CHAPITRE VI
Sam libère Joë de ses liens et le pousse vers la grosse éprouvette renversée. Le panneau coulissant, qu’avait remarqué le téléreporter, sert de porte. Maubry sait maintenant que dans le tube à vide, un homme peut entrer, un homme tout nu ou habillé. Ça n’a guère d’importance.
Il se fige au seuil de l’étrange voûte de verre. Il esquisse même un mouvement de recul, inutile mais instinctif. Sam, d’une poigne solide, le précipite dans l’énorme récipient. Joë cogne de la tête dans la paroi opposée, résistante. Sûrement un verre spécial, épais.
Eric referme le panneau. Maubry, prisonnier du tube, s’agite désespérément dans son local exigu. Il parle. Mais sa voix ne transperce pas les parois. Ses poings martèlent le verre.
— Non ! Non ! hurle Joan, défigurée. Je vous en supplie, relâchez-le.
Elle veut se précipiter vers l’éprouvette géante. Hens la retient car Sam a ôté aussi leurs liens.
— Maîtrisez-vous, Joan, et soyez courageuse. Vous reverrez Joë.
Le visage enfoui dans ses mains, elle sanglote.
— Ils le tueront !
Elle ne regarde pas, se détourne vers le mur humide du souterrain. La grotte, violemment éclairée par des lampes, prend l’aspect d’un laboratoire infernal.
Stone attend que la journaliste se calme. Il hoche la tête, adresse un signe à ses complices.
— Vas-y, Eric.
Ce dernier, devant le tableau de commandes, appuie sur des touches successives. Une impressionnante énergie se libère, se rue dans les électrodes. Cela se traduit par un ronronnement sourd, à peine perceptible, par des crépitements secs, des claquements. Mais surtout par un magnifique orage électromagnétique.
Chaque électrode émet d’énormes étincelles vertes, mauves, oranges. Ces décharges frappent Maubry qui paraît figé, immobile, insensible, comme une statue. Nul doute, un rayonnement intensif le paralyse mais des neutralisateurs empêchent qu’il ne soit électrocuté. L’énergie libérée atteint certainement plusieurs millions d’électrons-volts.
Sur des écrans, Eric suit la marche de l’expérience. On devine qu’il possède une grande habitude dans ce genre d’exercice. D’ailleurs, il est le premier assistant du professeur Hobleton. Une référence. Hobleton et son équipe se sont spécialisés dans la bioélectronique.
Eric enclenche d’autres circuits. Des rayonnements inondent l’intérieur du tube où Maubry a totalement perdu conscience.
— Non, ne vous retournez pas, conseille Hens qui tient solidement Joan par les épaules. À quoi bon ? De toute manière, vous n’y changerez rien. Autant que vous imaginiez Joë comme il était auparavant.
Joan sanglote, le menton sur sa poitrine. Sa détresse émeut Stone.
— Vous savez, précise le gangster. Par deux fois, déjà, j’ai utilisé ce genre d’appareil. Eh bien ! cela n’a en rien altéré ma santé. Je vous rendrai votre mari lorsque je le jugerai bon.
— Monstre ! glapit la journaliste. Je vous hais.
— Comme vous voudrez, ma petite, grogne Jen qui regrette son moment d’attendrissement. Je disais ça pour vous rassurer.
Dans l’éprouvette géante, l’orage magnétique se poursuit. Les étincelles fulgurent, multicolores, s’enroulant autour des électrodes. Le corps de Maubry paraît imprégné d’énergie. Un halo mauve l’auréole, insidieusement. Déjà il paraît rapetissé.
Les miroirs paraboliques concentrent les rayonnements. Maintenant, de minute en minute, le prisonnier du tube se réduit. Mieux, il se dématérialise. Il devient translucide, perd de sa consistance.
Le spectacle fascine Hens. Il transpire à grosses gouttes. La gorge sèche, il halète. Il faut absolument que Joan n’assiste pas à cette scène extraordinaire. Aussi, avec effort, il maintient la femme de Joë tournée dans la direction opposée. La malheureuse sait qu’il vaut mieux qu’elle ne regarde pas.
Au bout d’une demi-heure, Maubry a complètement disparu. Eric stoppe le réducteur biologique. Le silence envahit la grotte et Joan, alors, se retourne. Hens ne s’y oppose plus.
La journaliste du Star-Tribune jette un regard affolé vers le tube. Un vide, un vide étrange. L’éprouvette chancelle devant ses yeux. Ses jambes flanchent. Elle se raccroche à Hens.
Stone, Sam et Eric l’observent avec indifférence. Son sein se soulève. Un poids énorme comprime sa poitrine, noue sa gorge. Enfin, elle balbutie, complètement vidée :
— Joë ! C’est… impossible !
Eric hausse les épaules. Son travail n’est pas terminé. Il ouvre le panneau coulissant, s’approche de l’énorme tube, s’agenouille. Il tient une seringue à la main.
Il ne tremble pas. Ses gestes sont d’une sûreté étonnante. Au fond de l’éprouvette, sur une plaque de verre, existe une légère dépression, à peine visible. Un creuset minuscule, mais où clapotent quelques gouttes d’un liquide noirâtre.
L’assistant de Hobleton trempe l’aiguille de la seringue dans le creuset. Il aspire le liquide jusqu’à la dernière goutte, puis il injecte ce contenu dans une éprouvette de taille normale, qu’il bouche aussitôt, hermétiquement.
Stone s’empare du tube, le montre à Joan épouvantée, plus morte que vive.
— Je tiens votre mari dans ma main, ricane-t-il, démoniaque. Je vous conseille donc de passer par mes quatre volontés. Vous et votre cameraman. Sinon, il pourrait bien arriver que, par inadvertance, l’éprouvette m’échappe des doigts. Elle se briserait sur le sol. La terre boirait le liquide. Je pense que vous me suivez.
— Taisez-vous ! râle Joan, pâle comme un cadavre, figée.
— Bien. Je vois que vous comprenez très vite. Si ces quelques gouttes de soluté s’échappaient du récipient, votre mari serait irrécupérable.
— Que devons-nous faire ? grince Hens entre ses dents. Votre marchandage est ignoble.
L’allusion n’impressionne guère le gangster.
— Vous tenez la vie de votre petit camarade entre vos mains. Souvenez-vous-en.
Hens et Joan sentent un violent écœurement pour ce genre de personnage. Une sorte de nausée. Des individus qui utilisent la science à des fins ignobles. D’ailleurs, le mystère entourant ces agissements n’a pas tout perdu de son épaisseur. Mais il se décante lentement.
Sam n’a pas besoin de son revolver pour reconduire les prisonniers vers la maison. Les reporters ne bronchent pas. Eric Mosbi a glissé dans sa serviette le tube qui contient Joë. Même en admettant que Hens ou Joan récupèrent ce tube, par un moyen quelconque, ils ne pourraient pas rendre à leur compagnon sa taille normale. Ils auraient besoin de Mosbi, ou de Hobleton. Un pacte sournois, involontaire, les lie donc aux gangsters, irrémédiablement. S’ils s’en écartent, les conséquences seraient funestes pour le pauvre Joë.
Quand ils reviennent à la maison sur pivot, la tourmente s’est totalement calmée. Mieux, les nues, déchirées, découvrent pudiquement les étoiles.
Dans le salon, Stone fait asseoir les reporters, Eric et Sam. Il dresse un plan de bataille.
— Il faudra, Eric, que je retourne sur la Terre pour la troisième fois. Toute une liste de gens doit payer ma condamnation.
— Le jury ? lâche Mosbi en allumant une cigarette.
— Oui. Lui. Ils y passeront tous, les uns après les autres. Je suis assuré de l’impunité. Au pire, une nouvelle condamnation à perpétuité. Très drôle, non ? Quand part la prochaine fusée pour Washington ?
— Dans une semaine, apprend Sam.
— Eh bien ! Sam, tu seras de nouveau mon porteur. Tu trimbaleras un parasite sous ton bras. Vrai. Pourquoi sous le bras, Eric ?
— Parce que, explique l’assistant de Hobleton, il existe dans cette partie du corps des replis de peau importants qui permettent une localisation très précise du soluté, une injection intradermique facile, parfaite. D’autre part, cette région est l’une des moins exposées aux chocs, aux pressions, qui pourraient éventuellement chasser hors de la tumeur kystique le liquide injecté.
— Bien, docteur Mosbi, plaisante Stone. J’apprécie ton cours d’anatomie. Sans toi, sans Hobleton, je n’aurais jamais pu quitter ce sale îlot perdu dans un océan en furie. Encore dix ans de cette vie, et je devenais dingue. Comme beaucoup d’autres. Or, vous savez comment ils finissent, les dingues ? On les retrouve un jour pendus dans leur maison sur pivot, ou noyés, ou les artères des poignets entaillées, le sang vidé. Ça permet de récupérer la place pour un autre.
Soudain, Jen change d’attitude. Carrément. Son visage se fige, se contracte. Il se dresse, tous ses sens en éveil, le regard fixé vers le ciel étoilé. Il s’arrête sur la terrasse, face à la nuit, et là, brusquement, semble échapper au monde qui l’entoure.
— Hé ! Jen ! appelle Eric, le front rembruni. Qu’est-ce que tu fabriques sur le balcon ? Tu rêves ?
— Ça me reprend, marmonne Stone. Oui, par deux fois, déjà, j’ai ressenti la même impression. C’est extraordinaire. Les deux autres fois, j’étais seul.
Intrigués, Mosbi et Sam rejoignent leur compagnon sur la terrasse. Stone ignore leur présence. Il reste immobile, l’œil immuablement rivé sur la voûte céleste. Il paraît tendu à l’extrême. Comme s’il guettait un bruit venu de l’extérieur. Un bruit ou autre chose d’indéfinissable.
— C’est toujours la nuit que ça me prend, ajoute-t-il sans tourner la tête, comme accaparé par un événement étrange, surnaturel.
Eric approfondit le mystère. Il questionne :
— Que ressens-tu ?
— Physiquement ? Rien. Mais à l’intérieur de moi, je perçois comme une pensée. Oui, c’est ça. Une pensée qui vient de loin, de très loin. Elle se vrille dans mon cerveau, m’obsède au point que je n’arrive pas à m’en débarrasser.
— Cette pensée se traduit par quoi ?
Stone parle sans même s’en rendre compte.
Il récite, l’esprit totalement ailleurs :
— Par des mots, des phrases. Une vraie conversation. Mais je ne vois pas mes correspondants, les Zikors.
— Les Zikors ? s’étonne l’assistant de Hobleton, tandis que Sam grimace drôlement. Qui sont-ils ?
— Je ne sais pas. Je te le répète, je ne les vois pas.
— Que te disent-ils ?
— Ils viendront sur Vénus pour prendre contact avec moi.
— Quand ?
— Je n’en sais rien.
Sam hausse les épaules.
— Demande-leur donc !
Jen tourne la tête, s’amollit, se déride. Il passe une main égarée sur son front et semble très abattu par cet effort mental intensif, prolongé. Il sue à grosses gouttes.
— J’ai perdu le contact, gémit-il.
Sam entraîne Stone vers le salon, où Joan et Hens ont assisté à la scène avec une prudente réserve. Eric verse un Cutty Sark à Jen, lui tend le verre.
— Tiens, bois. Ça te remettra.
Le gangster avale l’alcool d’un trait. Les jambes coupées, il s’avachit sur le lit.
— Pourquoi ne m’as-tu jamais parlé de ces symptômes ? reproche Mosbi.
— Bah ! grogne Stone. À quoi bon ? J’ai toujours cru que ça ne me reprendrait pas. Tu peux m’expliquer ce phénomène ?
— Pas encore, avoue Eric. Ton cerveau se trouble à certains moments et croit percevoir des voix.
— Tu penses que je suis dingue ?
— Non. Ces symptômes ont peut-être un rapport avec le fait que tu es passé dans le réducteur. À ta place, je dormirais pour récupérer.
— C’est ce que je fais d’habitude à ces moments-là. Je suis crevé. Quand je me réveille, tout a disparu. Je me retrouve en pleine forme.
Jen sombre dans le sommeil. Alors Mosbi s’approche de Sam, le tire légèrement à l’écart. La gravité de son diagnostic se lit sur son visage assombri.
— J’ai peur, bien peur, que Jen ne devienne fou un jour ou l’autre.
— Tu rigoles ! pouffe Sam.
— Non. Hobleton a découvert le moyen de réduire biologiquement un organisme vivant. Mais il ignore les réactions secondaires sur le psychisme de l’individu. Parce que, avant Stone, il n’avait jamais réduit personne. Sauf des animaux.
Sam ouvre des yeux affolés. Il modère ses éclats de voix car il devine Hens et Joan aux aguets.
— Hobleton a tenté sa première expérience sur Jen ?
— Oui, révèle Eric. Stone était d’accord. Il préférait mourir pour la Science plutôt que de crever dans son îlot désert. Mais Hobleton avait quand même toutes les chances de son côté. Réduire un homme ou un animal, la différence n’existe pas.
Sam jette un coup d’œil vers Jen endormi.
— Eh bien ! s’il devient dingue, ça promet de belles journées en perspective. Mieux vaudrait peut-être le descendre avant qu’il ne tombe dans la déchéance totale. Ce serait au moins un service à lui rendre.
***
— Sale affaire ! conclut Hoker.
Perry hoche la tête. Ses taches de rousseur apparaissent encore plus nettement sous le rayon de soleil qui perce les nuages. Il contemple pensivement le corps de Craig, rejeté sur la plage par le ressac.
Craig n’a pas bonne mine. Ses vêtements mouillés collent à lui comme une cotte de mailles. L’eau plaque ses cheveux sur son front. Ses yeux, largement ouverts, hagards, fixent le vide. Les deux policiers l’ont éloigné des vagues qui le roulaient comme quelque chose d’inutile.
— Ah ! Voilà le toubib, dit Perry.
Une hélibulle se pose à proximité. Un homme en sort, serviette à la main. Immédiatement, après un bref salut aux policemen, il s’agenouille, examine le cadavre. Son diagnostic est rapide, précis, irréfutable.
— Mort par immersion prolongée.
— Vous croyez qu’il s’est noyé ? demande Hoker.
Le médecin se relève. Il jette un regard circulaire autour de lui, contemple la côte déserte battue par l’océan. Il grimace, car diverses hypothèses s’offrent.
— Noyé, sûrement. Mais de quelle manière ? C’est votre boulot, mes enfants ! Pas le mien. Vous choisirez entre l’accident, le suicide ou le crime.
Le docteur, travail terminé, prend congé. Son hélibulle repart vers la base. Perry hoche de plus en plus la tête.
— Un crime. Il y va fort, le toubib.
— Sans envisager cette extrémité, grommelle Hoker, la thèse de l’accident semble plausible. Bizarre. Nous connaissions bien Craig. Un brave type. Jamais il ne s’aventurait dans ce coin-là. Certes, la base n’est qu’à quelques centaines de mètres mais la côte, bourrée de rochers, s’avère dangereuse. La preuve. Les baigneurs y viennent rarement.
— Il existe une excellente plage de sable fin à cent mètres de la base, évoque Perry, soucieux. Pourquoi se baigner là ? Et tout habillé, encore.
— Oui, tout habillé. Craig ne se baignait donc pas. Mais il était pieds nus. Je suppose qu’il marchait sur les rochers. Il aura glissé. Un examen plus minutieux prouvera s’il y a eu effectivement chute. Le toubib, arrivé en vitesse, a surtout confirmé la mort. C’était d’abord l’essentiel.
Hoker loge un chewing-gum dans sa bouche. Il détourne les yeux du cadavre. À vingt mètres, l’océan ronge les rochers dans un bruit assourdissant. Une seule vague est déjà capable d’assommer un homme. Par intermittence, des gerbes d’écume franchissent la barrière de granit, comme un bouquet de feu d’artifice.
— Les envoyés spéciaux de la T.V. n’ont toujours pas regagné la base, remarque Perry.
— Craig nous avait rassurés sur leur sort. Ils filment la vie des animaux vénusiens, sur le continent central. Ils possèdent des vivres pour plusieurs semaines et ils ont un poste émetteur. Nous recevrons un appel si quelque chose ne va pas.
Hoker ajoute :
— Ces séquences sur les animaux exigent une longue patience. L’ennuyeux, c’est que Craig, en principe, avait mission de ramener ses collègues. Or, nous ne savons même pas où les pêcher.
Ferry hausse les épaules. Le sort des reporters ne l’inquiète guère. D’autres préoccupations surgissent en lui.
— Je pense au commissaire Borton. Encore une sacrée énigme.
— Ah ! Borton… répète Hoker. Ici, sur cette fichue planète, nous recevons les nouvelles avec un bon mois de retard. Du canard réchauffé, en somme !
Satisfait de son jeu de mots, il glousse d’un rire gras. Mais son collègue reste imperturbable, sérieux.
— Stone, une fois encore, n’a pas quitté son îlot. Nous l’avons vérifié. Seulement nous le vérifions toujours avec un mois de retard. Au moment où nous posions les pieds sur M.Z.14, Borton était mort depuis plus de trente jours.
Hoker voit les choses avec plus de facilité. Il a horreur des énigmes. Heureusement que pour Craig, un inspecteur se chargera de l’enquête.
— Nous vérifions chaque départ, et chaque arrivée du courrier transplanétaire. C’est la seule fusée qui se pose régulièrement ici. Stone ne serait quand même pas passé inaperçu.
Perry poursuit une autre idée. Dans certains cas, il se montre d’une intelligence supérieure à son niveau habituel. Il se surpasse. Il avance une hypothèse que personne n’a échafaudée. Pourtant, elle se défend.
— N’as-tu jamais pensé qu’une fusée-pirate pourrait se poser sur Vénus, embarquer Stone et le ramener ?
Hoker sursaute comme piqué par une aiguille. Il manque avaler son chewing-gum et il regarde son collègue avec un certain air de pitié. Comme si le pauvre Perry était tombé sur la tête !
— Quelle imagination ! Ça te prend tout d’un coup ? Tu aurais dû y songer plus tôt. Rends-toi compte. Une fusée-pirate. Cela implique un capital colossal, une dépense d’argent que seul un État peut soutenir. Les richissimes milliardaires n’existent plus à notre époque. Qui pourrait donc financer l’entreprise ?
— Stone a raflé pas mal de dollars pendant sa carrière de gangster. Assez pour se payer une petite fusée personnelle.
Hoker hausse les épaules, peu convaincu. Il s’amuse à détruire l’hypothèse hardie de son camarade.
— En admettant. Tu n’ignores pas que des satellites gravitent autour de Vénus. Des satellites envoyés par les hommes. Certains s’occupent de la météo, d’autres des télécommunications pour l’atterrissage ou l’envol des astronefs. D’autres, enfin, assurent une mission d’observation et de détection. Tous les renseignements fournis sont centralisés à la base. Or, à ma connaissance, nous n’avons pas noté l’apparition, dans le ciel vénusien, d’astronefs inconnus.
Lentement, avec un certain regret, Perry semble se convaincre de son erreur. Sa trop forte imagination lui joue des tours. Pourtant, ça expliquerait d’une façon logique les événements. Mais après tout, est-ce toujours le vrai Stone qui rôde sur la Terre ? Cela, aucune enquête ne l’a encore vraiment prouvé.
L’image du gangster s’efface de l’esprit de Perry. Le cadavre de Craig accapare de nouveau l’attention. Craig, tout mouillé, mort bêtement. Car qui donc aurait voulu du mal à un type comme le correspondant local de la T.V. ? Personne. C’était l’homme même qui ne recherchait pas d’histoire.
Une autre hélibulle succède à celle du docteur. Deux passagers en civil descendent, se dirigent vers les policiers. Ceux-ci reconnaissent l’inspecteur chargé de l’enquête. Alors ils soupirent. Pour eux, leur travail est terminé. Quand même, Murray Craig ne méritait pas une fin aussi dramatique.
***
Ignorant ces événements, Joan et Hens trouvent le temps long dans la maison sur pivot. Îlot M.Z.14. Une prison. Pour Stone et pour eux. Ils le savent maintenant.
Sam et Eric, en hélibulle, sont venus chercher Stone la veille du départ du courrier transplanétaire. Passé au réducteur biologique, injecté sous le bras de Sam, Jen est reparti pour la Terre afin de satisfaire sa vengeance.
Naturellement, le gangster a pris ses précautions. Il a ôté à Joan et à Hens les moyens de communiquer avec l’extérieur. Confiscation des micro-émetteurs et de tout le matériel amené par les reporters. Seule, la caméra de Hens a échappé à la fouille, parce qu’elle ne se trouvait pas avec le reste du matériel.
La lumière inonde l’habitation. Joan et Hens boivent un jus de fruit. Depuis trois jours, ils sont plongés dans la solitude.
Pensive, inquiète, la journaliste du Star-Tribune tremble pour son mari.
— Vous avez vu, Will. Juste avant son départ, Stone m’a encore montré l’éprouvette où nage Joë. Je ne m’ôte pas cette idée de la tête. Comment peut-il vivre à l’état de microbe ?
— L’obsession vous ronge, vous ôte le sommeil. Stone a passé aussi dans le réducteur biologique. Cela devrait vous encourager, vous rassurer.
— Oh ! Je sais. Mosbi me rendra Joë. Mais j’ai peur. Peur que l’éprouvette ne se casse.
Hens soupire, se dresse, marche vers la terrasse. Un ciel pur resplendit d’étoiles. Un air tiède souffle de l’Océan. Les feuilles des arbres bruissent doucement. Le calme envahit les esprits.
Décor et climat inciteraient plutôt aux vacances. Pour Joan et pour le cameraman, c’est une dure épreuve. Stone a promis de revenir par le prochain courrier. Un long mois d’absence.
Craig doit s’inquiéter. Peut-être viendra-t-il aux nouvelles. C’est ce que pense Will qui ignore la mort de Murray. Quand Hoker et Perry sont arrivés, l’autre jour, Hens a voulu se précipiter vers eux. Il tentait crânement sa chance. Il désirait tout leur dire.
Joan était à ses côtés. Elle a ramassé un caillou et a assommé son compagnon. Était-il fou ? Ne se souvenait-il pas que la vie de Joë tenait à bien peu de chose ? Hens n’a repris connaissance que plus tard, quand les policiers étaient partis.
Maintenant, au fond, il remercie Joan. Il agissait comme un idiot. Il pensait à lui. Uniquement à lui, en égoïste. Pas à Joë. Cette scène, il se jure qu’elle ne se renouvellera plus.
— Joan ! Joan ! crie soudain le cameraman. Venez vite.
La femme de Maubry accourt. Elle suit la direction que montre Will, main tendue vers le ciel. Quelque chose de lumineux plafonne à des milliers de mètres d’altitude.
L’objet émet un halo verdâtre. Soudain, il plonge vers la terre à une vitesse fulgurante. Sa luminosité éclipse la pâle clarté des étoiles. Il disparaît derrière la cime des arbres.
Les deux reporters se regardent, intrigués. Ils s’interrogent sur l’origine du phénomène.
— On aurait dit un astronef, suggère Will. Il s’est posé à la pointe nord de l’île.
Ils décident de s’acheminer dans cette direction. Leurs cœurs battent précipitamment dans leurs poitrines. L’anxiété tord leur estomac. Non. Ils n’imaginent pas ce qu’ils vont découvrir. D’ailleurs, Hens pense qu’il s’est trompé, qu’il s’agit d’un simple phénomène lumineux. Après tout, c’est la meilleure hypothèse plausible. Un astronef ne peut pas se poser sur l’île. Les deux reporters le savent bien.