CHAPITRE VIII
Le soleil de Floride entre dans le salon comme chez lui. C’est toujours un invité qu’on ne refuse pas. Au contraire, il s’inscrit dans le décor, dans le cadre de la vie. Un compagnon indispensable, nourricier.
Stone et Sam ont passé une nuit calme dans la villa de Claudia Wayte. Ce matin, les deux hommes devisent dans le salon devant le petit déjeuner que Claudia leur a servi. Brave Claudia ! Une fille épatante, fidèle comme au premier jour, complice même. Pourtant, elle n’y pige rien. Pas plus que la dernière fois. Car Jen refuse toujours de lui dire la vérité et il a conseillé à Sam de tenir sa langue. Ce que Fallas fait volontiers car il ne veut en rien contrarier son ami, déjà rongé par la folie.
Sam ne croit guère aux Zikors. Les perceptions extra-sensorielles, il les laisse aux charlatans de foire ou de music-hall.
Claudia arrive avec des journaux qu’elle jette sur la table :
— On parle de toi dans la presse. Décidément, tu ne peux pas te passer de publicité.
Jen hausse les épaules. Il avale un morceau de brioche :
— Ah ! Rudy Clesse. Il n’a que trop vécu. Les autres ne perdent rien pour attendre. Ils y passeront. Tu comprends, il faut tout de même prendre un minimum de précautions.
La maîtresse de Stone pose ses mains sur ses hanches. Des hanches agressives, qui se balancent de droite à gauche avec quelque chose d’aguichant. Décidément, cette pin-up n’a rien perdu de son charme. Au contraire. Elle posséderait même des avantages supplémentaires. L’expérience de la femme mûre et pas du tout rassise.
— Tu viens chez moi après le coup de Rudy Clesse. Tu appelles ça des précautions ? De l’inconscience, plutôt. Suppose que les flics s’amènent.
Jen ne perd pas son sang-froid devant cette menace. Même, un sourire ironique tiraille sa bouche. Il se délecte de sa brioche et ne pense pas à l’avenir.
— D’abord, ils sonneront. Ensuite, tu seras assez intelligente pour leur dire que tu ne m’as pas vu. Enfin, les flics ne penseront pas que je pourrais me jeter dans la gueule du loup… La maison est surveillée pendant mon absence ?
— Non. J’ai du flair. Je renifle un policier à plusieurs kilomètres. Comme ils te croient intelligent, jamais ils n’imagineront que tu me rends visite.
Stone achève son petit déjeuner, prend connaissance des journaux. Ceux-ci relatent tous, en première page, le meurtre de Rudy Clesse. Naturellement, ils mettent l’accent sur l’identité de l’assassin. Tout s’est passé comme pour le commissaire Borton. Et les commentateurs se demandent si l’ancien gangster ne deviendrait pas dangereux.
— La trouille s’installe dans les esprits, constate Jen. Quand les autres jurés liront ça, ils ne dormiront pas toutes les nuits. Je veux qu’ils tremblent comme des vieilles carcasses, qu’ils n’aient plus un moment de répit moral.
Sam allume une cigarette :
— Tu es dur.
— Dur, moi ? Ils n’ont pas été durs, eux, en me condamnant à vivre à perpétuité sur un îlot désert ? Je leur en aurais beaucoup moins voulu s’ils m’avaient condamné à mort. Oui, à mort. Mais, Sam, il y a des choses pis que la chaise électrique.
Fallas comprend brusquement que son ami entre en transes. Il voit Jen se raidir. Son regard se fixe sur un point invisible. Le vague, le néant. Il ne bouge pas plus qu’une statue. Ce brutal changement d’attitude est très caractéristique.
— Les Zikors…, dit Stone.
Assis, mains sur la table, le buste très droit, il précise :
— Ils m’apprennent qu’ils ont surpris un homme et une femme à la pointe extrême-nord de l’îlot.
Sam pâlit, devine la vérité :
— La femme de Maubry et Hens ?
— Oui, eux. Ils se trouvent actuellement à l’intérieur d’un astronef.
À ce moment, Claudia Wayte entre dans la pièce. Elle aperçoit son amant, figé étrangement, désintéressé par la lecture des journaux alors que, tout à l’heure, il les dévorait. Puis Fallas, livide.
Elle a entendu le dernier mot prononcé par Stone :
— Les Zikors… Qu’est-ce que tu racontes ?
Sam se dresse vivement, marche vers Claudia, l’arrête. Ses yeux se plantent dans les siens :
— Laissez Jen tranquille. Je vous expliquerai.
— Il est malade ? s’inquiète la maîtresse de maison.
Fallas hésite :
— Oui, si vous voulez. Jen se comporte un peu comme un somnambule. Mieux vaut ne pas le déranger.
À travers sa pensée tendue vers l’espace, Stone devine la présence de Claudia. Mais cela ne l’incommode pas. Il demeure en communication télépathique avec les Extra-Terrestres :
— Ils vont venir sur la Terre.
— Qui ? Les Zikors ? s’épouvante Sam.
— Oui. Ils s’impatientent car mon retour sur Vénus tarde. D’ailleurs, les millions de kilomètres qui séparent les deux planètes ne les effraient pas. Leur véhicule se propulse par la pensée. Ils se déplacent donc quasi instantanément.
Claudia hoche la tête, soucieuse. Ces propos, apparemment incohérents, n’augurent rien de bon pour l’avenir. Elle chuchote à l’oreille de Fallas :
— Je crois qu’il débloque à plein.
— Bah ! soupire Sam. Nous verrons bien s’il dit la vérité.
Jen semble subjugué par la pensée des Zikors. Il se dresse lentement mais conserve la fixité de son regard. Il marche vers le balcon, lève la tête vers le ciel, malgré l’éblouissement du soleil. Il se tourne vers Vénus, lointaine, invisible. Un sixième sens le guide.
Ses lèvres remuent, prononcent des mots :
— Ils me demandent de choisir le lieu de notre rencontre. N’importe où. Mais de préférence, en dehors d’une agglomération, dans un endroit désert. Ils sauront me rejoindre.
Le flux télépathique tarit sûrement car Stone retrouve une attitude plus normale. Ses yeux perdent leur fixité. Ses mouvements s’amollissent.
Claudia, qui guettait cet instant, se précipite vers son amant. L’inquiétude burine son visage. Elle s’accroche à Stone :
— Jen… Tu m’as fait peur.
Il la rassure par une caresse :
— Je possède un don, avoue-t-il. C’est encore trop compliqué pour t’expliquer comment. Mais, crois-moi, les Zikors existent. Pour eux, je dois te quitter. Provisoirement.
Sam ne paraît pas enthousiaste. La perspective de se mesurer avec des créatures extraterrestres l’incite à beaucoup de modération :
— Tu crois que c’est urgent ?
— Ils ont parcouru des dizaines et des dizaines d’années de lumière. Maintenant, ils ont atteint leur but. Tu voudrais que nous les fassions attendre ?
Jen prend congé de Claudia. Quand les deux hommes se retrouvent dans la voiture, Fallas hoche la tête :
— Tu as laissé Claudia dans un certain état d’affolement. Pourquoi ne lui as-tu pas tout avoué ?
— Plus tard. Je ne voudrais pas la mêler à toute cette histoire.
La puissante automobile gagne l’autoroute de l’ouest, qui traverse les États-Unis. Elle roule à trois cents à l’heure.
Stone a décidé de rencontrer les Zikors dans les Rocheuses, dans un endroit particulièrement éloigné des centres urbains. La région désertique du Nouveau Mexique convient parfaitement.
À Santa Fe, les deux hommes se restaurent dans un drugstore. Puis ils reprennent leur chemin. Ils quittent l’autoroute pour s’enfoncer dans un décor aride, tourmenté. Néanmoins, Jen choisit une vaste forêt afin de permettre à l’astronef de passer totalement inaperçu.
Ils abandonnent leur voiture sur une plateforme rocheuse et, à pied, ils atteignent la forêt de mélèzes. À l’orée, ils s’arrêtent, observent les environs. Personne. Ils ne distinguent même pas la route, ni leur automobile, cachées par une barre rocheuse.
Stone tourne son regard vers le ciel. Un ciel bleu, dépouillé de tous nuages, où le soleil resplendit. Un peu d’appréhension le tenaille car c’est la première fois qu’il va exiger un contact télépathique. D’habitude, les Zikors prenaient toujours l’initiative.
Il bande ses muscles, sa pensée. Son effort mental burine ses traits. Enfin, au bout de quelques secondes, il accroche le subconscient d’une créature. Le contact s’établit.
— Ils me parlent ! rayonne Jen. Ils me demandent de rester sur place. Ils apparaîtront très bientôt dans le ciel.
Cette éventualité paraît impossible à Sam :
— Très bientôt, répète-t-il. Quarante millions de kilomètres séparent Vénus de la Terre. Il leur faudra du temps pour franchir cette distance.
— La pensée se déplace instantanément. Ne l’oublie pas. Les Zikors possèdent un astronef mû par la pensée. Pour l’instant, ils déterminent très exactement ma position, grâce à des appareils dont la complexité dépasserait nos meilleurs techniciens.
Il ne s’écoule pas un quart d’heure, au maximum, depuis le moment où Stone a perdu le contact télépathique avec Vénus. Sam montre soudain une boule verdâtre dans le ciel. Elle plafonne à point fixe, à une hauteur indéterminée.
— Les voilà ! assure Jen.
Fallas n’en croit pas ses yeux. Jusqu’à la dernière minute, il s’est persuadé que son ami était fou, que Hobleton se trompait, que ce sixième sens n’existait pas. La présence de cette boule verte dans le ciel le trouble à un tel point que Stone s’en aperçoit.
— Tu as peur, Sam ?
— Non, pas exactement. Mais je perds un peu mon sang-froid.
— Ne t’inquiète pas. Les Zikors sont mes amis. Ils ne nous veulent pas du mal.
L’astronef descend alors vers la Terre. Les deux hommes ferment les yeux car la luminosité intense brûle leur rétine. Puis ils voient la boule sombrer à travers les mélèzes.
— Pourvu que leur atterrissage soit passé inaperçu, s’inquiète Fallas. Sinon, le coin pourrait se peupler de curieux. Le monde a encore en tête l’histoire des soucoupes volantes.
Jen reste étrangement calme.
— Ils ont les moyens d’éloigner les curieux. D’ailleurs, dans la forêt, ils resteront invisibles.
Ils se dirigent vers le point de chute, distant d’une centaine de mètres. Ils repèrent très rapidement la luminescence dégagée par le vaisseau spatial. Ils admirent, comme l’ont fait Hens et Joan avant eux, les millions de facettes composant la masse sphérique.
L’éclat de ces miroirs s’atténue, s’assombrit. L’enveloppe devient blanchâtre, comme de l’aluminium, puis encore plus pâle ; jusqu’à la transparence.
Sam halète comme un poisson qui sort de l’eau. Il aurait aimé être au diable. À Washington, ou sur Vénus. Aucune importance. Mais pas dans cette forêt des Rocheuses. Il a le courage de tuer un homme, froidement s’il le faut. Pas celui d’affronter des Étrangers venus du cosmos.
Les frondaisons filtrent le soleil. Le décor ressemble à celui d’un fond de mer. Verdâtre. La présence de la boule semble insolite et prélude à des moments extraordinaires.
La gorge sèche, Sam révise ses idées. Jen ne sombrait pas dans la folie, mais il devenait plutôt un être supérieur. Cela, depuis de longs mois, sans même qu’il ne s’en rende compte.
— Jen ! hurle soudain Fallas, inondé de sueur.
Là-bas, dans la masse apparemment sans faille de la sphère maintenant refroidie, une ouverture se démasque, se déchire. Un orifice circulaire.
Stone ne bronche pas. Il contemple ce trou noir, insondable. Déjà, les Zikors le contactent. Autour de lui, il n’existe plus rien. Rien que des créatures fascinantes venues du fond du cosmos, pour lui. Pour lui seul.
***
Les deux hommes contemplent le Zikor. Une créature étrange, ovoïde, de la grandeur d’un pygmée. D’innombrables appendices émergent de sa masse charnue, palpitante. Des appendices extrêmement sensibles, en forme de trompes. On chercherait vainement des yeux, un nez, une bouche, dans ce corps sans membres.
L’être se déplace en sautillant. Il repose sur une sorte de socle cartilagineux, sans doute doté d’une musculature puissante. Des sauts qui ressemblent à ceux d’un moineau.
Il s’arrête à dix mètres des deux hommes. Ses appendices remuent et correspondent sûrement à des organes de sensibilité. Sa pensée traverse celle de Stone :
— Je m’appelle Tot’An. Et vous ?
Jen dit son nom. Naturellement, cette conversation se déroule sans ouvrir la bouche, sans le moindre son. Mêmes les lèvres demeurent serrées. Le pauvre Sam n’y comprend rien.
— Nous pouvons rendre nos corps totalement invisibles, explique la créature de l’espace. Comme ceci.
En quelques secondes, Tot’An devient transparent. Son aspect blanchâtre se dilue. Il subsiste à peine une lueur ténue, halo imprécis de la consistance d’un nuage.
Fallas tire son mouchoir de sa poche, essuie son front trempé. Ses jambes flageolent. Il ressent comme un nœud dans la gorge. Il étouffe. Sa voix se casse :
— Jen ! Il a disparu.
— Non, rassure Stone. Il fait une démonstration de ses possibilités.
Au bout de quelques secondes, la créature s’opacifie de nouveau. Elle redevient une masse de chair blanchâtre, comme un albinos. Ses structures se reforment.
— Voilà, dit Tot’An. Mais ici, sous les arbres, la démonstration ne prend pas sa pleine efficacité, à cause de l’ombre. En plein soleil, nous serions complètement invisibles. Nos corps ne réfléchiraient pas la lumière.
— Quel procédé employez-vous ? demande Stone mentalement.
— Oh ! La nature nous a dotés de ce moyen. Nos cellules gardent leur consistance mais s’opposent à la réflexion de la lumière. Si j’entrais dans les détails, vous ne comprendriez sûrement pas.
— Exact, convient Jen. Point de vue scientifique, zéro. Mais une question me brûle les lèvres. Pourquoi ne pouvez-vous pas communiquer avec les autres hommes ?
— Parce que vous êtes le seul, sur votre planète, qui possédiez un cerveau réceptif à notre pensée. Vous êtes doué de perception extra-sensorielle. Malgré nos efforts, nous n’avons jamais pu communiquer télépathiquement avec d’autres de vos semblables.
— Je ne suis pas fou, alors, soupire Stone.
— Fou ? s’étonne le Zikor. Sûrement pas. Mais vous vous demandez pourquoi nous vous avons contacté.
— En effet.
Sam respire difficilement. Il n’entre pas du tout dans la conversation. Cette mise à l’écart lui prouve qu’il est inutile. Son idée serait de s’éclipser subrepticement. Mais le Zikor le fascine, le pétrifie. Il se sent incapable du moindre geste. En réalité, il ne peut déjà plus esquisser de mouvement. Pourtant, il conserve toute sa conscience et regrette sérieusement d’avoir accompagné Jen.
— Notre astronef, mû par la pensée, développe Tot’An, peut nous emporter dans n’importe quel coin de l’univers. Vous croyez sans doute que nous venons d’un monde bien précis, sur lequel nous avons bâti notre civilisation. En fait, nous errons dans le cosmos. Nous sommes des nomades.
La curiosité pique Stone. Les Zikors apparaissent comme des créatures de plus en plus étranges, sur bien des aspects.
— Certes, continue Tot’An, dans les temps reculés, nous vivions sur une planète située à vingt années de lumière de la vôtre. Nous y vivions en une communauté restreinte, dotée d’une civilisation très avancée. Mais quand nos savants mirent au point l’astronef mû par la pensée, nos orientations changèrent. Nous éprouvâmes le besoin d’évasion. Notre monde devint trop petit. Nous nous fragmentâmes en groupuscules pour devenir des nomades. Nous manquons totalement de personnalité. Tous les Zikors pensent, agissent de la même manière. Vous, Terriens, chacun d’entre vous possède un caractère propre, individuel. C’est ce que nous recherchons à travers le cosmos.
Ce but semble inaccessible à Jen. Les plus grands savants ne peuvent pas créer un caractère artificiel, un esprit, puisqu’il s’agit de quelque chose d’immatériel. Aussi il déçoit les Zikors :
— J’ai peur que vous ne récoltiez pas de moi ce que vous attendez.
Tot’An semble sûr de lui :
— Nous prendrons votre caractère. Nous agirons comme vous. En somme, nous dédoublerons votre personnalité. Nous nous assimilerons à vous. Du fait que nous pouvons lire dans votre pensée, cela nous sera facile.
Stone fronce les sourcils. Une certaine inquiétude l’envahit :
— Que deviendrai-je, moi ?
— J’ai dit que nous copierons votre personnalité. Vous nous servirez de modèle, d’exemple. Vous conserverez toutes vos facultés. Nous nous sommes déjà immiscés dans la vie intime d’autres créatures. Nous n’avons découvert, jusqu’à présent, rien d’exaltant. Aussi nous espérons beaucoup de votre mode de vie. Nous l’avons longuement étudié. Vous devez être en proie à des facteurs émotionnels importants.
Jen désigne Sam. Il ne cherche pas à approfondir le but poursuivi par les Zikors.
— Mon camarade… Il ne bouge pas.
— Rassurez-vous, dit Tot’An. Des ondes psychiques le paralysent. Nous l’avons plongé dans un état cataleptique. Ah ! Autre chose. Sur votre îlot vénusien, nous avons découvert un homme et une femme.
— Je sais, coupe Stone. Des reporters. Vous savez, ils ne sont pas bien dangereux.
— C’est un fait. N’empêche, nous les avons réduits à l’impuissance car nous désirons que notre arrivée dans le système solaire passe inaperçue. Si vous voulez, nous pouvons vous mettre en leur présence.
Jen acquiesce. La masse sautillante du Zikor le précède jusqu’à l’astronef, qui a complètement perdu sa luminosité. Le gangster pénètre dans le vaisseau extraordinaire. Sa surprise égale son inquiétude. Il ne découvre pas le moindre tableau de bord, pas la moindre machine. Quelle différence avec l’intérieur d’une fusée terrestre !
— Je vois, devine Tot’An, lisant dans la pensée de Stone. Nos vaisseaux ne ressemblent pas aux vôtres. C’est que notre système d’énergie diffère. Ici, tout se passe au niveau de l’électron. La stéréotronique, si vous préférez.
— Vos explications n’éveillent rien en moi, avoue Jen. Je vous le répète, je ne suis pas doué pour les questions scientifiques.
Le gangster se trouve maintenant en face des deux couchettes où Joan et Hens sont allongés. Il s’étonne de la lumière bleutée du local, de sa nudité. Mais depuis plusieurs minutes, il vit dans une sorte de rêve.
À l’arrivée des visiteurs, les deux reporters se dressent soudain. Ils constatent avec satisfaction qu’ils ont recouvré l’usage de leurs mouvements.
Hens se précipite vers Jen, lui serre violemment les mains. L’angoisse tord son regard :
— Ah ! Stone. Enfin ! Nous désespérions. Vous seul pouvez nous sauver. Vous ne nous laisserez pas tomber ?
Le condamné à perpétuité hausse les épaules. Il se retourne, constate la disparition de Tot’An qui n’est même pas entré dans le local.
— Calmez-vous. Ne considérez pas les Zikors comme des ogres. Je suis là pour vous rassurer.
— Où sommes-nous ? demande Joan.
— Sur Terre, dans les montagnes Rocheuses.
— Comment ? hurle Will. Les Zikors vont donc envahir notre planète ?
— Envahir… N’exagérons rien. Ils désirent comprendre plus intimement notre genre de vie, étudier notre caractère, approfondir certains problèmes psychiques.
Joan songe soudain à autre chose. Ses traits se convulsent. Elle se raidit et sa voix s’étrangle. Ses deux mains se joignent dans une prière ardente. Des larmes bordent ses cils :
— Joë… Où est-il ?
— Votre mari ?
— Oui. Je vous en supplie, rendez-le-moi.
Jen lève les bras au ciel en signe d’impuissance :
— À la base américaine, sur Vénus. Mosbi s’occupe de lui. Enfin façon de parler. Dans son éprouvette, il ne craint pas grand-chose.
Soudain, Stone concentre sa pensée. Tot’An le sollicite, lui demande de quitter la pièce. Subjugué, il acquiesce, alors que Hens et Joan regagnent leurs couchettes, psychoguidés par les Zikors.
Le gangster retrouve Tot’An dans une autre pièce, également nue. Au centre, un cube irradie une lumière bleue.
— Je pense que vous êtes rassuré sur le sort de vos amis.
— Ce ne sont pas mes amis, proteste Stone. Des reporters.
— Le moment est arrivé pour vous de livrer totalement votre pensée. Venez, nous vous aiderons. Il faut que nous sachions exactement ce qui se passe au niveau de vos circonvolutions cérébrales.
Le Zikor entraîne son interlocuteur dans un local contigu. Sur le seuil, Jen s’arrête, interdit. Trois masses ovoïdes attendent. Trois créatures de l’espace. Ce qui signifie que Tot’An n’est pas seul à bord du vaisseau.
Puis Stone remarque, dans un angle, une sorte de table, de parallélépipède irradiant une luminescence mauve. Partout, à l’intérieur de l’astronef, s’imposent des figures géométriques, des solides à trois dimensions tous pétris de lumière.
— Allongez-vous, intime l’un des Zikors.
Jen marque une hésitation. Très légère. D’ailleurs, il ne s’interroge même pas sur les intentions des créatures extra-terrestres. Il obéit. Il se couche sur le parallélépipède. Aussitôt, les Zikors l’entourent. Son corps, traversé par la lumière mauve, devient transparent.