CHAPITRE VII

-Entre, Rike, dit Patricia avec un large sourire.

La jeune femme avait endossé une tunique dorée. Le décolleté vertigineux permettait de vérifier qu'elle ne portait toujours pas de soutien-gorge. Le vêtement, largement fendu sur le côté, donnait à chaque pas une vision fugitive d'une cuisse blanche et élancée.

Patricia s'installa sur un sofa et Ray se laissa tomber près d'elle, tout près. Sur une table basse deux verres étaient emplis d'un liquide ambré.

-J'ai préparé des whiskies...

Elle ne put achever sa phrase car Ray l'embrassait avec fougue. Elle tenta de protester, bien mollement :

-Attends, buvons d'abord...

-Après, c'est meilleur !

Une main, d'une agilité diabolique, avait défait les deux agrafes magnétiques qui maintenaient la tunique. L'étoffe glissa et le corps de Patricia en émergea.

Nouvelle protestation, tellement timide, qu'elle équivalait à un acquiescement. Elle bascula en arrière attirant Ray sur elle. Un merveilleux tourbillon l'emporta.

Plus tard, beaucoup plus tard, Patricia se redressa. Elle émit un soupir satisfait et sourit en voyant son amant enfiler sa combinaison d'astronaute. D'un geste qui fit saillir sa poitrine, elle remit de l'ordre dans sa chevelure puis tendit un des deux verres à Ray et prit l'autre.

-À ta santé, chéri.

Donnant l'exemple, elle avala d'un trait une bonne moitié du contenu de son verre. Ray goûta le breuvage. Les ingénieurs avaient prévu dans l'arrière-gorge une cavité où les aliments pouvaient être analysés si besoin puis désintégrés. L'énergie, même minime, était envoyée au générateur.

Ray claqua la langue en connaisseur averti puis annonça avec un large sourire :

-Vieux scotch de qualité. Quel dommage que son arôme soit gâté par la présence de produits chimiques. Voyons...

D'une voix très tranquille, il énuméra :

-Neuroleptique, tranquillisant, somnifère...

De quoi assommer un boeuf !

Le teint de Patricia blêmit soudain. Elle tenta de se relever mais une main ferme la repoussa sur le divan.

-Je ne comprends pas... Tu es fou... Laisse-moi... Va-t'en !

Une ébauche de cri, vite stoppée par une gifle pas trop brutale mais suffisante pour la réduire au silence.

-Tu vas répondre avec gentillesse à mes questions sinon je risque de me fâcher. Cela sera très désagréable pour toi.

Patricia cria :

-Pars ou j'appelle la police !

La menace fit fleurir un sourire ironique sur les lèvres de Ray.

-Je t'en prie ! Le vidéophone est à ta disposition. Toutefois, tu devras lui expliquer pourquoi tu as attiré Peggy dans un piège en te faisant passer pour une assistante de l'hôpital. Tu lui as dit que Khov, blessé, désirait la voir. Tu l'as conduite dans une impasse où Vence et Moktar l'ont prise en charge.

Le peu de couleur qui restait déserta les joues de Patricia.

-C'est un mensonge... Jamais on ne pourra prouver...

La dénégation était bien faible. Ray brisa ce dernier espoir :

-Avant de venir ici, j'ai montré ta photographie à Peggy et elle t'a formellement identifiée !

-Ce n'est pas possible ! Elle est morte...

-Non ! Nous l'avons délivrée hier soir. Tes amis ont omis de te le signaler. Pourquoi m'as-tu attiré ici ?

Ray leva une main menaçante. La blonde répondit avec précipitation :

-Non ! C'est un pur hasard. Je te jure que j'étais sincère lorsque je t'ai donné rendez-vous pour ce soir. Faire l'amour dans le bureau m'avait terriblement excitée. C'est en rentrant à l'appartement que j'ai reçu un appel. On me demandait si je pouvais joindre un lieutenant Rike Patterson. Je devais seulement t'endormir.

-Pourquoi as-tu accepté ?

Patricia détourna son regard et baissa la tête.

-On m'avait promis cinq mille dols supplémentaires.

-Qui ?

Devant son mutisme, Ray saisit la jeune femme par l'épaule et la secoua sans ménagement.

-Je ne peux pas le dire... Il est terrible..., pleura-t-elle.

-Son nom, vite !

-Sampson, ...Lew Sampson... J'ignore son adresse. En cas d'urgence je le joins à un numéro. Il est noté sur le vidéophone.

La porte s'ouvrit brutalement, livrant passage à deux hommes. La même silhouette trapue, le visage inexpressif. L'un d'eux tenait un pistolaser à la main.

-Pourquoi ne nous as-tu pas appelés comme convenu, Pat ?

Jetant un regard sur le corps dénudé de la jeune femme, l'homme ajouta avec un air égrillard :

-Tu t'offrais du bon temps pendant que nous poireautions dans le couloir !

-Il n'avait pas encore bu son verre ! Maintenant vous avez tout gâché. Le patron sera furieux.

-Je ne crois pas, ricana l'homme. Il y a un petit changement au programme. Lorsque les flics viendront ici, ils trouveront un beau spectacle. Une femme violée et étranglée avec à son côté un brillant lieutenant que le remords a amené à se suicider.

Les pupilles de Patricia se dilatèrent sous l'effet de la peur.

-Non ! Lew avait promis...

Un coup de poing au visage l'envoya valser sur le sofa.

-Tu n'aurais pas dû faire ça !

La voix de Ray était trop calme, trop indifférente. Le canon du pistolaser se pointa sur son ventre.

-Ferme-la ! Sinon je m'occupe immédiatement de toi !

La porte mal refermée fut à nouveau poussée d'un vigoureux coup de pied, livrant passage à quatre miliciens en uniforme noir de la Sécurité Galactique.

-Police ! Personne ne bouge !

Sidérés, les deux malandrins se laissèrent désarmer sans résistance.

-Comment vos hommes sont-ils arrivés chez cette fille au moment psychologique ? demanda Marc.

Sur l'écran du vidéophone, le visage de Neuman afficha une satisfaction certaine.

-Peggy a eu l'excellente idée de m'avertir dès que Ray lui eut montré la photographie de sa remplaçante. Cette Patricia a été mise aussitôt sous surveillance. Lorsque les deux hommes de main ont pénétré dans l'appartement, j'ai ordonné une intervention rapide et musclée.

La voix de l'amiral se fit ironique :

-Connaissant le caractère... euh... facétieux de Ray, j'ai préféré éviter de les laisser trop longtemps en tête à tête. Les cadavres ne sont guère bavards !

-Qui est ce Lew Sampson ?

-Un important homme d'affaires apparemment très respectable.

-Pourquoi voulait-il empêcher une nouvelle mission sur la planète Soda ?

-L'enquête nous le révélera sans doute.

-La solution se trouve peut-être là-bas ?

-Qui sait ? J'attends avec impatience le rapport que vous ferez devant la commission. Quand le lieutenant Patterson doit-il partir ?

Marc esquissa une grimace.

-Je n'ai guère aimé qu'on veuille s'en prendre à lui deux heures seulement après sa désignation. En cas de danger, je crains qu'il ne soit un peu tendre. Il me faut lui trouver un remplaçant plus coriace.

L'amiral approuva de la tête.

-Je sais que votre choix sera excellent.

-Où est Ray ?

-Dès qu'il aura achevé sa déposition, je vous le renvoie. Pour une fois, je n'ai rien à lui reprocher !

La conversation terminée, Marc arpenta la pièce avec nervosité. Il était hors de doute qu'un traître s'était infiltré dans le S.S.P.P. D'abord retrouver l'opérateur qui avait enregistré le rapport de Mac Donald.

L'ordinateur du service lui fournit bien vite la réponse.

-Boris Karkov -3982 726e Rue.

À cet instant, Jack Owen appela. Le visage du vieux était soucieux.

-J'ai pu réunir quelques renseignements. Lorsque Jamerson a pris la succession de son père, la Compagnie minière était au bord de la faillite. Pour redresser la situation, il a fallu qu'il réunisse des capitaux. Il se murmure que l'origine de ceux-ci n'est pas très claire. Un ou plusieurs gros bonnets de divers trafics ont sans doute trouvé là un moyen de blanchir un argent malhonnêtement gagné. Ce n'est qu'une rumeur mais je la crois fondée.

-Moi aussi ! Ces messieurs n'aimant pas être contrariés, utilisent des méthodes de voyous. Avez-vous des noms ?

-Rien de précis encore mais mes informations sont en chasse.

-Merci !

Dès l'arrivée de Ray, Marc lança :

-Viens, nous avons une visite à rendre.

Le 3982 était occupé par un immeuble résidentiel de belle apparence.

-Un peu cher pour un simple opérateur, nota Ray.

Karkov occupait un appartement au trente-septième étage. A l'instant où Marc allait sonner, Ray désigna le battant entrebâillé.

Il poussa la porte avec douceur et s'immobilisa. Boris était allongé sur la moquette, les bras en croix, un trou noir au milieu du front. Ses yeux vitreux exprimaient encore un étonnement sans bornes.

À son côté gisait une jeune femme vêtue d'un déshabillé transparent. Elle avait esquissé un mouvement de fuite et le jet laser l'avait atteint au milieu du dos.

-La mort remonte à moins d'une heure, constata Ray.

-Les nouvelles circulent, vite, bien trop vite à mon goût. Il ne nous reste plus qu'à prévenir la Sécurité Galactique.