Mais même les mourants poussèrent un cri de victoire quand Blade, avec les clés prises sur le cadavre du commandant du fort, ouvrit les lourdes portes cloutées de fer. Bientôt, ils virent leurs camarades ressortir en portant des coffres pleins de pièces d'or et d'argent, de bijoux, de soieries de prix, de vases, d'armes de cérémonie, de tout ce que les comtes de Tram avaient exigé comme péage des navires franchissant le canal, durant les derniers mois.

Il fallut près de la moitié des pirates pour porter simplement les coffres, aussi Blade fut-il assez content de n'avoir à garder qu'un seul prisonnier, ou plutôt une prisonnière. La fille du commandant du fortin paraissait avoir dix-neuf ans ; elle était petite, blonde, assez jolie. Sans doute était-elle timide et nerveuse dans ses meilleurs moments mais à présent elle paraissait pratiquement paralysée par la terreur et ne risquerait certainement pas.de tenter de fuir. Blade lui fit lier les mains derrière le dos et l'un des pirates la mena comme en laisse, une corde autour du cou.

Les bâtiments du fortin étaient en pierre mais à l'intérieur tout flambait joyeusement quand Blade conduisit son groupe chargé de richesses vers les galères. Dans le chaos de sa propre bataille, il avait presque oublié les deux autres groupes de débarquement. Mais à présent, en levant les yeux vers le ciel, il le vit teinté de rouge et d'orangé flamboyant au-dessus de la ville et de la rade. Soudain, comme ils débouchaient du petit bois et s'engageaient sur le sentier descendant vers la mer, il s'arrêta net.

Une masse d'hommes casqués en armure, les pointes de leurs piques et de leurs hallebardes scintillant dans le reflet des flammes, bloquait la jetée. Blade vit étinceler des épées et des sabres d'abordage juste devant les soldats ; des pirates tentaient de percer ce front massif, mais le rempart d'acier tenait bon. Quelqu'un avait appelé en renfort l'infanterie. D'après ce que Blade se rappelait des hallebardiers suisses à qui ces hommes ressemblaient, si jamais ils parvenaient à prendre une bonne avance le long de la jetée, ils balaieraient les pirates aussi inexorablement qu'un raz de marée et puis attaqueraient les galères.

Blade n'entendait pas laisser les pirates aller à un tel désastre général, quoi qu'il puisse penser d'eux et particulièrement alors que Brora—et, oui, Tuabir — y seraient mêlés ainsi que lui-même. Rapidement, il donna des ordres. Huit des hommes valides resteraient en arrière pour garder les coffres et les blessés. Le reste... Encore une fois il brandit son sabre, vers l'arrière de la section d'infanterie, et s'élança sur la pente.

Tout en courant, il remarqua une petite silhouette qui se glissait dans l'eau et une tête blonde brillante qui longeait le bas de la jetée jusqu'à ce qu'elle soit à la hauteur du premier rang d'infanterie.