CHAPITRE XI
Ce matin-là, lorsque l'amiral Neuman arriva à son bureau, son premier travail fut d'appeler l'hôpital central. Le médecin du service de réanimation ne tarda pas à répondre :
-L'état du général Khov est stationnaire. Nous constatons même une légère amélioration. Enfin, depuis deux jours aucune nouvelle complication n'est apparue. Cela nous laisse une chance d'envisager une évolution favorable.
Il eut un geste las de la main.
-C'est un espoir tout au plus. Le combat est loin d'être terminé.
L'adjoint de l'amiral, le colonel Still, pénétra dans le bureau. Il était petit, grassouillet, avec un visage rond et de bonnes joues rouges. Tout le contraire de son patron, sec et austère.
-Voici les comptes rendus des interrogations de la fille Patricia et des deux sbires. Ce ne sont que des subalternes. Sans trop de difficultés, ils ont reconnu qu'ils obéissaient à Lew Sampson. Les arrestations ont été gardées secrètes et l'homme mis sous surveillance. Jusqu'à présent cela n'a rien donné. Sans doute se méfie-t-il.
-Ne relâchez pas vos efforts. Je vous charge de cette mission et je veux un rapport quotidien.
-À vos ordres, amiral. Avez-vous reçu des nouvelles de Soda ?
-Aucune ! Je sais seulement que Stone est parti en exploration. Informez le colonel Parker.
-Cela sera fait, amiral. Quand doit se réunir la commission ?
-En principe dans un mois, mais le ministre de l'Industrie et tout un lobby d'affairistes se démènent pour avancer la date. Espérons que nous aurons bientôt des preuves concrètes.
***
Edwin laissa tomber sa grosse carcasse sur une caisse en face de Poolman toujours installé devant l'écran de la vidéoradio.
-J'ai passé la journée à survoler le continent en hélijet sans trouver trace de l'astronef du S.S.P.P. Les types se sont moqués de nous mais je vais leur faire payer cette plaisanterie !
-Ceci n'a guère d'importance. J'ai reçu les ordres du patron. Il confirme ce que je pensais.
Nous devons les liquider rapidement.
Une ride soucieuse barra le front du gros Edwin.
-En cas d'enquête de la Sécurité Galactique, les soupçons se porteront sur nous.
-Elle ne pourra rien prouver si tu les fais disparaître sans laisser de trace. Ce ne sont pas les monstres qui manquent sur cette maudite planète.
Un rire bref sortit de la gorge d'Edwin.
-Je pense les emmener faire une petite promenade au bord de la mer, au clair de lune. Un début très poétique mais une fin moins romantique. J'ai repéré un coin qui grouille d'affreuses bestioles.
Poolman consulta sa montre.
-Inutile de perdre du temps. Je crois que la lune est levée.
Edwin sortit un pistolaser de l'étui qui pendait à sa ceinture et vérifia le niveau énergétique du chargeur.
-Voulez-vous leur dire adieu ?
-Je n'en vois pas la nécessité ! Prévenez-moi lorsque tout sera terminé. Je dois informer la Terre.
Dans la minuscule pièce dépourvue du moindre mobilier, les deux astronautes étaient assis à même le sol couvert d'un revêtement plastifié.
-Debout ! ordonna Edwin. Si vous tentez de filer, je vous découpe les chevilles. J'ai toujours été un artiste dans le maniement du pistolaser !
Marc et Duck se retrouvèrent bientôt à l'air libre. Une lune anémique éclairait le paysage d'une lumière blafarde, fantomatique. Nerveux, Mac Donald lançait de fréquents regards derrière lui.
-C'est un vrai professionnel, grogna-t-il. Il se tient cinq mètres en arrière. Pour l'instant, nous n'avons aucune chance de le surprendre.
Ils approchèrent de la plage. Une bonne odeur d'iode et de varech, un doux clapotis. Edwin leur fit longer le sable humide en direction d'un amoncellement de rochers qui fermait l'extrémité de la crique.
-Parfait ! Maintenant entrez dans l'eau jusqu'à la ceinture puis immobilisez-vous. Au moindre geste suspect, je tire !
Plusieurs minutes s'écoulèrent dans un silence tendu. Soudain, des formes sombres émergèrent de l'eau à une cinquantaine de mètres des baigneurs involontaires. Duck ne put retenir un sursaut en découvrant les pieuvres gigantesques. Trois au moins...
-Ne bougez pas, hurla Edwin d'une voix rendue aiguë par l'excitation provoquée par l'horrible spectacle qui se préparait.
Lentement les trois pieuvres approchèrent des Terriens. Marc restait immobile, les traits du visage tendus, les yeux mi-clos. Un imperceptible sourire étira ses lèvres. Il murmura quelques mots à Duck dont la figure s'était couverte de sueur. Des tentacules, lassos de chair, jaillirent, ceinturèrent les deux hommes, les tirèrent irrésistiblement. Duck se débattit, poussa un cri auquel Marc répondit.
Edwin discerna encore un instant les deux corps qui flottaient, se rapprochaient des rochers puis ils s'enfoncèrent dans l'eau sombre. Il resta un long moment à contempler la surface de la mer à peine agitée par de rares vagues. C'était un homme d'action, dur, impitoyable, qui avait déjà commis plusieurs meurtres. Toutefois, il ne pouvait se défaire d'une impression de malaise. Jamais encore il n'avait livré deux hommes à une mort aussi horrible. Cet état d'âme ne dura guère et c'est d'une voix réjouie qu'il avertit Poolman :
-Les visiteurs indésirables ont disparu au fond de l'océan. Jamais la Sécurité Galactique ne pourra trouver la moindre preuve.
-Bien ! J'informe le patron ! Je veillerai à faire augmenter votre prime.
***
Une lumière s'alluma dans le hangar servant de remise au matériel. Deux hommes entrèrent, manifestement de mauvaise humeur. L'un grand, maigre, avec une chevelure trop longue, exhala sa rancoeur.
-Nous avons travaillé toute la journée et maintenant le boss veut que nous transformions l'androïde.
Son acolyte, petit et noir de poil, rétorqua :
-Ne râle pas, Chuck, pense plutôt au fric qu'il nous a promis. De quoi s'offrir une fantastique virée à notre retour sur Terre. J'imagine déjà un tonneau de vieux whisky et des filles, plein de filles qui m'entoureront, me...
-Cesse de rêver, grogna le premier. Viens m'aider à allonger ce truc sur cette table. Nous devons démonter la plaque dorsale pour commencer.
-Vérifie d'abord que le générateur est débranché. Je ne tiens pas à recevoir une décharge.
-C'est fait ! Regarde la trappe de commande est restée ouverte et l'interrupteur sur la position « hors service ».
Les deux ouvriers approchèrent de Ray et tentèrent de le soulever. C'est alors que l'inimaginable se produisit. Une voix retentit à leurs oreilles :
-J'ai horreur des familiarités !
L'androïde privé d'énergie, simple ferraille inerte, s'anima d'un seul coup. Ses poings se détendirent, frappant les mentons. Les deux hommes plongèrent aussitôt dans un merveilleux néant.
Sans hésitation, Ray se dirigea vers le fond du hangar où se trouvait entassé un appareillage complexe. Le système de surveillance automatique de la base. Il leva l'avant-bras gauche. Un éclair mauve jaillit. Tout disparut comme aspiré par une gueule invisible et monstrueuse.
L'androïde leva la tête, examinant la charpente du toit plastifié. Il localisa sans peine l'endroit où était fixé le désintégrateur. Un nouvel éclair mauve et le toit s'effaça. Ray actionna ses antigrav. Un instant, il resta allongé sur le toit à observer les autres baraquements. Des lumières brillaient encore aux fenêtres mais il n'y avait pas de patrouille de surveillance. Les pirates se fiaient à leur système électronique de défense.
Ray sauta à terre et s'éloigna au pas de course.