CHAPITRE V
Marc émergea avec difficulté de son sommeil. Il lui semblait qu'il venait à peine de s'endormir.
-Bois, dit Ray en lui tendant un verre empli d'une mixture rosée.
Un bain revitalisant acheva de lui donner une forme acceptable. Les hématomes de son visage avaient pratiquement disparu. Marc ne s'étonna pas du phénomène. Au cours d'une mission, il avait sauvé une charmante femme paraissant à peine âgée de trente ans et il lui avait permis de regagner sa planète, Maralla, dont elle était la Présidente. En réalité, la demoiselle était âgée de deux siècles ! Marc était le seul Terrien à avoir eu le privilège de faire l'amour avec une séduisante bicentenaire. À son insu, la Présidente l'avait fait profiter des immenses connaissances en biologie de sa race. L'organisme de Marc pouvait ainsi se régénérer dix fois plus vite que la normale.
-Un appel de Neuman.
L'amiral arborait une mine sombre.
-Je constate que vous n'avez pas trop mauvaise mine après vos tribulations nocturnes. Dès qu'ils ont été informés, mes services se sont mis au travail. Votre androïde a laissé un certain désordre derrière lui.
-C'est grâce à son action rapide que Peggy et moi sommes encore vivants. Il n'a fait qu'obéir à mes ordres !
Un discret sourire étira les lèvres minces de l'amiral.
-Je ne fais aucun reproche. Vence et Moktar étaient des tueurs à gages recherchés par nos services. Ils ont été condamnés à mort à plusieurs reprises, malheureusement toujours par contumace. L'action de votre ami n'a fait qu'anticiper une sentence déjà prononcée.
-Et Taurok ?
-Il était également fiché par nos services. Plusieurs fois inculpé mais toujours relâché faute de preuves. Drogue et prostitution semblaient ses occupations favorites mais sans négliger pour autant racket et meurtres sur commande. Dans cette affaire, il est certain qu'il travaillait pour un tiers. Quel intérêt avait-il à connaître l'adresse du capitaine Mac Donald ?
-Il est difficile de le lui demander. Si Ray avait pu prévoir...
-Je sais ! Très honnêtement, votre androïde nous a remis une copie des enregistrements qu'il avait effectués. L'écart de Taurok était imprévisible et on ne peut rien lui reprocher.
Marc étouffa un soupir de soulagement. L'amiral semblait fort bien accepter les événements de la nuit et Ray ne serait pas inquiété.
-Savez-vous où est Mac Donald ? J'aimerais l'interroger, trop de gens s'intéressent à lui.
-Très franchement je l'ignore.
-Dommage ! Si un détail vous revenait en mémoire, vous m'en parlerez cet après-midi puisque nous nous retrouverons à la commission.
Un peu plus tard, Marc s'apprêta à sortir.
-Je file au bureau car je suis déjà en retard.
Ray lui emboîta le pas en déclarant d'un ton sans réplique :
-Pas question de te laisser seul, je t'accompagne.
-Messieurs, la séance est ouverte !
Le Président Grant ne ressemblait guère à son illustre et très ancien prédécesseur. Il était grand, mince, avec un visage carré, un front large. A sa droite se tenait l'amiral Neuman et à gauche le sénateur Cartney, président de la commission des Finances, trapu, massif, la tête ronde aux joues colorées surmontée de cheveux grisonnants. Le représentant du ministre des Affaires Galactiques, très élégant, arborait l'air blasé d'un vieux diplomate. Le ministre de l'Industrie discutait à voix basse avec un exobiologiste. L'attention de Marc était concentrée sur Jamerson, la quarantaine, une silhouette bien découpée, un visage souriant.
-Messieurs, en remplacement du général Khov victime d'un regrettable accident, j'ai nommé le général Stone pour assurer son intérim.
Tous les regards convergèrent vers Marc qui s'efforça de rester impassible.
-Nous devons décider du sort de la planète nommée un peu légèrement Soda.
Le premier questionné, le représentant des Affaires Galactiques, expliqua :
-Il n'existe aucune civilisation évoluée avec laquelle nous pourrions engager des pourparlers. Mon service n'est donc pas concerné par cette affaire.
-Soda pourrait-elle devenir une terre de colonisation dans un avenir plus ou moins proche ?
Ce fut l'exobiologiste qui répondit :
-Pas avant plusieurs millions d'années, monsieur le Président. Nous avons travaillé sur les observations recueillies par la première mission et par le S.S.P.P. Nos conclusions sont formelles. Le climat interdit toute culture vivrière. Il faudrait importer la nourriture de l'Union Terrienne, ce qui la mettrait hors de prix et limiterait en permanence le développement de la population !
-Il en est de même des ressources énergétiques, intervint le ministre de l'Industrie. Elles sont trop pauvres pour espérer un développement industriel massif. Je propose donc que Soda soit allouée à une société qui exploitera les rares gisements intéressants.
-Je dois les mettre en garde, reprit l'exobiologiste, contre les dangers qu'ils rencontreront. De nombreux séismes sont possibles, de violentes tornades risquent de ravager les constructions. Enfin certains spécimens de la faune paraissent agressifs.
Jamerson intervint, le visage sérieux, la voix bien assurée :
-Toutes les précautions nécessaires ont été prises. De plus, notre première expédition comprendra une équipe de biologistes qui poursuivra les travaux déjà entrepris sur la faune. Toutes leurs observations seront transmises au muséum de New York.
-Dans ce cas, dit le ministre de l'Industrie, je propose que la concession d'exploitation soit cédée à M. Jamerson selon le protocole financier qui nous a été soumis.
Déjà des mains se levaient.
-Un instant, lança le Président. Nous n'avons pas terminé notre tour de table. Votre avis, général Stone?
Marc respira profondément. Le matin même, le colonel Benton lui avait remis une fiche rappelant la position du Service qui se résumait à : Aucune objection. Il lui suffisait donc d'acquiescer, certain d'être soutenu par tous ses collaborateurs. Il ne pouvait s'empêcher de se demander : l'accident de Khov, son enlèvement, celui de Peggy... Pourquoi ?
-Alors ? s'impatienta le Président.
Avec rage, Marc froissa la fiche de Benton.
-Je pense que toute décision est prématurée. L'exploration qui nous a été demandée est encore incomplète.
Le pavé dans la mare ! Le silence qui s'était abattu fut rompu par le ministre de l'Industrie qui, le visage rouge, s'écria :
-Doutez-vous du travail de votre agent ?
-Mieux que vous, je connais les qualités du capitaine Mac Donald qui, dans le peu de temps qui lui a été imparti, a réalisé une besogne colossale sur ce monde totalement inconnu. Mais regardez une carte, moins d'un centième de la planète a été exploré !
Le Président fronça les sourcils mais un discret sourire étira ses lèvres.
-Quelle importance ?
-Sur une planète primitive, une vie intelligente peut n'apparaître qu'en des endroits très limités, souvent difficiles à trouver. Je demande donc l'envoi d'une nouvelle mission.
Une exclamation sourde échappa à Jamerson.
-Pourquoi perdre du temps, monsieur le Président ? Nous avons déjà une étude très complète de la planète. J'ai réuni une équipe prête à partir la semaine prochaine. L'Union Terrienne a un besoin pressant de nouvelles exploitations minières.
Marc ne put se retenir de persifler :
-Sans être un spécialiste des sociétés minières, je crois savoir que de nombreuses exploitations sont déjà en activité sur plusieurs planètes vierges. À considérer les cours de la bourse, il ne semble pas que les stocks des métaux rares actuellement disponibles soient en baisse sensible. Quelques mois de plus ou de moins dans le démarrage de votre activité ne mettront pas en péril l'Union Terrienne.
Le ministre de l'Industrie prit le relais d'une voix doucereuse :
-La nomination du général Stone est très récente et nous comprenons très bien qu'il veuille faire preuve d'un zèle de néophyte. C'est très sympathique et nous avons beaucoup d'estime pour la fougue juvénile. Toutefois, nous sommes responsables des deniers de l'État et devons ménager l'argent des contribuables. Pourquoi imposer au budget les frais d'une expédition onéreuse qui n'apportera rien de nouveau ?
Il se tourna vers le Président de la commission des Finances du Sénat et conclut avec un sourire :
-Je crois que le sénateur sera de mon avis.
Cartney était réputé pour sa puissance de travail, son intégrité, son souci du bien public. Il redressa sa tête carrée au maxillaire saillant et laissa tomber d'un ton tranchant :
-Non !
Le visage du ministre s'empourpra en s'entendant contrer aussi sèchement.
-Il y a quelques années, j'ai été chargé d'étudier le budget du S.S.P.P. A cette occasion, j'ai fait la connaissance du capitaine Stone qui, à ma demande, a effectué une mission sur une planète primitive. J'ai pu alors mesurer le courage, le dévouement au Service et la conscience professionnelle de cet officier. Aussi, avant de prendre une décision qui engage l'avenir d'un monde nouveau pour plusieurs siècles, une information correcte est indispensable. J'approuve donc l'envoi d'une nouvelle mission.
Un silence pesant suivit sa déclaration. Impassible, le Président se tourna vers l'amiral Neuman.
-Quel est l'avis de la Sécurité Galactique ?
-Aucune pénurie de métal ne menace actuellement l'Union Terrienne, monsieur le Président. La proposition du général Stone mérite d'être étudiée.
Grant approuva de la tête. Il semblait que la situation l'amusait.
-Fort bien ! Le S.S.P.P. est donc chargé d'organiser une exploration complémentaire. Son rapport devra nous être remis dans un délai de un mois. La séance est levée.
Dans le grand hall d'entrée du ministère, Marc retrouva Ray qui l'attendait. Il fut rejoint par Jamerson qui l'aborda avec un sourire crispé :
-Pourrais-je vous parler un instant ?
Avec discrétion, Ray recula de quelques pas.
-Vous avez retardé mes projets mais je comprends vos scrupules et je ne vous en tiens pas rigueur.
Jamerson sortit de sa poche un chèque qu'il tendit à Marc. 50.000 Dols ! Plus d'une année de solde.
-Ne me remerciez pas ! Je pense qu'un général nouveau promu aura l'utilisation de cette somme.
-C'est exact ! Elle sera la bienvenue pour les oeuvres du Service.
Le financier cligna de l'oeil avec malice, montrant qu'il n'en croyait pas un mot mais qu'il appréciait la réponse. Tandis qu'il s'éloignait, Marc contempla un long moment le chèque puis se dirigea vers un guichet bancaire automatique.