CHAPITRE III

Ray examinait le petit immeuble ne comptant qu'une vingtaine d'étages. Une plaque sous une caméra de surveillance lui avait appris que Taurok occupait le dernier appartement, juste sous le toit. La rue de ce quartier chic et résidentiel était entièrement déserte.

Ray n'hésita qu'une fraction de seconde. En pénétrant dans l'immeuble, il risquait d'être repéré par les systèmes d'alarme. Mieux valait agir autrement. Un dernier regard circulaire confirma qu'il n'y avait pas d'observateur intempestif. L'androïde actionna ses antigrav et s'éleva lentement le long du mur.

Les robots du S.S.P.P. étaient de merveilleux engins conçus pour protéger en toutes circonstances les agents qu'ils escortaient. Au dernier étage, une fenêtre était éclairée. Ray risqua un oeil. Un homme petit, bedonnant, les joues rondes, la calvitie débutante, était assis devant un bureau. Seuls ses yeux bleus, très pâles, démentaient l'impression de bon gros vivant. Dans un angle de la pièce, vautré sur un fauteuil, se tenait un type solidement charpenté, à l'allure d'un ancien catcheur.

-Que font ces imbéciles ? Ils auraient dû m'appeler depuis longtemps.

Le costaud répondit en frottant ses énormes mains l'une contre l'autre.

-Faire parler un type solide demande souvent du temps. Il faut doser la douleur et savoir s'interrompre à temps sinon le sujet s'évanouit. Tout est alors à recommencer.

Un spécialiste discutant technique ! La remarque aggrava la colère qui bouillonnait dans les circuits de Ray. D'une violente poussée, il brisa la fenêtre et boula dans la pièce.

La surprise figea les deux hommes un instant. L'ancien sportif réagit plus vite que sa masse aurait pu le faire croire. Il sortit de la poche de son blouson un pistolaser et tira sur la silhouette qui se redressait. Le rayon laser ne provoqua qu'un ridicule grésillement en heurtant le champ de force. Le sbire ne comprit son erreur qu'en enfer. Un éclair rouge l'éblouit et il plongea dans le néant.

Il ne pouvait savoir que Ray était d'un modèle très particulier réservé au S.S.P.P. et à la Sécurité Galactique. Il était équipé d'une ceinture protectrice, une merveille de la technologie. Elle induisait autour de celui qui la portait un champ de force le mettant à l'abri des projectiles et des rayonnements. Pour le percer, il fallait une énergie supérieure à celle du générateur. De plus, l'index droit dissimulait un laser et l'avant-bras gauche contenait un désintégrateur capable de tout détruire dans un rayon de plusieurs mètres.

Incrédule, Taurok regarda s'effondrer son acolyte. Un visage stupéfait où était apparu un troisième oeil, noir, juste à la racine du nez !

Déjà l'inconnu avançait vers lui. Affolé, il plongea la main dans le tiroir de son bureau où il dissimulait une arme. Geste dérisoire qui s'acheva par un hurlement de douleur. Ray avait repoussé le meuble coinçant le poignet.

-Qui... qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? Je ne garde jamais d'argent ici.

Une vilaine sueur couvrit le front de Taurok quand il découvrit le regard de son assaillant. Froid, impersonnel. Pourquoi une telle lueur féroce y brillait-elle ?

-Où se trouve le capitaine Stone ?

Une voix calme, presque indifférente, si trompeuse que Taurok répondit :

-Je ne sais rien ! J'ignore de qui vous parlez !

Lâchez-moi.

Une douleur atroce, insupportable. Un craquement sinistre d'os qui se brisaient. Ray avait accentué la pression sur le tiroir, broyant le poignet.

-Pitié, arrêtez, je ne sais rien...

Un râle déchirant propre à émouvoir un coeur de pierre... mais pas un ordinateur !

-Moktar et Vence doivent t'appeler, tu ne peux donc ignorer leur existence.

Une nouvelle pression. Une onde de souffrance. Taurok s'affola. Il avait acquis sa position par la force, n'hésitant jamais à faire tuer, torturer, violer ceux qui lui résistaient, ridicules obstacles sur la voie de sa réussite. Jamais il n'avait imaginé qu'on oserait l'attaquer !

-Vous n'avez pas le droit ! Je demande à être jugé par l'ordinateur judiciaire... C'est la loi !

Impassible, Ray augmenta la poussée, insensible au nouveau cri qui jaillissait de la gorge de l'homme. Seule une déduction logique s'imprimait dans ses neurones : lorsqu'une fripouille cherche la protection de la loi, c'est qu'elle est prête à céder.

-Où Stone est-il détenu ?

Toujours la même voix calme, indifférente en apparence, masquant l'extrême fébrilité de Ray. Pour Marc, chaque seconde de retard risquait d'être fatale.

La douleur qui irradiait du poignet brisa la résistance de Taurok nullement habitué à la souffrance physique. D'ordinaire, c'est lui qui infligeait les tortures.

-Assez ! Assez i gémit-il. Pitié !

-La pitié est un sentiment humain qui t'est inconnu. Pourquoi donc y fais-tu appel ?

Une panique folle submergea Taurok qui souffla :

-Dans ma propriété... Deux cents kilomètres à l'ouest...

La pression se relâcha et il put extraire sa main du tiroir. Les doigts étaient gonflés, violacés.

-Tu m'accompagnes pour me montrer le chemin. Si tu as menti, tu crèveras d'une très désagréable manière.

L'homme n'eut pas le temps de protester de sa bonne foi. Ray le saisit à bras-le-corps et plongea par la fenêtre brisée. Taurok hurla sa peur en se sentant tomber dans le vide. Heureusement pour lui, la puissance des antigrav était calculée pour soutenir le poids d'un homme.

L'étrange couple atterrit en douceur sur le trottoir. Ray poussa sans ménagement son prisonnier dans le trans. Un démarrage brutal rejeta Taurok sur le siège. Peureusement, il se tassa contre la portière soutenant son membre blessé de sa main valide.

-Si tu bouges, je te grille les pieds, avertit Ray de plus en plus nerveux.

Il n'arrivait pas à entrer en contact psychique avec Marc. Ce qui signifiait qu'il était inconscient ou... mort. L'évocation du corps martyrisé de son ami accrut sa détermination. Il écrasa l'accélérateur, indifférent aux feux de signalisation.

Taurok ferma les yeux pour ne pas mourir de terreur. Une demi-heure de course folle. Un brusque ralentissement le fit s'intéresser à nouveau au monde extérieur. À moins de trois cents mètres se dressait sa propriété. Une jolie villa à un étage, entourée d'un grand parc. Le trans s'immobilisa devant le perron.

Ray descendit et sortit son passager d'une traction puissante. Le regard de Taurok brilla soudain d'un anormal éclat. Un robot de surveillance, gros ovoïde portant quatre tentacules, tourna l'angle de la maison et se dirigea à grande vitesse vers les arrivants.

L'homme crut enfin tenir sa revanche ! Il s'élança aussi vite que ses jambes pouvaient le porter, hurlant :

-Tire ! tire !

Un tentacule se pointa sur Ray dont la réaction fut fulgurante. Un éclair mauve jaillit de son avant-bras gauche, traduisant la décharge du désintégrateur. Une infime fraction de seconde et le robot disparut comme happé par une gigantesque et invisible mâchoire.

Au dernier moment, Taurok avait obliqué pour se rapprocher de son androïde. L'éclair mauve l'effleura. La moitié de son corps fut transformée en lumière et chaleur. Ridicules, les membres inférieurs restés intacts, firent un dernier pas avant de choir sur le sol.