CHAPITRE XII

Des coups violents ébranlèrent la porte de la chambre de Poolman. Il se redressa en sursaut et se frotta les yeux. Les rayons du soleil éclairaient la vitre plastifiée de sa chambre. En maugréant, l'homme se leva et enfila un pantalon. Il déverrouilla la porte pour découvrir Edwin, le visage écarlate, en proie à une vive agitation.

-Patron... Une catastrophe... Le hangar du matériel...

-Calmez-vous ! Qu'arrive-t-il ?

Edwin respira profondément à deux reprises.

-Ce matin, en sortant, j'ai entendu des bruits anormaux. De curieux oiseaux tournaient autour du bâtiment trois. Le désintégrateur qui assure la protection automatique du camp a disparu ! Volatilisé !

Un juron sourd échappa à Poolman qui acheva de s'habiller en moins d'une minute. Il boucla autour de sa taille un ceinturon supportant un pistolaser.

Le toit du hangar avait disparu sur un tiers de la longueur. Trois oiseaux répugnants tournaient autour en poussant des cris rauques. Ils avaient l'envergure d'un aigle royal mais les ailes étaient constituées d'une fine membrane, presque translucide. La tête, volumineuse, était prolongée par un bec large. Lorsqu'il s'ouvrait, il dégageait plusieurs rangées de dents pointues. Enfin les pattes étaient pourvues de serres puissantes et griffues.

-S'ils font mine de descendre, tirez sans hésiter. Où sont les hommes ?

-Dans l'autre baraquement. Je leur ai ordonné de rester à l'abri et de ne pas sortir.

Sans quitter les volatiles de l'oeil, Poolman avança vers le hangar, son arme à la main. Il ouvrit la porte et s'immobilisa sur le seuil. Il resta ainsi plusieurs secondes puis recula, l'estomac déchiré par une immense nausée.

Curieux, Edwin jeta un regard. Atroce ! Cinq ou six gros volatiles déchiquetaient deux corps. Peau, muscles avaient disparu et ils se disputaient maintenant les entrailles. L'un d'eux plus grand, plus fort arracha de ses serres un énorme morceau de foie qui ne tarda pas à disparaître dans le gosier vorace.

D'une main tremblante, Edwin leva son désintégrateur. Un éclair mauve. Les oiseaux et leurs victimes disparurent ainsi que la porte !

-Attention !

L'avertissement de Poolman le fit se retourner. Un volatile plongeait sur lui. D'un mouvement instinctif, Edwin releva son arme. Le jet atteignit l'animal alors qu'il n'était plus qu'à un mètre de sa proie.

Les derniers s'éloignèrent, disparaissant derrière les arbres. Les deux hommes poussèrent un soupir de soulagement. Encore très crispés, ils pénétrèrent dans le hangar.

-Bon Dieu ! jura Poolman, tout l'appareillage de surveillance a disparu !

-L'androïde également ! Ce ne peut être que lui le responsable !

-Impossible ! Il était inactivé !

-Chuck a pu commettre une erreur !

-Même si c'était le cas, ce n'était qu'un androïde domestique, même pas un robot du S.S.P.P. !

-Nos renseignements devaient être mauvais ! Ce toit ne s'est pas volatilisé par enchantement ou sorcellerie !

Irrité, Poolman haussa les épaules.

-Venez, nous allons rejoindre les hommes.

Ils étaient cinq agglutinés aux lucarnes du baraquement.

-La situation est très mauvaise ! Tous les travaux sont suspendus ! Sous la direction d'Edwin, nous organiserons des tours de garde.

-Nous ne pourrons supporter longtemps un tel régime, objecta l'un d'eux.

-Quelques jours suffiront. Je vais appeler le grand patron qui nous enverra des renforts. Dans peu de temps un astronef se posera ici avec tout le matériel qui nous fait actuellement défaut.

Cette promesse rassura les hommes. Edwin ordonna alors :

-Vinh et Nat, vous prendrez le premier quart.

Tendant son désintégrateur au plus grand, il ajouta :

-Prends en soin, c'est le seul qui nous reste. Nat, tu le suis avec un pistolaser. Patrouillez autour des baraques. L'un surveille la forêt, l'autre le ciel ! N'oubliez pas que le danger est là où vous ne l'attendez pas !

Les deux hommes sortis, Edwin escorta Poolman jusqu'à la salle des transmissions. À cet instant, des cris retentirent à l'extérieur, aussitôt couverts par un rugissement féroce, si intense qu'il fit vibrer les vitres.

Edwin se précipita hors de la baraque. Deux monstres avançaient d'un pas pesant, la gueule ouverte, laissant apercevoir une langue bifide.

-Des tyrannosaures ! hurla Poolman. Il faut les éliminer ! Vite.

-Vinh ! Tire, mais tire donc.

Le cosmatelot, effrayé par ces créatures d'un autre âge, hésita un instant. Enfin son doigt pressa sur la détente. Un fort tremblement agitait sa main et l'éclair passa à plus de deux mètres de l'animal.

Les pattes antérieures du monstre balayèrent l'espace. Vinh recula de trois pas pour ne pas avoir la figure arrachée. Livide, il appuya à nouveau sur la détente. Cette fois, le jet du désintégrateur fit disparaître la moitié supérieure de l'animal. Malheureusement pour l'homme, les pattes postérieures poursuivirent leur progression. Un spectacle d'horreur, cette moitié de corps animée de mouvements. Affolé, Vinh recula, trébucha et tomba à la renverse. Hurlant de terreur, il vit une patte énorme, garnie de quatre ergots, descendre à une vitesse effrayante. Il tenta de rouler sur le sol. Trop tard. Un choc, une atroce sensation d'étouffement, un douloureux craquement, un merveilleux néant...

L'autre monstre, indifférent au sort de son congénère, avançait vers Nat. Ce dernier tira avec son pistolaser. Deux fois le jet rouge frappa le torse de l'animal sans paraître lui causer le moindre désagrément.

Plus rapide que sa masse ne le laissait croire, le tyrannosaure plongea, immobilisa l'homme de ses pattes antérieures. La gueule s'ouvrit, énorme, démesurée. Un claquement sec. La tête de Nat disparut, broyée par la puissante mâchoire. Un flot de sang jaillit du cou sectionné.

Hoquetant d'horreur, Edwin ouvrit le feu à son tour. Il saisit son poignet droit de la main gauche pour assurer son tir. Les éclairs rouges, en succession rapide, touchèrent le monstre au niveau de l'oeil gauche puis du crâne. Serrant contre son thorax le corps décapité de sa victime, l'animal poussa un hurlement aigu, à la limite du supportable pour les tympans et il s'effondra d'un bloc. Des mouvements spasmodiques l'agitèrent un instant puis il s'immobilisa définitivement !

Les hommes restèrent un long moment figés par l'horreur. Enfin Edwin approcha du corps écrasé de Vinh dans l'espoir de récupérer son désintégrateur. Un juron lui échappa, l'arme était inutilisable.

Une ombre le fit sursauter. Deux gros volatiles tournaient très haut dans le ciel, soutenus par leurs ailes membraneuses, presque transparentes, poussant des croassements désagréables. Manifestement, ils invitaient leurs collègues à un abondant déjeuner. Edwin réagit avec promptitude et hurla aux cosmonautes : -Réfugiez-vous dans le baraquement. N'oubliez pas vos armes.

Encore livide, Poolman s'installa devant la vidéoradio, manipulant les contacts d'une main fébrile. Enfin, il obtint une communication.