CHAPITRE XIV

L'écran de la vidéoradio s'éteignit. Poolman esquissa un sourire.

-Voilà ! Ce n'est pas plus compliqué que ça. Dans quarante-huit heures, deux astronefs seront là. Ils nous apporteront du matériel et des hommes. Ils profiteront de l'escale pour chercher l'astronef du S.S.P.P.

-En tout cas, ils ne trouveront pas les corps des deux types, s'esclaffa Edwin.

-Je suis plus inquiet pour l'androïde. Où a-t-il pu filer ?

-Qu'importe ! Lorsque son générateur sera épuisé, il rouillera dans un coin.

-Espérons-le !

Un des hommes, posté de garde à la fenêtre, hurla :

-Encore un monstre ! Il vient par ici.

Devant le baraquement, seuls quelques bapts restaient, picorant les derniers ossements du skors et des deux humains. Impuissants, les Terriens avaient assisté à l'horrible festin des volatiles qui avaient déchiqueté leurs camarades.

Le tyrannosaure avançait à pas tranquilles, humant l'air. Il s'immobilisa un long moment, tournant la tête. Ses yeux rouges luisaient. Puis il se remit en marche vers le baraquement abritant les humains.

-Croyez-vous la construction assez solide pour résister à cette maudite bestiole ? murmura Poolman dont les joues avaient perdu toute couleur.

-Il faut l'espérer !

Tourné vers les cinq hommes, il ordonna :

-Vous deux surveillez la façade arrière. Les autres, préparez vos armes. Attendez mes ordres pour ouvrir le feu.

Le skor était maintenant tout près de la maison. Il poussa un cri rauque. Ses pattes avant se détendirent, heurtèrent la vitre. Le plastex vibra mais ne céda pas.

Furieux de cette résistance inattendue, l'animal se rua en avant, pesant de tout son poids. Avec un craquement sinistre, la fenêtre vola en éclats.

-Tirez, tirez ! hurla Edwin.

Plusieurs jets laser fusèrent, atteignant le tyrannosaure au poitrail. Il recula de quelques pas. Non sans courage, Edwin approcha de la fenêtre pour ajuster son tir.

-La tête, je dois le toucher à la tête.

L'animal était si grand que sa gueule dépassait le toit du baraquement. Par chance, il recula encore. En s'agenouillant, Edwin put ajuster sa visée. Trois éclairs fusèrent, le skor bascula et s'effondra à moins d'un mètre du mur.

Mystérieusement prévenus, deux bapts tournaient déjà dans le ciel, emplissant l'air de leurs croassements. Moins de deux minutes s'écoulèrent avant qu'une nuée de volatiles ne s'abatte sur le cadavre.

-S'ils pouvaient crever d'indigestion, grogna Edwin.

Un bapt se posa sur la fenêtre brisée, faisant claquer son long bec garni de dents auxquelles pendait un long fragment de chair. Ce dernier fut vite aspiré par l'insatiable gosier. Les yeux petits, brillants, très mobiles, fixaient les humains. Sans doute évaluait-il les chances de nouvelles proies ! Deux éclairs rouges le touchèrent et il bascula à l'extérieur.

-Voilà un supplément pour tes copains, ricana Edwin.

Pendant l'heure qui suivit, trois autres bapts subirent le même sort. Edwin houspilla les hommes :

-Grouillez-vous de fabriquer un panneau qui obstrue cette ouverture.

Soudain les bapts s'envolèrent dans un grand concert de protestations indignées. L'explication de ce mystère ne tarda pas. Deux skors arrivaient, progressant de leur lourde démarche.

Quelques volatiles voulurent défendre leur repas. Ils sautillaient sur le cadavre déchiqueté, les ailes écartées, claquant du bec, poussant de grands cris stridents. Malheureusement pour eux, les tyrannosaures ne se laissèrent pas impressionner. Agissant avec des gestes précis, ils croquèrent plusieurs bapts en un temps record.

Mis en appétit par ces hors-d'oeuvre imprévus, les skors approchèrent de la baraque.

***

Marc émergea de l'eau et aspira une large bouffée d'air. Le soleil, haut dans le ciel, l'éblouit.

-Je ne peux approcher plus près du rivage, émit A-KA tandis que le tentacule se détachait du torse de Marc.

À regret, semblait-il.

-En suivant le sentier qui longe les rochers, tu arriveras à l'endroit où les skors creusent. Prends garde, ils sont souvent nombreux.

Duck aborda à son tour et se secoua avec vigueur.

-Je ne voudrais pas paraître me plaindre, mais je te fais remarquer que nous n'avons guère dormi ni mangé. Je ne serais pas hostile à un retour au vaisseau.

-Ray a un travail à accomplir !

Une ride plissa le front de Duck.

-Je ne sais si la loi de non-immixtion...

-Tais-toi ! Je prends la responsabilité de mon action. Mais si tu fais une seule allusion à ce que tu vas voir, je t'expédie sur un satellite-relais où de mémoire d'ordinateur jamais une femme n'a mis ni ne mettra les pieds.

-Cruelle perspective ! Enfin, à tes ordres mon... général.

Les deux astronautes suivirent Ray qui s'engageait sur le sentier. L'ascension fut brève. Des grognements furent vite perceptibles. Les Terriens se dissimulèrent derrière un bloc de rochers. Trois skors se tenaient sur une petite plateforme à une cinquantaine de mètres de distance. Les monstres grattaient avec fureur la colline qui se dressait devant eux. Les griffes labouraient la terre meuble et la rejetaient au loin.

Marc les observa pendant de longues minutes. Ray avait, comme toujours, raison. S'ils poursuivaient leur tâche à cette cadence hargneuse, les skors pénétreraient bientôt dans la caverne des Lykans.

Une légère brise marine apportait un semblant de fraîcheur à l'atmosphère chauffée par le soleil au zénith. Marc désigna un rocher à une centaine de mètres sur leur gauche.

-Duck, dissimule-toi là derrière. Je te rejoins dans quelques minutes.

-Je ne voudrais pas jouer les trouble-fête, mais je te signale que nous sommes désarmés. Face à ces charmantes bestioles, un pistolaser ne serait pas inutile.

-Ne te fais pas de soucis, Ray veille sur nous.

Duck prit son élan et amorça un sprint qui le mena bien vite à l'endroit désigné. Un skor interrompit son travail de terrassier. Il leva la tête, humant le vent. Ses yeux rouges flamboyèrent. Soudain, il se mit en marche, vite suivi par ses deux congénères. Sans hésitation, il se dirigea vers le rocher derrière lequel Duck se dissimulait. Ils n'en étaient plus qu'à une vingtaine de mètres lorsque Marc murmura :

-Maintenant !

L'éclair mauve jaillit de l'avant-bras de l'androïde, effaçant les trois skors. Marc rejoignit son compagnon, un sourire aux lèvres. Duck s'essuyait le visage couvert de sueur.

-A quel jeu joues-tu? J'ai failli crever de trouille !

Un air d'une innocence angélique apparut sur le visage de Marc.

-Je ne comprends pas ta question. Je mentionnerai dans mon rapport que pour sauver la vie du capitaine Mac Donald, j'ai été contraint d'ordonner à mon androïde d'éliminer trois monstres d'une espèce très répandue. Cela ne risque donc pas de bousculer l'équilibre naturel de cette planète.

Les joues de Duck virèrent au rouge cerise. Il ouvrit la bouche pour clamer son indignation mais aucun son ne sortit. Puis il éclata d'un rire gigantesque.

-J'ai compris ! Les galons donnent de l'imagination. Bientôt, comparé à toi, Machiavel ne sera plus qu'un enfant de choeur attardé.

-Allons, pas de flatteries, sourit Marc qui ajouta à voix basse : -Nos amis auront un petit répit.

Duck haussa ses robustes épaules.

-Il risque d'être très bref. D'autres monstres viendront. Ils paraissent nombreux sur cette île. Mais que fait Ray ?

L'androïde, utilisant sa force colossale, roulait de gros blocs de rochers et les entassait contre la colline, à l'endroit où les skors s'évertuaient à creuser. Sans pouvoir masquer l'ironie de son regard, Marc rétorqua d'une voix très officielle :

-Il complète nos observations. Il cherche si sous certaines pierres ne se dissimule pas une faune inconnue. Il en profite pour pratiquer des prélèvements minéralogiques.

Le travail de Ray se poursuivit une bonne heure. En fait, il élevait une solide muraille de plus de deux mètres d'épaisseur.

-Avec ça, les skors pourront s'user les griffes jusqu'au coude, ricana Duck.

Ray, qui était juché sur le sommet de sa muraille, intervint :

-Nos amis, là-bas au camp, semblent avoir des problèmes. Je vois un très grand nombre de bapts qui tournoient dans le ciel.

-Des jets laser ?

-Aucun ! Les bâtiments sont très sérieusement endommagés.

-Nous allons tenter de nous approcher !

L'androïde regarde le soleil encore haut sur l'horizon.

-C'est impossible ! Les bapts sont trop nombreux. S'ils attaquent, même avec mon désintégrateur, je ne suis pas certain de pouvoir vous protéger. Moi je peux y aller, car j'ai un écran protecteur.

Il reprit, après un instant :

-Toutefois, je ne peux vous laisser seuls. À tout moment, une de ces charmantes bestioles peut vous assaillir.

En une fraction de seconde, Marc imagina la solution.

-Nous allons regagner l'antre des Lykans. Nous y serons à l'abri. Pendant ce temps, tu exploreras la base, mais ne te montre pas.

Il ajouta psychiquement pour éviter à Duck de se poser un cas de conscience :

-Si comme c'est malheureusement à craindre, il n'y a pas de survivants, détruis le plus possible de bapts. Ensuite, à l'aide de tes antigrav, survole la forêt. Tes détecteurs biologiques te permettront de localiser les skors. Élimine-les !

-Cela constitue une violation de la loi de non-immixtion.

-Je le sais, mais les Lykans ont besoin d'un répit pour se développer.

Il ajouta avec un clin d'oeil complice :

-Il n'est pas indispensable que ton action soit enregistrée.

Il se tourna ensuite vers Duck.

-Comment te sens-tu ?

Ce dernier s'étira en faisant craquer ses articulations et répondit avec un ton lugubre :

-Merveilleusement bien ! Une promenade dans un jardin idyllique peuplé de douces créatures, des bains de mer avec de charmantes monitrices de plongée sous-marine. Le S.S.P.P. ne recule devant rien pour distraire son personnel et faire oublier qu'en deux jours je n'ai absorbé que quelques tablettes nutritives et dormi à peine un couple d'heures.

-C'est bien ce que je craignais. Ton état m'inspire une vive inquiétude et je ne me sens guère plus frais que toi. Nous allons demander l'hospitalité aux Lykans.