CHAPITRE XV

Allongé sur le sable sec, Duck dormait la bouche ouverte, laissant échapper par moments un ronflement. Marc était assis une dizaine de mètres plus loin, près de deux pieuvres géantes.

-Voilà, AM-NO. Une irruption des skors dans cette grotte n'est plus à craindre, pour quelques mois au moins.

-Tu es très généreux. Je sais qu'une telle intervention t'a beaucoup coûté et je souhaite que tes supérieurs ne t'en tiennent pas rigueur. Ce répit nous permettra de perfectionner nos armes. Mes compatriotes s'entraînent à manier les lances et nous commençons à extraire du venin des raies.

-Les plus vulnérables sont les animaux très jeunes. Ce sont eux qu'il vous faut attaquer avant qu'ils atteignent leur taille adulte.

-Dès demain, nous organiserons des recherches pour localiser les nids.

Duck, qui poursuivait son somme, se désintéressait totalement du monde extérieur. Marc allait encore commettre une faute. Une très grosse faute.

-Lorsque vous taillez les silex, vous avez constaté qu'il jaillissait de petits éclairs.

-Effectivement ! Les premières fois cela nous a effrayés.

-Si vous les faites jaillir près d'une herbe sèche, vous obtiendrez du feu qu'il faudra alimenter avec du bois. Souvent des torches permettent d'éloigner les fauves.

AM-NO resta songeur plusieurs minutes. Il découvrait dans l'esprit de Marc des images merveilleuses et terrifiantes.

-Merci, ami. Le peuple des Lykans te devra beaucoup. Maintenant repose-toi. Je perçois une très grande fatigue.

Tandis qu'il s'allongeait sur le sable tiède, l'extrémité d'un tentacule frôla la joue de Marc. Une caresse très douce. La pensée d'A-KA s'infiltra dans les neurones de Marc, tendre, nostalgique.

-Quel dommage que nos organismes soient si différents ! Je sais que tu partiras vite mais je ne t'oublierai jamais.

Presque aussitôt Marc sombra dans un profond sommeil.

Duck se redressa en poussant un formidable bâillement. Dans la lumière phosphorescente de la caverne, il distingua Marc en conversation avec Ray.

-La nature est injuste. Les hommes ne sont pas égaux ! Comment fais-tu pour récupérer aussi vite ? Tu parais frais et dispos alors que moi je pourrais encore dormir des heures !

-C'est que je ne mène pas une vie de débauche comme loi ! Mais il est tôt ou plutôt tard pour philosopher car la nuit est tombée depuis longtemps. Ray allait faire son rapport. Écoute-le !

-J'ai pu approcher des baraquements. Affreux ! Les humains s'étaient réfugiés dans l'un d'eux. Tu sais combien ces constructions préfabriquées sont légères pour pouvoir être transportées à moindre prix. Leur abri n'a pas résisté à l'assaut de trois skors. Les Terriens se sont bien défendus et ont abattu les tyrannosaures. Malheureusement, l'odeur du sang a attiré les bapts. Ces charognards n'ont laissé que des squelettes !

L'androïde ajouta psychiquement à l'intention de Marc :

-J'en ai détruit un grand nombre. Dans mes enregistrements, cela passera comme une légitime défense. J'en ai profité pour examiner tous les documents laissés par ces fripouilles. Je pense qu'ils intéresseront Neuman. Il ne pourra que me féliciter de mon action et endossera la responsabilité de l'élimination de ces bapts. Ensuite j'ai désintégré l'ensemble, toujours par respect de la loi de non-immixtion.

-À fréquenter les hommes, tu deviens aussi hypocrite qu'eux !

-Je suis seulement logique ! Les heures suivantes, j'ai débusqué neuf skors. Je doute qu'il en reste encore sur l'île.

-Une bonne nouvelle pour nos amis. J'espère que tu n'as pas filmé cette partie de chasse.

Ray émit une protestation indignée :

-Je connais les subtilités de l'administration. Je ne tiens pas à te voir suspendu à nouveau de tes fonctions. Tu es trop malheureux et je n'aime pas ça !

-Merci ! Tu es une vraie mère pour moi !

Entre deux bâillements, Duck grommela :

-Que faisons-nous maintenant ?

-Nous partirons un peu avant l'aube.

Mac Donald consulta sa montre.

-Cela me laisse juste le temps d'un petit somme.

Il se rallongea, les mains sous la tête et ferma les yeux. La pensée d'A-KA atteignit Marc :

-Nous avons suivi ta conversation. Tu ne peux savoir notre joie ! Nous pourrons en quelques années quitter cette grotte, occuper toute l'île, émerger au jour. Reviendras-tu nous voir ?

Une question chargée d'espérance ? Marc dut briser ce rêve :

-C'est peu probable. Lorsque mes supérieurs seront informés de votre existence, votre planète sera interdite à toute approche pour ne pas risquer de perturber votre évolution naturelle.

-La décision est sage mais je la déplore. J'aurais aimé te revoir très souvent.

-Moi aussi, A-KA.

Deux tentacules frôlèrent le cou et la poitrine de Marc.

-Sais-tu s'il existe des Lykans sur les autres îles ou sur le continent principal ?

-Nous n'avons jamais eu de contacts précis. Cependant il nous parvient parfois des bribes de pensée très lointaine et ininterprétables. Malheureusement d'énormes requins blancs nous empêchent de traverser l'océan.

Plus tard, dans quelques décennies, vous construirez des embarcations qui vous permettront de voguer sur les flots.

Devant les interrogations pressantes d'A-KA, Marc ne put résister à l'envie d'évoquer des images de navires à voiles. Encore une belle faute !

-Extraordinaire, intervint AM-NO. Un merveilleux moyen de quitter notre île !

-Maintenant nous devons partir, A-KA.

-Je te ramène sur la plage. Cela me permettra de rester encore quelques instants avec toi.

Éveillé une nouvelle fois, Duck grogna :

-Bains de mer à toute heure ! Une véritable existence de vacancier !

-C'est bien mon avis ! Les administratifs se feront une joie de décompter cette mission de tes jours de permission.

-Pas de bêtises ! Ils seraient capables d'écouter ces sornettes, répondit Duck avec précipitation, le visage soudain inquiet.

En arrivant sur la place, une lueur attira l'attention de Duck. Il lança un regard ironique à Marc :

-Tiens, ils viennent de découvrir l'art de faire un feu.

-Ils le connaissent depuis aussi longtemps qu'ils taillent les silex ! répliqua Marc d'un ton sec, sans réplique.

Duck haussa les épaules en souriant :

-Quel est le programme maintenant ?

-Nous marchons jusqu'à l'ancienne base où Ray pourra appeler le module sans risque.

-Ensuite ?

-J'aimerais que nous visitions certains endroits du continent principal. Qui sait s'il n'existe pas d'autres créatures pensantes.

Duck consulta sa montre.

-Ne pouvons-nous retourner quelques heures sur le Mercure. Je rêve d'un vrai repas et d'un séjour au bloc sanitaire !

Comme Marc hésitait, Ray intervint psychiquement :

-J'ai également besoin de reconstituer ma réserve d'énergie. L'utilisation des antigrav pour ma partie de chasse nocturne et celle de mon désintégrateur a fortement pompé mon générateur qui ne dispose plus que de la moitié de sa puissance.

À haute voix, Marc lança :

-Entendu ! Nous avons mérité un peu de repos.