dans un cloaque. La pluie transforme le sol en bourbier.

Le vent les oblige à avancer, courbés en deux. Hens connaît maintenant bien la région. Il suit une sorte de sentier. Pas question d’utiliser leurs lampes électriques. Ils se feraient repérer.

Enfin, ils parviennent à proximité de la maison sur pivot. Toutes les fenêtres brillent de lumière. Mais aucune silhouette ne se détache. Pourtant, trois hommes s’abritent à l’intérieur. Trois hommes qui détiennent un secret mystérieux, des possibilités énormes.

Hens veut s’approcher davantage mais Joan le retient.

— Non. Ne me laissez pas seule. J’ai peur.

— Peur pour vous ou pour Joë ?

— Oh ! Pour Joë. Je crains qu’il n’ait été surpris. Il n’appelle toujours pas.

Elle contemple son micro-récepteur muet. La clairière toute mouillée offre son arc de cercle désertique que nimbe un soupçon de clarté en provenance de l’habitation. L’hélibulle dessine sa masse sombre.

Hens hésite à s’aventurer dans cette zone découverte. Caché, derrière un tronc humide, il tend vainement l’oreille. Pas de cris. Pas la moindre voix. Le ruissellement de l’eau, le hurlement du vent, couvrent tous les autres bruits, dominent la nuit tourmentée.

Brusquement, le cameraman sent quelque chose de dur qui lui meurtrit le dos. Il se raidit, lève instinctivement les mains. Il devine trop bien ce qui se passe. D’ailleurs, quelqu’un lui ordonne, ôtant ainsi toute équivoque :

— Retournez-vous lentement, bras en l’air.

Il obéit. Il se trouve face à deux hommes :

Eric et Sam. Il les reconnaît, les visages un peu gouailleurs. Ils braquent des revolvers d’anciens modèles. Mais les balles, mêmes anciennes, vous trouent les tripes ou la poitrine. Et les deux individus ne plaisantent sûrement pas.

Joan aussi a pivoté et levé les bras. Elle sent que toute résistance serait inutile, s’achèverait par un double meurtre. Ses traits lavés par la pluie se contractent davantage et lui donnent un visage torturé par la souffrance morale. Elle tremble pour Joë. Peut-être que…

— Avancez vers la maison, intime Eric. Quelqu’un vous attend, là-haut.

Quelqu’un. Ils savent. Il s’agit de Stone et ils se préparent à des moments difficiles. Leur curiosité pourrait leur coûter très cher.

Ils gravissent l’escalier conduisant à la terrasse, comme des condamnés marchant à l’échafaud. Ils ont percé un trop grave secret pour qu’ils retrouvent leur liberté.

Dans le salon, violemment éclairé, ils retrouvent deux hommes, debout face à face : Stone et Maubry.

Joan se précipite dans les bras de son mari. Elle sanglote.

— Oh ! Chéri… Tu es vivant ?

Joë, trempé comme une éponge, aide sa femme à se débarrasser de son vêtement de pluie. Stone ricane.

— Charmant tableau. Ces deux-là sont mariés. Et tout récemment encore. Non, Eric, laisse-les. Ils s’aiment. C’est parfait.

Le gangster jouit de son triomphe. Il joue au chat et à la souris et, naturellement, il occupe la place la plus confortable. Celle du chat.

Sam, d’une bourrade, pousse Hens vers ses camarades. Le trio de reporters, réunis, ne bronche pas. Leur sort est entre les mains de Jen.

Celui-ci allume une cigarette. Ses yeux noirs fixent ses prisonniers.

— Tous les trois, vous êtes de petits curieux. Je n’aime pas ça du tout. Je me doutais bien que les deux autres rechercheraient leur camarade. Tu n’as eu aucune peine à les surprendre, Eric.

— Oui, explique celui qui paraît avoir étudié la médecine. Ils agissaient sans tactique.

— Eh bien ! soupire Stone, tout ça me semble diablement intéressant. L’un de ces petits journalistes s’est même payé le luxe d’interroger Claudia, à Miami.

Il montre son visage en pleine lumière, s’avance vers les trois reporters, figés au centre de la pièce.

— Ça vous épate, hein, de me revoir ? Pourtant, comme vous le savez, j’ai descendu Borton. Le commissaire. J’en descendrai d’autres, car ma vengeance commence seulement. Demain, mes petits amis, Perry et Hoker vont rappliquer. Des gars jamais pressés. Ils n’y comprendront rien, comme d’habitude. Et ils retourneront à la base avec la conviction que je n’ai jamais quitté mon île.

Eric ne se montre pas aussi optimiste que Jen.

— Tu oublies le correspondant local de la T.V. : Murray Craig.

Stone esquisse un geste méprisant. Sa main droite, largement ouverte, balaie le vide. Comme s’il se moquait de tous les obstacles. D’ailleurs, il suggère une solution pour tout. C’est un homme de ressources. Il le montre.

— Tu t’occuperas de lui, Eric. Craig n’a sûrement encore rien dit car les flics seraient déjà là. Non, ces messieurs et cette jolie dame sont des reporters. Comprends-les. Ils tenaient à griller la police, à informer leurs journaux en priorité. Dans cette histoire de concurrence, la meilleure arme est le silence.

— Que vas-tu faire d’eux ? demande Sam.

Joan, Hens et Joë retiennent leur respiration. Leur sort se joue dans les secondes qui suivent et il dépend de Stone. Uniquement de lui.

Jen s’amuse. Il se vautre dans un fauteuil, se verse une rasade de Cutty Sark. Puis il replace sa cigarette au bout de ses lèvres. Il jauge ses prisonniers comme du bétail.

— Je vais tenir au moins deux d’entre eux sous ma coupe. Ils m’obéiront aveuglément. Ça, je vous le garantis. Quant au troisième…

Stone éclate d’un rire gras, discordant, cynique. Il ajoute :

— Quant au troisième, il sera bien incapable de jouer le moindre rôle. Il passera dans le réducteur.

Eric et Sam se regardent, comme s’ils ne s’attendaient pas à cette décision. Puis le premier hoche la tête.

— Tu veux le réduire ? Pourquoi ? C’est plus facile de s’en débarrasser autrement.

— Je tiendrai les autres à ma merci. Avant de supprimer totalement quelqu’un, il faut bien réfléchir et savoir s’il ne serait pas utilisable. Or, j’ai idée que nos prisonniers, liés comme ils le seront à moi, deviendront des complices d’une docilité extrême.

Il se tourne vers les reporters.

— Vous ne me croyez pas ?

Hens crache sur le sol.

— Devenir votre complice ? Jamais. Plutôt la mort.

Stone demeure étrangement calme, peu rassurant. Son regard brille avec une étrange fermeté !

— Vous changerez d’avis. Généralement, la première réaction est violente. L’instinct la guide. Mais en réfléchissant mieux, vous comprendrez que votre intérêt commun sera la voie de la sagesse.

Il tend l’oreille, s’approche de la fenêtre.

— La tourmente se calme. Peut-on commencer immédiatement, Eric ?

— Rien ne s’y oppose.

— Bien. Par précaution, cependant, nous attacherons les mains de nos prisonniers. En fait, ils ne pourraient pas quitter l’îlot. Mais s’ils nous faussaient compagnie, comme c’est sûrement leur idée, cela exigerait un retard supplémentaire dans l’exécution de nos plans.

Sam et Eric lient les poignets des reporters derrière le dos. Ils serrent copieusement les liens et semblent artistes dans ce genre de travail. Si nos amis mûrissaient des projets d’évasion, ils savent maintenant que ces projets tombent à l’eau.