CHAPITRE III

Les choses s’étaient enchaînées à la vitesse de l’éclair, pourtant Obi-Wan enregistra la scène aussi nettement que si elle s’était déroulée au ralenti. Habituellement masqué par l’aveuglante lumière des rampes de néon, le turbo-ascenseur circulait à l’horizontale, au-dessus du lac et des terrains avoisinants. La chute d’une des cabines dans son tube de propulsion avait entraîné celle d’une rampe.

— Les moteurs à répulsion ont dû lâcher, hasarda Obi-Wan. L’ascenseur ne tient plus qu’à un fil.

— C’est celui qui relie la nurserie et les centres de pédiatrie aux salles des repas, fit Bant sans quitter la cabine des yeux. Il doit être rempli d’enfants.

Elle s’arracha à ce triste spectacle et regarda Obi-Wan.

— Je n’ai pas mon comlink, s’empressa-t-il de dire. Il a été endommagé sur Melida/Daan.

— J’y vais, décida Bant. Toi, reste ici, au cas où… la cabine tomberait.

Et Bant s’en alla, rapide comme le vent. Elle se dirigea vers l’unité de communication située à l’entrée du niveau. Obi-Wan ne pouvait détacher son regard du turbo-ascenseur. Le tube tressaillit. À tout moment, il pouvait céder et tomber dans le lac.

Mais le tube tint bon.

Impossible de rester là, sans rien faire ! se dit Obi-Wan tout en scrutant la zone technique et son invraisemblable labyrinthe de coursives. Jamais il n’avait imaginé qu’il y en eût un tel nombre. Si les enfants réussissaient à sortir de la cabine, ils pourraient emprunter les couloirs pour regagner un autre niveau…

À peine cette pensée s’imprimait-elle dans son cerveau qu’il fonçait vers la porte de service cachée au milieu des plantes, l’ouvrait en coup de vent et appuyait sur le bouton qui actionnait le tube vertical. En vain. Obi-Wan se retourna et découvrit un petit escalier en colimaçon.

Il grimpa les marches quatre à quatre, les mollets tétanisés par l’interminable ascension.

Enfin, il atteignit le niveau supérieur. Une galerie technique desservait toute une série de portes numérotées : B27, B28, B29, et ainsi de suite. Laquelle fallait-il emprunter pour gagner la passerelle conduisant au tube endommagé ?

Obi-Wan s’arrêta un instant. Son cœur battait la chamade. Il mourait d’envie de se fier au hasard, mais s’il se trompait d’accès, il perdrait un temps précieux. Il s’obligea à réfléchir. Il examina attentivement le plancher, effectuant mentalement le trajet du turbo-ascenseur jusqu’à ses points d’attache. Alors seulement, il s’engagea dans le couloir, laissant de côté toutes les portes précédant celle qu’il pensait être la bonne : la porte B37. Obi-Wan s’immobilisa. Il pressa le bouton d’entrée ; la porte coulissa sur ses glissières pneumatiques, et Obi-Wan se retrouva sur un étroit palier.

Il ne s’était pas trompé. La cabine était là, suspendue dans le vide. Si Obi-Wan suivait la passerelle, il s’approcherait de la portion encore intacte de la cage d’ascenseur. Il pourrait alors utiliser son sabre laser et forer un trou dans la cloison. Il ne lui resterait plus qu’à se hisser dans le conduit pour rejoindre la cabine, probablement toute proche.

Si toutefois le tube ne cédait pas sous son poids…

Il lui fallait courir ce risque. D’un coup d’œil par-dessus la rambarde, il vit que Bant n’était toujours pas revenue. Si l’ascenseur était hors service, l’unité de communication pouvait l’être également.

Obi-Wan se déplaça rapidement au milieu des énormes rampes de néon qui faisaient scintiller le lac en contrebas. Vus d’ici, même les grands arbres paraissaient minuscules.

Arrivé à hauteur de la gaine d’ascenseur, Obi-Wan actionna son sabre laser. Lentement et avec soin, il découpa une ouverture dans la cloison, de manière à éviter la chute du cercle de métal. Puis il rengaina son sabre laser.

Il grimpa alors sur la rambarde. Rien à quoi s’accrocher. S’il glissait, il irait s’écraser dans le lac, à des centaines de mètres plus bas. Pas un bruit ne provenait de la cabine, mais il perçut les ondes de frayeur et de détresse émanant des enfants pris au piège.

Obi-Wan se glissa par l’ouverture, sans pour autant lâcher le rebord de la passerelle. Il tâta le sol du pied afin d’en tester la solidité. Le tube ne grinça même pas. Il pouvait supporter son poids. Obi-Wan lâcha prise, prêt à bondir si le tube faisait mine de céder. Mais celui-ci ne bougea pas.

Il devrait progresser lentement. S’il se mettait à courir, les vibrations de ses pas pouvaient décrocher le tube. Obi-Wan s’efforça d’oublier le lac en contrebas, et d’effacer l’image de tous ces enfants plongeant vers une mort certaine. Le puits était si sombre qu’il dut allumer son sabre laser pour profiter de sa lumière. Il distingua la masse de la cabine, droit devant lui. En s’approchant, il entendit la voix grave d’un Jedi et les murmures des enfants.

Au bout d’une interminable marche, il finit par atteindre la paroi de la cabine. Il frappa la cloison.

— Je suis Obi-Wan Kenobi, annonça-t-il. Je me trouve dans le tube.

— Je suis Ali-Alann, répondit une voix grave. Je suis responsable de ces enfants.

— Combien êtes-vous ?

— Dix enfants, plus moi-même.

— Nous avons appelé des secours.

La voix d’Ali-Alann ne trahit aucune émotion.

— L’un après l’autre, les moteurs à répulsion sont tombés en panne. Hormis celui qui nous empêche de tomber. L’unité de communication est elle aussi en panne. La trappe de secours refuse de s’ouvrir. Et je n’ai pas de sabre laser.

Obi-Wan put lire entre les lignes. Le dernier répulseur pouvait cesser de fonctionner à tout moment. Ils étaient pris au piège.

— Écartez-vous de cette cloison, lui demanda-t-il.

Avec des gestes plus lents qu’il ne l’aurait voulu, Obi-Wan découpa une ouverture dans la paroi. Le cercle de métal tailladé s’enroula sur lui-même, mais resta accroché par une languette. Parfait. Obi-Wan leva son sabre laser, telle une torche. Sa lueur éclaira les visages tendus et graves des enfants et celui d’Ali-Alann, visiblement soulagé.

— Nous devons nous déplacer très délicatement, dit Obi-Wan à Ali-Alann, puis, baissant la voix afin que les enfants ne puissent l’entendre, il ajouta : le tube ne tient qu’à un fil. Je ne sais s’il pourra supporter un supplément de poids.

— Alors nous les ferons sortir un par un, répondit Ali-Alann.

L’entreprise se révéla d’une lenteur désespérante. Les enfants avaient tous moins de quatre ans. Ils auraient pu marcher, mais Obi-Wan jugea plus prudent de les porter. Ali-Alann lui tendit le premier, une petite fille humaine. Confiante, celle-ci passa ses bras autour du cou d’Obi-Wan.

— Comment t’appelles-tu ? demanda-t-il.

Deux tresses de cheveux roux entouraient sa tête, et ses yeux bruns étaient très sérieux.

— Honi. J’ai presque trois ans.

— Eh bien. Honi-qui-a-presque-trois-ans, accroche-toi !

Elle se pressa contre sa poitrine. Obi-Wan remonta le tube. Lorsqu’il atteignit l’ouverture, il retint Honi d’une main, et de l’autre il agrippa la passerelle. Il lui faudrait parfaitement calculer son geste s’il voulait se hisser sur la passerelle.

Il entendit un bruit de pas. Qui-Gon apparut sur la coursive. Il lui tendit le bras.

— Je m’occupe de l’enfant.

Obi-Wan lui passa Honi, que Qui-Gon hissa sur la passerelle, en sécurité.

— Il en reste encore neuf, plus Ali-Alann, dit Obi-Wan.

— Les Maîtres sont tous en bas, répondit Qui-Gon. Ils en appellent à la Force pour maintenir en l’air le turbo-ascenseur.

Obi-Wan la sentait désormais : cette vague déferlante, puissante et profonde, de la Force. Il jeta un coup d’œil en contrebas. Les membres du Conseil se tenaient en cercle, tous concentrés sur le turbo-ascenseur.

— Mais je ne traînerais pas si j’étais toi, ajouta sèchement Qui-Gon avant de se retourner pour emmener Honi.

Obi-Wan retourna à la cabine. Il ramena les enfants, un à un, pour les tendre à Qui-Gon. Ceux-ci connaissaient déjà les vertus du calme et de la Force. Pas un seul ne pleura ni ne gémit, certains d’entre eux s’efforçant de retenir des larmes. Leurs yeux étaient confiants et leurs muscles détendus alors qu’ils se laissaient porter au-dessus du vide.

Lorsqu’il n’en resta plus que deux, Ali-Alann se chargea du premier et Obi-Wan du dernier, un petit garçon de deux ans. Obi-Wan attendit qu’Ali-Alann ait atteint la passerelle. Ce Jedi était grand et fort, de stature assez semblable à celle de Qui-Gon. Obi-Wan sentit chanceler le tube au fur et à mesure qu’il avançait.

Ali-Alann finit par tendre l’enfant à Qui-Gon et se hissa sur la passerelle. Pour la dernière fois, Obi-Wan refit le même trajet. Il sentait le tube osciller sous ses pas, mais ne pouvait se mettre à courir sous peine de le voir lâcher pour de bon. Enfin, il passa l’enfant à Qui-Gon et regagna à son tour la passerelle. Le tube vacilla mais ne tomba pas. Obi-Wan regarda en bas et vit le cercle de Maîtres Jedi en pleine concentration.

Des chevaliers s’étaient relayés pour faire descendre les enfants au niveau inférieur. À la suite de Qui-Gon et d’Ali-Alann, Obi-Wan emprunta l’interminable escalier à spirale menant au lac. Il se sentit défaillir de soulagement. Les enfants étaient sauvés.

Il suivit Qui-Gon jusqu’au cercle des Maîtres. Bant tenait un enfant dans ses bras et chuchotait à son oreille, tandis que Yoda caressait de sa main la tête d’un autre. L’atmosphère restait calme afin que les enfants ne ressentent pas le contrecoup de leur terrifiante expérience.

Fait rare, Mace Windu se permit un sourire.

— Vous avez bien agi, mes enfants. La Force était avec vous.

— Et Ali-Alann avec nous, répondit Honi. Il nous a raconté des histoires.

Sans cesser de sourire, Mace Windu lui ébouriffa les cheveux.

— Il va vous emmener à la salle des repas. Mais vous ne prendrez pas le turbo-ascenseur.

Les enfants éclatèrent de rire. Ils se massèrent autour d’Ali-Alann en une démonstration d’affection touchante.

— Très bien, tu t’en es tiré, Ali-Alann, lui dit Yoda.

Les membres du Conseil acquiescèrent.

— La Force était avec nous, répéta Ali-Alann, et il s’éloigna avec les enfants.

Mace Windu se tourna alors vers Bant.

— Et toi, ma fille, ta conduite est tout aussi digne d’éloges. Lorsque tu as constaté que l’unité de communication du niveau de lac était en panne, tu as gardé ton sang-froid. La rapidité avec laquelle tu as cherché de l’aide est admirable.

— N’importe lequel d’entre nous en aurait fait autant, répondit Bant.

— Non, fit Qui-Gon affectueusement. Ton idée de venir tout droit à la salle du Conseil était excellente. Et ton calme face au danger est digne d’un vrai Jedi.

Bant rougit.

— Merci. Je voulais juste venir en aide aux enfants.

— Et tu l’as fait, conclut Qui-Gon.

Obi-Wan ressentit une pointe de douleur et de jalousie face à la chaleur qu’il lisait dans les yeux et la voix de Qui-Gon.

Obi-Wan attendit son tour. Bien sûr, il n’avait pas sauvé les enfants dans le seul but de recevoir des louanges. Mais il était heureux d’avoir eu l’occasion d’être utile au Temple. Ainsi, le Conseil l’avait vu sous son meilleur jour.

Mace Windu se tourna vers lui :

— Quant à toi, Obi-Wan, nous te remercions. Tu as démontré ta présence d’esprit.

Obi-Wan ouvrit la bouche pour prononcer quelques mots d’humilité, comme se doit un Jedi. Mais Mace Windu n’avait pas fini.

— Néanmoins, une fois de plus, tu as fait montre de ce caractère impulsif, ton principal défaut. Celui-là même qui nous a poussé à nous demander si tu pouvais devenir un Jedi. Tu as agi seul. Tu n’as pas attendu les secours. Tu aurais pu mettre les enfants en danger inutilement. Le tube aurait pu céder.

— Mais j’ai testé sa solidité et marché avec précaution. Et… et les secours n’arrivaient pas, balbutia Obi-Wan.

Il n’arrivait pas à croire que le Conseil puisse trouver moyen de le réprimander.

Mace Windu se détourna. Obi-Wan reçut l’écho de sa propre voix. On aurait dit qu’il cherchait à s’excuser. Bant le regarda avec compassion.

— Ne te mêle plus des affaires du Temple, dit Mace Windu. Le Conseil doit se réunir. Il faut fermer cette aile.

Qui-Gon posa sa main sur l’épaule de Bant. Tous deux suivirent le Conseil.

Obi-Wan resta planté là, à les regarder partir. Il pensait que la situation ne pouvait empirer. Il se trompait. Quoi qu’il fasse, aux yeux du Conseil, il aurait toujours tort.

Et pour Qui-Gon, il n’était bon à rien. Rien du tout.