CHAPITRE IX

Mac Donald était adossé à un trans stationné devant les bâtiments de l'astroport. A son côté se tenait une jeune fille élancée, les cheveux d'un roux flamboyant. Elle s'élança vers Marc et plaqua deux baisers sonores sur les joues.

-Je suis heureuse de vous revoir, capitaine Stone.

-Pas de gaffe, s'esclaffa Duck ; il est général maintenant.

-A titre temporaire ! Juste le temps d'interrompre ta permission.

Un quart d'heure plus tôt, Ray avait posé le Mercure sur le petit astroport de Terrania XXVII.

-Tu m'accorderas bien deux heures de sursis. Birgit nous invite à déjeuner dans sa maison de campagne. C'est à un quart d'heure d'ici.

-Je vous en prie, insista la jeune fille. Mon oncle vous attend.

-Je ne peux donc qu'accepter. Même un général se doit d'être diplomate.

Ils prirent place dans le trans et Birgit démarra rapidement. Pendant le trajet, Marc résuma à Mac Donald les derniers développements de l'affaire.

-Je pense que tu as eu beaucoup de chance en embarquant immédiatement pour Terrania XXVII.

Avec un éclat de rire, il ajouta :

-L'amour fait le plus souvent commettre des bêtises. Pour une fois c'est l'inverse.

-C'est toi qui dit des sottises, ronchonna Duck tandis que les joues de Birgit rougissaient.

L'arrivée devant une coquette villa interrompit la conversation. Un vaste jardin entourait la maison et un peu plus loin s'élevait une forêt majestueuse.

À peine les Terriens sortis de leur véhicule, deux ours se précipitèrent à leur rencontre. Ils étaient énormes avec une fourrure d'un bleu éblouissant. Nullement intimidée, la jeune fille se dirigea vers eux et se mit à les caresser.

-Vous savez que les griz sont familiers et nullement dangereux. Vous reconnaissez Penny que vous avez délivré lors de votre première mission ici.

L'animal flaira les astronautes et se frotta contre Marc en poussant de petits cris joyeux. Marc ne fut pas mécontent de se débarrasser de cet encombrant témoignage d'amitié en pénétrant dans la villa.

Le gouverneur Greg Anders se tenait dans le salon. Grand, mince, des cheveux et des sourcils grisonnants accentuaient son air austère. Il accueillit Marc avec une grande amabilité.

-Je n'oublierai jamais le service que vous et votre équipe avez rendu à notre planète.

Birgit sortit pour achever les préparatifs du déjeuner. Duck se proposa pour l'aider. Il se sentait toujours mal à l'aise en face du gouverneur. Un discret sourire se peignit sur le visage de ce dernier.

-J'aurais préféré des liens plus permanents mais Birgit paraît fort bien accepter cette situation. Depuis la mort de ses parents, je ne l'ai jamais vue aussi heureuse.

Désireux de changer de conversation, Marc reprit :

-J'aurais un service à vous demander, monsieur le gouverneur.

-Que puis-je pour vous ?

-Lorsque nous aurons décollé, pourriez-vous appeler l'amiral Neuman pour lui dire que je suis venu prendre le capitaine Mac Donald et que je me dirige vers Soda ?

Devant l'air interrogateur du gouverneur, il précisa :

-Les communications gouvernementales sont automatiquement codées, ce qui n'est pas le cas de mes messages. Or je pense qu'une certaine discrétion ne serait pas inutile.

***

Une grosse sphère bleue verdâtre s'inscrivait sur l'écran de visibilité extérieure. De gros panaches de nuages l'entouraient. Le Mercure venait d'émerger du subespace après un voyage sans problème de trois jours. Duck étira sa grande carcasse.

-Confortable, ton petit engin, Marc. Tu devrais faire adopter le même système sur les avisos du Service ! Voici Soda. A voir les nuages qui se déplacent à grande vitesse, tu comprends que le climat n'a rien de paradisiaque.

L'ordinateur annonça d'une voix monocorde :

-Système de référence galactique KD 49-27-39-82. Soleil de magnitude G. Soda est la seconde planète d'un système qui en comporte quatre. La plus proche du soleil est petite, torride, sans atmosphère. Les deux autres, éloignées, sont volumineuses, glacées, mélange d'hydrogène et de méthane solidifié.

-De vrais congélateurs ambulants, soupira Marc. Ray, centre les détecteurs sur Soda.

Duck qui était allé se chercher un verre de whisky revint dans le poste de pilotage tandis que l'ordinateur reprenait :

-Masse : 0,91 de la Terre. Rotation sur son axe 25 heures treize minutes et décrit son ellipse en 378 jours. Atmosphère : azote, oxygène, gaz carbonique, vapeur d'eau et traces de gaz rares. Les océans occupent 83 % de la surface.

Ce fut Duck qui poursuivit, imitant l'ordinateur :

-Un grand continent étendu du nord au sud, séparé en son milieu par une chaîne de montagnes. De très nombreuses îles de tailles variées. Les pôles sont couverts de glace. Des forêts denses recouvrent pratiquement toutes les terres émergées.

-D'après le dossier remis par la Compagnie minière, c'est sur cette grande île que l'astroport doit être installé. Bonne situation, presque sur l'équateur, facilitant les décollages.

Duck désigna du doigt un point sur l'écran.

-Exact ! Ce fut même le premier endroit que j'ai exploré avant d'aborder le continent principal.

Fronçant les sourcils, il lança :

-Ray, peux-tu obtenir un plus fort grossissement de l'île ?

Il scruta l'image pendant une longue minute. L'île était ovale d'environ deux cents kilomètres de long sur cent de large. Un volcan paraissant éteint dressait son cratère à l'extrémité nord. Une rivière descendait en cascade puis serpentait à travers la forêt.

-Bizarre, Marc. La forêt recouvrait toute l'île. Je m'en souviens parfaitement. J'ai eu beaucoup de peine pour trouver une clairière où faire atterrir le module. Or, il existe maintenant une vaste zone dégagée.

Une sonnerie stridente se fit entendre.

-Un astronef au 280, annonça Ray. Il était dissimulé par la troisième planète et il se dirige vers nous.

-Identification ? demanda Marc.

-Aucune marque visible. C'est très certainement un vaisseau pirate.

-Bon Dieu ! jura Duck, que pouvait espérer un écumeur de l'espace dans ce coin perdu de la Galaxie ?

Un voyant rouge clignota au-dessus de la vidéoradio.

-Nous n'allons pas tarder à le savoir, ricana Marc en basculant un contact.

Un visage se dessina sur l'écran. Carré, les traits accentués, les sourcils touffus, le teint ardoisé.

-Je suis le commandant Norga. Vous m'avez fait attendre, général Stone !

Avec un gros rire, il poursuivit :

-Je crains que vous ne profitiez guère de vos nouveaux galons à moins que...

Il laissa la fin de la phrase en suspens. Les deux appareils avançaient l'un vers l'autre à grande vitesse. Duck qui avait interrogé l'ordinateur, gronda :

-Ce type est fiché à la Sécurité Galactique. La liste de ses méfaits suffit à emplir une mémoire d'ordinateur ! Condamné plusieurs fois à mort, malheureusement toujours par contumace !

Le pirate reprenait en accentuant un sourire qui découvrait des dents noirâtres :

-J'ai été payé pour vous détruire mais votre yacht me plaît. Aussi je vous offre une chance d'échapper à la mort. Abandonnez votre vaisseau intact et je vous laisse filer dans le module de survie. Vous pourrez gagner Soda et attendre une expédition de secours.

-Missiles parés, annonça psychiquement Ray.

-Attends ! Nous devons encore nous approcher. La surprise sera plus vive et l'empêchera de riposter.

L'air effrayé, il demanda au pirate :

-Si j'accepte, qui m'assure que vous me laisserez me poser sur Soda et que vous ne détruirez pas mon module ?

-Je vous donne ma parole ! s'exclama Norga avec une sincérité douteuse. Décidez-vous vite, dans une minute je lance mes missiles. Cinquante-neuf, huit, sept...

L'écran de visibilité extérieure était tout entier occupé par l'astronef ennemi. Le détail des superstructures était visible. Les orifices des lance-missiles s'ouvraient.

-Je crois qu'il existe une autre solution, commandant.

Norga interrompit son compte à rebours.

-Laquelle ?

Sur un signe de Marc, Ray enclencha la mise à feu de quatre missiles. Ils jaillirent du Mercure avec un sifflement soyeux. Les yeux du pirate s'arrondirent de stupéfaction.

-Ce... ce n'est pas possible ! bégaya-t-il. Un yacht civil... Il ne peut être armé... C'est... c'est contraire aux habitudes...

-Vous avez été mal renseigné, ricana Marc.

L'imminence du danger obligea le pirate à brancher son écran protecteur l'empêchant de riposter.

-Ray, une seconde salve, vite ! Ces vaisseaux pirates ont souvent des générateurs renforcés.

Marc, non sans anxiété, suivit la trajectoire des missiles. Les deux premiers explosèrent au contact de l'écran protecteur, à grande distance de l'astronef. Les deux autres ne tardèrent pas à subir le même sort.

-Un coriace, grogna Duck dont le front s'était couvert de sueur.

Déjà la deuxième vague approchait. Trois torpilles, merveilleusement réglées par Ray, explosèrent simultanément. Déjà affaibli par la première salve, le générateur pirate ne put résister à une telle dépense d'énergie et il disjoncta. Le dernier missile arriva au contact de la coque de l'astronef qui se transforma en un gigantesque nuage irisé.

Le soupir de soulagement poussé par Mac Donald ressembla à un typhon sur les côtes du Japon.

-Bon débarras ! Après une telle émotion, nous avons mérité un remontant ! Je me charge du service.

Il revint rapidement et tendit un verre à Marc.

-À ta santé ! J'admire ta maîtrise dans ce genre de combat !

-Nous avons bénéficié de la surprise. Celui qui ouvre le feu le premier prend un avantage certain. Il est heureux pour nous que l'appât du gain ait dissuadé ce pirate de nous attaquer lors de notre émergence du subespace. C'est le moment où nous étions le plus vulnérable.

-Il nous reste à avertir la Sécurité Galactique que nous avons fait son travail.

Marc secoua lentement la tête.

-Rien ne presse ! Quelqu'un se donne beaucoup de mal pour empêcher ma mission d'atterrir sur Soda. Inutile de l'informer de son échec.

-Tu as sans doute raison.

Rendu euphorique par son remontant, Duck éclata de rire.

-Excellent appareil, ce Mercure. Les systèmes de tir sont plus performants que ceux du Neptune.

-La créature qui me l'a offert tenait à ma sécurité.

-Jolie ?

-Merveilleuse !

-Sacré veinard. Comme je te connais, tu n'as pas dû t'ennuyer.

Le souvenir de l'aventure arracha un sourire à Marc.

-Elle pouvait prendre toutes les apparences et son organisme renfermait plus d'énergie qu'une centrale atomique !

-Si je comprends bien, tu as fait l'amour avec une bombe thermonucléaire ! L'idée est excitante !

Le Mercure poursuivit son vol vers Soda. Il ne tarda pas à se placer sur une orbite haute. Tandis que Marc consultait les données de l'ordinateur, Duck lui dit :

-Tu constateras qu'il n'y a aucun gisement de minerai particulièrement intéressant. Je me demande comment cette société minière pourra amortir ses frais !

Après une longue hésitation, Marc prit la décision de laisser le Mercure sur son orbite et de gagner la planète à bord du module de liaison. C'était une capsule allongée dont la moitié supérieure était constituée d'un plastique transparent.

-Paré pour l'éjection, annonça Ray.

La porte extérieure s'ouvrit et le module fut aspiré dans le vide au milieu d'un nuage de cristaux d'air solidifié. L'appareil plongea vers Soda pour se freiner sur les hautes couches de l'atmosphère.

-Défenses automatiques du Mercure ?

-Elles sont enclenchées depuis quinze secondes. Ainsi le Mercure est invisibles aux observations visuelles et au radar.

-Où commenceras-tu ton exploration ? s'enquit Duck.

-Par ton île qui a subi une modification.

-Peut-être est-ce seulement une tornade qui a abattu les arbres. Elles sont fréquentes dans cette région.

Le module pénétra dans l'atmosphère et Ray actionna les rétrofusées. Bientôt, l'appareil survola un océan agité d'une faible houle. Un gros soleil rouge paraissait en émerger.

-L'île est à cent kilomètres au nord, dit Ray.