CHAPITRE XVI

Depuis deux jours, les Terriens exploraient la côte le long du continent principal. Environ toutes les heures, Marc lançait un appel psychique mais il n'avait obtenu aucune réponse.

Dissimulé dans un épais buisson, Marc et ses compagnons observaient une scène qui se déroulait cinquante mètres devant eux. Sur la plage, à peu de distance des arbres, un bapt creusait un trou d'une cinquantaine de centimètres de profondeur. Ses serres puissantes refoulaient le sable avec une facilité dérisoire. Il s'installa au-dessus du trou, les ailes à demi écartées, tournant la tête, faisant claquer son bec où luisait la double rangée de dents. Il poussa un cri aigu. Un orifice s'ouvrit à l'extrémité inférieure de son corps, laissant échapper une dizaine d'oeufs, plus gros que ceux d'une poule, de couleur grisâtre, dont la coquille semblait molle et gélatineuse. Le bapt hurla encore à plusieurs reprises. Les oeufs s'accumulaient dans le nid de sable. Plus de deux cents !

Les Terriens n'étaient pas les seuls spectateurs de la scène. Deux animaux étaient tapis dans un fourré. Un corps allongé au pelage roux, quatre courtes pattes, une tête aplatie avec un museau allongé les faisaient ressembler à des renards. À peine le bapt eut-il terminé sa ponte que l'un d'eux avança en lançant des aboiements aigus. Le volatile, furieux, sautilla en écartant les ailes, croassant à s'en étrangler d'indignation.

Il avança ainsi de plusieurs mètres mais le renard veillait à toujours conserver une distance respectueuse entre lui et son adversaire.

Pendant ce temps, l'autre quadrupède se glissa en silence vers le nid dont il commença à dévorer les oeufs. Cela ne prit guère de temps. Repu, il regagna l'abri de son buisson non sans lancer un jappement pour avertir son compagnon qui fila aussitôt dans les fourrés.

Le bapt retourna à son nid qu'il emplit de sable, sans paraître s'apercevoir qu'il ne contenait plus d'oeufs.

-Amusante scène de la vie champêtre, ricana Duck. Maintenant quel est le programme ? Poursuivons-nous la recherche d'autres antres de Lykans ?

Marc secoua la tête tandis qu'une ride soucieuse barrait son front.

-J'ai réfléchi au problème une grande partie de la nuit dernière. Dans l'euphorie de notre découverte, j'allais commettre une erreur de plus ! S'il existe d'autres tribus de Lykans, il est inutile de leur révéler notre présence, ce qui risquerait de troubler leur évolution.

-Et ceux de l'île ?

-C'est la Compagnie Jamerson qui a violé la loi ! Nous n'avons fait que rétablir l'ordre naturel. Maintenant, j'ai rassemblé assez d'éléments pour obtenir le classement de Soda dans la catégorie des planètes primitives et l'interdire à toute pénétration.

Le visage de Duck s'éclaira d'un large sourire.

-Alors ? Nous regagnons la Terre ? J'avoue qu'aucune nouvelle ne pouvait m'être plus agréable. Ce n'est pas ici que j'aimerais réinstaller pour finir mes jours.

Ils regagnèrent le module posé à peu de distance dans une petite clairière.

-Que fait Ray ? s'étonna Duck. Il est resté en arrière.

-Ne t'inquiète pas, je l'ai chargé d'une petite mission. Elle durera plusieurs heures. Si tu as sommeil, tu peux t'allonger, je monte la garde.

Mac Donald n'hésita qu'un instant.

-Entendu ! Je te remplacerai dans deux heures. J'ai un sacré retard à combler. Sur l'astronef, tu ne nous a accordé que cinq heures de repos et nous avons passé les deux dernières nuits à nous balader au bord des plages à chercher tes pieuvres.

Il allongea sa grande carcasse et grogna d'une voix déjà ensommeillée :

-N'oublie pas de me réveiller.

La nuit étant tombée depuis plusieurs heures quand Ray reparut enfin. Il tenait dans les bras huit renards roux.

-Ils ne sont pas faciles à trouver, émit-il à l'intention de Marc.

-Comment les as-tu capturés ?

-J'ai utilisé des grenades anesthésiantes. Sur Terre, il faudra renouveler ma provision.

Duck se redressa et se frotta les yeux avec énergie.

-Que veux-tu faire de ces bestioles ? marmona-t-il.

-Un cadeau pour nos amis Lykans. J'espère que ces charmants animaux s'adapteront sur l'île. Au nombre de bapts qui y vivent, ils ne manqueront pas de nourriture.

Un sourire découvrit la denture de Duck.

-Naturellement, nous n'intervenons aucunement dans l'évolution naturelle des autochtones.

-Disons qu'il ne me déplaît pas de trouver une solution écologique à un problème qui taquine nos amis. Ces animaux sont originaires de cette planète !

-Mais ils n'ont pas abordé sur cette île.

-Pas encore ! Pourquoi ne le ferait-il pas un jour ?

-Mieux vaut plus tôt que plus tard !

-Très exact, capitaine Mac Donald ! Maintenant laissez-moi vous rappeler certaines règles essentielles de toute administration. Règle numéro un : on entre dans le bureau de son supérieur avec ses idées et on en ressort avec les idées du chef. Règle numéro deux, la plus importante : plus on critique le chef moins on a de primes et de permissions.

Un éclat de rire interrompit la suite de la leçon.

-Je crois avoir compris. Quand décollons-nous ?

-Immédiatement ! Le temps de déposer discrètement nos passagers et nous regagnons le Mercure.

-Ne veux-tu prévenir les Lykans ?

-Je préfère leur laisser la surprise de la découverte.