CHAPITRE XI

Qui-Gon n’avait pas fini de prononcer ces paroles qu’il les regrettait déjà. Sa brutalité était due plus sûrement à l’évasion de Xanatos qu’aux déclarations d’Obi-Wan. Certes, ce dernier ne lui inspirait plus confiance, mais il était inutile de le torturer en le lui rappelant constamment. C’était une conduite indigne d’un Jedi.

Mon principal défaut, réalisa soudain Qui-Gon. Lui et lui seul n’arrivait pas à passer outre la déloyauté. Obi-Wan n’était pas en cause ; c’était plutôt le fruit de son histoire personnelle entremêlée à sa nature profonde. Qui-Gon se liait facilement aux autres, mais il accordait difficilement sa confiance. Cependant quand il la donnait, c’était pour de bon. Il avait donc d’autant plus de mal à l’octroyer de nouveau, lorsque celle-ci avait été trahie, ne serait-ce qu’une fois.

C’était son problème, pas celui d’Obi-Wan.

Il devait le dire au jeune homme. Le lien qui unit un Maître et son Padawan implique une confiance aveugle et réciproque. Et même si Obi-Wan parvenait à forger ce lien de nouveau, Qui-Gon n’était pas certain d’en être capable. Dans ce cas, il aurait tort de reprendre Obi-Wan. Et celui-ci avait tout intérêt à se trouver un nouveau Maître.

Je vais lui expliquer tout ça… lorsque j’en serai moi-même convaincu.

Soudain, les lumières du tunnel décrurent de moitié. Obi-Wan et Qui-Gon échangèrent un regard soucieux. Un instant après, le comlink de Qui-Gon bourdonna. La voix sèche de Tahl leur parvint :

— Il y a du nouveau, leur dit-elle.

— Je m’en doute. Nous arrivons tout de suite.

Qui-Gon se tourna vers Obi-Wan et lui parla doucement, comme pour faire pardonner sa dureté précédente.

— Je ne crois pas que Tahl soit complice de Xanatos. Mais tu as peut-être raison : nous pouvons avoir affaire à un espion. Ne l’oublions pas.

Obi-Wan acquiesça. Il garda le silence tandis qu’ils marchaient d’un pas pressé vers les quartiers de Tahl.

Celle-ci était assise à son bureau, une pile de listings sur ses genoux.

— Je viens de m’entretenir avec Miro, leur dit-elle. Il tente encore de réparer le système d’aération de l’aile des élèves. Lorsqu’il a pris les mesures nécessaires, toutes les lampes du Temple ont vu leur puissance diminuer de moitié. De plus, l’unité de réfrigération de la salle à manger est tombée en panne. Il est en train de la remettre en état.

— Les lumières sont tamisées sur tous les niveaux ?

Tahl acquiesça. Un vague sourire flotta sur ses lèvres.

— Maintenant, nous sommes presque à égalité, Qui-Gon. Nous sommes tous les deux dans le noir.

— Pas tant que ça, répondit Qui-Gon en souriant. Tu es toujours plus intelligente que moi.

Tahl lui rendit son sourire.

— Mais ce n’est pas le motif de mon appel. Mes recherches sur Offworld ont porté leurs fruits. Tiens, je t’ai imprimé le résultat.

Elle lui tendit les listings. Qui-Gon les parcourut du regard. Des colonnes de chiffres et des noms de compagnies.

— Il va falloir que tu traduises. Je ne suis pas très doué en finances galactiques.

— Offworld n’est pas aussi solvable qu’il n’y paraît, expliqua Tahl en tapotant du doigt son bureau. Ils se sont ruinés en lançant une opération minière infructueuse sur une planète inhospitalière. Refusant d’admettre son échec, Xanatos a continué d’injecter des sommes colossales dans cette opération. Une rumeur veut qu’il ait pillé en secret le trésor de Telos, sa planète natale.

Qui-Gon étudia les chiffres, sans rien y comprendre. Ce n’était pas le plus important. La découverte de Tahl l’était davantage. Si Xanatos était au bord de la ruine, peut-être avait-il un autre mobile que la vengeance. Un mobile d’ordre financier…

Il y a toujours un double motif…

— Le vertex, dit-il doucement.

— Bien sûr, chuchota Tahl.

Obi-Wan les regarda, étonné.

Qui-Gon réfléchit un instant. Yoda lui avait confié un secret. Mais s’il voulait qu’Obi-Wan les aide, il devait le mettre au courant. Il lui raconta tout sur le chargement que les Jedi avaient accepté de conserver.

— Nous nous sommes focalisés sur la soif de vengeance de Xanatos, énonça Qui-Gon, mais il est toujours plus retors qu’on ne le croit. Courir de tels risques pour sa seule satisfaction personnelle ? Non, cela ne saurait lui suffire ! Par contre, détruire le Temple et en tirer une fortune… voilà qui lui ressemble davantage.

— La salle du trésor se trouve juste au-dessous de la salle du Conseil, un demi-niveau plus bas, dit Tahl. Notez que nous avons dû fermer les ailes les unes après les autres. Maintenant, tout le monde est rassemblé dans le bâtiment central. Ce n’est pas un hasard.

— Xanatos mijote quelque chose, fit Qui-Gon d’une voix lugubre. Il veut nous garder dans le Temple afin de pouvoir nous détruire plus facilement. Mais comment ?

La porte s’ouvrit. DeuJi entra, portant un plateau.

— Votre déjeuner, monsieur Tahl, annonça-t-il.

— Je n’ai pas faim.

— Un gâteau aux protéines, des fruits et…

— Pose-le là, lui dit-elle d’un ton négligent, l’esprit braqué sur Xanatos.

DeuJi posa le plateau et entreprit de remettre de l’ordre sur le bureau de Tahl.

— Quoi qu’il ait prévu de faire, il ne tardera pas à passer à l’action, dit Tahl.

DeuJi déplaça une liasse de papiers d’un côté à l’autre du bureau.

Qui-Gon se leva :

— Tahl, DeuJi peut-il aller chercher Bant ? Nous devons lui parler.

Tahl se tourna vers lui, surprise.

— Bant ?

— Je t’expliquerai lorsqu’elle sera là.

— DeuJi, va dans les quartiers temporaires et ramène-nous Bant, ordonna Tahl.

— Je peux attendre votre plateau. Monsieur.

— Exécution, fit-elle avec fermeté.

— Je reviens, trilla DeuJi.

À peine la porte s’était-elle refermée sur le droïde que Tahl se tournait vers Qui-Gon :

— Pourquoi tous ces mystères ?

— D’où vient DeuJi ?

— Je te l’ai dit : Yoda me l’a envoyé.

— Yoda te l’a-t-il présenté en personne ? insista Qui-Gon.

— Oui. Pourquoi ?

— C’était quelques jours après notre retour de Melida/Daan, fit Qui-Gon. L’as-tu jamais perdu de vue ?

— Tu veux rire ? grogna Tahl. Cette sale bête est toujours dans mes jambes. (Elle fronça les sourcils.) Sauf le deuxième jour. J’avais besoin de lui pour me conduire à l’aile nord. Je n’ai pas pu le trouver. Il s’est absenté plusieurs heures durant. Il a prétendu qu’il avait dû assister à une sorte de stage d’endoctrinement. Où veux-tu en venir, Qui-Gon ?

Tahl semblait perdue, mais Obi-Wan comprenait très bien de quoi il en retournait.

— Ce droïde est apparu au moment même où les vols ont commencé, dit-il.

— Tu crois que DeuJi est le voleur ? demanda Tahl. Il aurait du mal à passer inaperçu.

— Non, ce n’est pas lui, reprit Qui-Gon. (Il jeta un coup d’œil à Obi-Wan.) Mais je crois que nous tenons notre mouchard.

— Nous devons nous en assurer, dit Obi-Wan. Si nous pouvions le désactiver pour un temps…

— … nous pourrions rechercher son émetteur, termina Obi-Wan. Mais Xanatos ne doit pas savoir que nous avons des soupçons.

Les neurones de Tahl tournaient à toute vitesse afin d’assimiler les raisonnements fulgurants de Qui-Gon et d’Obi-Wan.

— Comment éteindre DeuJi sans éveiller ses soupçons ?

Obi-Wan eut un grand sourire.

— C’est facile. Soyons naturels.

Tahl se tourna vers lui.

— Que veux-tu dire ?

— Il ne faut pas être grand clerc pour voir que ce droïde vous tape sur les nerfs, répondit Obi-Wan. Dites que vous en avez par-dessus la tête de ses remarques et éteignez-le.

Un sourire étira lentement les traits de Tahl.

— Ça ne serait pas la première fois.

— Bien raisonné, Obi-Wan, approuva Qui-Gon. C’est ce que nous ferons dès son retour.

Le petit robot revint quelques minutes plus tard.

— Je n’ai pas trouvé Bant. Mais laissez-moi vous dire, monsieur Tahl, qu’il vaut mieux que je reste à vos côtés. Vous pourriez avoir besoin de mon assistance. Par exemple, pour ces listings au sol, à quelques centimètres de votre pied gauche…

— Je sais, rétorqua Tahl. Qui-Gon, c’est pour toi. Viens donc t’asseoir.

Elle se leva et désigna une chaise. Le plateau-repas que DeuJi lui avait apporté s’écrasa au sol. Obi-Wan bondit pour le ramasser, mais Qui-Gon l’arrêta d’un geste.

— Votre dîner ! s’écria le droïde. Il se trouvait à dix centimètres sur votre droite…

— Ça suffit, tas de ferraille ! Éteins ton activateur de voix, ou c’est moi qui vais le faire !

— Mais vous ne pourrez plus vous repérer ! protesta DeuJi.

— Au moins, je m’entendrai penser ! hurla Tahl.

Et elle tendit le bras pour désactiver le droïde.

Le silence retomba. Tahl sourit.

— Était-ce assez naturel à ton goût, Obi-Wan ?

Qui-Gon examina le droïde.

— J’ai trouvé, dit-il au bout d’un moment. Ici, droit dans la jointure du servomoteur pelvique. Un émetteur.

— Est-ce qu’il enregistre et diffuse simultanément ? demanda Tahl.

— Oui. J’imagine que Xanatos a une sorte de système qui l’avertit lorsqu’on discute de sujets importants. Il peut avoir programmé quelques mots-clés – mon nom, celui de Yoda, ou de Bruck, et bien d’autres possibilités. Ainsi, il n’a pas besoin de rester constamment à l’écoute et n’entend que ce qui peut lui servir. (Qui-Gon examina l’émetteur.) Et en plus, il transmet des images.

— Grâce à ça, Xanatos savait ce que nous allions faire à chaque instant, fit Tahl en se laissant tomber dans son fauteuil. Il surveillait nos moindres mouvements. Vous parlez d’une surprise !

— Ce n’est pas si terrible, répondit Qui-Gon d’une voix douce. Maintenant, nous n’avons plus à le chercher. C’est lui qui viendra à nous.