Les feintes, les coups de pointe et de revers se succédaient furieusement tandis qu'ils bondissaient et tournaient au centre du cercle, s'interrompant parfois d'un accord tacite pour s'éponger la figure. La sueur ruisselait de leurs pores, trempait leur tunique et leur culotte. Et puis, promptement, ils reprenaient le combat.

Le duel durait depuis vingt minutes (une éternité, semblait-il) quand le baron bondit après une pause, feinta du glaive et dans la même fraction de seconde porta une pointe de l'épée. Blade se ramassa sur lui-même, sentit le déplacement d'air du glaive au-dessus de sa tête et la pointe de l'épée se loger dans une des entailles qui couvraient maintenant la surface du bouclier. Profitant du temps infime dont le baron eut besoin pour dégager sa lame, Blade se fendit et enfonça son épée en un éclair dans le biceps gauche de Maltravos. Le sang jaillit en fontaine.

Une minute plus tard, le baron avait une entaille au cou, et bientôt une autre à la cuisse gauche. Mais s'il avait renoncé à l'assaut furieux du début, il avait encore une garde solide. Blade entendit la foule qui avait encouragé Maltravos se taire et recommencer à murmurer. Il savait qu'il faisait appel à ses dernières forces pour une offensive qui devait absolument réussir. Il lui fallait briser la garde du baron, et vite.

Comme il rompait pour un instant de pause, son adversaire revint à la charge. Abandonnant sa position de défense il se rua les deux armes en avant. Blade rompit encore, son pied gauche glissa dans une flaque de sang poisseux et il se sentit tomber à la renverse.

Instantanément, les réflexes développés par son entraînement à la lutte à mains nues prirent la relève. Avant de toucher le sol il avait balancé son bras gauche pour lancer le bouclier et décoché un coup de son pied droit au genou du baron. Les deux coups portèrent. Ce fut au tour du baron de partir à la renverse si brutalement qu'il perdit l'équilibre. Blade se laissa tomber, exécuta un saut périlleux en arrière et se retrouva debout l'épée encore à la main avant que le baron se soit relevé. Pendant un instant, la garde imprenable fut rompue. Blade frappa avec toute la force et la rapidité qui lui restaient, vit sa lame pénétrer dans la poitrine de Maltravos et entendit la pointe racler les dalles en ressortant dans le dos. Du sang jaillit de la bouche du baron, il eut un hoquet convulsif, et puis le glaive et l'épée échappèrent à ses mains inertes.

Blade mourait d'envie de se laisser tomber, de se coucher face contre terre jusqu'à ce que son vertige se dissipe. Mais il dégagea son épée, la déposa à côté de son boucher et se tourna vers le roi.

Votre Majesté reconnaît-elle que j'ai vaincu le baron Maltravos en combat loyal ?

Il y eut un instant de silence, pendant lequel le roi tirailla sa barbe. La foule se taisait. Enfin Pelthros sourit à Blade et déclara :

Tu l'as vaincu, capitaine Blahyd. Ainsi soit-il. Héraut, proclame le nouveau Champion du roi de Royth !

 

CHAPITRE XVI

Après une austère cérémonie d'amnistie dans le temple de Druk, les pirates furent envoyés travailler aux docks et dans les chantiers navals. Les talents de Brora, son ancienne réputation et sa popularité lui valurent la pleine responsabilité d'un dock, avec rang d'officier. La plupart des autres ex-pirates, à l'exception de quelques incorrigibles, avaient bien réussi aussi, malgré les préjugés contre les Néraliens renégats. Dans leurs nouveaux emplois, Brora et ses hommes avaient déjà appris beaucoup de choses, et continuaient de se renseigner.

Il y avait près du port un vaste quartier de tavernes et de boîtes à matelots où se tramaient les complots et les contre-conspirations. Blade et Brora s'y retrouvaient plusieurs soirs par semaine pour échanger leurs informations devant des gobelets de vin aigre ou de bière amère. Indhios avait peu de partisans parmi la population des tavernes et certains, qui avaient eu l'imprudence de se révéler au mauvais moment, avaient disparu sans laisser de traces.

Une petite pluie fine chassée par le vent tombait sur le quartier du port tandis que Blade rentrait au palais, une nuit. Ces ruelles étaient particulièrement dangereuses, et il chevauchait la cape rejetée en arrière et l'épée bien visible à son côté. On n'entendait dans les ténèbres que les hurlements du vent et le claquement des sabots du cheval sur les pavés.

Soudain, une ombre surgit d'une ruelle sur sa gauche et se précipita vers lui. En un éclair, il dégaina et il levait son épée quand la voix de la comtesse s'écria, sous le capuchon baissé :

Blahyd! Abandonne ton cheval, tout de suite ! Et viens avec moi !

Sa présence parmi ces bouges était surprenante mais Blade devinait que la comtesse ne serait pas là sans une raison impérative. Elle avait trop de bon sens pour courir des risques inutiles.

Le cheval remonta la colline tout seul et Blade suivit Larina dans une ruelle ténébreuse, vers un petit hangar. A l'intérieur quatre hommes, la figure noircie par de la suie, attendaient autour d'une lampe à huile à la mèche baissée.

Mes gardes, dit la comtesse en se tournant vers Blade. Tes alliés du port sont-ils prêts?

Blade, qui se mourait d'impatience depuis des semaines, faillit pousser un cri de joie, mais il se contenta de hocher la tête en répliquant:

Aussi prêts qu'ils peuvent l'être.

La comtesse sourit.