CHAPITRE II

Obi-Wan poussa un soupir de soulagement lorsque la porte se referma derrière lui. Il n’aurait pas pu tenir une seconde de plus face aux Maîtres. Même dans ses pires cauchemars, il n’avait imaginé que ce premier entretien puisse tourner aussi mal.

Il aperçut une silhouette mince à l’autre bout du vestibule, et son moral remonta d’un cran.

— Bant ! s’écria-t-il.

— Je t’attendais.

Bant s’avança vers lui. Ses yeux argentés brillaient. Sa peau couleur saumon luisait sous sa tunique bleu pâle.

— C’est bon de voir un visage amical, admit Obi-Wan.

Bant fronça les sourcils.

— L’entrevue s’est mal passée.

— Tu es largement en dessous de la vérité.

Bant enlaça le jeune homme et le serra contre son cœur. Obi-Wan respira une bouffée de sel marin, cette odeur unique qu’il avait toujours associée à Bant. Sur elle, même ce relent de marée était agréable. C’était une Calamarienne, un être amphibie qui avait besoin d’humidité pour survivre. Sa chambre était un bain de vapeur, et elle allait nager plusieurs fois par jour.

— Allons-y, murmura Bant.

Il n’eut pas à lui demander où ils devaient se rendre. Ils prirent le turbo-ascenseur jusqu’au niveau du lac. C’était leur coin privilégié. Après une dure journée d’entraînement et de cours, Bant s’octroyait le luxe d’une longue baignade. La plupart du temps, Obi-Wan la rejoignait dans les eaux vertes, préférant parfois goûter le plaisir de la regarder nager avec grâce depuis la rive.

Lorsqu’ils sortirent du tube, le soleil inondait la surface de la planète. Plus exactement : ce qui faisait office de soleil inondait ce qui semblait être la surface de la planète. En effet, et tous deux le savaient, ce globe doré brillant au milieu d’un ciel bleu n’était qu’une batterie d’immenses projecteurs implantés dans le plafond du dôme. De même, le sol qu’ils foulaient avait été tapissé d’herbe, puis parsemé de massifs de fleurs et d’arbres feuillus. Seule réalité tangible aujourd’hui : les abords du lac restaient désespérément vides. Pas un nageur en vue, aucun promeneur le long des nombreux sentiers.

— On a demandé aux élèves de rester dans leurs quartiers une fois leurs cours terminés, ou de se contenter des salles à manger et des chambres de méditation, dit Bant. Ce n’est pas un ordre, juste une requête. Après la tentative de meurtre sur Yoda, nous devons nous montrer prudents.

— Je comprends. Ce fut un choc pour nous tous.

— Mais toi ? demanda Bant. Qu’a dit le Conseil ?

Obi-Wan sentit monter son amertume.

— Ils ne veulent pas me laisser regagner l’Ordre.

Bant ouvrit de grands yeux stupéfaits.

— Vraiment ? Ils te l’ont dit ?

Obi-Wan se tourna vers le lac. Ses yeux brûlaient.

— Pas dans ces termes. Mais ils ont fait preuve de la plus grande sévérité. Je dois attendre leur bonne volonté. Bant, que vais-je faire ?

Elle le regarda, et ses grands yeux argentés étaient pleins de compassion.

— Attendre.

Il se détourna, irrité.

— On croirait entendre Yoda.

Elle posa une main sur son bras.

— Obi-Wan, ton geste était tout de même grave. Pas assez pour justifier un renvoi définitif, ajouta-t-elle en voyant son expression. Tu dois prouver ta sincérité au Conseil. Il te faudra passer plusieurs entretiens. Leurs cœurs ne sont pas de pierre, Obi-Wan, mais ils doivent penser à la sécurité de l’Ordre tout entier. Ils veillent à sa protection, et ont de bonnes raisons pour cela. La voie du Jedi peut se révéler ardue, et le Conseil doit s’assurer de ton dévouement. Chacun d’entre nous doit se dévouer corps et âme à notre cause.

— Mon dévouement est absolu, rétorqua Obi-Wan d’un ton farouche.

— Comment le Conseil peut-il en être sûr ? demanda Bant avec une infinie douceur. Et Qui-Gon ? Tu les avais déjà assurés de ton dévouement lorsque tu es entré dans l’Ordre !

La colère, née de sa frustration, gagnait Obi-Wan. Il savait pourtant que Bant ne voulait pas le blesser. Bien au contraire, celle-ci le regardait d’un air soucieux, redoutant de l’avoir offensé.

— Je vois, dit-il. Toi aussi, tu m’en veux.

— Non, répondit-elle doucement. Ce que je veux dire, c’est que cela prendra du temps, plus que tu ne voudrais. Mais le Conseil finira par se rendre à la raison et voir les choses à ma façon.

— Et que vois-tu donc ? demanda Obi-Wan, les sourcils froncés. Un garçon en colère ? Un idiot ?

— Un Jedi, répondit-elle doucement.

Obi-Wan sentit refluer sa rage. Rien n’aurait pu lui plaire davantage.

Brusquement, une idée lui traversa l’esprit. Et si le Conseil acceptait de le reprendre, mais pas Qui-Gon ? Si le Conseil lui permettait de redevenir un élève Jedi ? Obi-Wan avait déjà treize ans, l’âge limite pour devenir Padawan. Et si Qui-Gon refusait de le prendre, qui le ferait ?

Or il ne voulait pas d’un autre Maître, pensa-t-il, désespéré.

Obi-Wan n’avait pas remarqué que, tout en devisant, ils s’étaient rapprochés du bord du lac. Ou plus précisément, d’une petite crique que Bant aimait particulièrement. Elle s’engagea dans les flots et sourit en sentant la fraîcheur de l’eau autour de ses chevilles.

— Parle-moi de Melida/Daan, dit-elle. Personne n’a la moindre idée de ce qui s’est passé là-bas. Qu’est-ce qui t’a poussé à embrasser leur cause et à abandonner l’Ordre ?

Obi-Wan se figea. Était-ce dû au sourire de Bant, à son regard argenté et confiant ? Était-ce le reflet de la lumière sur l’eau, ou encore la beauté de ce moment qui l’aveuglait ?

Il ne put lui parler de Cerasi. Comment parler des morts dans cet endroit dédié à la vie ?

Soudain, Obi-Wan se trouva à court de mots. C’était bien la première fois qu’il n’arrivait pas à parler à Bant. Mais que pouvait-il lui raconter ?

Sur Melida/Daan, une amie est morte sous mes veux. J’ai plongé mon regard dans le sien et vu s’éteindre sa dernière lueur de vie. Je l’ai serrée dans mes bras. Un autre ami très cher s’est retourné contre moi. Un compagnon d’armes m’a trahi. Et j’ai moi-même trahi mon Maître. Cette succession de morts et de trahisons restera toujours gravée en moi.

Cependant, rien de tout ça ne sortit de ses lèvres. Son cœur était trop lourd.

Lorsque ce sera terminé, lorsque nous en aurons le temps, je lui raconterai tout.

— Raconte-moi plutôt ce que toi tu deviens, dit-il pour changer de sujet. J’ai l’impression que tu as changé. Aurais-tu grandi depuis notre dernière rencontre ?

— Un peu, peut-être, répondit Bant, enchantée, car sa petite taille l’avait toujours complexée. J’ai onze ans, maintenant.

— Tu ne tarderas pas à devenir Padawan.

Il se moquait gentiment d’elle, mais Bant parut ne pas le remarquer. Elle acquiesça d’un air très sérieux.

— En effet. Yoda et le Conseil m’ont jugée prête.

Obi-Wan ouvrit de grands yeux. Avec sa petite taille et sa nature confiante, Bant lui avait toujours semblé plus jeune qu’elle ne l’était réellement. Elle traînait obstinément dans le sillage d’Obi-Wan et de ses amis, Reeft et Garen Muln.

— Tu es trop jeune pour être choisie, répliqua-t-il.

— L’essentiel n’est pas l’âge d’un élève mais ses capacités, répondit Bant.

— J’ai à nouveau l’impression d’entendre Yoda.

— Je cite ses propres mots, répondit-elle en riant.

— Et Garen ?

— Il prend des cours supplémentaires de pilotage. Les Jedi ont besoin de pilotes et Yoda pense que ses réflexes sont particulièrement bons. S’il n’était pas en plein milieu d’une simulation de vol, il serait venu t’accueillir.

— Et où est Reeft ? demanda Obi-Wan en souriant. Dans la salle à manger ?

Bant éclata de rire. Tous deux savaient que leur ami Dresselien était très porté sur la nourriture.

— Binn Ibes l’a choisi comme Padawan. Il est parti pour sa première mission.

Obi-Wan ressentit un pincement au cœur. Ainsi, Reeft était désormais Padawan. Bant ne tarderait pas à le devenir. Et Garen avait été choisi pour effectuer des missions spéciales. Tous progressaient alors que lui était revenu à son point de départ. Plus grave : il régressait. Il avait été le premier à s’envoler du Temple. Maintenant, il n’avait plus qu’à se tenir sur la plate-forme d’atterrissage, à agiter la main pendant qu’ils s’en allaient, les uns après les autres. Il se détourna pour que Bant ne puisse voir l’expression de son visage.

— Et Qui-Gon ? demanda Bant. Si le Conseil te permet de regagner l’Ordre, crois-tu qu’il te reprendra ?

Décidément, Bant avait le don pour aller au cœur du problème. Mais comme elle parlait toujours avec la plus grande franchise, elle s’attendait a ce que les autres fassent de même.

— Je ne sais pas.

Il se pencha et plongea sa main dans l’eau. En fait, il voulait dissimuler son visage.

— Tu sais, remarqua Bant, au départ, je le trouvais assez intimidant. J’avais même un peu peur de lui. Mais j’ai fini par percevoir sa gentillesse. Je suis sûr que vous finirez par surmonter vos différends.

— Je ne savais pas que tu connaissais Qui-Gon, fit Obi-Wan, surpris.

— Oh, si. Tahl et lui ont sollicité mon aide pour leur enquête. Tu étais encore sur Melida/Daan.

Sa curiosité éveillée, Obi-Wan se tourna vers elle. Il allait lui demander ce qu’elle avait fait quand un drôle de craquement, une sorte de grincement métallique, se fit entendre. Bant et Obi-Wan levèrent la tête.

D’abord, rien ne leur parut anormal : un soleil brillait au milieu d’un ciel bleu. Puis, en un clin d’œil, tout bascula. La lumière décrût. Soudain, un objet tomba du ciel. Révélant l’artifice, les gigantesques rampes de projecteurs apparurent et dévoilèrent d’innombrables et squelettiques passerelles. Une sorte de tunnel horizontal s’immobilisa, suspendu dans le vide.

— C’est le turbo-ascenseur ! s’écria Bant, horrifiée. Il va s’écraser !